Texte intégral
Le Premier ministre serbe, Zoran Djindjic, est tombé sous les balles à Belgrade. L'enquête n'a pas encore permis identifier les exécutants, ni les commanditaires, de ce crime odieux. Mais l'assassinat, mafieux ou politique, d'un homme de réformes et qui s'était affiché comme un démocrate vient nous signifier, tragiquement, que le feu couve encore sous la cendre en Serbie.
Les Balkans n'étaient sans doute plus, ces derniers temps, au premier rang des préoccupations de l'Europe. Celle-ci avait su pourtant jusque-là y témoigner de son unité pour mettre un terme à des affrontements fratricides et offrir, en coopération étroite avec les Etats-Unis, une vraie perspective de paix à des peuples éprouvés par des guerres d'un autre âge.
Le choc que nous éprouvons aujourd'hui face à l'assassinat d'un haut responsable politique en plein cur de l'Europe ne doit pas nous faire désespérer des Balkans. Des progrès considérables ont été accomplis. La Croatie démocratique, après avoir conclu un accord de stabilisation et d'association avec I'Union européenne, vient de déposer sa candidature pour rejoindre d'ici à quelques années la grande famille européenne. Même si les réconciliations y sont encore fragiles, la Bosnie, la Macédoine et le Kosovo ont retrouvé la paix. Milosevic enfin, qui fut trop longtemps l'ordonnateur du chaos et du génocide, répond de ses crimes devant le tribunal de La Haye.
Ne le masquons pas : le chemin à parcourir est encore long. Le retour des réfugiés dans leurs foyers n'est pas achevé. Des criminels de guerre comme Karadzic et Mladic, les bourreaux de Srebrenica, se cachent en attendant le jour, inéluctable, où ils rejoindront leur inspirateur dans le box des accusés à La Haye.
En Serbie, plus qu'ailleurs, l'héritage est lourd. Les réseaux mafieux qui ont prospéré à l'ombre du régime de Milosevic disposent encore de puissants soutiens, bénéficient de complaisances et parfois de collusions. C'est probablement pour avoir voulu s'attaquer à eux que Zoran Djindjic est mort.
L'Europe ne peut accepter que l'assassinat d'un réformateur sonne le glas de la réforme. Ce qui se joue aussi dans les Balkans, c'est à nouveau sa capacité de donner à son action la continuité et la persévérance nécessaires. Dès l'origine, I'Europe s'est édifiée sur le refus de la guerre. Plus que partout sur notre continent, les peuples des Balkans savent que celle-ci ne conduit qu'à la ruine. Les auteurs de cet attentat ont voulu rouvrir la porte de la violence politique. J'ai confiance dans le peuple serbe pour qu'il ne franchisse pas ce seuil et choisisse l'Europe.
Celle-ci, quant à elle, doit d'une seule voix encourager la Serbie à poursuivre ses réformes, à lutter contre les restes de l'ancien régime et les parrains du crime. D'une seule voix, l'Europe doit offrir au peuple serbe, comme à tous les peuples des Balkans, une perspective renouvelée de rejoindre le cercle de la famille européenne au bout de la route de la réforme, de l'Etat de droit, de la démocratie et de la réconciliation. Tel est le message que je suis allée porter, au nom du président de la République et du gouvernement français, en me rendant aux obsèques de Zoran Djindjic.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 mars 2003)