Texte intégral
(Interview au journal tcheque "Mlada Fronta Dnes" à Prague, le 28 avril 2003) :
"Tournons-nous résolument vers l'avenir"
Q - En février le président Jacques Chirac a durement critiqué les pays d'Europe centrale pour leur attitude à l'égard de la crise en Irak. Au regard de cet incident quelle est l'approche française de la coopération avec ces pays qui soutiennent souvent la politique américaine ?
R - Il est important d'éviter tout malentendu à ce sujet. La France a été à la pointe de la mobilisation pour l'élargissement afin d'effacer les divisions de l'histoire et de permettre à la grande famille européenne de se retrouver. Au sein d'une famille, chacun a naturellement la possibilité - je dirais même le devoir - d'exprimer ses convictions et de faire valoir son point de vue. Tout le projet européen repose précisément sur l'échange, le dialogue, la confrontation des idées dans le respect de l'autre.
Mais encore faut-il respecter certaines règles : une fois que ce processus a débouché sur une position commune, le principe, tel que défini par le Traité de Maastricht, est bien que chacun des membres de l'Union appuie cette position "activement et sans réserve".
Ce qui a surpris dans certaines initiatives, c'est précisément qu'elles paraissaient remettre en cause des conclusions sur l'Irak qui, par deux fois, le 27 février et le 17 mars, venaient juste d'être adoptées par consensus entre tous les Etats membres.
Q - Est-ce que la France a une vision pour l'Europe après l'élargissement, vision qui inclut l'Europe centrale comme partenaires ? Pouvez-vous la présenter ?
R - Le sens de ma présence ici, c'est précisément d'exposer les idées de mon pays pour l'avenir de l'Europe et d'écouter les vôtres, pour qu'ensemble, nos deux pays fassent avancer l'Europe vers plus d'efficacité et de cohésion.
Votre pays est désormais un membre de l'Union à égalité de droits et de responsabilités.
Avec aussi son expérience propre, ses richesses, son histoire.
L'élargissement est un moment de vérité qui souligne notre identité commune, façonnée par l'histoire, par l'épreuve de la guerre, par une communauté de valeurs, une diversité d'expériences et de traditions qui font notre richesse.
Notre vision de l'Europe est d'abord marquée par cet héritage, l'exigence de respect et de dialogue.
Notre vision, c'est ensuite celle d'une Union de nations souveraines et égales. Elle exige que nos institutions soient mieux organisées pour être plus efficaces. La Convention pour l'avenir de l'Union européenne y travaille actuellement avec une grande énergie. En impliquant pleinement, depuis longtemps, les pays candidats devenus désormais membres à part entière. A chacun d'y nourrir la réflexion.
Notre vision de l'Europe concerne enfin ses responsabilités mondiales, ce qui passe par l'ambition d'une véritable politique étrangère et de défense commune. L'Union européenne doit en effet jouer tout son rôle dans un monde articulé autour de pôles complémentaires et non rivaux.
Par ailleurs, notre Union sait défendre, au sein de l'Organisation mondiale du commerce, ses intérêts commerciaux et se faire protectrice par exemple de la diversité culturelle ; elle doit être capable de promouvoir une vision novatrice du développement durable, dans le respect de l'environnement.
Q - La crise irakienne a fortement influencé les relations entre l'Europe centrale et l'Europe de l'Ouest. Au cours de cette crise le comportement de la France a souvent été défini comme malveillant à l'égard des Etats-Unis ou comme de la pure démagogie. Comment défendriez-vous la politique française contre ces accusations ?
R - Dans la crise irakienne, la France a exprimé sa conviction et sa vision du monde. Ces idées, faut-il le rappeler, étaient partagées par une très large majorité des peuples d'Europe et des membres du Conseil de sécurité des Nations unies. Elle entend continuer à les défendre avec sérénité.
Aujourd'hui nous sommes dans une phase nouvelle, celle de la reconstruction de l'Irak. Face à ces nouveaux défis, nous avons besoin de la mobilisation de tous, loin des polémiques et des affrontements. La relation qui lie la France aux Etats Unis est celle de pays amis et alliés. Elle est ancienne, profonde, durable. Elle s'est exprimée dès l'indépendance même des Etats-Unis à laquelle la France a apporté son soutien. Elle se traduit aussi par notre attachement profond à un lien transatlantique renouvelé. Je suis convaincu que nous surmonterons et conjurerons ces divergences.
Q - La France et l'Allemagne s'attendaient évidemment à ce que l'Europe centrale soutienne leur position pendant la crise irakienne. Mais pourquoi ces pays devraient-ils soutenir un groupe de pays ou une position qui est du côté des perdants, qui ne gagne pas ? En fait, les pays d'Europe centrale devraient-ils réagir, la prochaine fois, dans une crise semblable, d'une façon différente ? Pourquoi ?
R - Il n'y a pas de "camp" en Europe ; tous nos pays sont des membres égaux au sein de l'Union. Tous ensemble, nous devons être inspirés par le souci permanent de faire avancer l'Europe en surmontant nos différences pour s'attacher à notre avenir commun.
L'adhésion de la République tchèque à l'Union, c'est un choix libre, souverain, démocratique. Le référendum des 13 et 14 juin en sera, je l'espère, la confirmation éclatante. L'Union européenne n'est pas un bloc où des "grands" s'imposeraient à des "petits". C'est un espace d'action et de solidarité. Nous l'avons observé lors des inondations de l'été dernier, quand nous nous sommes tous mobilisés pour manifester notre solidarité active.
La France et l'Allemagne, parce qu'elles ont été souvent à l'origine des guerres en Europe, ont aujourd'hui une conscience particulière de sa nécessaire unité. Elles ont souvent joué un rôle d'aiguillon, pour le bien commun, comme lors des initiatives de l'automne dernier qui ont débloqué un élargissement enlisé par des querelles budgétaires. Leur objectif est bien d'uvrer, avec vous, au succès commun du projet européen. Autour d'une ambition, qui est de faire de notre continent un pôle de paix, de prospérité et de rayonnement.
Q - Au cours de la crise irakienne la France a souvent été accusée de tenter "d'apaiser" le dictateur de Bagdad de la même façon qu'en 1938. Ainsi, est-ce que votre pays veut effectivement traiter avec des tyrannies sanguinaires et dangereuses et des dictatures telles que celle de Saddam Hussein ?
R - Là encore, soyons clairs : nous n'avons cessé de dénoncer la dictature de Saddam Hussein et nous nous réjouissons de sa chute. Notre choix, celui de la légalité internationale, n'est certainement pas celui de la complaisance. Il est fondé au contraire sur la conviction que, pour être efficace dans la durée, l'action internationale doit reposer sur la légalité et la responsabilité collective. A nos yeux, ces principes demeurent la garantie pour assurer une stabilité dans cette région du Moyen-Orient où se juxtaposent tant de tensions et de fractures. Votre pays, les nations d'Europe, ont trop souffert au cours de ce siècle sanglant, du piétinement du droit, de la dictature et du règne de la loi du plus fort ! Sachons tirer, pour le monde que nous voulons demain, les leçons de l'histoire.
Q - Pensez-vous, comme de nombreux médias l'ont prétendu après la chute de Bagdad, qu'avec l'élimination du régime de Saddam Hussein la position des Etats-Unis pendant la crise irakienne était justifiée - et celle de la France quelque peu invalidée ? Comment réagiriez-vous face à de telles arguments ?
R - Je reste convaincu que le rôle des Nations unies sera central si nous voulons parvenir à une stabilisation de l'Irak et plus généralement de la région, en nous donnant toutes les chances. Le vrai défi que pose l'Irak à la communauté internationale, c'est notre capacité commune à construire la paix. Aucun pays ne peut y parvenir seul. Il faut donc le faire ensemble. Tournons-nous résolument vers l'avenir.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 avril 2003)
(Point de presse conjoint à Prague, le 28 avril 2003) :
Permettez-moi tout d'abord de vous dire tout le plaisir que j'ai d'être aujourd'hui à Prague. Ma visite en République tchèque est la première dans un pays adhérent depuis le Sommet d'Athènes. J'ai eu le plaisir de m'entretenir ce matin avec le président Klaus, avec le Premier ministre M. Spidla, avec le président du Sénat, M. Pithart ainsi qu'avec mon collègue et ami Cyril Svoboda. J'ai eu le plaisir aussi de pouvoir débattre avec un certain nombre de personnalités de la société civile tchèque qui m'ont permis de mieux comprendre, de mieux écouter, de mieux sentir quelles étaient les préoccupations, les visions, les inquiétudes, qui pouvaient ici s'exprimer devant l'horizon européen.
Il existe entre nos deux pays des liens particuliers, tissés par l'histoire, par la culture, je pense en particulier à Chateaubriand, à Claudel, à Apollinaire, à beaucoup d'écrivains et d'artistes qui ont échangé entre nos deux pays. Il y a en France un intérêt profond pour la République tchèque, le souci de mieux comprendre et de découvrir ce pays ; je pense que c'est un gage important dans nos relations bilatérales.
La France, vous le savez, a été à la pointe de la mobilisation en faveur de l'élargissement. Elle se réjouit de ces retrouvailles au sein de la grande famille européenne qui nous permet d'effacer les divisions de l'histoire. Il est important que nous puissions mettre en avant, développer nos affinités. Nos deux pays ont vocation à jouer un rôle important pour porter ensemble notre ambition européenne dans le cadre d'une union que nous voulons à la fois forte, démocratique, efficace, cohérente. Et dans cet esprit je souhaite que le référendum des 13 et 14 juin confirme l'engagement européen du peuple tchèque.
La République tchèque est au cur de l'Europe et nous attachons une importance essentielle au dialogue entre nos deux pays, et ceci d'autant plus étant donné les défis que l'Europe doit relever ; nous avons tous observé les divisions des derniers mois, nous avons tous observé les difficultés du monde. Les défis que nous devons relever ensemble sont essentiels pour l'ensemble de notre communauté.
Je veux rappeler que pour la France, et je sais que c'est la même chose pour la République tchèque, l'Europe est une communauté de vie et de destin. Chacun dans cette communauté se situe dans une égalité de droits et de devoirs. Dans cette union il n'y a pas d'un côté les pays anciens et les pays plus jeunes, il n'y a pas l'ancienne Europe, la vieille Europe et la nouvelle Europe, il n'y a pas les grands et les petits Etats, il n'y a pas ceux qui auraient à tirer profit de l'avenir et ceux qui au contraire seraient handicapés. Nous sommes convaincus que cette Europe, c'est d'abord un principe de solidarité, de communauté qui doit s'exprimer. C'est vrai, évidemment, entre Etats membres, nous l'avons vu l'été dernier lors des inondations de Prague où l'Europe s'est mobilisée, nous l'avons vu aussi entre les régions moins favorisées de l'Europe où il y a ce souci constant de cette Europe d'apporter son soutien, nous l'avons vu aussi entre les différentes catégories de population de l'Europe - je pense en particulier à la Politique agricole commune qui permet de rétablir le lien avec le monde rural.
Notre union est bien davantage, et c'est la deuxième leçon que je veux tirer, qu'une simple zone de libre-échange. Il s'agit dans l'esprit des pères fondateurs de notre union d'une ambition qui doit mettre en avant nos valeurs, une certaine vision du monde, une certaine vision de notre communauté et de ce qui nous relie les uns aux autres.
Pour répondre à cette ambition, qui prend un élan nouveau avec l'élargissement, il est essentiel de doter l'Union européenne d'institutions fortes, qui puissent être à la fois efficaces, démocratiques et transparentes, parce que nous avons besoin du soutien de l'ensemble de nos peuples. Nous ne visons pas à construire une Europe abstraite qui soit uniquement dans l'intérêt de quelques dirigeants. C'est une Europe qui veut répondre aux problèmes, aux préoccupations de nos peuples, de nos citoyens. Tel est l'objet de la Convention pour l'avenir de l'Europe que préside M. Giscard d'Estaing.
J'ai exposé aux autorités tchèques les raisons qui nous conduisaient à souhaiter une présidence du Conseil européen stable, une commission forte, un parlement renforcé. Dans l'esprit de la France, il s'agit de renforcer chacune des institutions européennes.
Pourquoi ? Tout simplement parce qu'il ne s'agit pas de répartir différemment les pouvoirs actuels des institutions européennes, il s'agit de permettre à l'Europe de répondre aux problèmes nouveaux, beaucoup plus nombreux, et de donner une ambition plus importante à cette Europe, ce qui signifie qu'il nous faut une Commission plus forte, un Conseil européen plus fort, un Parlement européen plus fort. Dans ce contexte, nous le voyons bien, cette ambition exige que nous soyons capables de nous doter à la fois d'instruments et de procédures plus efficaces. Nous ne pouvons pas gérer l'Europe à vingt-cinq comme nous pouvions le faire, difficilement dans certains cas, à quinze.
J'ai redis l'ambition qui était la nôtre de voir l'Europe s'affirmer comme un acteur majeur sur la scène internationale. Tout ceci bien évidemment doit se faire en complémentarité avec nos grands partenaires, et je pense en particulier à nos amis américains. Il s'agit, en complémentarité, d'avancer, de renforcer les relations transatlantiques tout en développant l'identité européenne et je compte dès cette semaine, lors de la réunion informelle du Gymnich, aborder cette nécessité de conforter les relations transatlantiques tout en développant ce pôle de stabilité européen. Vous savez que se tient demain le Sommet des Quatre sur la défense, c'est un processus qui est ambitieux certes, mais qui est surtout transparent et ouvert à l'ensemble des partenaires des Vingt-cinq, et qui se situe dans le cadre des institutions et dans le cadre de l'ambition européenne.
Cette visite a naturellement été l'occasion de faire un bilan de notre coopération et de marquer notre volonté commune de franchir une nouvelle étape dans les relations entre la République tchèque et la France. Vous le savez, la saison culturelle tchèque a été un grand succès. Elle sera relayée par un programme de soutien à l'industrie du cinéma. De la même façon, la défense de la francophonie est un défi que nous devons relever ensemble. Je me réjouis à cet égard de nos efforts conjoints pour développer l'enseignement du français en République tchèque, et nous voulons prendre des initiatives dans le rapprochement entre nos administrations, dans le rapprochement entre les responsables de nos deux pays, pour faire en sorte que nous développions une conscience commune, une ambition commune entre nos deux pays.
Je me félicite de voir, sur le plan économique, que la France est devenue le quatrième investisseur en République tchèque. Plusieurs de nos entreprises ont constitué véritablement un pôle de développement dans votre pays. De nombreux contrats et perspectives sont en discussion ; je pense en particulier à Airbus, je pense à Alcatel, je pense à Eurocopter. Il y a là tous les éléments d'un dynamisme entre nos deux pays que nous voulons bien évidemment développer.
* * *
Q - Vous avez dit, Monsieur le Ministre, que l'Europe signifie avoir tout en commun. Alors j'aimerais savoir pourquoi ce mini-sommet des quatre pays ? Et pourquoi ne pas avoir invité les autres pays, y compris les pays candidats ? J'estime que le dispositif militaire des pays candidats est plus important que celui du Luxembourg. Et ma deuxième question s'attache à la première : il y a des spéculations selon lesquelles ce "mini-sommet" représente la constitution d'un nouveau noyau dur ou d'une avant-garde. J'aimerais savoir ce que la France, l'Allemagne, la Belgique et le Luxembourg nous apporteront de nouveau à la prochaine réunion ?
R - Merci d'abord de votre question. J'ai eu l'occasion de m'en entretenir avec l'ensemble des responsables de la République tchèque, d'où l'importance de voyager, de dialoguer et de se parler. En effet, ce sommet des Quatre, que vous qualifiez de mini-sommet, a une ambition : et c'est le fruit d'un long travail qui a été commencé en 1991 à travers les initiatives prises par le chancelier fédéral allemand et le président français. Il y a eu de nombreuses étapes à travers les différents sommets (Saint-Malo, Nice, Laeken), il y a eu une contribution franco-allemande, soutenue, vous le savez, par la Belgique, pour envisager la création d'une union de sécurité et de défense commune, et il y a eu l'initiative prise par le Premier ministre belge dans le cadre de la lettre qu'il a écrite en juillet à l'ensemble de nos collègues. Donc il y a un souci, la conscience de la nécessité de faire plus dans le domaine de la sécurité et de la défense. La réunion qui va se tenir demain vise à constituer la première étape d'un processus. Et je vous demande de bien comprendre ce qu'est un processus : cela veut dire qu'il s'agit d'avancer sur un chemin, à partir d'une ambition, en faisant en sorte que ce processus puisse, de façon continue, s'approfondir et s'agrandir. Et c'est pour cela que je l'ai dit, ce processus doit être ambitieux, il doit être transparent (et nous présenterons à l'ensemble de nos collègues européens lors de la réunion du Gymnich de la fin de la semaine tous les éléments qui auront pu être débattus lors de cette réunion), et ce processus doit être ouvert. C'est-à-dire que tous les membres de l'Union européenne, tous les membres des Vingt-cinq qui souhaiteront y participer sont les bienvenus. L'objectif une fois de plus est de créer un mouvement, partant d'une évidence : c'est que nous vivons dans un monde marqué par l'insécurité, et qui donc suppose que chacun d'entre nous prenne sa responsabilité. Nous ouvrons ce chemin, nous discutons ensemble, et nous allons faire des propositions à l'ensemble de nos partenaires. Tous nos partenaires, informés de ces propositions, pourront rejoindre, dans une très prochaine étape, à l'occasion d'un rendez-vous que nous pourrons fixer ensemble, ce processus que nous enclenchons. Donc, dans le cadre de l'Union européenne, dans l'esprit de l'Union européenne, dans les mécanismes de l'Union européenne qui, à la suite du Traité de Maastricht, prévoit la possibilité d'avancer dans le cadre de coopérations renforcées, vous voyez bien qu'il s'agit tout simplement d'assumer nos responsabilités. Que ce processus puisse être initié par quatre pays ne signifie pas du tout qu'il s'agisse de creuser un fossé à l'intérieur de cette Europe. Au contraire, il s'agit d'avancer.
Nous nous engageons, nous nous mobilisons sur ce chemin avec le souci que chacun puisse y participer. Je pense à un pays comme la Grande-Bretagne avec laquelle la France travaille depuis de nombreuses années, - et je pense au Sommet de Saint-Malo, je pense au Sommet du Touquet qui nous a conduit à prendre des initiatives ensemble -, nous souhaitons que tous les Etats, tous ceux qui considèrent que la sécurité et la défense doivent constituer une véritable priorité se mobilisent et une fois de plus, ce processus est ouvert, c'est bien l'esprit de l'Europe : à la fois l'initiative, l'ouverture et la solidarité.
Je précise que dans ce processus, tout est fait avec le souci bien évidemment d'agir en étroite concertation et en étroite harmonie avec l'Alliance atlantique. Il ne s'agit pas de bâtir un processus concurrent mais bien au contraire d'éviter les duplications et d'affirmer la responsabilité de l'Europe. Donc notre souci est justement de renforcer l'OTAN en faisant en sorte que les Européens soient mieux à même de prendre leurs propres responsabilités.
Q - Monsieur le Ministre, interrogé, je dirais même, interpellé ce matin par les universitaires tchèques sur le poids respectif des grands et des petits pays dans l'Union européenne, c'est-à-dire sur la démocratie dans l'Union européenne, vous avez beaucoup insisté sur la nécessité d'une présidence de longue durée du Conseil européen. Vous n'avez en revanche pas dit un mot, pas un seul, de l'élection du président de la Commission par le Parlement, c'est-à-dire d'une proposition franco-allemande qui date de janvier. Etait-ce un oubli ou est-ce que la position de la France a changé ?
R - Je suis heureux de vous dire que la position de la France reste la même, c'est une évidence. Nous avons fait avec nos amis allemands une contribution commune sur ce sujet et nous l'avons dit et redit : notre souhait est de renforcer chacune des institutions. C'est vrai du Conseil européen, c'est vrai de la Commission et c'est vrai du Parlement européen. C'est parce que l'Europe doit relever de nouveaux défis, c'est parce que l'Europe doit élargir le champ de ses responsabilités que nous avons besoin de ces institutions fortes. En effet, l'Europe n'est pas un gâteau à se partager entre trois pouvoirs. C'est un espace de responsabilités nouveau qu'il faut investir. Pour cela nous avons besoin que chacune des institutions puisse prendre toute sa part, et si nous insistons sur l'importance de doter l'Europe d'une présidence continue, stable, du Conseil européen, c'est tout simplement parce que nous constatons, à l'expérience, la nécessité de ne pas avoir une présidence du Conseil européen à éclipses. Dans une Europe à vingt-cinq, prenons conscience des changements qui interviennent du fait même de l'accroissement du nombre des pays partenaires. Si nous avons un président qui est partagé entre ses responsabilités nationales et ses responsabilités européennes, il risque alors de connaître les intermittences du cur, qui sont si fréquemment chantées par les poètes. Il faut éviter les intermittences, le cur doit fonctionner et battre à un rythme régulier. La responsabilité doit s'assumer tous les jours, sept jours sur sept, 365 jours par an. Parce que les défis que nous avons à relever ensemble sont des défis essentiels.
Vous avez parlé de démocratie, Dieu sait si nous sommes attachés à cette exigence démocratique, pour l'ensemble de nos Etats, c'est le bien le plus précieux que nous ayons en commun, c'est cela même qui fonde les valeurs que nous avons en partage. L'esprit de la démocratie européenne, le respect, la tolérance, le dialogue entre nous, ce sont les éléments clés à l'intérieur d'une famille.
Certains ont trouvé que le président de la République française l'exprimait un peu fortement à l'occasion des divisions qui ont pu marquer certains pays européens à l'occasion de la crise irakienne. Qu'à voulu dire le président Jacques Chirac ? Il a voulu tout simplement dire que dans une famille, car nous formons une seule et même famille, nous devons avoir en tête, et pour souci, de privilégier ce qui nous unit plutôt que de mettre en avant ce qui nous divise. C'est dire que, évidemment, chacun, non seulement a le droit et le devoir de s'exprimer, mais que nous devons faire en sorte que notre concertation, notre dialogue débouchent sur des solutions constructives pour l'ensemble de l'Europe. C'est cela l'objectif de l'Europe : c'est de dépasser les capacités et les sentiments de chacun. Parce que, au-delà de chacun d'entre nous, il y a quelque chose d'encore plus fort. C'est ce qu'exprime notre communauté. Et nous devons donc avoir à cur, à chaque étape, d'accroître nos contributions. Et ce qui nous a gênés, en l'occurrence dans le cadre de la crise irakienne, c'est que l'on puisse quelques jours après l'expression d'une position commune des Européens, paraître remettre en cause les principes sur lesquels nous étions tombés d'accord.
Donc je crois qu'il faut à la fois bien se convaincre que nous sommes de la même famille, à égalité de droits et à égalité de devoirs, mais avec un souci constant et permanent : permettre à l'Europe d'avancer, permettre à l'Europe de peser de tout son poids, permettre à l'Europe d'assumer ses responsabilités. C'est dire que le dialogue doit exister non seulement entre les dirigeants de l'Europe, mais aussi entre les peuples de l'Europe. C'est la richesse de l'Europe que la diversité de nos sensibilités, la diversité de nos traditions. Il y a en Europe une aspiration du Nord, il y a une aspiration continentale, il y a une inspiration atlantique, il y a une aspiration méditerranéenne et africaine.
Tout cela c'est la chance de l'Europe. Sachons en faire bon usage.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 avril 2003)
(Interview à la télévision publique tchèque à Prague, le 28 avril 2003) :
Q - Monsieur le Ministre, quelle est la vision française du futur de l'Europe ? Une Europe fédérale, plutôt une Europe forte, des nations plutôt faibles, une Europe des nations forte ?
R - L'idée de la France est d'avancer avec un projet ambitieux. C'est-à-dire à la fois une union d'Etats et en même temps une union de nations, une fédération d'Etats-nations. Donc vous voyez bien que l'idée est d'être capable de relever les grands défis du monde, et nous voyons qu'ils sont multiples : le terrorisme, les questions de prolifération, les graves crises régionales. Il y a de nombreuses difficultés auxquelles notre monde est confronté et la conviction de la France est que nous avons besoin d'une Europe forte, stable, capable de multiplier les échanges en son sein, mais capable aussi de jouer tout son rôle à l'extérieur. Donc ce pôle de développement, de prospérité, de valeurs communes doit être mis au service d'une ambition commune.
Avec le passage de l'Europe à quinze, nous avons déjà fait beaucoup de chemin depuis les pères fondateurs de l'Europe à six. Avec l'ouverture aujourd'hui à une Europe à vingt-cinq - et c'est un moment très important pour notre histoire commune - nous effaçons les divisions, les malheurs de l'histoire.
Tous ensemble, nous allons pouvoir nous tourner résolument vers l'avenir et de ce point de vue, les relations entre la République tchèque et la France sont d'autant plus fortes qu'elles sont assises sur un long héritage, une longue tradition. Nous avons en commun une affection, une connaissance communes. Tout ceci doit être mis au service de cette Europe, bien sûr pour consolider les grandes politiques de l'Europe. On les connaît : dans le domaine régional, dans le domaine agricole, dans le domaine commercial, mais aussi pour avancer dans de nouveaux domaines. C'est le cas de la politique étrangère commune, c'est le cas de la politique de sécurité, c'est le cas d'une politique de défense ; et l'initiative prise par quatre pays européens, qui conduira au Sommet de demain de Bruxelles, se situe dans le cadre d'une vision ouverte, transparente de cette Europe où toutes les volontés doivent nous permettre d'avancer. C'est pour cela que nous sommes optimistes, parce que nous pensons que quelles que soient les divisions qui ont pu se faire jour au cours des derniers mois, en Europe, chez nos peuples, chez nos dirigeants, une volonté très forte d'avancer et de travailler ensemble, parce que tout simplement les valeurs qui sont les nôtres sont des valeurs très fortes, des valeurs de solidarité, des valeurs de fraternité, des valeurs de démocratie, et que nous voulons les partager.
Q - Donc il n'y aura pas un conflit entre les "petits" et les "grands" dans cette grande discussion sur l'avenir de l'Europe ?
R - Il n'y aura pas de conflit entre les "petits" et les "grands". Il n'y aura pas de conflit entre les anciens membres de l'Europe et les jeunes, nouveaux membres de l'Europe, il n'y aura pas un conflit entre la vieille Europe et la nouvelle Europe. Tout simplement parce que dans une famille, ce qui compte c'est l'égalité de chacun, et que nous pensons que cette Europe est plus forte de la diversité des expériences, donc nous nous réjouissons des traditions que chacun apporte, des réflexions que chacun apporte, des cultures que chacun apporte. C'est tout cela qui fait la diversité de l'Europe.
L'Europe ne ressemble à aucune autre région, parce qu'il y a entre nous quelque chose qui dépasse chacun d'entre nous. C'est la volonté de vivre ensemble, ce sont les mêmes idéaux que nous partageons et que nous avons envie de partager avec d'autres. L'Europe est en quelque sorte un trait d'union entre plusieurs mondes, et que ce soit l'inspiration d'une Europe du Nord, l'inspiration d'une Europe atlantique, l'inspiration d'une Europe tournée vers la Méditerranée, tournée vers le Maghreb et vers l'Afrique, d'une Europe tournée vers l'intérieur du Continent, cette diversité est une chance pour l'Europe. Donc nous avons beaucoup de travail devant nous et je suis sûr que l'ensemble de nos peuples attend justement que nous relevions ensemble ce défi.
Q - Justement nous avons été témoins d'un petit malentendu avec ceux dans l'Europe qui voient aussi l'importance des liens transatlantiques. N'y aura-t-il pas non plus dans l'Europe de l'avenir une petite divergence à ce propos ?
R - Sur la difficile crise irakienne à laquelle vous faites allusion, il y a eu bien sûr dans la phase diplomatique des divergences sur la façon dont il convenait d'aborder les choses, et la France a défendu avec force l'idée qu'il était possible d'avancer dans la voie d'un désarmement pacifique de l'Irak. Mais vous avez remarqué que dans la phase de la guerre, nous avons travaillé dans le souci de l'unité, dans le souci de la modération et de la responsabilité qui permettaient d'aborder dans les meilleures conditions cette guerre qui a conduit à l'effondrement de la dictature de Saddam Hussein, dont nous nous sommes réjouis.
Aujourd'hui, nous entrons dans une nouvelle phase. C'est cette phase-là qui va nous permettre de construire la paix en Irak mais aussi dans l'ensemble du Moyen-Orient. Dans cette phase-là, c'est l'unité qui doit l'emporter, c'est l'unité en Europe, l'unité dans nos relations avec les Etats-Unis, car nous pensons que les relations transatlantiques sont tout à fait essentielles à la stabilité du monde, donc l'idée de la France est de bien travailler dans un monde où il y ait plusieurs pôles, un monde multipolaire, mais qui doivent êtres des pôles de stabilité et non pas des pôles de rivalité. Nous pensons qu'entre l'Europe et les Etats-Unis c'est la complémentarité qui doit l'emporter. Nous devons tous porter notre part de responsabilité, affirmer notre identité, mais nous devons le faire dans la complémentarité.
Q - Est-ce qu'il y a aura une réaction de la part du gouvernement français aux propos de quelques membres du gouvernement américain selon lesquels la position d'avant-guerre de la France ne devrait pas rester sans conséquences ? Comment réagira la France ?
R - Nous l'avons dit clairement : les Etats-Unis et la France sont des pays amis et alliés, et ce de très longue date. Vous savez la part qu'a prise la France dans la lutte d'indépendance des Etats-Unis, vous savez le soutien et la participation des Etats-Unis à la libération de la France et le rôle joué tant dans la première guerre que dans la deuxième guerre mondiale. Donc il y a une très grande lucidité, une très grande solidarité qui existent entre nos deux pays. Ce qui est important, c'est de nous tourner vers l'avenir. Pour construire la paix, il faut le faire dans l'unité, il faut le faire dans la solidarité. Nous en sommes convaincus : les relations qu'entretiennent nos deux pays, les échanges entre le président Chirac et le président Bush, le travail régulier que j'entretiens avec Colin Powell, tout ceci doit nous permettre d'avancer vers la recherche de solutions communes. Nous le savons tous : pour répondre aux défis de l'Irak - une reconstruction politique, une reconstruction économique, une reconstruction sociale -, il faut que chacun de nos Etats apporte son concours, apporte ses solutions, ses propositions, parce qu'il faut l'unité pour avoir la légitimité et l'efficacité.
Q - Est-ce qu'il y aura dans ce sens encore une possibilité de mettre l'ONU au centre des activités de reconstruction de l'Irak ?
R - Je crois que nous avons tous le souci de donner son plein rôle aux Nations unies. La Grande-Bretagne et les Etats-Unis parlent de rôle vital, nous parlons de rôle central, nous sommes d'accord pour cette contribution de l'ONU, qu'elle est la seule à pouvoir donner dans un grand nombre de domaines, compte tenu de son expérience, compte tenu de cette légitimité. Notre souci est d'être ouverts et pragmatiques, et sur chacun des grands problèmes auxquels nous sommes confrontés - je pense à la question humanitaire, nous avons voté la résolution 1472 à l'unanimité des membres du Conseil de sécurité, je pense à la question de la sécurité, où il y a une responsabilité particulière des forces de la coalition sur le terrain, je pense aux questions du désarmement, je pense à la question des sanctions pour laquelle la France a fait des propositions pour suspendre les sanctions et aboutir à la recherche de solutions, je pense à la question difficile de la constitution d'une autorité irakienne qui permettra à l'Irak d'assurer pleinement sa souveraineté - sur tous ces points, les Nations unies ont un rôle important à jouer, l'ensemble de nos pays, l'Europe a un rôle important à jouer et la concertation doit être très étroite avec tous les pays de la région. J'étais il y a quelques jours au Moyen-Orient où j'ai effectué deux séjours pour rencontrer les pays voisins de l'Irak ainsi que tous les pays de cette région qui veulent être associés à la reconstruction de l'Irak. Nous devons travailler dans l'unité de la communauté internationale, car la paix et la justice ne sont pas divisibles. Il nous faut avancer vers la recherche d'une solution en Irak, il nous faut avancer vers la recherche d'une solution au douloureux conflit du Proche-Orient pour pouvoir ainsi répondre à l'attente des peuples, attente du peuple israélien concernant sa sécurité, attente du peuple palestinien concernant la justice et la possibilité d'aboutir à la création d'un Etat palestinien capable de vivre en paix et en sécurité aux côtés d'Israël.
Q - Monsieur le Ministre, on a entendu trop fréquemment les médias mondiaux accuser la France de défendre surtout ses propres intérêts économiques dans cette philosophie politique envers le problème irakien. Est-ce que vous pouvez dire où est la vérité ?
R - Vous savez, la vérité est du côté des principes. La France a toujours défendu, tout au long de son histoire, les grands principes : principe de la morale, principe de la légalité internationale. Le commerce entre l'Irak et la France n'a jamais été tout au long de ces années qu'autour de 0,2 - 0,3 %. C'est vous dire que c'est infinitésimal. La France n'a été guidée dans toute cette crise, et ne sera guidée tout au long des prochains mois, que par le souci de faire avancer l'exigence de la paix, de faire aujourd'hui avancer l'exigence de la reconstruction.
Nous pensons qu'il faut penser au peuple irakien d'abord et nous sommes soucieux - et c'est vrai que cela a pesé dans la position française - nous sommes soucieux de la façon dont la communauté internationale gère les crises. Car nous pensons qu'il est important que chacun puisse prendre ses responsabilités dans le respect et la tolérance vis-à-vis des opinions de l'autre. Nous pensions qu'il était possible d'avancer sur la crise irakienne pour obtenir un désarmement pacifique de l'Irak et les positions et les expressions des inspecteurs dans le cadre des Nations unies avaient montré que cela était possible. Cela appartient maintenant au passé, nous devons nous tourner vers l'avenir. Nous avons en permanence un souci : c'est d'éviter que les problèmes du monde ne conduisent à un choc des cultures, à un choc des religions, à une confrontation des civilisations. C'est pourquoi la position qu'a adoptée la France, dont je vous rappelle qu'elle a été soutenue par la grande majorité de la communauté internationale, par la grande majorité du Conseil de sécurité, cette position de la France est d'abord guidée par le souci d'éviter cet affrontement. Si nous voulons que le terrorisme puisse reculer, si nous voulons que le dialogue entre les peuples du monde puisse avancer, nous avons besoin constamment d'essayer de mettre la paix d'abord, la concertation d'abord pour essayer de régler les problèmes. La conviction de la France, c'est que la force, la guerre ne peuvent être qu'un dernier recours. C'est pour cela que notre souci est que la communauté internationale travaille davantage ensemble, que les Européens travaillent davantage ensemble. Parce que nous pensons que par la concertation, par la mobilisation, nous pouvons trouver des réponses qui évitent de créer de nouveaux abcès sur la scène internationale.
Q - Est-ce que vous avez trouvé, pendant ce premier entretien avec les hommes politiques tchèques, surtout le président de la République, plutôt des points communs que des différences d'opinions ?
R - Il y a entre la France et les autorités tchèques une très grande convergence de vues. Nous avons les mêmes préoccupations concernant la situation internationale, la situation européenne, et nous avons la même exigence : c'est d'aboutir à l'unité de l'Europe et à l'unité de la communauté internationale, car cette unité est la condition de l'efficacité. Si nous travaillons ensemble, nous pourrons relever les défis en Irak, au Proche-Orient, en Europe. Et je crois que les peuples européens, dans leur grande sagesse, tout au long des derniers mois, nous ont dit un message très fort et très important : entendez-vous, unissez-vous, travaillez ensemble, répondez à nos préoccupations et aux préoccupations du monde. Nous voulons le faire bien sûr dans le respect de grands principes, car nous pensons que le monde doit obéir à un certain nombre de règles. Et nous devons éviter d'avoir deux poids, deux mesures, nous devons éviter l'incompréhension entre les cultures, nous devons éviter l'intolérance, le racisme, l'antisémitisme. Ces valeurs, ce sont les valeurs de tous les Européens. C'est pour cela que nous pensons qu'il est possible de faire des défis, des difficultés des derniers mois une chance pour toute l'Europe et pour tous les Européens. Donc le message de la France est : travaillons ensemble, retroussons nos manches et avançons pour construire un monde plus juste, un monde plus stable, un monde meilleur.
Q - Je voudrais revenir à cette phrase malheureuse du président Jacques Chirac qui nous conseillait de ne pas dire des choses qui diffèrent beaucoup de l'avis de la France et l'Allemagne. C'était il y a longtemps mais c'est assez vif pour les médias de l'Europe centrale et orientale. Est-ce que vous croyez que la France peut remédier de quelque façon à l'impression que cela a laissé ?
R - Vous avez raison de dire "impression". Il y a eu un malentendu autour de ce qu'a dit le président de la République, qui est marqué par l'exigence de franchise et l'exigence d'amitié. Dans une famille on se parle franchement, quand on a un ami on lui dit des choses parfois exigeantes, difficiles, fortes. Qu'a dit le président de la République ? Le président de la République n'a pas dit que tel ou tel n'avait pas le droit d'émettre une opinion. Il a dit : dès lors que nous faisons partie de la même famille, faisons en sorte de privilégier ce qui nous unit, évitons de nous diviser, donc parlons-nous avant de prendre des initiatives qui sont susceptibles de nous diviser. Je vous rappelle que quand le président de la République a dit cela, avant même que des initiatives diplomatiques - on a parlé à l'époque de la "lettre des huit" ou de la "lettre de Vilnius" - ne soient prises, l'Europe avait parlé d'une seule voix sur l'Irak. Nous avions travaillé pour avoir une position commune, et ces initiatives ont donné le sentiment que l'Europe se divisait. Donc, ce que nous disions c'est : essayons ensemble d'avoir un code de bonne conduite, car rien n'est plus important pour la France que la concertation entre nous, l'unité entre nous, la solidarité et l'amitié entre nous. Donc ne voyez dans les propos du président de la République que des propos fraternels, car, vous savez, quand on dit des choses fortes, c'est qu'on a de l'estime, de l'amitié, c'est qu'on attend beaucoup de celui à qui on les dit. La France, vis-à-vis des pays qui aujourd'hui sont dans notre famille, de ces dix pays, a une immense attente. Nous avons été parmi les Etats de l'Europe ceux qui ont le plus espéré et le plus attendu cette heure, et qui avons travaillé jour après jour pour que cela devienne possible. Donc il ne faut pas se méprendre, le message de la France est à la mesure de l'attente que nous avons vis-à-vis de chacun de ces Etats. Et j'ai parlé de fraternité avec la République tchèque. Nous partageons ensemble les mêmes couleurs sur notre drapeau national, nous avons un héritage culturel, dans tous les domaines : la littérature, la peinture, la musique, nous avons des échanges humains entre nous, entre nos deux sociétés et nos deux peuples. Nous attendons beaucoup. Et ne voyez dans les propos de la France peut-être qu'un peu d'impatience dans l'envie et dans l'attente que cette Europe joue tout son rôle et le joue ensemble.
Q - Cette réunion de demain ne sera-t-elle pas une autre occasion pour diviser l'Europe ?
R - Pas du tout, je dirais même au contraire. La réunion de demain est une réunion qui se situe dans le cadre d'un processus. Voilà des années que nous réfléchissons et que nous travaillons sur la constitution d'une politique de défense. La réunion de demain est une nouvelle étape dans un processus qui a commencé en 1991 avec le chancelier fédéral allemand et le président français. Il y a des propositions qui ont été faites par la France et par l'Allemagne dans le cadre de la Convention sur la création d'une union de sécurité et de défense européenne. Il s'agit demain d'engager un processus, ce processus doit être à la fois ouvert, transparent et ambitieux. Donc, demain, ce que nous allons faire, c'est de proposer à l'ensemble de nos partenaires de s'associer pour avancer dans la voie de cette politique de sécurité et de défense commune.
Q - Quant à la coopération de l'OTAN et de l'Union européenne dans le domaine de la défense, ça ne causera pas de problèmes ?
R - Absolument pas, au contraire. L'idée est qu'il faut renforcer les liens transatlantiques, il faut permettre à l'OTAN de jouer tout son rôle, mais pour cela il faut aussi que les Européens prennent leurs responsabilités, il faut que nous affirmions notre identité dans le domaine de la sécurité et de la défense.
Donc, au contraire, l'idée est que nous soyons capables d'éviter les duplications et que nous soyons capables de nous mobiliser ensemble. L'Alliance atlantique, l'OTAN en sortira plus forte et l'Europe en sortira plus forte. Donc ce n'est pas de rivalité qu'il s'agit, c'est bien de complémentarité. Il s'agit, compte tenu de la situation du monde, de faire en sorte que l'Europe prenne la mesure des défis et travaille ensemble. Nous le voyons sur les questions de terrorisme, nous le voyons sur les questions de prolifération, et nous le voyons dans toutes les crises du monde. Il est nécessaire que l'Europe puisse avancer dans la voie de cette union de sécurité et de défense. Et une fois de plus : tous les pays qui voudront participer pourront le faire.
Q - Quel est le but concret de votre visite ici à Prague, maintenant que les négociations de l'adhésion à l'Union européenne sont finies et que le Traité est signé ?
R - Eh bien, maintenant tout commence ! Il faut maintenant dans cette famille, ensemble, que nous travaillions. Que nous travaillions pour l'Europe, que nous travaillons pour les peuples de l'Europe et tous les dossiers qui sont sur la table, les dossiers du monde, les dossiers de l'Europe, eh bien nous devons les faire avancer. Donc juste après m'être rendu à Athènes mon souci a été de venir ici, en République tchèque, pour m'informer, pour écouter, pour travailler, nous concerter avec les autorités tchèques, parce que c'est bien ensemble que nous voulons trouver des solutions aux problèmes de l'Europe, des solutions aux problèmes du monde
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 avril 2003)
(Interview à France Info à Prague, le 28 avril 2003) :
Q - (au sujet du sommet de Bruxelles à quatre sur l'Europe de la défense)
En prenant le risque calculé de mécontenter la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, la France fait un pari, celui de voir une majorité de pays européens rejoindre progressivement ce projet de consolidation d'une défense commune ?
R - Ce processus doit être ouvert, c'est-à-dire que tous les membres de l'Union européenne, tous les membres des Vingt-cinq qui souhaiteront y participer, sont les bienvenus. Que ce processus puisse être initié par quatre pays ne signifie pas du tout qu'il s'agisse de creuser un fossé à l'intérieur de cette Europe. Au contraire. Nous souhaitons que tous ceux qui considèrent que la sécurité, la défense, doivent constituer une véritable priorité, se mobilisent. Tout est fait avec le souci, bien évidemment, d'agir en étroite concertation et en étroite harmonie avec l'Alliance atlantique. Il ne s'agit pas de bâtir un processus concurrent, mais bien au contraire, d'éviter les duplications et d'affirmer la responsabilité de l'Europe. Notre souci, c'est justement de renforcer l'OTAN en faisant en sorte que les Européens soient mieux à même de prendre leurs propres responsabilités.
Q - (au sujet des informations de la presse anglaise selon lesquelles Paris aurait informé régulièrement Bagdad de ses conversations avec Washington)
R - Ma réaction est très simple. Je demande à ce que sur tous ces sujets nous soyons sérieux. Chacun connaît les objectifs de la diplomatie française, chacun connaît l'absence totale de complaisance de la France vis-à-vis de la dictature de Saddam Hussein et je veux simplement qu'on évite de se fier à des rumeurs, à des ragots et qu'on se concentre sur l'essentiel, l'avenir de la reconstruction de l'Irak. Je peux vous dire que la France a agi en permanence dans le souci de la transparence, dans l'intérêt de la région et qu'à aucun moment évidemment, je ne peux donner un quelconque crédit à ces informations.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 avril 2003)
"Tournons-nous résolument vers l'avenir"
Q - En février le président Jacques Chirac a durement critiqué les pays d'Europe centrale pour leur attitude à l'égard de la crise en Irak. Au regard de cet incident quelle est l'approche française de la coopération avec ces pays qui soutiennent souvent la politique américaine ?
R - Il est important d'éviter tout malentendu à ce sujet. La France a été à la pointe de la mobilisation pour l'élargissement afin d'effacer les divisions de l'histoire et de permettre à la grande famille européenne de se retrouver. Au sein d'une famille, chacun a naturellement la possibilité - je dirais même le devoir - d'exprimer ses convictions et de faire valoir son point de vue. Tout le projet européen repose précisément sur l'échange, le dialogue, la confrontation des idées dans le respect de l'autre.
Mais encore faut-il respecter certaines règles : une fois que ce processus a débouché sur une position commune, le principe, tel que défini par le Traité de Maastricht, est bien que chacun des membres de l'Union appuie cette position "activement et sans réserve".
Ce qui a surpris dans certaines initiatives, c'est précisément qu'elles paraissaient remettre en cause des conclusions sur l'Irak qui, par deux fois, le 27 février et le 17 mars, venaient juste d'être adoptées par consensus entre tous les Etats membres.
Q - Est-ce que la France a une vision pour l'Europe après l'élargissement, vision qui inclut l'Europe centrale comme partenaires ? Pouvez-vous la présenter ?
R - Le sens de ma présence ici, c'est précisément d'exposer les idées de mon pays pour l'avenir de l'Europe et d'écouter les vôtres, pour qu'ensemble, nos deux pays fassent avancer l'Europe vers plus d'efficacité et de cohésion.
Votre pays est désormais un membre de l'Union à égalité de droits et de responsabilités.
Avec aussi son expérience propre, ses richesses, son histoire.
L'élargissement est un moment de vérité qui souligne notre identité commune, façonnée par l'histoire, par l'épreuve de la guerre, par une communauté de valeurs, une diversité d'expériences et de traditions qui font notre richesse.
Notre vision de l'Europe est d'abord marquée par cet héritage, l'exigence de respect et de dialogue.
Notre vision, c'est ensuite celle d'une Union de nations souveraines et égales. Elle exige que nos institutions soient mieux organisées pour être plus efficaces. La Convention pour l'avenir de l'Union européenne y travaille actuellement avec une grande énergie. En impliquant pleinement, depuis longtemps, les pays candidats devenus désormais membres à part entière. A chacun d'y nourrir la réflexion.
Notre vision de l'Europe concerne enfin ses responsabilités mondiales, ce qui passe par l'ambition d'une véritable politique étrangère et de défense commune. L'Union européenne doit en effet jouer tout son rôle dans un monde articulé autour de pôles complémentaires et non rivaux.
Par ailleurs, notre Union sait défendre, au sein de l'Organisation mondiale du commerce, ses intérêts commerciaux et se faire protectrice par exemple de la diversité culturelle ; elle doit être capable de promouvoir une vision novatrice du développement durable, dans le respect de l'environnement.
Q - La crise irakienne a fortement influencé les relations entre l'Europe centrale et l'Europe de l'Ouest. Au cours de cette crise le comportement de la France a souvent été défini comme malveillant à l'égard des Etats-Unis ou comme de la pure démagogie. Comment défendriez-vous la politique française contre ces accusations ?
R - Dans la crise irakienne, la France a exprimé sa conviction et sa vision du monde. Ces idées, faut-il le rappeler, étaient partagées par une très large majorité des peuples d'Europe et des membres du Conseil de sécurité des Nations unies. Elle entend continuer à les défendre avec sérénité.
Aujourd'hui nous sommes dans une phase nouvelle, celle de la reconstruction de l'Irak. Face à ces nouveaux défis, nous avons besoin de la mobilisation de tous, loin des polémiques et des affrontements. La relation qui lie la France aux Etats Unis est celle de pays amis et alliés. Elle est ancienne, profonde, durable. Elle s'est exprimée dès l'indépendance même des Etats-Unis à laquelle la France a apporté son soutien. Elle se traduit aussi par notre attachement profond à un lien transatlantique renouvelé. Je suis convaincu que nous surmonterons et conjurerons ces divergences.
Q - La France et l'Allemagne s'attendaient évidemment à ce que l'Europe centrale soutienne leur position pendant la crise irakienne. Mais pourquoi ces pays devraient-ils soutenir un groupe de pays ou une position qui est du côté des perdants, qui ne gagne pas ? En fait, les pays d'Europe centrale devraient-ils réagir, la prochaine fois, dans une crise semblable, d'une façon différente ? Pourquoi ?
R - Il n'y a pas de "camp" en Europe ; tous nos pays sont des membres égaux au sein de l'Union. Tous ensemble, nous devons être inspirés par le souci permanent de faire avancer l'Europe en surmontant nos différences pour s'attacher à notre avenir commun.
L'adhésion de la République tchèque à l'Union, c'est un choix libre, souverain, démocratique. Le référendum des 13 et 14 juin en sera, je l'espère, la confirmation éclatante. L'Union européenne n'est pas un bloc où des "grands" s'imposeraient à des "petits". C'est un espace d'action et de solidarité. Nous l'avons observé lors des inondations de l'été dernier, quand nous nous sommes tous mobilisés pour manifester notre solidarité active.
La France et l'Allemagne, parce qu'elles ont été souvent à l'origine des guerres en Europe, ont aujourd'hui une conscience particulière de sa nécessaire unité. Elles ont souvent joué un rôle d'aiguillon, pour le bien commun, comme lors des initiatives de l'automne dernier qui ont débloqué un élargissement enlisé par des querelles budgétaires. Leur objectif est bien d'uvrer, avec vous, au succès commun du projet européen. Autour d'une ambition, qui est de faire de notre continent un pôle de paix, de prospérité et de rayonnement.
Q - Au cours de la crise irakienne la France a souvent été accusée de tenter "d'apaiser" le dictateur de Bagdad de la même façon qu'en 1938. Ainsi, est-ce que votre pays veut effectivement traiter avec des tyrannies sanguinaires et dangereuses et des dictatures telles que celle de Saddam Hussein ?
R - Là encore, soyons clairs : nous n'avons cessé de dénoncer la dictature de Saddam Hussein et nous nous réjouissons de sa chute. Notre choix, celui de la légalité internationale, n'est certainement pas celui de la complaisance. Il est fondé au contraire sur la conviction que, pour être efficace dans la durée, l'action internationale doit reposer sur la légalité et la responsabilité collective. A nos yeux, ces principes demeurent la garantie pour assurer une stabilité dans cette région du Moyen-Orient où se juxtaposent tant de tensions et de fractures. Votre pays, les nations d'Europe, ont trop souffert au cours de ce siècle sanglant, du piétinement du droit, de la dictature et du règne de la loi du plus fort ! Sachons tirer, pour le monde que nous voulons demain, les leçons de l'histoire.
Q - Pensez-vous, comme de nombreux médias l'ont prétendu après la chute de Bagdad, qu'avec l'élimination du régime de Saddam Hussein la position des Etats-Unis pendant la crise irakienne était justifiée - et celle de la France quelque peu invalidée ? Comment réagiriez-vous face à de telles arguments ?
R - Je reste convaincu que le rôle des Nations unies sera central si nous voulons parvenir à une stabilisation de l'Irak et plus généralement de la région, en nous donnant toutes les chances. Le vrai défi que pose l'Irak à la communauté internationale, c'est notre capacité commune à construire la paix. Aucun pays ne peut y parvenir seul. Il faut donc le faire ensemble. Tournons-nous résolument vers l'avenir.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 avril 2003)
(Point de presse conjoint à Prague, le 28 avril 2003) :
Permettez-moi tout d'abord de vous dire tout le plaisir que j'ai d'être aujourd'hui à Prague. Ma visite en République tchèque est la première dans un pays adhérent depuis le Sommet d'Athènes. J'ai eu le plaisir de m'entretenir ce matin avec le président Klaus, avec le Premier ministre M. Spidla, avec le président du Sénat, M. Pithart ainsi qu'avec mon collègue et ami Cyril Svoboda. J'ai eu le plaisir aussi de pouvoir débattre avec un certain nombre de personnalités de la société civile tchèque qui m'ont permis de mieux comprendre, de mieux écouter, de mieux sentir quelles étaient les préoccupations, les visions, les inquiétudes, qui pouvaient ici s'exprimer devant l'horizon européen.
Il existe entre nos deux pays des liens particuliers, tissés par l'histoire, par la culture, je pense en particulier à Chateaubriand, à Claudel, à Apollinaire, à beaucoup d'écrivains et d'artistes qui ont échangé entre nos deux pays. Il y a en France un intérêt profond pour la République tchèque, le souci de mieux comprendre et de découvrir ce pays ; je pense que c'est un gage important dans nos relations bilatérales.
La France, vous le savez, a été à la pointe de la mobilisation en faveur de l'élargissement. Elle se réjouit de ces retrouvailles au sein de la grande famille européenne qui nous permet d'effacer les divisions de l'histoire. Il est important que nous puissions mettre en avant, développer nos affinités. Nos deux pays ont vocation à jouer un rôle important pour porter ensemble notre ambition européenne dans le cadre d'une union que nous voulons à la fois forte, démocratique, efficace, cohérente. Et dans cet esprit je souhaite que le référendum des 13 et 14 juin confirme l'engagement européen du peuple tchèque.
La République tchèque est au cur de l'Europe et nous attachons une importance essentielle au dialogue entre nos deux pays, et ceci d'autant plus étant donné les défis que l'Europe doit relever ; nous avons tous observé les divisions des derniers mois, nous avons tous observé les difficultés du monde. Les défis que nous devons relever ensemble sont essentiels pour l'ensemble de notre communauté.
Je veux rappeler que pour la France, et je sais que c'est la même chose pour la République tchèque, l'Europe est une communauté de vie et de destin. Chacun dans cette communauté se situe dans une égalité de droits et de devoirs. Dans cette union il n'y a pas d'un côté les pays anciens et les pays plus jeunes, il n'y a pas l'ancienne Europe, la vieille Europe et la nouvelle Europe, il n'y a pas les grands et les petits Etats, il n'y a pas ceux qui auraient à tirer profit de l'avenir et ceux qui au contraire seraient handicapés. Nous sommes convaincus que cette Europe, c'est d'abord un principe de solidarité, de communauté qui doit s'exprimer. C'est vrai, évidemment, entre Etats membres, nous l'avons vu l'été dernier lors des inondations de Prague où l'Europe s'est mobilisée, nous l'avons vu aussi entre les régions moins favorisées de l'Europe où il y a ce souci constant de cette Europe d'apporter son soutien, nous l'avons vu aussi entre les différentes catégories de population de l'Europe - je pense en particulier à la Politique agricole commune qui permet de rétablir le lien avec le monde rural.
Notre union est bien davantage, et c'est la deuxième leçon que je veux tirer, qu'une simple zone de libre-échange. Il s'agit dans l'esprit des pères fondateurs de notre union d'une ambition qui doit mettre en avant nos valeurs, une certaine vision du monde, une certaine vision de notre communauté et de ce qui nous relie les uns aux autres.
Pour répondre à cette ambition, qui prend un élan nouveau avec l'élargissement, il est essentiel de doter l'Union européenne d'institutions fortes, qui puissent être à la fois efficaces, démocratiques et transparentes, parce que nous avons besoin du soutien de l'ensemble de nos peuples. Nous ne visons pas à construire une Europe abstraite qui soit uniquement dans l'intérêt de quelques dirigeants. C'est une Europe qui veut répondre aux problèmes, aux préoccupations de nos peuples, de nos citoyens. Tel est l'objet de la Convention pour l'avenir de l'Europe que préside M. Giscard d'Estaing.
J'ai exposé aux autorités tchèques les raisons qui nous conduisaient à souhaiter une présidence du Conseil européen stable, une commission forte, un parlement renforcé. Dans l'esprit de la France, il s'agit de renforcer chacune des institutions européennes.
Pourquoi ? Tout simplement parce qu'il ne s'agit pas de répartir différemment les pouvoirs actuels des institutions européennes, il s'agit de permettre à l'Europe de répondre aux problèmes nouveaux, beaucoup plus nombreux, et de donner une ambition plus importante à cette Europe, ce qui signifie qu'il nous faut une Commission plus forte, un Conseil européen plus fort, un Parlement européen plus fort. Dans ce contexte, nous le voyons bien, cette ambition exige que nous soyons capables de nous doter à la fois d'instruments et de procédures plus efficaces. Nous ne pouvons pas gérer l'Europe à vingt-cinq comme nous pouvions le faire, difficilement dans certains cas, à quinze.
J'ai redis l'ambition qui était la nôtre de voir l'Europe s'affirmer comme un acteur majeur sur la scène internationale. Tout ceci bien évidemment doit se faire en complémentarité avec nos grands partenaires, et je pense en particulier à nos amis américains. Il s'agit, en complémentarité, d'avancer, de renforcer les relations transatlantiques tout en développant l'identité européenne et je compte dès cette semaine, lors de la réunion informelle du Gymnich, aborder cette nécessité de conforter les relations transatlantiques tout en développant ce pôle de stabilité européen. Vous savez que se tient demain le Sommet des Quatre sur la défense, c'est un processus qui est ambitieux certes, mais qui est surtout transparent et ouvert à l'ensemble des partenaires des Vingt-cinq, et qui se situe dans le cadre des institutions et dans le cadre de l'ambition européenne.
Cette visite a naturellement été l'occasion de faire un bilan de notre coopération et de marquer notre volonté commune de franchir une nouvelle étape dans les relations entre la République tchèque et la France. Vous le savez, la saison culturelle tchèque a été un grand succès. Elle sera relayée par un programme de soutien à l'industrie du cinéma. De la même façon, la défense de la francophonie est un défi que nous devons relever ensemble. Je me réjouis à cet égard de nos efforts conjoints pour développer l'enseignement du français en République tchèque, et nous voulons prendre des initiatives dans le rapprochement entre nos administrations, dans le rapprochement entre les responsables de nos deux pays, pour faire en sorte que nous développions une conscience commune, une ambition commune entre nos deux pays.
Je me félicite de voir, sur le plan économique, que la France est devenue le quatrième investisseur en République tchèque. Plusieurs de nos entreprises ont constitué véritablement un pôle de développement dans votre pays. De nombreux contrats et perspectives sont en discussion ; je pense en particulier à Airbus, je pense à Alcatel, je pense à Eurocopter. Il y a là tous les éléments d'un dynamisme entre nos deux pays que nous voulons bien évidemment développer.
* * *
Q - Vous avez dit, Monsieur le Ministre, que l'Europe signifie avoir tout en commun. Alors j'aimerais savoir pourquoi ce mini-sommet des quatre pays ? Et pourquoi ne pas avoir invité les autres pays, y compris les pays candidats ? J'estime que le dispositif militaire des pays candidats est plus important que celui du Luxembourg. Et ma deuxième question s'attache à la première : il y a des spéculations selon lesquelles ce "mini-sommet" représente la constitution d'un nouveau noyau dur ou d'une avant-garde. J'aimerais savoir ce que la France, l'Allemagne, la Belgique et le Luxembourg nous apporteront de nouveau à la prochaine réunion ?
R - Merci d'abord de votre question. J'ai eu l'occasion de m'en entretenir avec l'ensemble des responsables de la République tchèque, d'où l'importance de voyager, de dialoguer et de se parler. En effet, ce sommet des Quatre, que vous qualifiez de mini-sommet, a une ambition : et c'est le fruit d'un long travail qui a été commencé en 1991 à travers les initiatives prises par le chancelier fédéral allemand et le président français. Il y a eu de nombreuses étapes à travers les différents sommets (Saint-Malo, Nice, Laeken), il y a eu une contribution franco-allemande, soutenue, vous le savez, par la Belgique, pour envisager la création d'une union de sécurité et de défense commune, et il y a eu l'initiative prise par le Premier ministre belge dans le cadre de la lettre qu'il a écrite en juillet à l'ensemble de nos collègues. Donc il y a un souci, la conscience de la nécessité de faire plus dans le domaine de la sécurité et de la défense. La réunion qui va se tenir demain vise à constituer la première étape d'un processus. Et je vous demande de bien comprendre ce qu'est un processus : cela veut dire qu'il s'agit d'avancer sur un chemin, à partir d'une ambition, en faisant en sorte que ce processus puisse, de façon continue, s'approfondir et s'agrandir. Et c'est pour cela que je l'ai dit, ce processus doit être ambitieux, il doit être transparent (et nous présenterons à l'ensemble de nos collègues européens lors de la réunion du Gymnich de la fin de la semaine tous les éléments qui auront pu être débattus lors de cette réunion), et ce processus doit être ouvert. C'est-à-dire que tous les membres de l'Union européenne, tous les membres des Vingt-cinq qui souhaiteront y participer sont les bienvenus. L'objectif une fois de plus est de créer un mouvement, partant d'une évidence : c'est que nous vivons dans un monde marqué par l'insécurité, et qui donc suppose que chacun d'entre nous prenne sa responsabilité. Nous ouvrons ce chemin, nous discutons ensemble, et nous allons faire des propositions à l'ensemble de nos partenaires. Tous nos partenaires, informés de ces propositions, pourront rejoindre, dans une très prochaine étape, à l'occasion d'un rendez-vous que nous pourrons fixer ensemble, ce processus que nous enclenchons. Donc, dans le cadre de l'Union européenne, dans l'esprit de l'Union européenne, dans les mécanismes de l'Union européenne qui, à la suite du Traité de Maastricht, prévoit la possibilité d'avancer dans le cadre de coopérations renforcées, vous voyez bien qu'il s'agit tout simplement d'assumer nos responsabilités. Que ce processus puisse être initié par quatre pays ne signifie pas du tout qu'il s'agisse de creuser un fossé à l'intérieur de cette Europe. Au contraire, il s'agit d'avancer.
Nous nous engageons, nous nous mobilisons sur ce chemin avec le souci que chacun puisse y participer. Je pense à un pays comme la Grande-Bretagne avec laquelle la France travaille depuis de nombreuses années, - et je pense au Sommet de Saint-Malo, je pense au Sommet du Touquet qui nous a conduit à prendre des initiatives ensemble -, nous souhaitons que tous les Etats, tous ceux qui considèrent que la sécurité et la défense doivent constituer une véritable priorité se mobilisent et une fois de plus, ce processus est ouvert, c'est bien l'esprit de l'Europe : à la fois l'initiative, l'ouverture et la solidarité.
Je précise que dans ce processus, tout est fait avec le souci bien évidemment d'agir en étroite concertation et en étroite harmonie avec l'Alliance atlantique. Il ne s'agit pas de bâtir un processus concurrent mais bien au contraire d'éviter les duplications et d'affirmer la responsabilité de l'Europe. Donc notre souci est justement de renforcer l'OTAN en faisant en sorte que les Européens soient mieux à même de prendre leurs propres responsabilités.
Q - Monsieur le Ministre, interrogé, je dirais même, interpellé ce matin par les universitaires tchèques sur le poids respectif des grands et des petits pays dans l'Union européenne, c'est-à-dire sur la démocratie dans l'Union européenne, vous avez beaucoup insisté sur la nécessité d'une présidence de longue durée du Conseil européen. Vous n'avez en revanche pas dit un mot, pas un seul, de l'élection du président de la Commission par le Parlement, c'est-à-dire d'une proposition franco-allemande qui date de janvier. Etait-ce un oubli ou est-ce que la position de la France a changé ?
R - Je suis heureux de vous dire que la position de la France reste la même, c'est une évidence. Nous avons fait avec nos amis allemands une contribution commune sur ce sujet et nous l'avons dit et redit : notre souhait est de renforcer chacune des institutions. C'est vrai du Conseil européen, c'est vrai de la Commission et c'est vrai du Parlement européen. C'est parce que l'Europe doit relever de nouveaux défis, c'est parce que l'Europe doit élargir le champ de ses responsabilités que nous avons besoin de ces institutions fortes. En effet, l'Europe n'est pas un gâteau à se partager entre trois pouvoirs. C'est un espace de responsabilités nouveau qu'il faut investir. Pour cela nous avons besoin que chacune des institutions puisse prendre toute sa part, et si nous insistons sur l'importance de doter l'Europe d'une présidence continue, stable, du Conseil européen, c'est tout simplement parce que nous constatons, à l'expérience, la nécessité de ne pas avoir une présidence du Conseil européen à éclipses. Dans une Europe à vingt-cinq, prenons conscience des changements qui interviennent du fait même de l'accroissement du nombre des pays partenaires. Si nous avons un président qui est partagé entre ses responsabilités nationales et ses responsabilités européennes, il risque alors de connaître les intermittences du cur, qui sont si fréquemment chantées par les poètes. Il faut éviter les intermittences, le cur doit fonctionner et battre à un rythme régulier. La responsabilité doit s'assumer tous les jours, sept jours sur sept, 365 jours par an. Parce que les défis que nous avons à relever ensemble sont des défis essentiels.
Vous avez parlé de démocratie, Dieu sait si nous sommes attachés à cette exigence démocratique, pour l'ensemble de nos Etats, c'est le bien le plus précieux que nous ayons en commun, c'est cela même qui fonde les valeurs que nous avons en partage. L'esprit de la démocratie européenne, le respect, la tolérance, le dialogue entre nous, ce sont les éléments clés à l'intérieur d'une famille.
Certains ont trouvé que le président de la République française l'exprimait un peu fortement à l'occasion des divisions qui ont pu marquer certains pays européens à l'occasion de la crise irakienne. Qu'à voulu dire le président Jacques Chirac ? Il a voulu tout simplement dire que dans une famille, car nous formons une seule et même famille, nous devons avoir en tête, et pour souci, de privilégier ce qui nous unit plutôt que de mettre en avant ce qui nous divise. C'est dire que, évidemment, chacun, non seulement a le droit et le devoir de s'exprimer, mais que nous devons faire en sorte que notre concertation, notre dialogue débouchent sur des solutions constructives pour l'ensemble de l'Europe. C'est cela l'objectif de l'Europe : c'est de dépasser les capacités et les sentiments de chacun. Parce que, au-delà de chacun d'entre nous, il y a quelque chose d'encore plus fort. C'est ce qu'exprime notre communauté. Et nous devons donc avoir à cur, à chaque étape, d'accroître nos contributions. Et ce qui nous a gênés, en l'occurrence dans le cadre de la crise irakienne, c'est que l'on puisse quelques jours après l'expression d'une position commune des Européens, paraître remettre en cause les principes sur lesquels nous étions tombés d'accord.
Donc je crois qu'il faut à la fois bien se convaincre que nous sommes de la même famille, à égalité de droits et à égalité de devoirs, mais avec un souci constant et permanent : permettre à l'Europe d'avancer, permettre à l'Europe de peser de tout son poids, permettre à l'Europe d'assumer ses responsabilités. C'est dire que le dialogue doit exister non seulement entre les dirigeants de l'Europe, mais aussi entre les peuples de l'Europe. C'est la richesse de l'Europe que la diversité de nos sensibilités, la diversité de nos traditions. Il y a en Europe une aspiration du Nord, il y a une aspiration continentale, il y a une inspiration atlantique, il y a une aspiration méditerranéenne et africaine.
Tout cela c'est la chance de l'Europe. Sachons en faire bon usage.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 avril 2003)
(Interview à la télévision publique tchèque à Prague, le 28 avril 2003) :
Q - Monsieur le Ministre, quelle est la vision française du futur de l'Europe ? Une Europe fédérale, plutôt une Europe forte, des nations plutôt faibles, une Europe des nations forte ?
R - L'idée de la France est d'avancer avec un projet ambitieux. C'est-à-dire à la fois une union d'Etats et en même temps une union de nations, une fédération d'Etats-nations. Donc vous voyez bien que l'idée est d'être capable de relever les grands défis du monde, et nous voyons qu'ils sont multiples : le terrorisme, les questions de prolifération, les graves crises régionales. Il y a de nombreuses difficultés auxquelles notre monde est confronté et la conviction de la France est que nous avons besoin d'une Europe forte, stable, capable de multiplier les échanges en son sein, mais capable aussi de jouer tout son rôle à l'extérieur. Donc ce pôle de développement, de prospérité, de valeurs communes doit être mis au service d'une ambition commune.
Avec le passage de l'Europe à quinze, nous avons déjà fait beaucoup de chemin depuis les pères fondateurs de l'Europe à six. Avec l'ouverture aujourd'hui à une Europe à vingt-cinq - et c'est un moment très important pour notre histoire commune - nous effaçons les divisions, les malheurs de l'histoire.
Tous ensemble, nous allons pouvoir nous tourner résolument vers l'avenir et de ce point de vue, les relations entre la République tchèque et la France sont d'autant plus fortes qu'elles sont assises sur un long héritage, une longue tradition. Nous avons en commun une affection, une connaissance communes. Tout ceci doit être mis au service de cette Europe, bien sûr pour consolider les grandes politiques de l'Europe. On les connaît : dans le domaine régional, dans le domaine agricole, dans le domaine commercial, mais aussi pour avancer dans de nouveaux domaines. C'est le cas de la politique étrangère commune, c'est le cas de la politique de sécurité, c'est le cas d'une politique de défense ; et l'initiative prise par quatre pays européens, qui conduira au Sommet de demain de Bruxelles, se situe dans le cadre d'une vision ouverte, transparente de cette Europe où toutes les volontés doivent nous permettre d'avancer. C'est pour cela que nous sommes optimistes, parce que nous pensons que quelles que soient les divisions qui ont pu se faire jour au cours des derniers mois, en Europe, chez nos peuples, chez nos dirigeants, une volonté très forte d'avancer et de travailler ensemble, parce que tout simplement les valeurs qui sont les nôtres sont des valeurs très fortes, des valeurs de solidarité, des valeurs de fraternité, des valeurs de démocratie, et que nous voulons les partager.
Q - Donc il n'y aura pas un conflit entre les "petits" et les "grands" dans cette grande discussion sur l'avenir de l'Europe ?
R - Il n'y aura pas de conflit entre les "petits" et les "grands". Il n'y aura pas de conflit entre les anciens membres de l'Europe et les jeunes, nouveaux membres de l'Europe, il n'y aura pas un conflit entre la vieille Europe et la nouvelle Europe. Tout simplement parce que dans une famille, ce qui compte c'est l'égalité de chacun, et que nous pensons que cette Europe est plus forte de la diversité des expériences, donc nous nous réjouissons des traditions que chacun apporte, des réflexions que chacun apporte, des cultures que chacun apporte. C'est tout cela qui fait la diversité de l'Europe.
L'Europe ne ressemble à aucune autre région, parce qu'il y a entre nous quelque chose qui dépasse chacun d'entre nous. C'est la volonté de vivre ensemble, ce sont les mêmes idéaux que nous partageons et que nous avons envie de partager avec d'autres. L'Europe est en quelque sorte un trait d'union entre plusieurs mondes, et que ce soit l'inspiration d'une Europe du Nord, l'inspiration d'une Europe atlantique, l'inspiration d'une Europe tournée vers la Méditerranée, tournée vers le Maghreb et vers l'Afrique, d'une Europe tournée vers l'intérieur du Continent, cette diversité est une chance pour l'Europe. Donc nous avons beaucoup de travail devant nous et je suis sûr que l'ensemble de nos peuples attend justement que nous relevions ensemble ce défi.
Q - Justement nous avons été témoins d'un petit malentendu avec ceux dans l'Europe qui voient aussi l'importance des liens transatlantiques. N'y aura-t-il pas non plus dans l'Europe de l'avenir une petite divergence à ce propos ?
R - Sur la difficile crise irakienne à laquelle vous faites allusion, il y a eu bien sûr dans la phase diplomatique des divergences sur la façon dont il convenait d'aborder les choses, et la France a défendu avec force l'idée qu'il était possible d'avancer dans la voie d'un désarmement pacifique de l'Irak. Mais vous avez remarqué que dans la phase de la guerre, nous avons travaillé dans le souci de l'unité, dans le souci de la modération et de la responsabilité qui permettaient d'aborder dans les meilleures conditions cette guerre qui a conduit à l'effondrement de la dictature de Saddam Hussein, dont nous nous sommes réjouis.
Aujourd'hui, nous entrons dans une nouvelle phase. C'est cette phase-là qui va nous permettre de construire la paix en Irak mais aussi dans l'ensemble du Moyen-Orient. Dans cette phase-là, c'est l'unité qui doit l'emporter, c'est l'unité en Europe, l'unité dans nos relations avec les Etats-Unis, car nous pensons que les relations transatlantiques sont tout à fait essentielles à la stabilité du monde, donc l'idée de la France est de bien travailler dans un monde où il y ait plusieurs pôles, un monde multipolaire, mais qui doivent êtres des pôles de stabilité et non pas des pôles de rivalité. Nous pensons qu'entre l'Europe et les Etats-Unis c'est la complémentarité qui doit l'emporter. Nous devons tous porter notre part de responsabilité, affirmer notre identité, mais nous devons le faire dans la complémentarité.
Q - Est-ce qu'il y a aura une réaction de la part du gouvernement français aux propos de quelques membres du gouvernement américain selon lesquels la position d'avant-guerre de la France ne devrait pas rester sans conséquences ? Comment réagira la France ?
R - Nous l'avons dit clairement : les Etats-Unis et la France sont des pays amis et alliés, et ce de très longue date. Vous savez la part qu'a prise la France dans la lutte d'indépendance des Etats-Unis, vous savez le soutien et la participation des Etats-Unis à la libération de la France et le rôle joué tant dans la première guerre que dans la deuxième guerre mondiale. Donc il y a une très grande lucidité, une très grande solidarité qui existent entre nos deux pays. Ce qui est important, c'est de nous tourner vers l'avenir. Pour construire la paix, il faut le faire dans l'unité, il faut le faire dans la solidarité. Nous en sommes convaincus : les relations qu'entretiennent nos deux pays, les échanges entre le président Chirac et le président Bush, le travail régulier que j'entretiens avec Colin Powell, tout ceci doit nous permettre d'avancer vers la recherche de solutions communes. Nous le savons tous : pour répondre aux défis de l'Irak - une reconstruction politique, une reconstruction économique, une reconstruction sociale -, il faut que chacun de nos Etats apporte son concours, apporte ses solutions, ses propositions, parce qu'il faut l'unité pour avoir la légitimité et l'efficacité.
Q - Est-ce qu'il y aura dans ce sens encore une possibilité de mettre l'ONU au centre des activités de reconstruction de l'Irak ?
R - Je crois que nous avons tous le souci de donner son plein rôle aux Nations unies. La Grande-Bretagne et les Etats-Unis parlent de rôle vital, nous parlons de rôle central, nous sommes d'accord pour cette contribution de l'ONU, qu'elle est la seule à pouvoir donner dans un grand nombre de domaines, compte tenu de son expérience, compte tenu de cette légitimité. Notre souci est d'être ouverts et pragmatiques, et sur chacun des grands problèmes auxquels nous sommes confrontés - je pense à la question humanitaire, nous avons voté la résolution 1472 à l'unanimité des membres du Conseil de sécurité, je pense à la question de la sécurité, où il y a une responsabilité particulière des forces de la coalition sur le terrain, je pense aux questions du désarmement, je pense à la question des sanctions pour laquelle la France a fait des propositions pour suspendre les sanctions et aboutir à la recherche de solutions, je pense à la question difficile de la constitution d'une autorité irakienne qui permettra à l'Irak d'assurer pleinement sa souveraineté - sur tous ces points, les Nations unies ont un rôle important à jouer, l'ensemble de nos pays, l'Europe a un rôle important à jouer et la concertation doit être très étroite avec tous les pays de la région. J'étais il y a quelques jours au Moyen-Orient où j'ai effectué deux séjours pour rencontrer les pays voisins de l'Irak ainsi que tous les pays de cette région qui veulent être associés à la reconstruction de l'Irak. Nous devons travailler dans l'unité de la communauté internationale, car la paix et la justice ne sont pas divisibles. Il nous faut avancer vers la recherche d'une solution en Irak, il nous faut avancer vers la recherche d'une solution au douloureux conflit du Proche-Orient pour pouvoir ainsi répondre à l'attente des peuples, attente du peuple israélien concernant sa sécurité, attente du peuple palestinien concernant la justice et la possibilité d'aboutir à la création d'un Etat palestinien capable de vivre en paix et en sécurité aux côtés d'Israël.
Q - Monsieur le Ministre, on a entendu trop fréquemment les médias mondiaux accuser la France de défendre surtout ses propres intérêts économiques dans cette philosophie politique envers le problème irakien. Est-ce que vous pouvez dire où est la vérité ?
R - Vous savez, la vérité est du côté des principes. La France a toujours défendu, tout au long de son histoire, les grands principes : principe de la morale, principe de la légalité internationale. Le commerce entre l'Irak et la France n'a jamais été tout au long de ces années qu'autour de 0,2 - 0,3 %. C'est vous dire que c'est infinitésimal. La France n'a été guidée dans toute cette crise, et ne sera guidée tout au long des prochains mois, que par le souci de faire avancer l'exigence de la paix, de faire aujourd'hui avancer l'exigence de la reconstruction.
Nous pensons qu'il faut penser au peuple irakien d'abord et nous sommes soucieux - et c'est vrai que cela a pesé dans la position française - nous sommes soucieux de la façon dont la communauté internationale gère les crises. Car nous pensons qu'il est important que chacun puisse prendre ses responsabilités dans le respect et la tolérance vis-à-vis des opinions de l'autre. Nous pensions qu'il était possible d'avancer sur la crise irakienne pour obtenir un désarmement pacifique de l'Irak et les positions et les expressions des inspecteurs dans le cadre des Nations unies avaient montré que cela était possible. Cela appartient maintenant au passé, nous devons nous tourner vers l'avenir. Nous avons en permanence un souci : c'est d'éviter que les problèmes du monde ne conduisent à un choc des cultures, à un choc des religions, à une confrontation des civilisations. C'est pourquoi la position qu'a adoptée la France, dont je vous rappelle qu'elle a été soutenue par la grande majorité de la communauté internationale, par la grande majorité du Conseil de sécurité, cette position de la France est d'abord guidée par le souci d'éviter cet affrontement. Si nous voulons que le terrorisme puisse reculer, si nous voulons que le dialogue entre les peuples du monde puisse avancer, nous avons besoin constamment d'essayer de mettre la paix d'abord, la concertation d'abord pour essayer de régler les problèmes. La conviction de la France, c'est que la force, la guerre ne peuvent être qu'un dernier recours. C'est pour cela que notre souci est que la communauté internationale travaille davantage ensemble, que les Européens travaillent davantage ensemble. Parce que nous pensons que par la concertation, par la mobilisation, nous pouvons trouver des réponses qui évitent de créer de nouveaux abcès sur la scène internationale.
Q - Est-ce que vous avez trouvé, pendant ce premier entretien avec les hommes politiques tchèques, surtout le président de la République, plutôt des points communs que des différences d'opinions ?
R - Il y a entre la France et les autorités tchèques une très grande convergence de vues. Nous avons les mêmes préoccupations concernant la situation internationale, la situation européenne, et nous avons la même exigence : c'est d'aboutir à l'unité de l'Europe et à l'unité de la communauté internationale, car cette unité est la condition de l'efficacité. Si nous travaillons ensemble, nous pourrons relever les défis en Irak, au Proche-Orient, en Europe. Et je crois que les peuples européens, dans leur grande sagesse, tout au long des derniers mois, nous ont dit un message très fort et très important : entendez-vous, unissez-vous, travaillez ensemble, répondez à nos préoccupations et aux préoccupations du monde. Nous voulons le faire bien sûr dans le respect de grands principes, car nous pensons que le monde doit obéir à un certain nombre de règles. Et nous devons éviter d'avoir deux poids, deux mesures, nous devons éviter l'incompréhension entre les cultures, nous devons éviter l'intolérance, le racisme, l'antisémitisme. Ces valeurs, ce sont les valeurs de tous les Européens. C'est pour cela que nous pensons qu'il est possible de faire des défis, des difficultés des derniers mois une chance pour toute l'Europe et pour tous les Européens. Donc le message de la France est : travaillons ensemble, retroussons nos manches et avançons pour construire un monde plus juste, un monde plus stable, un monde meilleur.
Q - Je voudrais revenir à cette phrase malheureuse du président Jacques Chirac qui nous conseillait de ne pas dire des choses qui diffèrent beaucoup de l'avis de la France et l'Allemagne. C'était il y a longtemps mais c'est assez vif pour les médias de l'Europe centrale et orientale. Est-ce que vous croyez que la France peut remédier de quelque façon à l'impression que cela a laissé ?
R - Vous avez raison de dire "impression". Il y a eu un malentendu autour de ce qu'a dit le président de la République, qui est marqué par l'exigence de franchise et l'exigence d'amitié. Dans une famille on se parle franchement, quand on a un ami on lui dit des choses parfois exigeantes, difficiles, fortes. Qu'a dit le président de la République ? Le président de la République n'a pas dit que tel ou tel n'avait pas le droit d'émettre une opinion. Il a dit : dès lors que nous faisons partie de la même famille, faisons en sorte de privilégier ce qui nous unit, évitons de nous diviser, donc parlons-nous avant de prendre des initiatives qui sont susceptibles de nous diviser. Je vous rappelle que quand le président de la République a dit cela, avant même que des initiatives diplomatiques - on a parlé à l'époque de la "lettre des huit" ou de la "lettre de Vilnius" - ne soient prises, l'Europe avait parlé d'une seule voix sur l'Irak. Nous avions travaillé pour avoir une position commune, et ces initiatives ont donné le sentiment que l'Europe se divisait. Donc, ce que nous disions c'est : essayons ensemble d'avoir un code de bonne conduite, car rien n'est plus important pour la France que la concertation entre nous, l'unité entre nous, la solidarité et l'amitié entre nous. Donc ne voyez dans les propos du président de la République que des propos fraternels, car, vous savez, quand on dit des choses fortes, c'est qu'on a de l'estime, de l'amitié, c'est qu'on attend beaucoup de celui à qui on les dit. La France, vis-à-vis des pays qui aujourd'hui sont dans notre famille, de ces dix pays, a une immense attente. Nous avons été parmi les Etats de l'Europe ceux qui ont le plus espéré et le plus attendu cette heure, et qui avons travaillé jour après jour pour que cela devienne possible. Donc il ne faut pas se méprendre, le message de la France est à la mesure de l'attente que nous avons vis-à-vis de chacun de ces Etats. Et j'ai parlé de fraternité avec la République tchèque. Nous partageons ensemble les mêmes couleurs sur notre drapeau national, nous avons un héritage culturel, dans tous les domaines : la littérature, la peinture, la musique, nous avons des échanges humains entre nous, entre nos deux sociétés et nos deux peuples. Nous attendons beaucoup. Et ne voyez dans les propos de la France peut-être qu'un peu d'impatience dans l'envie et dans l'attente que cette Europe joue tout son rôle et le joue ensemble.
Q - Cette réunion de demain ne sera-t-elle pas une autre occasion pour diviser l'Europe ?
R - Pas du tout, je dirais même au contraire. La réunion de demain est une réunion qui se situe dans le cadre d'un processus. Voilà des années que nous réfléchissons et que nous travaillons sur la constitution d'une politique de défense. La réunion de demain est une nouvelle étape dans un processus qui a commencé en 1991 avec le chancelier fédéral allemand et le président français. Il y a des propositions qui ont été faites par la France et par l'Allemagne dans le cadre de la Convention sur la création d'une union de sécurité et de défense européenne. Il s'agit demain d'engager un processus, ce processus doit être à la fois ouvert, transparent et ambitieux. Donc, demain, ce que nous allons faire, c'est de proposer à l'ensemble de nos partenaires de s'associer pour avancer dans la voie de cette politique de sécurité et de défense commune.
Q - Quant à la coopération de l'OTAN et de l'Union européenne dans le domaine de la défense, ça ne causera pas de problèmes ?
R - Absolument pas, au contraire. L'idée est qu'il faut renforcer les liens transatlantiques, il faut permettre à l'OTAN de jouer tout son rôle, mais pour cela il faut aussi que les Européens prennent leurs responsabilités, il faut que nous affirmions notre identité dans le domaine de la sécurité et de la défense.
Donc, au contraire, l'idée est que nous soyons capables d'éviter les duplications et que nous soyons capables de nous mobiliser ensemble. L'Alliance atlantique, l'OTAN en sortira plus forte et l'Europe en sortira plus forte. Donc ce n'est pas de rivalité qu'il s'agit, c'est bien de complémentarité. Il s'agit, compte tenu de la situation du monde, de faire en sorte que l'Europe prenne la mesure des défis et travaille ensemble. Nous le voyons sur les questions de terrorisme, nous le voyons sur les questions de prolifération, et nous le voyons dans toutes les crises du monde. Il est nécessaire que l'Europe puisse avancer dans la voie de cette union de sécurité et de défense. Et une fois de plus : tous les pays qui voudront participer pourront le faire.
Q - Quel est le but concret de votre visite ici à Prague, maintenant que les négociations de l'adhésion à l'Union européenne sont finies et que le Traité est signé ?
R - Eh bien, maintenant tout commence ! Il faut maintenant dans cette famille, ensemble, que nous travaillions. Que nous travaillions pour l'Europe, que nous travaillons pour les peuples de l'Europe et tous les dossiers qui sont sur la table, les dossiers du monde, les dossiers de l'Europe, eh bien nous devons les faire avancer. Donc juste après m'être rendu à Athènes mon souci a été de venir ici, en République tchèque, pour m'informer, pour écouter, pour travailler, nous concerter avec les autorités tchèques, parce que c'est bien ensemble que nous voulons trouver des solutions aux problèmes de l'Europe, des solutions aux problèmes du monde
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 avril 2003)
(Interview à France Info à Prague, le 28 avril 2003) :
Q - (au sujet du sommet de Bruxelles à quatre sur l'Europe de la défense)
En prenant le risque calculé de mécontenter la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, la France fait un pari, celui de voir une majorité de pays européens rejoindre progressivement ce projet de consolidation d'une défense commune ?
R - Ce processus doit être ouvert, c'est-à-dire que tous les membres de l'Union européenne, tous les membres des Vingt-cinq qui souhaiteront y participer, sont les bienvenus. Que ce processus puisse être initié par quatre pays ne signifie pas du tout qu'il s'agisse de creuser un fossé à l'intérieur de cette Europe. Au contraire. Nous souhaitons que tous ceux qui considèrent que la sécurité, la défense, doivent constituer une véritable priorité, se mobilisent. Tout est fait avec le souci, bien évidemment, d'agir en étroite concertation et en étroite harmonie avec l'Alliance atlantique. Il ne s'agit pas de bâtir un processus concurrent, mais bien au contraire, d'éviter les duplications et d'affirmer la responsabilité de l'Europe. Notre souci, c'est justement de renforcer l'OTAN en faisant en sorte que les Européens soient mieux à même de prendre leurs propres responsabilités.
Q - (au sujet des informations de la presse anglaise selon lesquelles Paris aurait informé régulièrement Bagdad de ses conversations avec Washington)
R - Ma réaction est très simple. Je demande à ce que sur tous ces sujets nous soyons sérieux. Chacun connaît les objectifs de la diplomatie française, chacun connaît l'absence totale de complaisance de la France vis-à-vis de la dictature de Saddam Hussein et je veux simplement qu'on évite de se fier à des rumeurs, à des ragots et qu'on se concentre sur l'essentiel, l'avenir de la reconstruction de l'Irak. Je peux vous dire que la France a agi en permanence dans le souci de la transparence, dans l'intérêt de la région et qu'à aucun moment évidemment, je ne peux donner un quelconque crédit à ces informations.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 avril 2003)