Interview de M. Vincent Peillon, porte-parole du PS, à LCI le 14 octobre 2002, sur la situation internationale et sur la manière dont le débat doit progresser à l'intéreur du PS .

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser.- Vous êtes un porte-parole du PS qui se désole du découragement qui s'installe au sein du PS, et qui voudrait carrément faire un nouveau PS, avec J. Dray et A. Montebourg. Y a-t-il encore place pour le débat politicien, quand il y a une menace terroriste sur le monde ?
- "Sans doute, parce qu'on a un débat, non pas "politicien", vous avez raison, mais politique à avoir, très profond, en particulier sur cette question de terrorisme, qui conduit directement à la question de la politique internationale, à laquelle l'Europe et donc la France ont un rôle à jouer. On voit qu'en arrière fond de ce qui se passe et de cette guerre nécessaire contre le terrorisme, il y a le rapport entre le Nord et le Sud, entre des civilisations qui ne se comprennent plus. Et dans la période qui s'ouvre, en particulier avec le conflit irakien, il faut faire les choses avec beaucoup d'intelligence. On a l'impression parfois que nos amis américains en manquent un tout petit peu. Il faut bien comprendre les très grands dangers que nous courons."
On est divisés là-dessus au PS ?
- "Non, je crois on est divisé là-dessus dans tous nos esprits, parce qu'à la fois, on a envie de lutter très fort contre le terrorisme, contre ses bases, et l'on est tenté par la force. Et en même temps aller trop vite à la force, comme le prétend G. Bush, c'est en fait faire courir le risque l'engrenage. Dans l'Histoire, les pages de bonheur sont souvent les pages blanches. Je crois que nous vivons effectivement un conflit mondial larvé, car il y a cet attentat de Bali, mais il y a chaque semaine des événements, et ceux-ci nous menacent au coeur même des démocraties. Je le savais depuis longtemps, car comme parlementaire, j'ai travaillé sur le blanchiment de l'argent sale et j'ai vu à quel point nos économies étaient pénétrées d'argent criminel, y compris venant du terrorisme et comment nous avions trop toléré cela, y compris d'ailleurs les Américains, qui se réveillent bien tardivement. Nous avons une difficulté majeure, il faudra une mobilisation dans la durée, sans hypocrisie, sans commettre d'erreurs, ce qui pourrait faire que certains peuples se dressent contre nous."
Cela ne va pas être facile. On en vient au PS. Vous avez donc décidé de lancer un nouveau courant. Vous avez vocation à diriger le PS, comme l'ont dit J.-L. Mélenchon et H. Emmanuelli ?
- "D'abord, nous ne lançons pas un nouveau courant. Nous entrons dans un débat, qui est absolument nécessaire à gauche en général, et tout particulièrement au PS. Parce que nous sommes de ceux qui considérons le 21 avril comme un moment essentiel..."
Est-ce que vous l'avez analysé le moment ? Parce qu'effectivement, c'est "un moment essentiel", mais vous ne l'analysez pas vraiment ; vous parlez de ce que vous souhaitez faire mais vous ne parlez pas des causes. Votre ami, J.-C. Cambadélis, lui, l'analyse...
- "Je ne crois pas. Il faut bien lire ce que nous écrivons évidemment et souvent, on s'attache plus directement à ce que l'on croit être des polémique et qui d'ailleurs a été, en l'occurrence, très mal compris. Parce que le découragement ne concerne pas seulement la direction, mais tout le monde. Il suffit de se promener et de faire quelques débats militants. Il y a une vraie inquiétude à gauche. Il y a d'ailleurs je crois, chez tous les républicains et démocrates, depuis le 21 avril, une espèce d'inquiétude sourde par rapport à la capacité qui sera la nôtre à répondre aux attentes de la société. Ces attentes, puisque vous me le demandez, sans dire "c'est L. Jospin, ce n'est pas L. Jospin", "Il a épousé la gauche, il a épousé la France", tout cela n'est pas sérieux. Il y a des problèmes de fond dans notre société. Nous allons essayer de dire lesquels : sur l'inquiétude européenne et de la mondialisation, sur la place du civisme, que nous avons totalement abandonné - et nous avons d'ailleurs, d'une certaine façon, sous-traité la République -, sur le rôle et la valeur du travail, et enfin sur les fondements mêmes de notre vie démocratique et de notre démocratie sociale. Je crois qu'il y a quatre causes qui font que le malaise politique, qui n'est pas d'hier, a abouti au 21 avril. La crise politique, commentateurs et acteurs, en parlent depuis 20 ans."
Cela, on n'en parle pas assez, on n'en débat pas assez au PS ?
- "Si, je crois qu'on le fait. Je crois que maintenant pour que le débat progresse, il faut apporter quelques éléments de réponse et être un tout petit peu plus brutal. On ne peut pas passer six mois à faire des analyses en vase clos. Il faut continuer..."
Il faut faire quoi ? Des états-généraux ?
- "Il aurait sans doute fallu, on a encore le temps de le faire, que ce moment de respiration démocratique entre nous soit plus fort. Il faudrait aussi qu'on l'organise, parce que quand on dit aux gens "parlez", nous entrons dans une sorte de thérapie de groupe. Mais il faut aussi structurer le débat un peu. C'est ce que nous essayons de faire par nos propositions."
Comment structure-t-on un débat autrement qu'avec un questionnaire, par exemple, qui est envoyé aux militants ou avec des débats qui sont organisés au sein des fédérations, des sections ? C'est à travers les tribunes que vous publiez dans Libération et dans Le Monde ?!
- "Je crois que ce n'est pas en disant "des bâtons, des bâtons", c'est en posant quelques questions. J'ai pris quatre thèmes, qui sont des questions un peu précises, qui permettent aux uns et aux autres de débattre en pour et en contre. De toute manière, nous allons arriver dans cette phase. Car le grand danger serait que l'on dise : débattez, que cent fleurs s'épanouissent et puis qu'au mois de janvier, quelques cénacles parisiens, comme toujours, envoient des contributions soumises au vote. Et là, vous auriez d'ailleurs un grand contraste entre ce débat - a-t-il été vraiment mené à la base -, et puis, d'un autre côté, des méthodes plus anciennes pour proposer des textes. Donc, nous, nous souhaitons qu'il y ait un engagement plus collectif et, en même temps, que certaines contradictions soient levées. Je vous indique une par exemple : puisqu'on parle beaucoup de la clarification, il ne faut pas avoir peur du débat entre nous et ne pas demander le rassemblement avant. Nous sommes un parti mûr et nous voyons bien qu'entre L. Fabius, qui s'exprimait hier, et J. Glavany, qui explique que nous avons perdu les élections parce que nous avons ouvert le capital de France Télécom, il y a quand même une certaine distance. Or, aujourd'hui, ils sont dans la même sensibilité. Ce sont tous les deux des personnalités absolument respectables. Il faut qu'elles assument leur position et puis les militants trancheront. Mais si on refait, comme on fait depuis 1990, la nuit où toutes les vaches sont noires, eh bien, c'est le socialisme et le PS qui en souffriront."
Elles vont devenir grises surtout !
- "C'est possible."
Quand L. Fabius dit - et avec lui, A. Hidalgo -, dans une autre tribune, "que le parti ne doit pas devenir finalement le parti des 20-25 %" ? Les signataires de la tribune d'A. Hidalgo qui disent : "pourquoi le SPD a gagné en Allemagne ? Parce qu'il totalise plus de 30 % des suffrages, ce que le PS n'a pas fait depuis les années 1980". Est-ce que c'est uniquement en se structurant que les thèmes que vous indiquez qu'il va y arriver ?
- "Oui, je le pense. Cela dit, je ne crois pas qu'aujourd'hui, la réflexion, en particulier de ceux qui vous citez en deuxième, qui sont plus jeunes, doit d'abord être une réflexion purement en pourcentage électoral. Ce n'est pas ce que demande notre électorat au PS. Il demande un projet. Je crois que, afficher comme première ambition un score électoral, c'est passer un peu à côté de la crise dont je vous parlais."
F. Hollande, vous n'en dites rien... Pour vous, c'est aussi "le ventre mou", il n'organise pas le débat ? Vous pensez qu'il devrait partir ?
- "Non. D'abord, j'ai de l'amitié et de la considération pour F. Hollande..."
De la vraie ?
- "Oui. Nous travaillons ensemble étroitement depuis plusieurs années - c'est normal, je suis le porte-parole du PS. Je pense qu'il se trouve dans une situation où beaucoup de pesanteurs s'exercent sur lui. Et peut-être est-il temps qu'il en tienne moins compte et qu'il tienne davantage compte de ce qui me semble être en tout cas l'intérêt du mouvement socialiste et donc qu'il affiche très nettement sa volonté de rénovation et très nettement un projet, qui nous change un peu des équilibres entre des gens qui sont là depuis longtemps."
"Se tourner vers l'avenir", pour vous, ce n'est pas assez quand il parle de cela, quand il dit "qu'il faut tourner la page Jospin" ?
- "Je ne crois pas que ce soit l'objectif majeur "tourner la page Jospin". L'objectif majeur est d'agir et de mettre en conformité tous les discours qu'on peut tous tenir. J'entendais L. Fabius qui dit : "Il faut plus de femmes, plus de jeunes". Mais cela n'est pas tellement nouveau. Il y a des gens qui ont déjà exercé des responsabilités, encore faut-il qu'ils soient crédibles. Je crois que F. Hollande pourra tenir le discours que tout le monde pourra tenir aujourd'hui : "Nous sommes modestes, nous voulons nous rénover etc...". L'important, c'est qu'il le mette en acte. Et nous attendons quelques actes."
Un dernier mot : le droit de vote pour les étrangers, question soulevée par la droite, cela vous fait mal ?
- "Oui, ça nous fait mal. Nous y sommes profondément attachés. D'ailleurs, L. Jospin l'avait inscrit dans son programme. En situation de cohabitation, il ne pouvait pas le faire. Il l'avait promis. C'est tout à fait lié à nos valeurs. Et j'espère que ça se fera."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 14 octobre 2002)