Interview de M. Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF à RTL le 18 mars 2003, sur la situation économique et sociale à la veille de la guerre avec l'Irak, le sommet pour l'emploi et la réforme des retraites.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

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Ruth ELKRIEF : Bonjour Ernest-Antoine Seillière. Vous êtes le président du Médef. Merci d'être avec nous. Alors la guerre serait pour dans 48 heures. Quelles sont les conséquences à votre avis pour l'économie française, et quel est le moral des entrepreneurs à cet instant ?
Ernest-Antoine SEILLIERE : Je pense que les entrepreneurs - je l'ai dit d'ailleurs très tôt - sont à l'unisson de l'opinion française, et dans les 86 % de Français qui actuellement comprennent la politique du gouvernement, vous trouvez probablement autant d'entrepreneurs que n'importe quelle catégorie socio-professionnelle. Deuxièmement, il est clair que l'économie n'a joué strictement aucun rôle dans la détermination de la diplomatie française.
Vous voulez dire que ce ne sont pas les intérêts économiques de la France en Irak, comme le disent par exemple certains Américains, qui auraient guidé la position française.
Non, ça c'est de la propagande. Nullement. Les intérêts français en Irak sont très minces, et personne au monde ne les a pris en compte pour affirmer la politique française telle qu'elle l'a été ; et en revanche, on n'a pas non plus cherché je dirais à adoucir le caractère un peu abrupte de nos positions, en se disant qu'il fallait ménager telle ou telle partie de l'opinion américaine, en vue de protéger certains intérêts économique français. Ceci n'a pas joué.
Vous ne le regrettez pas vous-même.
Il y a bien entendu dans nos rangs un certain nombre d'entreprises qui disent qu'il n'était peut-être pas nécessaire de pousser le ton, jusqu'à provoquer ici et là de l'exaspération. Mais nous sommes du sentiment qu'en réalité, la puissance des relations bilatérales entre la France, depuis des décennies, et les Etats-Unis, la puissance bien entendu du lien européen avec les Etats-Unis, font que les intérêts économiques ne pourront pas être touchés en profondeur. Il y aura bien entendu ici ou là tel ou tel produit, mais ce sera relativement éphémère. Enfin on peut dire quand même que, dans l'ensemble, tout ceci ne sera pas positif pour une économie française dont on sait qu'elle subit actuellement énormément de difficultés.
Et le déroulement de la guerre. On voit que les marchés financiers par exemple tablent sur une reprise rapide, après une guerre rapide. C'est un peu le raisonnement des entrepreneurs français ?
Nous pensons que le phénomène d'attente et d'étouffement, dont nous avions dit, nous, je m'excuse de le dire, les premiers, qu'il mènerait la croissance française très en-deçà des chiffres objectifs, nous avons parlé entre 1 et 1,5 % maintenant depuis des mois et des mois. Nous avons l'impression que cette impression d'étouffement donc va se relâcher peu à peu. Mais les causes du ralentissement économique mondial - et français notamment - ne sont pas essentiellement sur le phénomène irakien. Il y a bien d'autres éléments.
Ce n'est pas ce que dit le gouvernement.
Le gouvernement peut-être en effet profite de la circonstance pour s'excuser. Mais nous le disons très clairement : l'énergie qu'a mis le chef de l'Etat à défendre avec vigueur, puissance et talent une position française, il faut maintenant qu'il la mette au service de la réforme française ! Et je dois dire que nous avons été impressionnés par sa capacité là, à tenir et à faire. Nous voulons, nous les entrepreneurs, la même dans le domaine de la réforme que nous attendons avec une très grande impatience.
Qu'il tienne, comment ? devant les syndicats, devant les fonctionnaires, sur les réformes de la retraite, de la Sécurité sociale, avec autant de vigueur que devant George Bush sur ce conflit irakien. C'est ça ?
Eh bien écoutez, disons les choses simplement : oui ! Nous avons affaire dans notre pays un travail considérable. Il n'est qu'à peine entamé par un gouvernement, dont nous attendons qu'il mette notre pays en situation de réussite sur le plan économique, de réformes sur le plan social. Il faut maintenant y aller et bien entendu les événements irakiens, non seulement ne sont pas une excuse pour ne pas faire, mais doivent renforcer le gouvernement dans son intention de le faire. Sans quoi, c'est vrai, le mot de "déclin" qui a été une fois utilisé, je crois par le chef du gouvernement, reviendra dans le vocabulaire.
Vous comprenez, bien sûr Ernest-Antoine Seillière, que cet appel à la réforme qui est donc douloureux par certaines catégories sociales, peut être encore plus difficile à appliquer dans un contexte où le chômage remonte de façon importante. Le gouvernement prévoit jusqu'à 9,4, 9,5 % et peut-être plus dans les mois qui viennent. Est-ce que cela ça peut être compatible avec des réformes compliquées ?
Je crois que la réalité ne peut pas être évitée. Nous allons traverser en 2003 une période difficile sur le plan économique, il y aura une croissance du chômage. Il y aura une croissance qui va être mince et tout ceci appelle l'action énergique de la réforme à contenir le déficit par la réduction de la dépense publique.
C'est ce qui a été annoncé. Ca vous convient. Ca suffit. Ca ne suffit pas ? c'est ce qu'a annoncé le gouvernement pour essayer de contenir le déficit donc des économies budgétaires, ça suffit ?
Ecoutez une annonce c'est déjà quelque chose ! mais nous avons besoin de construire une loi de finances pour 2004 qui soit vraiment une loi de finances de réformes, et dans laquelle on contient la dépense publique. Nous avons besoin de réformes de l'Etat. Nous avons besoin de réformes des systèmes sociaux. Et bien entendu nous avons besoin de la réforme de la retraite ! sur laquelle - excusez-moi de le dire - on tergiverse. La concertation, c'est fini. Maintenant il nous faut connaître la nature de la réforme, qu'on l'explique aux Français qui d'ailleurs dans l'ensemble ont compris la nécessité, et puis qu'on avance. Donc nous avons, nous entrepreneurs, si vous voulez le sentiment qu'encore une fois tous les atouts sont là. Nous allons aller à la table ronde cet après-midi.
Oui c'est le sommet pour l'emploi donc aujourd'hui qui est convoqué par le gouvernement. François Fillon rencontre les syndicats, et vous-même le Médef. Vous avez dit de cette table ronde il y a quelque temps, au début on a rapporté ce mot : que c'était une grande messe convoquée à l'occasion d'une émotion médiatique, c'est-à-dire un certain nombre de plans sociaux qui effectivement touchent les Français.
C'est d'habitude comme ça en effet qu'un gouvernement quel qu'il soit réagit à l'l'événement, mais cela dit cette réunion des partenaires sociaux autour du gouvernement pour apprécier la situation économique et sociale, est loin d'être inutile, et nous y apporterons quant à nous...
Vous avez changé d'avis.
Ce sont des détails. L'essentiel c'est que nous y apporterons un vrai plan d'action pour l'emploi des jeunes. Nous pensons que dans ces périodes difficiles, il faut s'occuper des jeunes. Dans chaque famille il y a un fils ou une fille qui s'interroge avec ses p arents : quel va être mon emploi ? qu'est-ce que je vais faire? et il faut que les entreprises se mobilisent pour apporter une réponse. Et donc nous lançons, comme nous l'avons déjà fait dans le passé, en 1993, je m'en souviens, on avait mobilisé l'ensemble des entreprises françaises sur l'emploi des jeunes, et ça a donné de vrais résultats ! Et donc nous allons apporter 200.000 entreprises qui vont se mobiliser pour l'emploi des jeunes, peut-être même plus.
Vous avez un chiffre ? vous voulez créer combien d'emplois ?
Non écoutez je crois que c'est artificiel de savoir quel sera le résultat. Nous serons jugés sur les résultats de notre action. Mais en tout cas on peut compter sur le Médef, sur les entreprises françaises, pour saisir en 2003 cette cause majeure et se mobiliser autour d'ailleurs d'instruments nouveaux mis en place par le gouvernement, notamment le contrat-jeune, mais dont il faut faire activement la promotion. Ainsi que des contrats d'alternance, l'apprentissage, les stages. Très concrètement, nous avons 165 implantations territoriales. J'étais dans les Vosges avant-hier, à Epinal, j'ai vu en effet ce que c'était aujourd'hui que la délocalisation. Elle existe comme un phénomène industriel maintenant.
Donc il faut renverser la vapeur.
Il faut renverser la vapeur et on peut compter sur le Médef pour une action déterminée et énergique.
On vous reparlera de cela dans quelque temps Monsieur Seillière, pour faire le point. Un petit mot sur la grève des fonctionnaires aujourd'hui, SNCF et Education Nationale. Le 3 avril une grande journée sur les retraites. Ca prouve quand même les résistances à ce que vous appelez de vos voeux : la réforme.
Ecoutez, si les fonctionnaires français veulent maintenir éternellement leur attitude de blocage et de refus. Ils vont accélérer le déclin du pays ! ils vont accélérer le chômage ! ils vont priver les jeunes de leurs emplois ! nous ne pouvons pas vivre dans un pays où, à tout propos.
Il faut les stigmatiser donc.
Eh bien écouter, je vais vous dire. Il ne faut stigmatiser personne. Il faut se mettre devant la réalité ! Ceux qui protestent aujourd'hui contre le chômage, et qui en même temps empêchent les gens de circuler, empêchent les gens de circuler, empêchent les marchandises d'arriver, retardent les livraisons, sont bien entendu responsables du fait que notre pays ne soit pas actuellement à l'unisson d'une croissance que tout le monde souhaite. C'est comme ça ! et donc nous le disons tout à fait clairement : que chacun prenne ses responsabilités ! et cette vieille attitude française que nous connaissons : au moindre désagrément, à la moindre contradiction, on arrête. Tout doit être inversée. Nous le disons en tant qu'entrepreneurs avec la plus grande fermeté. Bien entendu, ce sera au gouvernement de faire en sorte que l'on corrige cette attitude, et surtout nous faisons un appel aux syndicats, en leur disant : franchement, regardez avec nous la réalité, et aidez la France à réussir !
(Source http://www.medef.fr, le 20 mars 2003)