Interviews de M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères, au quotidien émirien "Al Ittihad" et à l'agence "Wam" à Abou Dhabi le 9 décembre 2002, sur les relations entre la France et les Emirats arabes unis, le monde arabe, les pays du Maghreb, la place de l'Union européenne dans la mondialisation, son rôle politique dans le conflit israélo-palestinien, la situation de la communauté arabo-musulmane en Occident.

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Circonstance : Voyage de M. Muselier aux Emirats arabes unis les 9 et 10 décembre 2002

Média : Agence de presse - Agence Wam - Al Ittihad - Presse étrangère

Texte intégral

(Interview au quotidien émirien Al Ittihad à Abou Dhabi, le 9 décembre 2002) :
Q - Les relations bilatérales avec les Emirats arabes unis sont étroites et amicales. Quelles sont les perspectives de ces relations ?
R - L'Etat des Emirats arabes unis est pour nous non seulement un ami, mais aussi un allié, sous l'impulsion déterminante de son président, Son Altesse Cheikh Zayed Bin Sultan Al Nahyan. Ces liens d'amitié et de confiance entre nos deux pays, noués au moment de la création de la Fédération des Emirats arabes unis, sont amenés à se développer d'avantage.
Nous tenons tout d'abord à notre dialogue politique avec les Emirats arabes unis et y accordons une importance particulière dans le contexte actuel de tensions sur la scène régionale, en Iraq et au Proche-Orient.
Notre coopération militaire est en tout point exemplaire. La coopération entre nos deux armées, mise en place pour le Kosovo jusqu'en novembre 2001, a constitué une démonstration forte du partenariat stratégique franco-émirien.
Je me réjouis des perspectives de développement de notre coopération, notamment dans son volet culturel, scientifique et technique. Le nombre d'étudiants émiriens venus en France poursuivre des études supérieures a ainsi triplé entre 2001 et 2002. Un Département de français doit par ailleurs ouvrir à l'Université d'Al Aïn à la rentrée 2003. Notre coopération juridique et notre coopération médicale sont actuellement en développement. Les Emirats arabes unis sont un pays francophile et nous souhaitons pouvoir répondre aux demandes et aux besoins de la Fédération dans tous les domaines.
L'excellence de notre relation bilatérale s'est aussi traduite sur le plan économique et commercial. Les entreprises françaises ont obtenu d'excellents résultats sur le marché émirien des grands contrats au cours des dernières années, en particulier dans les secteurs de l'aéronautique et de l'énergie. Les Emirats arabes unis sont ainsi devenus en 2001 notre premier client au Proche et au Moyen-Orient. J'espère que la progression soutenue de nos échanges se poursuivra à l'avenir, dans l'intérêt de nos deux pays.
S'agissant des investissements, les Emirats arabes unis sont le premier pôle d'investissements français dans la région. On compte ainsi actuellement 190 sociétés françaises implantées aux Emirats, soit beaucoup plus que dans tout autre pays de la région,
Q - La France a changé à l'égard du dossier iraquien. Auparavant, le France a déclaré que l'Iraq a rempli la plupart de ses obligations exigées par les Nations unies. En revanche, M. de Villepin ne néglige dorénavant pas la participation de la France dans une intervention militaire contre l'Iraq. Pourquoi ce grand changement dans la politique française ?
R - L'attitude de la France est constante. La communauté internationale est engagée dans la mise en oeuvre de la résolution 1441, et tous les membres du Conseil de sécurité ont fait sur le dossier iraquien le choix du multilatéralisme.
Nous sommes attachés au désarmement de l'Iraq et souhaitons que les inspecteurs puissent s'acquitter de leur tâche, ce qui suppose une coopération pleine et active de l'Iraq.
Nous sommes dans une logique de solution politique de la crise iraquienne. En cas de manquement par l'Iraq à ses obligations, aucune option ne peut être exclue, mais il reviendra au Conseil de sécurité de décider.
Q - Actuellement, comment voyez-vous les relations entre la France et le monde arabe ?
R - La France entretient d'excellentes relations avec l'ensemble des pays arabes avec lesquels elle partage une longue histoire. Elle est attachée à la stabilité de la région et souhaite que tous les pays qui la composent puissent y vivre en paix.
Q - L'organisation de la Francophonie s'est élargie ces derniers temps. Quel est le rôle de cette organisation dans le monde ?
R - La Francophonie, devenue organisation internationale, a su se faire entendre ; sa démarche est plus dynamique. Le président de la République a indiqué son intention d'augmenter la contribution française à l'Organisation internationale de la Francophonie ; il a notamment souhaité que la Francophonie et son Agence universitaire puissent intervenir plus efficacement dans le domaine de l'éducation.
Le Sommet de Beyrouth, en octobre dernier, a été un succès incontestable. La Francophonie en est sortie grandie. Elle a renforcé son autorité politique et son rayonnement. Une nouvelle dynamique a pris naissance qui suscite l'intérêt et la sympathie des peuples bien au-delà des pays membres de la Francophonie car, dans notre esprit, cette Organisation n'est pas un club fermé mais doit au contraire s'ouvrir, comme le concept de diversité culturelle, auquel nous adhérons, l'y prépare.
Q - La mondialisation est dirigée par les Etats-Unis. Ne peut-elle l'être aussi par d'autres puissances telles que l'Union européenne dans un proche avenir ?
R - La mondialisation économique est une évidence qui ne peut pas être contestée. Elle présente de grands avantages, mais elle suppose la mondialisation de la solidarité ou, alors, elle crée des dangers sérieux pour tout le monde et également des distorsions entre pays riches et pays pauvres. Il n'y aura pas de mondialisation humanisée et maîtrisée sans respect de la diversité des cultures et des langues.
La mondialisation doit s'accompagner d'un effort de dialogue des cultures. Ce dialogue est nécessaire à la paix, parce qu'il contrebalance le risque de crispation identitaire et favorise le respect que les cultures du monde se doivent mutuellement.
On n'a pas peut-être attaché assez d'importance aux conséquences que comportaient, pour les Européens, les effets de la mondialisation, sous toutes leurs formes, et à la nécessité qu'il y a de maîtriser cette mondialisation, de l'humaniser et de l'expliquer d'une façon plus ouverte, plus démocratique. Et c'est ce qu'ont exprimé, chacun à leur façon et dans des contextes politiques ou nationaux différents, un certain nombre d'Européens depuis quelque temps. Pour construire l'Europe de demain, il faut renforcer les valeurs d'humanisme qui nous sont communes et qui sont celles qui servent de socle à la construction européenne : le respect de l'autre, l'ouverture aux différences, le refus de la xénophobie et l'esprit de tolérance.
Concrètement, s'agissant de l'espace européen, des domaines aussi importants que la protection de l'environnement, la sécurité des aliments, la maîtrise de l'immigration, la lutte contre le crime et la drogue sont autant de domaines qui ne peuvent pas être traités efficacement dans le seul cadre national. Les solutions relèvent d'une approche commune que nous partageons avec les autres Européens.
Q - L'Union européenne joue le rôle principal au niveau économique dans les territoires palestiniens, mais politiquement elle est marginalisée vis-à-vis de la position israélienne. Comment peut-elle obtenir le rôle politique qu'elle mérite dans ce conflit ?
R - Les Européens sont directement concernés par le problème israélo-palestinien. Historiquement, ils ont joué un rôle important pour tenter de mettre un terme à ce conflit. Aujourd'hui, c'est vrai que les Européens sont solidaires pour soutenir le développement de la société palestinienne, en particulier dans le domaine de l'éducation, de la santé et des infrastructures économiques. Mais cela ne suffit pas et l'Union européenne, notamment depuis sa décision en 1996 de nommer un envoyé spécial pour le Proche-Orient et la Déclaration de Berlin en 1999 qui appelait à la création d'un Etat palestinien, s'efforce d'apporter une contribution utile au règlement pacifique de ce conflit.
Aujourd'hui, l'Union européenne participe activement aux travaux conduits dans le cadre du Quartette, aux côtés des Etats-Unis, de la Russie et des Nations unies. Dans ce cadre, et en consultation avec les Palestiniens, les Israéliens, mais aussi d'autres pays importants du monde arabe tels que l'Egypte ou la Jordanie, ont été conduits des travaux très concrets en vue de permettre de réunir les conditions d'une diminution de la violence sur le terrain, de tenir des élections dans les Territoires palestiniens et de relancer les négociations sur le statut final dans le cadre de notre objectif commun qui est la création d'un Etat palestinien sur la base des frontières de 1967. Le 20 décembre prochain, le Quartette se réunira au niveau ministériel, à Washington, en vue d'adopter un plan contenant tous ces éléments, qui tiendra compte des préoccupations légitimes des uns et des autres : celles d'Israël à vivre en sécurité, comme celles des Palestiniens à disposer d'un Etat viable, démocratique et pacifique et dont les frontières soient reconnues par la communauté internationale. La paix est à ce prix, c'est la conviction des Européens et bien entendu celle de la France.
Q - La France a un grand rôle à jouer en Afrique du Nord. Comment décrivez-vous les relations entre la France et les pays maghrébins, et particulièrement avec l'Algérie ?
R - L'histoire, la géographie ont contribué à tisser au cours des siècles une grande proximité entre la France et les pays du Maghreb. C'est à la lumière de cette relation privilégiée que nous soutenons l'intégration régionale maghrébine et que nous appuyons la construction de l'Union du Maghreb arabe, c'est-à-dire la construction d'un espace régional intégré, facteur de prospérité et de stabilité.
C'est également à la lumière de cette relation privilégiée que la France se fait l'avocat inlassable d'une coopération renforcée entre l'Europe et le Maghreb. La refondation des relations euroméditerranéennes que nous avons engagée est un défi que nous relevons chaque jour, tous ensemble, de part et d'autre de cette mer Méditerranée qui nous rapproche.
C'est enfin à la lumière de cette relation privilégiée que nous nous employons à approfondir et renforcer nos relations avec chacun des pays du Maghreb.
Vous m'interrogez sur les relations franco-algériennes. Permettez-moi de souligner que la visite d'Etat qu'y effectuera le président de la République, M. Jacques Chirac, en 2003, marquera notre volonté d'approfondir nos relations avec ce pays dans tous les domaines. "Djazaïr, une année de l'Algérie en France" a été officiellement ouverte il y a quelques semaines à peine. Il s'agit d'un rendez-vous important entre nos deux pays.
Q - La communauté arabo-musulmane subit des pressions en Occident depuis le 11 septembre. Pourtant, cette communauté vit normalement en France loin des pressions. Quelles sont vos impressions en ce qui concerne cette réalité?
R - Les relations qu'entretient le gouvernement français avec l'Islam de France sont excellentes. La liberté de culte est garantie par la Constitution.
Au lendemain du 11 septembre, la France n'a pris aucune mesure visant à restreindre l'accès des Musulmans ou des Arabes à son territoire, et vous avez pu constater que les autorités françaises, bien entendu, l'opinion et la presse en France ont refusé tout amalgame entre Islam et terrorisme.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 décembre 2002)
(Interview à l'Agence Wam à Abou Dhabi, le 10 décembre 2002) :
Q - Son Altesse Cheikh Zayed et le président français Jacques Chirac sont liés par des liens très solides. Qu'apporte le message du président Chirac à son Altesse Cheikh Zayed ?
R - Le président Chirac a transmis par mon intermédiaire un message d'amitié, de considération et a rappelé la présence de la France dans cette partie du monde et les relations toutes particulières qu'il entretient avec ce pays, avec ce peuple et avec son dirigeant. Les prises de positions qui ont été communes sur la résolution 1441 aux Nations unies, sur la lutte contre le terrorisme, sur notre vision de la paix dans le monde, ont été transmises aujourd'hui, de nouveau, à son Altesse et incontestablement, la France et les Emirats sont en phase sur ces questions.
Q - Quelle est la position de la France à propos des derniers développements sur le dossier iraquien ?
R - Nous avons aujourd'hui des inspecteurs qui feront leur travail en Iraq. Il y a parallèlement à cela le travail fait aux Nations unies sur le rapport donné par les Iraquiens sur leurs armes dans leur pays. Cela suit son cours conformément au calendrier fixé par les Nations unies. Nous souhaitons tous que le président iraquien ait répondu aux résolutions adoptées à l'unanimité par le Conseil de sécurité.
Q - Dernière question pour ce qui concerne la coopération entre les Emirats et la France : quelle est l'évolution pour l'avenir de ces relations ?
R - Ce que je peux dire, c'est que les Français qui sont ici, leurs enfants scolarisés qui sont près de 2 000 et qui partagent l'école avec les jeunes des Emirats sont heureux, que les 200 entreprises françaises qui travaillent ici sont heureuses, qu'ils ont confiance dans ce pays, dans son gouvernement et dans son économie. Nul doute qu'ils continueront à travailler ensemble dans les différents domaines de compétences qui sont les leurs, où les savoir-faire français sont reconnus.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 décembre 2002)