Interview de M. Jean-Louis Debré, président de l'Assemblée nationale, à LCI le 10 avril 2003, sur la position de la France à propos du conflit irakien, les perspectives de reprise de la croissance et la réforme des modes de scrutin.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser.- Bagdad est tombée, est-ce que vous vous réjouissez de cette chute, est-ce que vous parleriez de libération ?
- " Je me félicite que cette guerre ait été courte, même si elle n'est pas finie et je me félicite de la position prise par la France dans ce conflit. Je crois qu'il faut que nous nous posions un certain nombre de questions et je crois qu'il faut aussi maintenant regarder l'avenir. "
Avant ces questions, vous répondez à la mienne !
- " D'abord je me félicite, à la fois je viens de vous le dire que cette guerre ait été courte, car je n'ai aucune sympathie pour Monsieur S. Hussein, pour son régime et je pense qu'à partir du moment où il y avait une guerre, il fallait qu'elle soit la plus courte possible pour éviter les morts et les drames humains au maximum. Et je me félicite aussi que la France ait essayé de faire entendre une position qui est : on pouvait arriver au même résultat, sans les morts, sans les drames humains. Si vous me permettez, je vais reprendre cela. D'abord, pouvait-on éviter des milliers de morts ? Pouvait-on éviter des milliers de blessés, des enfants ? Pouvait-on éviter de déverser des milliers et des milliers de bombes sur des villes et des populations qui n'avaient rien demandé ? Est-ce que le régime irakien que nous condamnons tous, ne pouvait pas s'étioler et disparaître de l'intérieur ? Pourquoi avoir empêché les inspecteurs des Nations-Unies de mener à bien leur travail ? Ils avaient indiqué qu'il n'y avait pas d'armes de destruction massive. Il semble bien qu'ils aient pour l'instant raison et par conséquent je pense que la position qui était celle de la France, prise par J. Chirac était la bonne position. Il ne s'agit pas de partir en guerre contre les Etats-Unis, nous sommes les alliés des Etats-Unis, mais il y avait une autre position, une autre solution pour arriver au même résultat. "
Elle n'a pas été retenue et maintenant ?
- " Hélas, hélas et donc par conséquent nous avons à faire entendre toujours cette position qui consiste à dire : évitons la guerre, évitons les drames humains, évitons les morts "
Mais la guerre a eu lieu !
- " Oui, mais j'entends depuis ce matin que certains disent, maintenant il faut aller à Damas, maintenant il faut aller dans tel pays, maintenant il faut attaquer la Corée du Nord ! Oui, il faut impérativement débarrasser le monde de toutes ces armes de destruction massive, c'est le rôle des Nations unies, c'est le rôle de la Communauté internationale, ce n'est pas le rôle d'un pays. Même si, la communauté internationale doit le faire avec les Américains. "
La force a pris le pas sur le droit alors ?
- " Je le regrette, je le regrette, car je pense qu'il faut affirmer la force du droit, mais non pas le droit de la force. Je crois que c'est très très important pour cette construction d'un monde qui n'est plus un monde où il y a le camp des Occidentaux et le camps de l'Est, où le mur de Berlin s'est effondré. C'est un monde multipolaire et ce monde multipolaire, il a besoin d'une construction, il a besoin d'un édifice et cette construction et cet édifice ce sont les Nations-Unies. Alors aujourd'hui "
Le sommet qui va avoir lieu à Saint Petersburg ce week-end, c'est l'exemple d'un nouveau pole entre la Russie, l'Allemagne et la France ?
- " Non, je ne le crois pas. D'abord vous avez vu qu'en ce qui concerne la réflexion qui est celle de la France pour l'après-guerre de l'Irak, nous le faisons avec les Anglais et je souhaite naturellement que cette reconstruction de l'Irak se fasse, non seulement avec ceux qui n'ont pas voulu la guerre, mais avec tous les autres. Aujourd'hui il faut oublier le passé et reconstruire, car chère Madame, cette guerre, aussi courte soit-elle n'a pas réglé les problèmes de la région. Et je crains au contraire que dans le temps on s'aperçoive qu'elle a avivé bien des tensions plutôt qu'elle ait réglé des situations qui sont périlleuses. "
Sur le plan diplomatique, comment renouer les fils avec les Etats-Unis ?
- " Ecoutez je crois que les fils n'ont jamais en fait été rompus et on ne peut pas rompre le fil entre la France, l'Europe et les Etats-Unis."
J. Chirac devrait prendre une initiative ?
- " Non, je pense que d'abord l'Europe doit profiter de cette réflexion pour l'après-Irak, pour retrouver son unité, sa cohésion et J. Chirac y travaille, les relations avec T. Blair sont des relations qui sont empreintes de la responsabilité des uns et des autres dans cette construction européenne. Je pense que la France doit être le pays qui rassemble tous ceux et toutes celles qui veulent construire la paix dans cette région du monde. "
Alors pendant la guerre d'Irak, on a un peu oublié les problèmes français, ils sont là et ils sont graves, notamment dans le domaine économique. Les déficits se creusent et le chômage augmente. Le Premier ministre pour l'instant dit ; je ne veux pas prendre de grandes mesures, est-ce qu'il pourra tenir ?
- " Ca il faut l'interroger ! Simplement, ce que je pourrais dire "
Vous avez votre idée !
- " C'est que la situation internationale n'est pas de nature ou n'a pas été de nature à doper l'économie mondiale et l'économie française. Je pense qu'il faut regarder les choses avec plus d'optimisme parce que le président Bush, me semble-t-il, ne veut pas recommencer l'erreur qui avait été commise par son père qui avait perdu les élections, à savoir que le père avait également mené une guerre contre l'Irak, mais il avait perdu les élections aux Etats-Unis pour des considérations de politique intérieure et de situations économiques. Donc je pense que désormais le gouvernement américain va essayer de faire redémarrer l'économie américaine, même si les fondamentaux de l'économie américaine ne sont pas satisfaisants. Et le redémarrage de l'économie américaine va entraîner un redémarrage de l'économie mondiale. Donc je pense que l'on peut être "
Vous êtes optimiste !
- " On peut être raisonnablement optimiste pour les mois qui viennent. Cela dit, les problèmes ne sont pas réglés, cela dit nous avons en France un certain nombre de difficultés extrêmement graves, notamment tenant au chômage. Mais je vous précise que le Gouvernement sortira de ces difficultés en continuant à réformer, à évoluer et à transformer. "
La réforme des modes de scrutin : 10 % des exprimés au lieu de 10 % des inscrits, cela fait entre 4 et 8 dirigeants de moins pour l'UMP, c'est ça ?
- " J'ai toujours pensé que ce n'était pas comme ça qu'il fallait aborder les problèmes électoraux. Ce n'est pas le mode de scrutin qui fait le résultat d'une élection. Le Gouvernement doit continuer à réformer, le Gouvernement doit régler le problème des retraites, le Gouvernement doit montrer qu'il respecte les engagements. Et alors peu importe les modes de scrutin, nous gagnerons les élections ! "
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 10 avril 2003)