Conférence de presse de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, sur la nécessité de poursuivre dans la voie des réformes en application de la résolution 1244 et de la réconciliation nationale, Pristina le 7 septembre 2002.

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Circonstance : Voyage de M. de Villepin au Kosovo le 7 septembre 2002 à Pristina

Texte intégral

Venir au Kosovo, à l'automne 2002, c'est revivre immanquablement une page centrale de l'histoire de notre continent. Alors même que, depuis 10 ans déjà, la liberté et la démocratie avaient reconquis l'espace européen, cette partie de notre continent, après la chute du mur de Berlin, était restée sous la férule d'un régime totalitaire et oppressif. Nous n'oublions pas ces images de centaines de milliers de réfugiés jetés sur les routes, de familles entières livrées à la violence et au désespoir.
En ce temps, cette terre fut le symbole du rejet de l'autre et de l'intolérance. Mais ce fut également un nouvel espoir lorsque la communauté internationale a réagi en 1999, comme elle l'avait fait en 1995 en Bosnie-Herzégovine, lorsqu'elle a repoussé par la force un appareil militaire responsable d'une politique d'épuration ethnique qui faisait honte à l'Europe en la renvoyant aux pages les plus sombres de son histoire. Cette réaction a été à l'origine de la chute du régime Milosevic il y a bientôt deux ans et la vie a retrouvé ses droits au Kosovo. Mais, il ne faut pas s'y tromper, la démocratie et la liberté sont des combats permanents ; elles supposent à la fois la détermination politique, le développement économique mais aussi, et avant tout, l'engagement de tout un peuple.
Voilà donc le sens de mon déplacement aujourd'hui. A Pristina, j'ai réaffirmé à chacun de mes interlocuteurs, qu'il s'agisse du président du Conseil des ministres, des différents ministres et bien sûr du président Rugova, la détermination politique de la France à ce que la région retrouve le chemin de l'Europe. Cette logique fut au cur du Sommet de Zagreb qui s'est tenu, comme vous le savez, à l'initiative du président Chirac il y a deux ans et elle reste le fondement de notre démarche.
La voie est aujourd'hui tracée. J'ai redit à chacun les moyens d'avancer sur cette voie par l'application de la résolution 1244, par le transfert progressif, dans un esprit de coopération et de confiance avec la communauté internationale, des compétences aux autorités élues. Il ne doit y avoir ni partition, ni retour en arrière. L'autonomie du Kosovo doit également faciliter le développement économique qui est la deuxième exigence. C'est à l'évidence, aujourd'hui, un élément essentiel et attendu des populations. L'Union européenne s'y est engagée massivement pour favoriser le retour des réfugiés, la reconstruction et la restauration d'une activité de production et d'échange.
Enfin et surtout, il faut l'engagement de tous les Kosovars, engagement dans une oeuvre de réconciliation profonde et réelle qui reste la clef d'un Kosovo de démocratie, d'un Kosovo de liberté. Soyons lucides, la réconciliation n'est pas un mouvement naturel, le pardon est un acte de courage. On ne peut pas effacer d'un geste les meurtrissures de la mémoire. Il faut que le peuple du Kosovo ait le courage de la réconciliation. La communauté internationale est là, bien sûr pour l'aider dans cette tâche. C'est le sens fondamental de la présence de la MINUK et de la KFOR dont j'ai rencontré le commandant, notre compatriote, le général Valentin. C'est aussi le cur de la mission menée par nos soldats à Mitrovica. Permettez-moi de leur rendre un hommage particulier : comme ils l'ont fait à Sarajevo ou à Mostar, comme ils l'ont fait au Timor Oriental ou aujourd'hui à Kaboul. Ils sont là pour défendre les valeurs de l'humanisme qui fondent l'action de la France partout dans le monde. Ils portent haut l'honneur de notre pays.
Mais la réconciliation n'est pas l'oubli, les crimes ne doivent pas être effacés et le Tribunal pénal international est là pour apporter la garantie que la justice passera et que tous les criminels, quelle que soit leur origine, seront punis sans faiblesse. Malgré cette aide de la communauté internationale, l'oeuvre de réconciliation est avant tout dans la main des Kosovars eux-mêmes, qu'il s'agisse de la poursuite harmonieuse du retour des réfugiés, de la rénovation des mosquées et des églises, du respect des cultes ou tout simplement de l'affirmation pleine et entière de la démocratie. Rien ne pourra s'accomplir sans la contribution de tous les habitants du Kosovo. Tel est le message que j'ai passé aujourd'hui à Pristina et je crois qu'il a été entendu parce qu'il s'appuie sur une action menée avec détermination par la France depuis 10 ans.
Q - Puisque la France ne fait pas partie de la coalition avec les Etats-Unis contre l'Iraq, la France s'engagera-t-elle plus au Kosovo ?
R - Vous évoquez une question qui, pour le moment, ne se pose pas dans les termes dans lesquels vous la posez. Vous me permettrez de ne pas m'associer à la formulation qui est la vôtre. Ce qui est certain, c'est que la France s'est engagée depuis de nombreuses années au Kosovo et qu'elle est déterminée à appuyer les efforts de la communauté internationale, de l'Union européenne et à appuyer les efforts des Kosovars eux-mêmes. La France s'engage avec le souci que la volonté de réformes soit soutenue et encouragée par les responsables kosovars eux-mêmes. Il est très important que ces objectifs soient clairement partagés par tous. Je l'ai dit au président Rugova, au Premier ministre Rexhepi, c'est aujourd'hui le premier des impératifs. Il faut faire en sorte que les réformes répondent mieux au besoin des populations, que le développement économique, la sécurité et l'Etat de droit deviennent des données essentielles.
Partageant les mêmes valeurs, il faut partager les mêmes règles et il faut donc que l'Etat de droit, la lutte contre le crime organisé fassent véritablement partie des priorités qui mobilisent l'ensemble des responsables du Kosovo, avec un horizon commun, la famille européenne. C'est bien cela que nous avons en tête, réunifier cette famille européenne, comme le président de la République l'a voulu en lançant l'idée du Sommet de Zagreb.
La politique française s'inscrit au Kosovo dans cette ambition commune, partagée avec les Kosovars et avec la communauté internationale où que ce soit sur l'ensemble du territoire du Kosovo. Il est important que chacun comprenne, y compris lorsque l'on aborde la question de Mitrovica, quelle est véritablement l'intention française. Il n'y a pas une politique, un agenda caché, il n'y a pas de "KFOR française", il y a bien une ambition commune de travailler à la réconciliation, à la satisfaction des besoins pressants aujourd'hui du peuple kosovar.

Q - (A propos du rapprochement avec l'Union européenne)
R - Il est évident que les efforts doivent s'inscrire dans le cadre de la stabilité, de la réconciliation, du développement de l'ensemble des Balkans. Il y a là une volonté évidemment centrale, chacun connaît les interactions, les incidences de ce qui se passe ici et là. L'horizon européen de la communauté des Balkans doit refléter une communauté de destins qui nous permette de travailler ensemble pour faire vivre les valeurs qui sont les nôtres dans l'application des règles communes qui vont avec ces valeurs.
Au terme de cette brève visite, je voudrais, si vous le permettez, faire quelques brèves réflexions plus générales sur la situation dans les Balkans.
L'histoire de ces dix dernières années est riche d'enseignement, d'expériences et il est important que nous en gardions tous la mémoire. Hier, en Bosnie-Herzégovine, j'ai visité le marché de Merkale où près de 50 victimes périssaient assassinées il y a moins de 10 ans. J'ai traversé le pont de Verbanja à l'assaut duquel deux Français ont péri. J'ai emprunté aussi la fameuse "Sniper-Avenue" dont les habitants, démunis de tout, avaient coupé les arbres pour se chauffer. Aujourd'hui, à Pristina, comment oublier la haine et la violence qui s'y déchaîna il y a à peine 3 ans. Je me souviens de ce qui disaient les observateurs à l'époque, que cette haine ancestrale ne pourrait jamais s'éteindre, que l'éclatement des Balkans était inévitable et avec lui la propagation de la guerre, que la communauté internationale devait choisir entre le retrait pur et simple et la guerre totale. L'Europe n'a choisi ni l'un ni l'autre et la communauté internationale a poursuivi sans relâche son travail, refusant la fatalité de la guerre, travail souvent ingrat, parfois incompris, dans un monde qui souhaite des résultats immédiats et définitifs. Travail qui a également connu des échecs mais au bout duquel était la paix, celle qui règne aujourd'hui à Sarajevo ainsi qu'à Pristina comme à Zagreb, Belgrade ou Skopje.
Le succès n'est pas total et beaucoup reste à faire mais les voies de la liberté et de la démocratie sont ouvertes, même si elles restent un bien fragile. Ce résultat, la communauté internationale y est parvenue en respectant trois principes majeurs qui doivent vous inspirer pour l'avenir : le premier c'est son unité sur l'essentiel. Des sensibilités certes différentes sont apparues, des divergences parfois, mais sur l'essentiel, la communauté internationale ne s'est jamais fondamentalement divisée. Chacun a cherché à préserver un consensus fondamental au sein du Conseil de sécurité, au sein du groupe de contact ou d'autres enceintes.
Le deuxième objectif est la définition d'une perspective politique claire, comme ligne de conduite de toute action. Sans perspective politique, toute action aurait été vaine.
Enfin, bien sûr, il fallait la détermination, détermination à forcer la négociation comme nous l'avons fait à Rambouillet mais détermination, le cas échéant, à recourir à la force lorsqu'il n'y a pas d'autre solution. Détermination et constance enfin, pour combattre les forces souterraines de nouvelles menaces qui résultent de crises mal éradiquées - la criminalité organisée, les trafics d'êtres humains ou de drogue, les réseaux mafieux qui frappent nos sociétés - en même temps qu'elles nourrissent le terrorisme.
Au moment où notre monde connaît d'autres crises qui ne se résument pas à un affrontement simple évidemment, comme je l'ai vu mardi à Kaboul, comme nous le voyons au Proche-Orient ou ailleurs, je crois qu'il est utile de méditer les leçons de cette crise de 10 ans dans les Balkans. Il y a 3 ans, la priorité au Kosovo, c'était la lutte contre l'épuration ethnique, contre la violence, contre la haine et contre Milosevic.
Les temps ont changé, la communauté internationale est mobilisée autour du Kosovo comme le montre l'action de la MINUK et de la KFOR qui veulent répondre aux préoccupations. Il existe aujourd'hui des exigences prioritaires, la démocratie, le développement, la réconciliation, l'Etat de droit. Tout ceci doit être poursuivi avec beaucoup de détermination pour permettre au Kosovo de trouver toute sa place dans l'horizon commun qui est le nôtre, la grande famille européenne reconstituée.
Je vous remercie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 septembre 2002)