Editoriaux de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte ouvrière dans "Lutte ouvrière" les 4, 11, 18, et 28 février 2003 sur les retraites, les licenciements, les fermetures d'usine, la crise internationale à propos de l'Irak.

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Média : Lutte Ouvrière

Texte intégral


(4/02/2003)


RETRAITES, PLANS DE LICENCIEMENTS : S'OPPOSER A L'OFFENSIVE CONTRE LES TRAVAILLEURS
Par delà la sauce avec laquelle Raffarin a servi ses projets concernant les retraites, il s'agit d'une attaque contre les retraités présents et futurs et, par là-même, contre l'ensemble des travailleurs. Tous ceux qui sont descendus dans la rue samedi ont eu raison de manifester leur opposition à ce qu'on touche aux retraites. Mais cette manifestation ne peut pas, ne doit pas être la dernière. Elle ne peut pas non plus avoir pour objectif simplement de permettre aux confédérations syndicales d'être invitées à des "négociations", comme l'ont répété certains chefs syndicaux au sortir même de la manifestation. Une attaque contre la classe ouvrière ne cesse pas d'en être une du simple fait que les confédérations syndicales la cautionnent.
Le gouvernement Chirac-Raffarin se pose en "sauveur des retraites". Mais tous les gouvernements qui, depuis vingt ans, ont prétendu sauver les retraites, n'ont fait chaque fois qu'aggraver les conditions des retraités. Non seulement les mesures politiques, comme la décision de Balladur d'allonger la durée de cotisation pour le privé, mais les mesures dites techniques visaient toutes le même but : faire cotiser toujours plus et plus longtemps les travailleurs pour leur servir une pension de plus en plus réduite.
Les gouvernants mènent, avec les médias, une campagne d'intoxication pour nous dire : "réformer les retraites est une urgence car les caisses de retraite vont au déficit avec l'augmentation du nombre des retraités par rapport au nombre d'actifs".
Mais cet argument démographique est une fumisterie. Les caisses de retraite ne seraient pas menacées de déficit si l'Etat n'accordait pas des réductions de cotisations aux patrons, s'il ne fermait pas les yeux devant leurs retards et s'il payait lui-même les cotisations qui lui incombent, au lieu de se servir dans les caisses. Et, surtout, s'il y avait moins de chômeurs et donc plus de cotisations.
C'est une fumisterie encore que de ne parler que de la proportion entre actifs et retraités, et jamais de la productivité du travail. Or les statistiques officielles elles-mêmes estiment que la productivité horaire a été multipliée par 16 au cours du siècle dernier. Ceux qui travaillent sur les chaînes d'automobiles savent que le nombre de voitures produites a été multiplié avec des effectifs en diminution. Et ils ressentent aussi dans l'usure de leurs muscles et de leurs nerfs la part, dans cet accroissement de la productivité, des cadences démentielles.
Il n'y aurait pas de problème des retraites si la productivité du travail était mieux répartie : moins pour les profits patronaux et plus pour les travailleurs. Ce sont les travailleurs qui créent toutes les richesses, y compris celles qui sont accumulées par les possédants sous forme de capitaux. C'est sur les revenus du capital qu'il faudrait assurer une retraite digne pour les travailleurs. Or, non seulement les classes possédantes nous font payer nos retraites, mais elles nous volent une partie croissante de notre propre argent.
Et Raffarin, leur porte-parole, a encore le culot d'en appeler au "dépassement des égoïsmes" !
Les travailleurs n'ont pas à accepter les attaques contre leurs retraites ni pour le public ni pour le privé. Et l'égalité entre le privé et le public, ce doit être sur la base de 37 ans et demi de cotisation pour tous et sans diminution des pensions.
Alors, la mobilisation du 1er février doit être une première étape. Il faut qu'elle soit suivie d'autres. Il faut faire pression sur les syndicats pour qu'ils ne vendent pas nos retraites pour le plat de lentilles des négociations. Il faut que la mobilisation se poursuive pour changer le rapport de force avec le gouvernement. Cela a été possible en 1995 lorsque les travailleurs du secteur public ont fait reculer Juppé. Cela peut être possible aujourd'hui. En obligeant le patronat et le gouvernement à arrêter leurs attaques sur les retraites, les travailleurs seront en situation de les faire reculer sur tous les autres terrains sur lesquels nous sommes attaqués : les licenciements collectifs et l'insuffisance de nos salaires !
(Source http://www.lutte-ouvrière.org, le 4 février 2003)
(11/02/2003)
"PATRONS VOYOUS", GOUVERNEMENT A LEUR SERVICE
Il n'y a pas si longtemps, le chef du gouvernement faisait mine de s'indigner du comportement des "patrons voyous" à propos de la manière dont la Direction du groupe Metaleurop avait décidé de fermer sa filiale de Noyelles-Godault, en jetant son personnel comme on jette des kleenex usagés. Mais depuis, qu'ont donc fait Chirac et Raffarin pour remédier à cette situation ? Rien.
Fermetures d'entreprises et plans de "réorganisation", c'est à dire de licenciements, continuent au contraire à se succéder régulièrement. Après Daewoo et Arcelor, en Lorraine, ACT à Angers, Péchiney a annoncé la suppression de 600 emplois, dont 268 pour le seul département de l'Ariège. La Banque de France, quant à elle, envisage la fermeture de 149 succursales, et la suppression de 3200 emplois dans les années qui viennent. A ce rythme là, la remontée du chômage, déjà notable en 2002, risque de s'accélerer encore dans les prochains mois.
Bien sûr, à chaque fois qu'une entreprise ferme ses portes, on nous parle de reclassement du personnel. Mais l'exemple d'Air Lib montre quel crédit on peut faire à ces beaux discours. Quand le groupe de Wendel (celui du président du Medef, Seillière) s'est retiré d'Air Liberté, il y a deux ans, le gouvernement de l'époque, la droite, les commentateurs économiques, s'étaient félicités de ce qu'un plan de sauvetage de la compagnie avait été trouvé, avec la création d'Air Lib. Des centaines d'emplois avaient été supprimés, mais les défenseurs du système capitaliste se félicitaient tous qu'une partie du personnel gardait son travail. Aujourd'hui, alors qu'Air Lib, déjà interdit de voler, vit vraisemblablement ses derniers jours, et que les 3500 salariés d'Air Lib sont menacés de licenciement, ces gens-là sont bien plus discrets. Raffarin a certes invité les PDG d'Air France et de la SNCF à recruter parmi le personnel d'Air Lib, mais la seule chose qui intéresse visiblement Air France, et d'autres compagnies de transport aérien dans cette affaire, c'est de mettre la main sur les créneaux horaires dont disposait la société moribonde à Orly.
Air Lib est la preuve même que les promesses sur des "mesures de reclassement" relèvent le plus souvent de l'abus de confiance, et ne visent qu'à endormir les salariés.
Raffarin peut toujours faire mine de se fâcher contre les "patrons voyous", ceux qui ne respectent pas les règles pour licencier. Mais les patrons qui jettent dans les "règles" des milliers de salariés à la rue, après avoir bâti leur fortune sur le travail et sur la sueur de ces travailleurs, sont tout aussi voyous, comme ce gouvernement qui est à leur service.
La preuve que le gouvernement ne défend que les intérêts du grand capital est que les seules mesures concrètes annoncées ces jours derniers, par Raffarin pour lutter contre le chômage, ont été l'annonce d'une diminution de l'impôt sur la fortune, et la création de nouvelles "zones franches", avec des exonérations d'impôts et de charges sociales à la clé pour les entreprises qui s'y installeraient. Comme toujours le gouvernement a justifié ces cadeaux faits au grand patronat avec l'éternel discours sur le fait que cela favoriserait la création d'emplois. Mais comme toujours aussi, les patrons empocheront les cadeaux, qui viendront grossir leurs bénéfices, et n'embaucheront que si cela doit leur permettre d'augmenter leurs bénéfices.
La politique de ce gouvernement, comme de ceux qui l'ont précédé, ne vise qu'à favoriser les plus riches. Il laisse se dégrader chaque jour davantage les services publics, en ne créant pas les innombrables emplois qui manquent dans les hôpitaux, dans l'enseignement, dans les transports. Il vient honteusement de décider de rogner sur le budget destiné à aider au maintien des personnes âgées à domicile. Les fonds de l'Etat, il préfère les utiliser à offrir subventions et allégements d'impôts et de charges sociales aux entreprises.
Pour que cela change, il faudra que la classe ouvrière montre sa colère et sa détermination dans les entreprises et dans la rue.
(source http://www.lutte-ouvriere.org, le 13 février 2003)
(18/02/2003)
S'OPPOSER A LA GUERRE ANNONCEE CONTRE L'IRAK, MAIS SANS FAIRE DE CHIRAC LE REMPART QU'IL N'EST PAS
Deux cent mille manifestants à Paris, un demi-million à l'échelle du pays et plusieurs millions à l'échelle du monde : les manifestations de cette fin de semaine ont montré au moins que, si la guerre contre l'Irak est déclenchée dans les semaines qui viennent, elle ne le sera pas avec l'accord des peuples. Chose significative : en Europe, c'est précisément dans les pays dont les gouvernements sont en pointe dans l'agitation guerrière que les manifestations ont été les plus massives. Le nombre de manifestations aux Etats-Unis même a montré que Bush n'a pas l'accord de la totalité du peuple américain. Malgré le matraquage de la propagande guerrière venant aussi bien d'une caste politique unanime que des médias, des centaines de milliers d'Américains ont tenu à exprimer leur opposition à la guerre qui se prépare.
La participation massive à ces manifestations a amené certains dirigeants européens va-t-en guerre à tempérer leur langage, ne serait-ce que pour des raisons électorales. Rien ne permet d'affirmer cependant que la guerre ne sera pas déclenchée dans les semaines, voire dans les jours qui viennent.
Le gouvernement français s'est auto-félicité de son jeu diplomatique. Il a tenté de faire passer sa prise de position devant l'ONU pour à la fois un courageux acte de résistance aux pressions américaines et un garant pour la paix. Mais, non seulement cela n'empêchera pas les Etats-Unis de déclencher une agression mais rien ne garantit que l'opposition du gouvernement français à la politique américaine ira au-delà d'un baroud d'honneur diplomatique.
Les inspecteurs de l'ONU n'ont certes rien trouvé qui puisse fournir aux Etats-Unis un prétexte à la guerre. Mais Bush n'a cessé de répéter qu'il n'a pas besoin ni de l'ONU, ni de justification pour partir en guerre. Et le nombre de soldats américains autour de l'Irak ne cesse d'augmenter et le matériel de guerre de s'accumuler.
Les prochains jours montreront si le gouvernement français, souhaitant participer à la curée en Irak, rentre dans le rang pour s'aligner sur les Américains ou si, estimant que les Etats-Unis ne laisseront de toute façon rien ni aux groupes pétroliers français, ni à ceux des travaux publics qui louchent vers les chantiers de reconstruction de l'après-guerre, Chirac choisira de s'abstenir sur le plan militaire.
Mais, si le gouvernement français entretient le suspense pour ce qui est de sa participation à la guerre, il ne cesse de répéter depuis le début à quel camp il appartient. C'est celui de l'impérialisme agresseur, pas celui du peuple agressé.
A peine la représentation française à l'ONU s'est-elle illustrée en se démarquant des Etats-Unis que Chirac a éprouvé le besoin de se présenter avec insistance, dans une interview donnée à un journal américain, comme un " supporteur de la solidarité transatlantique ". Il a apporté son approbation totale à la présence de l'armada américaine autour de l'Irak. Cela sonne déjà comme la fin de l'intermède d'opposition diplomatique aux Etats-Unis.
Ceux qui sont sincèrement opposés à cette guerre injuste, à cette guerre impérialiste, auraient en tout cas bien tort de voir en Chirac un rempart contre l'intervention militaire. Quand Chirac déclare, dans la même interview, qu'il n'est pas pacifiste, on peut le croire. Comme Bush, comme Blair, comme les autres dirigeants du monde impérialiste, il ne détermine pas sa politique en fonction des sentiments et des aspirations des peuples mais en fonction des intérêts des grands groupes industriels et financiers.
Et les partis de gauche, le PS comme le PC, qui apportent leur soutien au gouvernement et qui cautionnent sa politique, non seulement propagent des illusions mais reconduisent sur le terrain de la politique extérieure le ralliement honteux à Chirac lors du deuxième tour de l'élection présidentielle.
Alors oui, il faut s'opposer à l'agression impérialiste contre l'Irak. Mais pas derrière Chirac.
(source http://www.lutte-ouvriere.org, le 21 février 2003)
( 28 février 2003)
CONTRE LA GUERRE IMPERIALISTE EN IRAK !
La guerre contre l'Irak apparaît désormais sur le point d'être déclenchée. L'Irak a beau satisfaire les unes après les autres toutes les exigences formulées, on en invente chaque fois de nouvelles. Les dirigeants américains veulent la guerre, et ils l'affirment avec brutalité. S'ils souhaitent imposer à l'ONU qu'elle donne sa bénédiction, ils sont prêts à se passer de caution et de prétexte.
La guerre qui s'approche est une guerre abjecte, dans ses objectifs comme dans la manière de l'imposer. Saddam Hussein est un dictateur mais c'est son peuple qui va payer avec des morts, des handicapés, des ruines. Le pays est déjà pourtant exsangue car, depuis la guerre précédente, les bombardements n'ont jamais cessé, ni l'embargo.
Saddam Hussein est un dictateur, oui, mais cela n'a posé aucun problème aux Etats-Unis lorsqu'ils ont eu besoin de lui pour mener une guerre contre l'Iran. Cela ne leur a pas posé de problème non plus lorsque Saddam Hussein a massacré les Kurdes ou les Chiites d'Irak, sans même parler des opposants ou des rivaux politiques. Comme ne leur pose aucun problème non plus le fait que les pays voisins, de l'Arabie saoudite jusqu'au chapelet d'émirats, soient des dictatures dominées de surcroît par le fondamentalisme religieux.
Les dirigeants de la coalition impérialiste contre l'Irak ne s'occupent pas plus de l'opinion de leurs propres peuples qu'ils ne se soucient des souffrances du peuple irakien. Malgré l'ampleur des manifestations contre la guerre, les préparatifs militaires se poursuivent. Avant même que la guerre n'éclate, des milliards de dollars ont été gaspillés. Toute la folie de la société actuelle est concentrée là: à combien d'êtres humains ces sommes permettraient-elles de survivre un peu mieux, dans la majorité pauvre de la planète?
On parle de démocratie et, dans le cas des Etats-Unis, même de la plus grande démocratie occidentale. Mais on voit bien que les peuples n'ont pas voix au chapitre. Ce qui détermine la politique des Etats-Unis, ce sont les intérêts stratégiques de l'impérialisme américain, c'est-à-dire les intérêts d'un nombre limité de grands groupes financiers. Ceux du pétrole, bien sûr, dans cette région qui en regorge. Mais bien d'autres encore, pour qui les revenus élevés que les classes riches locales tirent du pétrole assurent un marché important.
Mais il en va ainsi également de la France, même si les intérêts de ses groupes financiers ne coïncident pas toujours avec ceux de leurs rivaux américains ou anglais. Les politiciens favorables à la politique de Chirac - ils sont aussi bien à gauche qu'à droite - présentent la diplomatie française comme un facteur de paix. La candidature de Chirac aurait même été présentée au prochain prix Nobel de la paix!

Mais présenter Chirac comme le défenseur de la paix est une fumisterie. La diplomatie chiraquienne ne s'oppose à celle des Etats-Unis que sur des points secondaires, comme celui de prolonger ou pas la mission des inspecteurs. Sur le fond, l'impérialisme français reconnaît à l'impérialisme américain le droit de mettre l'Irak au pas. Chirac approuve l'étau militaire qui enserre ce malheureux pays. Il vient d'exprimer sa reconnaissance pour la présence de l'armada américaine. Rien ne garantit même que Chirac utilisera son droit de veto à l'ONU, qui de toute façon n'éviterait pas la guerre.
Le Parti Socialiste comme le Parti Communiste soutiennent pourtant Chirac et sa politique. Une fois de plus, ils le cautionnent comme un homme providentiel, en semant par la même occasion l'illusion que la diplomatie française pourra arrêter la guerre. C'est faux. Si Chirac fait mine de se singulariser sur la forme, c'est que cela n'aura aucune conséquence sur le fond: ni pour les intérêts des trusts français, ni pour la coalition impérialiste contre l'Irak. Il en fait partie.
Refuser la guerre, c'est aussi refuser de faire confiance aux dirigeants politiques de l'impérialisme. Quel que soit leur jeu diplomatique momentané, leur système, l'impérialisme, "porte la guerre comme la nuée porte l'orage", disait Jaurès en son temps. L'affirmation n'a pas vieilli.
(source http://www. http://www.lutte-ouvriere-journal.org, le 28 février 2003)