Interview de M. Jean-Louis Debré, président de l'Assemblée nationale, à France Inter le 27 février 2003, sur la position française sur l'éventuel déclenchement d'une guerre en Irak et sur l'usage du droit de veto par la France.

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Média : France Inter

Texte intégral

La position française sur le déclenchement d'une guerre en Irak, jusqu'ici fermement défendue par le président de la République et le ministre des Affaires étrangères, implique-t-elle le recours au droit de veto ? Si, sur le "non à la guerre" proclamé par la France, l'Assemblée nationale est unanime, en revanche, l'usage du veto et ses conséquences probables divisent l'UMP et l'UDF.
Avec le président UMP de l'Assemblée nationale, on va essayer de bien comprendre. L'unanimité, elle est sur le "non à la guerre" ? Là, il y a unanimité ?
- "L'unanimité, elle est sur la position française qui a été clairement exprimée par le président de la République. Mais il faut remettre les choses en place. Il s'agit de quoi ? Il s'agit pour nous, pour la France, d'obtenir le désarmement de l'Irak. Le régime irakien menace la paix, il s'agit d'une dictature, et il ne s'agit pas de défendre cette dictature. Donc, premier point, sur lequel tout le monde est d'accord : oui, obtenons le désarmement de l'Irak. Deuxième point sur lequel tout le monde est d'accord aussi : il faut parvenir au désarmement de l'Irak, dans le cadre de l'ONU, proclamer la force du droit et non le droit de la force. C'est la position française. Ce n'était pas au départ la position des Américains et d'un certain nombre d'autres Etats. Mais c'est la force de la France que d'avoir convaincu un certain nombre de pays au monde, qu'il fallait que ce conflit, que ce problème soit réglé dans le cadre des Nations unies."
Vous dites "désarmement". Si S. Hussein confirme, là, dans les heures qui viennent, peut-être même aujourd'hui, qu'il ne démantèlera pas, notamment ses missiles, est-ce de nature à faire changer la position française ?
- "Je crois qu'il faut continuer tranquillement - je vais arriver à votre réponse... Dans le cadre de la résolution 1441, il y a deux phases. Il y a une phase de l'inspection et une phase où le Conseil de sécurité va être saisi du rapport des inspecteurs. Nous sommes toujours dans cette phase de l'inspection. Au cours de cette phase de l'inspection, les inspecteurs des Nations unies disent qu'il y a quelques problèmes avec un certain nombre de fusées qu'il faut désarmer. Attendons que la phase de l'inspection soit terminée, et à ce moment-là, en fonction du rapport des inspecteurs des Nations unies, sur la portée de ces missiles, quand ils sont en charge ou leur portée quand ils sont sans charge, le Conseil de sécurité prendra une décision. Appliquons la résolution 1441, dont je vous rappelle qu'elle a été adoptée à l'unanimité des membres du Conseil de sécurité. Pourquoi, alors que les termes de cette résolution ne sont pas encore échus, pourquoi changer de pied, pourquoi changer de résolution ? Attendons que les inspecteurs aient fait leur travail."
Là, on vous suit pas à pas. Là, c'est la position du droit. Maintenant, si, encore une fois, dans les heures qui viennent, S. Hussein, sur cette question du désarmement, dit : "pas question de démanteler les missiles", que fait-on ?
- "Depuis le début de ce conflit, la France et les Nations unies, sous l'influence de la France, ont progressivement fait céder S. Hussein. Regardez le rapport des inspecteurs au départ, regardez-le maintenant. Ils disent qu'il y a des efforts, qu'il y a des progrès, que les inspections se font mieux. "Ne désarmons pas" si je peux employer cette expression. Essayons jusqu'au terme de la phase de l'inspection prévue par la résolution 1441, essayons, faisons pression sur S. Hussein pour qu'il respecte les engagements que les inspecteurs veulent qu'il prenne."
On connaît le personnage S. Hussein. Jusqu'ici, il a toujours fait la même chose : gagner du temps, tout le temps, faire durer, gagner du temps. Est-ce que là, on n'est pas dans une situation qui est en train maintenant, compte tenu de la pression américaine de plus en plus forte, de se verrouiller complètement ? Et que peut faire la France : veto ou pas ?
- "Le problème ne se pose pas comme ça. Nous avons su jusqu'à présent, grâce au président de la République, grâce à la diplomatie française, éviter deux tentations : la tentation du pacifisme et la tentation de la guerre. Nous sommes pour le règlement pacifique de ce conflit et nous ne sommes pas pour le règlement guerrier des conflits internationaux. C'est très important, parce que, au-delà de l'Irak, nous sommes dans le début de la mise en place d'une méthode. Quelle est cette méthode ? On voit, ici ou là - Corée du Nord, Iran- , le développement hélas ! d'armes de destruction massive. Il faut donc que les Nations unies arrivent à faire comprendre aux différents Etats qui veulent se doter d'armes de destruction massive, que ce n'est pas possible et que ce n'est pas acceptable et que ce n'est pas toléré par la communauté internationale. Et on arrivera à persuader les Etats par la diplomatie et par la pression. Si, chaque fois qu'il y a des armes de destruction massive, il faut livrer la guerre, alors on est parti dans des conflits généralisés. Et par conséquent, il est très important, à travers l'affaire de l'Irak, de mettre au point une méthode, celle des Nations unies, pour que s'impose la force du droit et non pas le droit par la force. J'en veux pour preuve, vous avez dit tout à l'heure que j'étais très frappé par la nouvelle justification par le Président Américain de la position dans le conflit irakien. Il ne dit même plus au moins qu'il s'agit de désarmer..."
De renverser...
- "... Il s'agit maintenant de renverser, il s'agit de remodeler les frontières nationales, de refonder la géopolitique. Mais attention ! ce n'est pas à un Etat de décider maintenant qu'il va remodeler le monde. Attention ! cette première opération et ce premier conflit avec l'Irak, au sujet d'armes de destruction massive, est très important pour la suite de la paix dans le monde. C'est pour ça que la position de la France est bonne. Evitons le pacifisme, l'angélisme et évitons la guerre. La persuasion et la diplomatie et les Nations unies."
La France s'est vraiment beaucoup exposée dans cette position-là. De là où vous êtes à l'Assemblée, à la présidence, au perchoir, comment percevez-vous le positionnement de l'Assemblée sur la question du veto ? C'est-à-dire, à un moment donné peut-être, la question de la cohérence de la politique française
- "D'abord, je suis frappé, là où je suis, à l'Assemblée nationale, de voir que les sceptiques, les blasés, ceux qui ricanaient il y a quelques mois sur la détermination de J. Chirac à imposer une vision de l'ordre international et une politique internationale à l'égard de l'Irak, ceux-ci on ne les entend plus. La position du président de la République, telle qu'elle a été exposée par le Premier ministre et défendue par D. De Villepin, s'est imposée à l'ensemble du monde politique et c'est bien. Deuxièmement, il est normal que dans des affaires comme celle-ci, aussi grave, dont les conséquences aujourd'hui ne sont pas mesurables, les uns et les autres s'interrogent. Mais il est aussi normal qu'en ce qui ce concerne le droit de veto, le Gouvernement et le président de la République soient discrets sur ce qu'ils veulent faire. Il s'agit d'une arme de dissuasion, il s'agit d'une arme forte. Et par conséquent, on ne dévoile jamais à l'avance ce que l'on va faire. Quelle serait la position de la France, aujourd'hui, aux Nations unies - alors que nous sommes arrivés à convaincre la majorité du Conseil de sécurité - si, dès le départ, comme on nous l'avait suggéré, on avait dit " droit de veto " ? On n'aurait plus d'influence. "
Non, mais ça c'est une chose évidente...
- "Eh bien cherchons, patiemment, avec sérieux, avec détermination, à faire en sorte que, comme c'est le cas aujourd'hui, qu'il n'y ait pas de majorité au sein du Conseil de sécurité pour la guerre !"
Un débat tout de même ? Vous percevez qu'un débat s'est ouvert au sein de l'Assemblée sur cette question du veto ?
- "Il est normal, ce débat est tout à fait normal. Comme il est tout à fait normal que le président de la République et le Gouvernement ne disent pas ce qu'ils vont faire."
Le facteur temps que vous évoquiez, avez-vous le sentiment que les Américains sont en train de pousser tous leurs feux et qu'un conflit pourrait se déclencher plus vite qu'on l'imagine ?
- "Je ne suis pas dans le secret des dieux américains. Mais quand vous amassez 200 000 hommes dans une région, ça ne me semble pas pour aller au bal musette le soir. C'est pour faire la guerre. Mais nous aussi on a le temps et on a le temps de gagner la paix. Moi, je suis très reconnaissant à la diplomatie français et au président de la République de cet acharnement à défendre la paix, à travers, encore une fois, cette affaire. Il faut bien y voir toutes les conséquences pour l'ordre international, dans les années qui viennent."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 27 février 2003)