Déclaration de Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle, sur le rôle des femmes dans la construction de la paix, Paris le 25 novembre 2002.

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Circonstance : Journée internationale contre la violence à l'égard des femmes à Paris le 25 novembre 2002

Texte intégral

Récemment encore, lorsqu'on abordait la question des conflits, le rôle des femmes apparaissait essentiellement passif. Les défis qu'elles relèvent aujourd'hui, quand elles sont prises dans cette tourmente, attestent désormais de leur rôle incontournable en tant qu'acteurs de changement vers une société plus pacifique, plus humaine.
On ne doit évidemment pas sous-estimer les atteintes aux droits fondamentaux des femmes lors des conflits, ni passer sous silence leurs besoins spécifiques de protection, en particulier face aux violences sexuelles, de plus en plus souvent utilisées comme armes de guerre.
Mais la vision réductrice de la place des femmes dans les conflits, en tant que victimes vulnérables, est aujourd'hui en évolution.
En effet, ne regarder les femmes que comme des victimes, c'est occulter leurs responsabilités au sein de la société, notamment à travers le métier qu'elles exercent, au travers de leur rôle social, de leurs initiatives citoyennes, de leur participation souvent ignorée à une résistance spécifiquement féminine, tant pendant qu'après les conflits.
La guerre est un fléau pour tous, hommes et femmes. Mais lorsqu'il s'agit de résister à l'oppression, de conquérir ou de reconquérir une indépendance nationale, au nom de quoi refuserait-on aux femmes le droit de prendre toute leur part à ces combats, d'être artisans de leur destin et de celui de la collectivité ?
Tout au long de l'histoire, les femmes ont manifesté leur aptitude à participer aux combats pour la justice et les libertés et à l'action pour l'établissement d'une paix durable.
Durant la Seconde Guerre mondiale, les femmes ont été nombreuses à résister aux côtés des hommes, à refuser la défaite et l'occupation ennemie, à mobiliser les énergies pour libérer le territoire national. Elles ont, elles aussi, lutté dans la clandestinité, au péril de leur vie, contre l'idéologie nazie, contre l'injustice des exclusions, pour les valeurs de la démocratie et le rétablissement de la République.
Les femmes conservent, dans les moments les plus dramatiques, la charge de préserver l'ordre social et la cohésion de la communauté. Outre les soins à donner à leurs proches, il leur appartient d'assurer l'éducation à la tolérance au sein de leur famille et dans leur entourage, mais aussi de développer des expériences nouvelles au regard des situations créées par ces périodes de troubles.
Elles concourent ainsi au développement d'une culture valorisant la paix dans les sociétés ravagées par les guerres.
Il ne faut pas oublier qu'elles les affrontent avec courage, ténacité et qu'elles peuvent faire preuve d'une volonté inépuisable pour faire entendre leur voix, malgré les dangers auxquels elles doivent faire face. Nous avons tous en mémoire le mouvement des mères de la Place de mai au Chili. Ces mères qui ont su éviter que les disparus ne sombrent dans l'oubli. En Europe, les femmes ont souvent manifesté contre l'absurdité de la guerre et contre les pertes en vies humaines qu'elle entraîne.
Les mouvements féminins ont eu des répercussions importantes sur le cours des événements. Et ils en auront encore.
Il faut, bien sûr, reconnaître que la situation a évolué au cours des dernières années et que le regard que la communauté internationale porte sur les femmes a commencé à changer. Il est intéressant, à cet égard, de noter la différence d'approche entre le programme d'action de Pékin de 1995, dont l'un des thèmes était "les femmes dans les conflits armés", et la résolution adoptée en 2000 par le Conseil de sécurité, qui s'intitule "les femmes, la paix et la sécurité". On peut y voir la preuve qu'il est admis désormais que les femmes ont un rôle important à jouer dans la prévention des conflits et dans la construction de la paix.
Dans la pratique, toutefois, cette reconnaissance ne s'est pas encore pleinement traduite dans les faits. Trop souvent encore les femmes restent confinées à la sphère privée. Elles ne sont pas associées aux négociations qui suivent les conflits. Elles n'ont pas suffisamment accès aux postes de responsabilités dans les sociétés qui se reconstruisent. Or, tout le processus du retour à la stabilité, depuis les opérations de maintien de la paix jusqu'à la mise en place de nouvelles institutions, gagnerait à mieux prendre en compte les besoins mais aussi les compétences des femmes, capables d'orienter le destin de leur société et d'agir comme acteurs des changements.
Plutôt qu'énumérer toutes les actions qui permettraient, tout au long de ce processus, d'aider les femmes à jouer le rôle qui leur revient, je souhaiterais souligner deux aspects qui me semblent particulièrement intéressants.
Le premier est celui de la responsabilité des gouvernements, en s'appuyant sur la Convention des Nations Unies pour l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, de prendre les mesures nécessaires à leur participation entière et égale aux processus décisionnels. Réaliser l'égal accès des femmes et des hommes à la prise de décision est un élément capital du renforcement de la vie démocratique et de la stabilité des sociétés.
La France a, en 2000, adopté une loi sur la parité en politique, qui s'est déjà appliquée à deux reprises. La mise en oeuvre de cette loi devrait faciliter, à court ou moyen terme, la féminisation des assemblées élues, qu'elles soient locales ou nationales, et entraîner une rénovation en profondeur de la vie politique.
L'expérience et les compétences des femmes doivent enrichir le travail législatif et réglementaire et être également sources de changements dans la vie économique, sociale et culturelle.
Il est nécessaire de renforcer le rôle des femmes dans la démocratisation et dans la consolidation de la paix.
L'accroissement de leur participation, à toutes les étapes d'un processus de paix, serait gage d'une stabilité politique bénéfique à tous.
Le deuxième aspect qui me paraît fondamental est celui du soutien que les gouvernements doivent accorder à la société civile et en particulier aux organisations non-gouvernementales dans leurs efforts pour parvenir à une paix durable. Ces organisations ont prouvé qu'elles sont un excellent vecteur pour sensibiliser les gouvernements et les opinions au respect des droits de l'homme et des femmes.
Les associations et organisations féminines s'emploient souvent à rechercher différentes solutions possibles pour régler les conflits. En raison de l'expérience qu'elles ont acquise, dans la communauté à laquelle elles appartiennent, les femmes ont d'autres conceptions de la paix et de la sécurité et sont, là encore, s'agissant de l'application des accords de paix, à même de proposer des stratégies et des solutions complémentaires et concrètes.
L'élan donné au rôle des femmes dans la démocratisation et la consolidation de la paix peut trouver l'illustration de notre solidaire humanité dans la formule de Paulo de Berredo Carneiro, "Il n'est pas trop d'une moitié de l'espèce humaine pour éduquer l'autre".




(source http://www.social.gouv.fr, le 6 janvier 2003)