Texte intégral
F. Laborde-. Nous allons revenir évidemment sur la déclaration de J. Chirac hier, qui a dit "non" au projet de résolution qui pourrait être déposé aux Nations unies cette semaine, proposé par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Un "non" franc et massif, pour reprendre une formule, et qui vous satisfait plutôt. C'était ce que vous attendiez du président de la République ?
- "Oui, nous voulions une ferme détermination française par rapport à la volonté de G. Bush de faire la guerre avec la caution de l'ONU. Si maintenant, G. Bush veut une intervention militaire, il faut qu'il obtienne une majorité à l'ONU. Il ne l'a pas. Et quand bien même l'aurait-il, j'ai compris de la position française que ce serait le veto. Nous ne serions sans doute pas les seuls à l'utiliser : les Russes sans doute, peut-être les Chinois. Mais qu'importe, nous voulions le veto. Le président de la République n'a pas prononcé le mot, il a dit "non" ; je dirais que pour l'instant, c'est pareil."
Il ne l'a pas prononcé parce qu'il a expliqué que techniquement, le "non" français avait valeur de veto...
- "Ne jouons pas sur les mots. J'ai entendu le président de la République, il a dit "non" ; cela veut dire qu'il y aurait, le cas échéant, s'il n'y avait pas de majorité contre la résolution américaine de faire la guerre, un vote contre de la France, ce qui signifierait le veto."
Il y a un certain nombre de voix qui s'élèvent dans le pays pour dire qu'on va se fâcher avec les Américains, que tout cela est extrêmement embêtant... Dans ces voix, il y en a qui sont à l'UMP, mais il y en a d'autres qui sont au PS. On a entendu B. Kouchner dire qu'il ne fallait pas simplement renvoyer les Américains dans les cordes...
- "D'abord, il ne faut pas se satisfaire de S. Hussein. C'est un point entendu. Il faut que la pression continue ; on peut ne pas faire la guerre et en même temps, vouloir désarmer l'Irak, c'est bien cela l'objectif. Et si on le peut, chasser S. Hussein, parce que c'est un dictateur. Je peux aussi entendre, notamment B. Kouchner qui nous dit qu'il y a des peuples au Kurdistan qui souffrent de la dictature irakienne et qui attendent vraiment un soutien international et un changement. Et ce que je réponds, c'est qu'il faut dire "non" à la guerre américaine, et de ce point de vue, c'est le veto qui doit être l'illustration de cette volonté. Et en même temps, il faut dire non à S. Hussein et continuer les pressions pour désarmer l'Irak, parce que l'Irak peut être un pays dangereux. En tout cas dangereux pour son peuple ; c'est une affaire entendue."
Est-ce que aujourd'hui, dans la position où vous êtes, c'est-à-dire chef de file de l'opposition, vous n'êtes pas dans une situation impossible, contraint en quelque sorte d'approuver le camp adverse ? Comment faire pour s'opposer quand on a un président de la République qui prend des décisions auxquelles finalement vous adhérez ?
- "J'ai suffisamment de critiques à faire sur la politique économique et sociale de J.-P. Raffarin, soutenue par J. Chirac, et notamment sur l'emploi, sur la remise en cause des services publics, sur l' injustice de certaines décisions fiscales, notamment la baisse de l'impôt sur la fortune ou la baisse de l'impôt sur le revenu, pour ne pas avoir à retenir mon approbation, lorsque cela me paraît aller dans le sens de la justice et de la nécessité de la paix, pour le "non" à la guerre que vient de prononcer J. Chirac. Je n'essaye pas de m'opposer à tout, j'essaye de dire "oui", lorsque c'est l'essentiel, lorsqu'il faut faire tout pour empêcher la guerre, et de dire "non" à la politique économique et sociale du Gouvernement."
Qu'est-ce qui ne va pas dans la politique économique et sociale du Gouvernement ? Le projet de privatisation d'Air France ? Les plans sociaux ? J.-P. Raffarin n'est tout de même pas responsable de la conjoncture économique qui n'est pas très bonne.
- "La conjoncture économique n'est pas très bonne, c'est une affaire entendue ; il n'a rien fait pour la rendre plus favorable en France. Il a fait même des prévisions qui aujourd'hui, n'ont plus aucun sens ; il vient d'en faire l'aveu. Il a constaté des déficits publics - ou plus exactement, c'est l'Europe qui les a constatés à sa place - qui sont considérables. Et aujourd'hui, que nous dit-il ? Il nous dit qu'il a baissé les impôts des plus favorisés mais qu'il va tailler sur l'allocation personnalisée d'autonomie, c'est-à-dire une prestation sociale. [Il nous dit] qu'il va rogner sur la Couverture maladie universelle, qu'il va remettre en cause les emplois-jeunes. Donc, il y a effectivement des choix qui ont été faits qui n'ont pas été judicieux. Et enfin, sur la question du chômage, quand il a suspendu la loi de modernisation sociale, lorsqu'il est allé devant l'assemblée générale du Medef pour dire "vous pouvez engager les plans sociaux, vous avez toute liberté pour le faire", il a pris une responsabilité, et cette responsabilité est sérieuse. Et le rôle d'une opposition, et je me réjouis d'être dans cette situation - même si je préférerais être au Gouvernement -, dans l'opposition, où je peux montrer que sur certains points j'approuve [...] la position extérieure de la France, notamment par rapport à la question de l'Irak, et en même temps, je suis également déterminé pour combattre la politique économique et sociale du Gouvernement."
Comment vous, les socialistes, allez-vous faire pour prendre en compte tout cela à votre prochain congrès de Dijon ? Est-ce que vous n'allez pas être un peu écartelés entre un monde qui bouge, une nouvelle donne internationale majeure, une crise économique mondiale, et des discussions entre la motion Emmanuelli, la motion Dolez, la motion Montebourg, qui sont certes fondamentales pour le Parti socialiste, mais qui, avec un peu de recul, peuvent sembler un peu surréalistes ?
- "Quel est l'enjeu du congrès du Parti socialiste ? Ce n'est pas de savoir quelle motion il faut... C'est qu'il y ait une majorité qui se dégage et que les enjeux principaux du monde, de l'Europe et de la France soient pris en compte. Ce que je demande aux socialistes, c'est de bien mesurer ce qui, aujourd'hui, est en question. Ce qui est en question, c'est [de savoir] quel monde on est capables - pas seulement les socialistes, mais avec l'ensemble des forces progressistes - d'organiser, quelle Europe politique, sociale il faut promouvoir. On le voit bien, elle est aujourd'hui en situation de se reposer les questions de son avenir."
Est-ce qu'à gauche, il y a une Europe qui est plus forte, qui s'entend mieux ? Par exemple, T. Blair, vous lui dites quoi ?
- "T. Blair est contesté par son propre parti et je ne m'en plains pas, parce que je pense que, aujourd'hui, les forces progressistes en Europe doivent bien sûr promouvoir les politiques qui vont dans le sens de la paix, mais aussi les politiques qui construisent une Europe de solidarité. Pas une Europe de marché, pas simplement une Europe de la monnaie, une Europe de la solidarité entre les territoires européens, mais aussi entre l'Europe et le reste du monde. Mais l'enjeu aussi, pour le Parti socialiste, à travers son congrès, c'est de savoir si on est capables d'être une alternative à la droite. La droite connaît des difficultés sérieuses, on le voit bien au plan économique et social. J.-P. Raffarin va être confronté au choix qu'il a lui-même pris, c'est-à-dire notamment aux choix budgétaires, fiscaux, et aux politiques d'emploi. Maintenant, la question est de savoir si le Parti socialiste peut être une alternative. Pour cela, dans le Parti socialiste, il faut une majorité forte."
Vous l'avez, la majorité...
- "Ce sont les militants qui la donneront, ce sont eux qui choisiront. Ce que je veux, c'est que le Parti socialiste soit gouverné, soit animé, soit dirigé, parce que les Français ont besoin d'une gauche forte, ils ont besoin d'un Parti socialiste qui soit à l'initiative et à l'offensive."
Est-ce que vous pensez que J.-P. Raffarin pourra effectivement échapper à la rigueur, comme il le dit ? Il dit qu'en dépit de tout ce qui se passe, il n'y aura pas de "serrage de vis" ?
- "La rigueur, elle est là. On met en cause les dépenses sociales comme l'allocation personnalisée à l'autonomie, on ne veut plus remplacer les fonctionnaires qui partent à la retraite, on dit aux Français qu'il va falloir qu'ils payent davantage pour leur santé - c'est monsieur Mattei qui leur dit. Et en matière de retraite, des choix douloureux sont en train d'être préparés. Donc oui, pour ceux qui doutent de la rigueur, elle est là et elle va s'aggraver, parce que quand on a 63 milliards de déficits cumulés de la Sécurité sociale et un budget mis en cause par Bruxelles, c'est vrai qu'il y a encore en plus de mauvaises nouvelles qui se préparent."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 11 mars 2003)