Déclaration de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur le budget 2000 et la politique suivie pour la coopération et la francophonie, au Sénat le 9 décembre 1999.

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Circonstance : Présentation du budget de la coopération prévu dans le projet de loi de finances 2000, au Sénat le 9 décembre 1999

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
L'organisation de cette discussion budgétaire m'amène à prendre la parole à la fin du débat. Je dois donc répondre à une double exigence, ce que je vais tenter de faire avec plaisir, d'abord vous présenter de la manière la plus synthétique possible les crédits de coopération inscrits au budget des Affaires étrangères, ensuite répondre aux nombreuses questions que vous nous avez posées.
I - Quelques mots, donc, sur les crédits de coopération internationale inscrits au projet de loi de finances pour 2000.
C'est la deuxième fois que je viens vous présenter le projet de budget des affaires étrangères dans sa composante "Coopération et Francophonie". J'entends par là l'ensemble des crédits d'intervention que nous consacrons à notre politique extérieure et que nous mettons en oeuvre avec les services nés de la réforme de la coopération conduite par le gouvernement en 1998. Après les crédits de l'année de rodage, ce sont donc ceux du régime de croisière qui sont soumis à votre vote.
Je sais que le président de Villepin regrette un certain manque de lisibilité de ces crédits à l'intérieur du budget et je vais essayer de répondre à ses interrogations, comme d'ailleurs à celles de Mme Brisepierre sur l'efficacité de notre réforme.
Si vous m'y autorisez, je reviendrai un instant sur l'impact de la réforme de notre nouveau dispositif de coopération. Puis, je vous exposerai les grandes lignes du projet de budget proposé à votre vote au regard des objectifs de notre politique de coopération culturelle.
1 - Le nouveau dispositif de coopération a été mis en place au cours de l'année 1999. Je serai bref, dans la mesure où vous nous avez auditionnés à ce sujet il y a quelques mois.
L'appareil administratif était prêt au 1er janvier : comme je vous l'avais indiqué il y a un an, la direction générale de la Coopération internationale et du Développement (DGCID) était constituée de la fusion des services de la coopération et de la DGCRST ; elle comptait un peu moins de 600 agents et s'installait pour partie rue Monsieur et boulevard St Germain. Nous n'avions pas pu, en effet, trouver un site unique pour l'installer. Mais les deux adresses ne sont pas si distantes et le fonctionnement de l'ensemble n'en est pas trop affecté. J'ajoute que cette opération a conduit à déplacer plus de 1000 agents.
Les questions essentielles touchant aux statuts des personnels et à leurs régimes de rémunérations avaient été réglées au préalable dans leur principe. La mise en oeuvre de solutions retenues n'est pas achevée mais se poursuit sans à-coups particuliers. Hubert Védrine a d'ailleurs utilisé la dynamique créée par notre réforme pour lancer la fusion des corps de chancellerie et d'administration centrale dans des corps uniques, plus souples et plus adaptés aux besoins de l'administration comme aux aspirations des agents. Après la fusion des corps de la catégorie A désormais acquise, nous réaliserons celles des autres catégories de personnels.
Deuxième temps fort, le Comité interministériel - le CICID - s'est réuni et a fixé les contours de la zone de solidarité prioritaire. Il arrêtait ainsi les conditions d'intervention de nos instruments de coopération.
Nous avons donc lancé les procédures de révisions des textes correspondants, statuts de l'AFD et décret sur le FAC, qui deviendra "Fonds de solidarité prioritaire" au premier janvier prochain. La discussion n'est d'ailleurs pas achevée et, en plein accord sur le fond avec le sénateur Charasse, je souhaite que les Parlementaires continuent de jouer le rôle qui a été le leur depuis 1959 dans le nouveau dispositif. Reste à nous entendre sur les modalités de cet original système de contrôle parlementaire. Mais j'anticipe là sur la suite des débats.
La ZSP compte donc cinquante huit pays, parmi lesquels la quasi intégralité des pays africains - cette remarque à l'intention de ceux qui craignent que notre sollicitude à l'égard du continent africain ne s'affaiblisse -, Maghreb compris, la Palestine et le Liban, plusieurs pays d'Asie du Sud Est et ceux qui font l'environnement de nos départements et territoires d'Outre-mer. Ils sont potentiellement bénéficiaires de notre aide, sous réserve de la qualité des projets que nous définirons ensemble. Chaque année, le CICID redéfinira la liste des pays de cette ZSP, en fonction de critères parmi lesquels le respect des Droits de l'Homme et des principes démocratiques, la bonne gestion des affaires publiques et la lutte contre la corruption. J'y insiste car elle fait l'objet d'un traitement particulier, en particulier en ce qui concerne le renouvellement de la Convention de Lomé. Plusieurs d'entre vous me demandent comment nous assurons la compatibilité entre une zone d'intervention plus large que l'ancien champ et le maintien en masse de nos crédits d'aide projet. Ma réponse est triple : d'abord une plus grande sélectivité des projets au regard de leur efficacité et de l'implication effective de nos partenaires, ensuite le basculement d'une partie des projets sur les crédits mis en oeuvre par l'AFD pour les opérations d'infrastructures de santé et d'éducation, enfin la mise en oeuvre d'un supplément de crédits, ce qui correspond, je sais, à vos voeux. Ainsi, le gouvernement a décidé d'abonder les autorisations de programmes de notre titre VI de 350 MF, 210 au titre du FAC et 140 au titre de l'AFD.
Depuis le début de l'année, nous avons aussi redéployé des personnels au profit des nouveaux pays de la ZSP et, dès cet automne, les premiers projets hors de l'ex champ ont pu être négociés avec ces pays et seront proposés au prochain comité directeur du FAC, pour le Viêt-nam, le Liban, Cuba, le Ghana, par exemple.
J'ajoute que ces mouvements de personnels considérables - près de 1000 personnes ont été déplacées - avaient aussi pour objectif de mêler les cultures des anciens de la "coopération" et des anciens de la "DG". Ainsi, la coopération internationale que nous proposons à nos partenaires, développés ou moins développés, s'en trouve modernisée, plus adaptée à des réalités qui, elles aussi, ont changé, au Nord comme au Sud. Je vous concède toutefois, Madame Brisepierre, que ce métissage n'est pas homogène sur l'ensemble de notre dispositif et que notre objectif ne sera pas atteint avant quelques années. Le temps est ici une contrainte à ne pas négliger.
La nouvelle mécanique de la coopération est donc lancée et, après quelques mois d'adaptation, elle fonctionne à présent efficacement.
2 - Comme l'a indiqué Hubert Védrine, le budget des Affaires étrangères pour l'an 2000 rompt avec la décroissance régulière des budgets précédents.
Et ce qui est vrai pour la globalité du budget, l'est aussi de ses crédits d'intervention. Ainsi, les crédits mis en oeuvre par la DGCID progressent de 0,1%, de 9,232 Mds F à 9,240 Mds F.
Bien entendu, cette évolution n'est pas générale et ne porte pas sur toutes les catégories de crédits de coopération. Dans cette arithmétique de hausses et de baisses, nous avons profité d'économies acceptables pour financer nos besoins et nos priorités.
Je pense, bien entendu aux crédits d'ajustement structurel dont la consommation a encore chuté en 1999 et qui deviendront, j'en accepte l'augure, inutiles dès lors que les annulations de dettes des pays pauvres très endettés décidées par le G7, auront produit leurs effets. J'ajoute à cet égard, que cette mesure libérera des marges de manoeuvre sur les budgets des pays correspondants, qui pourront être utilisées sur des projets de coopération. La lutte contre la pauvreté et le renforcement de l'état de droit en seront les principaux bénéficiaires. Or c'est dans ces domaines que nous avons un savoir-faire reconnu. Cette baisse s'explique aussi par le fait que la situation de certains pays d'Afrique s'améliore en particulier grâce à l'aide du FMI. Il y a également des conflits qui empêchent le déroulement des programmes.
Je pense aussi à la poursuite de la mue de notre assistance technique, qui libère encore des crédits cette année. Parallèlement, les dotations correspondantes gagnent en flexibilité, ce qui va nous permettre de recourir à une expertise différente, intervenant dans des conditions de délais différentes, sur des programmes et avec des objectifs plus serrés. Le travail que j'avais confié à Jean Némo sur ce sujet entre dans la phase de l'élaboration des recommandations. Hubert Védrine et moi-même en tirerons les conséquences au début de l'année prochaine.
3 - Ce budget nous permettra d'assumer les priorités que nous nous sommes fixées, notamment en matière de coopération culturelle et de coopération au développement.
Hubert Védrine a déjà cité les principales mesures nouvelles décidées. Permettez-moi simplement de vous indiquer le contexte dans lequel elles s'inscrivent et les priorités qu'elles permettront d'affirmer : développer tout d'abord notre capacité d'influence extérieure, ensuite, identifier et fidéliser les élites chez nos partenaires, en troisième lieu, confirmer notre position en matière de coopération au développement, enfin, associer mieux la société civile à notre ambition.
Une plus grande influence par une meilleure présence, médiatique, diplomatique et géographique.
Meilleure présence médiatique, d'abord. Nous continuons notre effort dans le domaine de l'audiovisuel extérieur, dont Mme Pourtaud a parlé, dont les crédits seront augmentés de 25 MF, conformément à notre engagement de réaliser le plan TV5, conduit par le président Stock.
Néanmoins, il n'est pas seul responsable de l'ensemble de la constellation TV5. C'est ainsi que Québec Canada vient de renouveler sa direction, et nous espérons qu'un dialogue fructueux va pouvoir se nouer de façon que le continent américain puisse recevoir un signal le meilleur possible. On sait, en effet, que ce n'est pas une réussite aux Etats-Unis, non plus que - et c'est plus grave - en Amérique latine où existe une forte demande de télévision en français. Ceci n'exclura pas une réflexion critique sur les conditions de son exécution et un dialogue ferme avec nos partenaires dans cette opération. S'il apparaît l'an prochain que nos objectifs ne sont pas atteints, nous pourrions nous interroger sur l'opportunité du maintien d'une chaîne française à l'extérieur.
Meilleure présence dans les institutions multilatérales, aussi. Nous augmentons encore le volume de nos contributions volontaires aux organisations internationales - 30 MF supplémentaires. Nous avons, ici, tiré profit du travail de votre collègue député Yves Tavernier. Et nous aidons aussi nos partenaires en développement à accroître leur propre présence dans ces enceintes en abondant les fonds créés à cet effet, en particulier à l'OMC. L'échec de Seattle, s'il n'était pas anticipé, tient d'ailleurs en partie au défaut d'implication des pays en développement à la préparation du Sommet. Je vois là, bien sur un argument majeur pour cette utilisation de nos crédits, mais au-delà, une raison supplémentaire d'aider nos partenaires à participer efficacement à ces réunions et, le cas échéant, à y constituer avec nous des groupes de pression influents.
La transition est facile : j'évoque à présent la Francophonie, qui est l'illustration parfaite du groupe de pression que nous pouvons représenter. Vous aviez peut-être imaginé trouver la Francophonie au rang des priorités nécessitant des mesures nouvelles, notamment après le Sommet de Moncton. La préparation de ce sommet a été, je crois, exemplaire. Elle s'est faite sur des bases raisonnables et avec une volonté partagée de rendre plus efficaces les instruments dont nous l'avions dotée. Je pense, bien sur, aux évaluations et audits que les instances de la Francophonie ont menés et qui ont conduit aux décisions que vous savez. Je pense, en particulier, à l'Agence universitaire de la Francophonie. Dans ce contexte, nous sommes parvenus à construire un programme ambitieux à moyens constants pour le prochain biennum. L'exercice mérite d'être souligné et je me réjouis de cette réussite porteuse d'avenir pour notre langue et notre culture.
Deuxième idée-force, identifier et fidéliser les élites futures chez nos partenaires. Hubert Védrine y a fait allusion et a cité le montant des mesures nouvelles au profit d'Edufrance et des bourses d'excellence du programme Eiffel. Les orientations que nous avions déterminées l'an dernier sont ainsi confirmées et les moyens qui y sont consacrés augmentés. Au-delà, c'est toute notre politique d'accueil des étudiants étrangers qui est renforcée et rendue plus attrayante pour les candidats potentiels. Je n'en dis pas davantage mais je suis bien d'accord avec vous. Il faut effectivement améliorer la délivrance des visas, même si des progrès ont été réalisés. Certes, il arrive que l'on hésite à accorder des visas pour des étudiants de premier cycle, dans la mesure où cela revient à condamner l'enseignement supérieur de leurs pays d'origine.
J'en viens à notre volonté de confirmer la place de la France dans l'aide publique au développement. Nos crédits d'APD sont globalement préservés dans le projet de budget 2000. Les dotations en autorisations de programmes du Fonds de solidarité prioritaire (ex Fonds d'aide et de coopération) et des dons-projets mis en oeuvre par l'Agence française de développement étaient ainsi reconduites à 2,3 milliards dans le projet de loi de finances qui vous a été proposé, avec des crédits de paiement qui progressent de 5 %. Si vous acceptez de voter les amendements du gouvernement, l'augmentation significative de nos moyens d'intervention nous permettra d'atteindre mieux nos objectifs et de répondre plus vite à des attentes que nous connaissons déjà.
Nous avons repensé profondément l'utilisation de nos instruments, notamment pour assumer l'élargissement du champ à la ZSP. Ainsi, dès à présent, des pays qui n'étaient pas dans le champ sont aujourd'hui éligibles au FAC ; je pense aussi bien aux pays du Maghreb que du Mashreck ou d'Asie du Sud Est, qui ne bénéficiaient auparavant que de crédits du titre IV. Et, comme je vous l'indiquais, les premiers projets sortent déjà, au Viêt-nam, à Cuba ou en Afrique de l'Est.
Pour 2000, nous allons aussi modifier nos procédures de programmation en instituant des " réserves régionales " de crédits aux côtés des classiques enveloppes indicatives par pays. Nous nous donnerons ainsi à la fois plus de souplesse et des moyens plus visibles pour conduire des projets régionaux, en particulier sur des régions où une nouvelle coopération est à construire. Ceci vaut d'ailleurs aussi bien dans la ZSP, pour le fonds de solidarité prioritaire, que dans les pays d'Europe de l'Est, pour les projets financés par le COCOP.
J'ajoute enfin que ce budget devrait nous permettre là aussi, d'inverser une tendance lourde. Les chiffres représentatifs de notre effort d'aide publique au développement au sens du comité d'aide au développement de l'OCDE viennent de sortir pour 1998. La France conserve son rang de premier bailleur bilatéral du CAD en proportion de son PIB, à 0,40%, et 3ème en volume net. Mais la baisse n'est pas encore stoppée. Elle devrait l'être en 2000, par la conjonction de la stabilité de nos crédits et de la mise en oeuvre des mesures d'annulation de dettes décidées à Cologne par le G7. Plusieurs d'entre vous se sont interrogés sur les mesures d'annulation de dettes.
J'en ai implicitement parlé tout au long de mon exposé : la coopération que l'on qualifie de "hors l'Etat" est au coeur des nouvelles dynamiques. Les moyens que nous y consacrons seront encore en augmentation. Ils sont appelés à soutenir des initiatives très diverses.
Un mot seulement pour vous dire l'importance croissante de nos actions de coopération décentralisée. En 1999, les collectivités françaises ont manifesté leur intérêt et exposé leurs actions dans une série de rencontres organisées par pays, le Viêt-nam à Poitiers, le Mali à Angers, le Niger à Juvisy et St Brieuc, les Caraïbes en Haïti, la Côte d'Ivoire à Abidjan, les pays de l'Océan indien à Tananarive, le Burkina-Faso à Rouen, et lors des Rencontres nationales de la coopération décentralisée à Paris en avril dernier. J
Je ne saurais enfin terminer ce point sans mentionner, même s'il ne se traduit pas par une dotation budgétaire spécifique en 2000, l'espoir que je place dans le dispositif du volontariat civil que vous avez examiné en octobre dernier. C'est une de mes "grandes entreprises", comme on dit. C'est notre réponse à la fin de la conscription en coopération. L'enjeu est de taille, plusieurs d'entre vous l'ont souligné, pour le réseau des établissements scolaires à l'étranger, pour nos établissements culturels, pour nos entreprises les plus dynamiques et les plus présentes à l'étranger, pour nos ONG, mais aussi pour nos pays partenaires qui sont "en attente de France". C'est aussi une réponse à l'aspiration "citoyenne et solidaire" de nombreux jeunes gens et jeunes filles qui souhaitent mettre leur compétence et leur enthousiasme au service de l'intérêt général.
S'agissant du calendrier, l'Assemblée nationale devrait se saisir du texte le 20 janvier et il devrait revenir au Sénat le 9 février, ce qui permettra de faire vite comme vous le souhaiter.
Je voudrais conclure en vous disant que le budget des Affaires étrangères pour l'an 2000 est, je crois, un bon budget. Il montre une claire détermination à inverser une tendance que vous aviez, à juste titre, dénoncée. Les choix politiques que le ministre des Affaires étrangères et moi-même vous avons exposés seront mis en oeuvre avec détermination grâce à des moyens adaptés. C'est pour cela que nous vous demandons de les voter.
Mais il en reste beaucoup que je vais essayer de traiter à présent.
(Source : http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 décembre 1999)