Texte intégral
J.-J. Bourdin-. La guerre qui se prépare est-elle une folie ?
- "En tout cas, il y a des très lourds nuages noirs désormais sur l'horizon. D'abord évidemment parce que la guerre qui va éclater d'ici quelques heures est une guerre dangereuse, dans la région du monde la plus dangereuse aujourd'hui. Deuxièmement, parce que les conséquences de cette affaire, de la manière dont elle a été menée et conduite, sont gravissimes, puisque à l'instant même où sera donné l'ordre d'attaque aux troupes américaines, il n'y a plus d'ONU. Je veux dire qu'il n'y a plus de crédibilité pour l'Organisation des nations unies que nous avons bâtie il y a plus de cinquante ans, et dont les nations avaient tout fait pour qu'elle soit prise au sérieux. A partir de l'instant où la première puissance du monde décide de se passer de l'accord de l'ONU, il n'y a plus de crédibilité pour une décision de l'ONU pour l'avenir. Chaque fois que dans une crise, on menacera un dictateur quelconque d'une délibération du Conseil de sécurité des Nations unies, naturellement il éclatera de rire. On est donc vraiment devant un paysage complètement nouveau et à mon avis extrêmement dangereux."
Ce qui veut dire que les dégâts, avant même le déclenchement de la guerre, sont énormes ?
- "Les dégâts sont énormes. Nous avons trois victimes ou deux victimes et demie devant nous : l'ONU a perdu sa crédibilité, l'OTAN - l'alliance entre les Européens et les Etats-Unis - est plus que fragilisée et l'Union européenne elle-même est très profondément atteinte. Vous voyez la dimension des conséquences avant même que le conflit ne démarre."
Quels sont les risques ?
- "Il y a plus de 50 ans, après la guerre, les nations se sont mises d'accord pour trouver un lieu où l'on pourrait gérer les crises de la planète. Ce n'était pas formidable, il y a eu beaucoup de guerres, au Vietnam par exemple, mais au moins, les démocraties étaient à peu près toujours d'accord entre elles. Cette fois-ci, au vu et au su de tout le monde, c'est l'explosion des Nations unies. C'est vraiment très lourd de conséquences que d'entrer dans le XXIème siècle sans avoir le moindre instrument crédible de gestion des crises. C'est, à mon avis, la conséquence la plus lourde, la première conséquence et la plus lourde de cette guerre."
J. Chirac est-il allé trop loin ?
- "Je ne dirais pas cela. Le choix que les Etats-Unis avaient fait, d'imposer la guerre contre toute délibération, faisait que naturellement, en face, il y avait besoin d'une réponse. J. Chirac a choisi d'apporter cette réponse. Vous savez la différence que j'ai avec lui et que j'ai exprimée tout au long de cette crise. Il me semblait que si nous avions décidé d'obtenir une position européenne, de l'ensemble des Européens, quitte à mettre au pied du mur ceux des Européens qui n'auraient pas été d'accord avec la majorité que nous aurions formée, il me semblait que notre position aurait été moins exposée."
Vous savez bien que les Anglais et surtout les Américains, ont tout fait pour que l'Europe se désunisse.
- "Je parle des Européens. Je suis à peu près certain que la position que nous avons exprimée, peut être un peu amendée, aurait été majoritaire en Europe. Et à ce moment-là, peut-être le rapport de force n'eut-il pas été le même. C'est la seule réserve que j'exprime, parce qu'autrement, sur le fond, sur l'idée que le président de la République a exprimée, selon laquelle une nation seule, fut-elle la première de la planète, ne peut pas décider toute seule de la paix et de la guerre, sur cette ligne-là, j'ai apporté mon soutien depuis le départ parce que les principes sont plus importants que tout le reste."
Acceptez-vous qu'aux Etats-Unis, et en Grande-Bretagne aujourd'hui, la France soit prise comme bouc émissaire ?
- "On dira que c'était peut-être inévitable. Je ne sais pas ; je pense en tout cas que ce n'est pas à ce genre de détails, à ce genre de conséquences, que nous devons nous attacher. Ce qui se joue est infiniment plus grave : on a une allumette qui va être craquée dans un baril de poudre, et on a, de notre côté, tous les instruments, dont nous nous étions dotés depuis 50 ans, de gestion des crises, qui se trouvent par terre. Voilà les deux conséquences. A côté de cela, la passion des opinions plus ou moins attisée par certains médias ou attisée par certains hommes politiques ou politiciens, est de peu d'importance. Cela s'arrangera, je le pense et je le crois. En revanche, ce qui ne s'arrangera pas si facilement, c'est comment reconstruire la maison. Il y a trois maisons à reconstruire : il y a à reconstruire l'ONU, et cela ne sera pas simple, c'est-à-dire à donner au monde un lieu dans lequel un vote soit un vote, un "oui" soit un "oui", une gestion des crises soit prise au sérieux, pour que dans les 200 Etats de la planète, tout type qui perd la tête puisse se dire qu'il y a tout de même un endroit où on va le ramener à la raison."
Certains vont dire que c'est Bush qui a perdu la tête, parce qu'il n'y a pas eu de vote à l'ONU permettant la guerre.
- "L'administration Bush, le gouvernement Bush porte une responsabilité très importante dans ce que nous avons vécu, par le caractère "avec oeillères" de la décision qu'ils avaient prise depuis le départ, et pour laquelle ils cherchaient un habillage et non pas une véritable gestion. Et je pense que ceux qui, comme moi, se sentent des amis et des alliés des Américains, doivent être légitimement inquiets devant la manière dont les choses ont été conduites. C'est vraiment très inquiétant. Je disais que l'ONU est à reconstruire, mais l'OTAN est à reconstruire, parce que tout de même, nous sommes l'Occident. L'Europe et les Etats-Unis, nous avons un système de valeurs semblables, nous sommes l'Occident ensemble et quel traité pour l'Occident ? Et puis, il y a une troisième chose à reconstruire, qui est évidemment l'Union européenne, pour qu'elle devienne enfin, comme je l'appelle de mes voeux et presque avec rage, quelque chose qui compte sur la planète, autant que les Etats-Unis. Pour l'instant, l'Union européenne a été construite avec l'idée de tous les gouvernements, que c'était aux nations de conduire la politique étrangère et que l'Union européenne, on verrait plus tard ou on verrait après. Aujourd'hui, on va mesurer les dégâts causés par ce choix."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 18 mars 2003)
- "En tout cas, il y a des très lourds nuages noirs désormais sur l'horizon. D'abord évidemment parce que la guerre qui va éclater d'ici quelques heures est une guerre dangereuse, dans la région du monde la plus dangereuse aujourd'hui. Deuxièmement, parce que les conséquences de cette affaire, de la manière dont elle a été menée et conduite, sont gravissimes, puisque à l'instant même où sera donné l'ordre d'attaque aux troupes américaines, il n'y a plus d'ONU. Je veux dire qu'il n'y a plus de crédibilité pour l'Organisation des nations unies que nous avons bâtie il y a plus de cinquante ans, et dont les nations avaient tout fait pour qu'elle soit prise au sérieux. A partir de l'instant où la première puissance du monde décide de se passer de l'accord de l'ONU, il n'y a plus de crédibilité pour une décision de l'ONU pour l'avenir. Chaque fois que dans une crise, on menacera un dictateur quelconque d'une délibération du Conseil de sécurité des Nations unies, naturellement il éclatera de rire. On est donc vraiment devant un paysage complètement nouveau et à mon avis extrêmement dangereux."
Ce qui veut dire que les dégâts, avant même le déclenchement de la guerre, sont énormes ?
- "Les dégâts sont énormes. Nous avons trois victimes ou deux victimes et demie devant nous : l'ONU a perdu sa crédibilité, l'OTAN - l'alliance entre les Européens et les Etats-Unis - est plus que fragilisée et l'Union européenne elle-même est très profondément atteinte. Vous voyez la dimension des conséquences avant même que le conflit ne démarre."
Quels sont les risques ?
- "Il y a plus de 50 ans, après la guerre, les nations se sont mises d'accord pour trouver un lieu où l'on pourrait gérer les crises de la planète. Ce n'était pas formidable, il y a eu beaucoup de guerres, au Vietnam par exemple, mais au moins, les démocraties étaient à peu près toujours d'accord entre elles. Cette fois-ci, au vu et au su de tout le monde, c'est l'explosion des Nations unies. C'est vraiment très lourd de conséquences que d'entrer dans le XXIème siècle sans avoir le moindre instrument crédible de gestion des crises. C'est, à mon avis, la conséquence la plus lourde, la première conséquence et la plus lourde de cette guerre."
J. Chirac est-il allé trop loin ?
- "Je ne dirais pas cela. Le choix que les Etats-Unis avaient fait, d'imposer la guerre contre toute délibération, faisait que naturellement, en face, il y avait besoin d'une réponse. J. Chirac a choisi d'apporter cette réponse. Vous savez la différence que j'ai avec lui et que j'ai exprimée tout au long de cette crise. Il me semblait que si nous avions décidé d'obtenir une position européenne, de l'ensemble des Européens, quitte à mettre au pied du mur ceux des Européens qui n'auraient pas été d'accord avec la majorité que nous aurions formée, il me semblait que notre position aurait été moins exposée."
Vous savez bien que les Anglais et surtout les Américains, ont tout fait pour que l'Europe se désunisse.
- "Je parle des Européens. Je suis à peu près certain que la position que nous avons exprimée, peut être un peu amendée, aurait été majoritaire en Europe. Et à ce moment-là, peut-être le rapport de force n'eut-il pas été le même. C'est la seule réserve que j'exprime, parce qu'autrement, sur le fond, sur l'idée que le président de la République a exprimée, selon laquelle une nation seule, fut-elle la première de la planète, ne peut pas décider toute seule de la paix et de la guerre, sur cette ligne-là, j'ai apporté mon soutien depuis le départ parce que les principes sont plus importants que tout le reste."
Acceptez-vous qu'aux Etats-Unis, et en Grande-Bretagne aujourd'hui, la France soit prise comme bouc émissaire ?
- "On dira que c'était peut-être inévitable. Je ne sais pas ; je pense en tout cas que ce n'est pas à ce genre de détails, à ce genre de conséquences, que nous devons nous attacher. Ce qui se joue est infiniment plus grave : on a une allumette qui va être craquée dans un baril de poudre, et on a, de notre côté, tous les instruments, dont nous nous étions dotés depuis 50 ans, de gestion des crises, qui se trouvent par terre. Voilà les deux conséquences. A côté de cela, la passion des opinions plus ou moins attisée par certains médias ou attisée par certains hommes politiques ou politiciens, est de peu d'importance. Cela s'arrangera, je le pense et je le crois. En revanche, ce qui ne s'arrangera pas si facilement, c'est comment reconstruire la maison. Il y a trois maisons à reconstruire : il y a à reconstruire l'ONU, et cela ne sera pas simple, c'est-à-dire à donner au monde un lieu dans lequel un vote soit un vote, un "oui" soit un "oui", une gestion des crises soit prise au sérieux, pour que dans les 200 Etats de la planète, tout type qui perd la tête puisse se dire qu'il y a tout de même un endroit où on va le ramener à la raison."
Certains vont dire que c'est Bush qui a perdu la tête, parce qu'il n'y a pas eu de vote à l'ONU permettant la guerre.
- "L'administration Bush, le gouvernement Bush porte une responsabilité très importante dans ce que nous avons vécu, par le caractère "avec oeillères" de la décision qu'ils avaient prise depuis le départ, et pour laquelle ils cherchaient un habillage et non pas une véritable gestion. Et je pense que ceux qui, comme moi, se sentent des amis et des alliés des Américains, doivent être légitimement inquiets devant la manière dont les choses ont été conduites. C'est vraiment très inquiétant. Je disais que l'ONU est à reconstruire, mais l'OTAN est à reconstruire, parce que tout de même, nous sommes l'Occident. L'Europe et les Etats-Unis, nous avons un système de valeurs semblables, nous sommes l'Occident ensemble et quel traité pour l'Occident ? Et puis, il y a une troisième chose à reconstruire, qui est évidemment l'Union européenne, pour qu'elle devienne enfin, comme je l'appelle de mes voeux et presque avec rage, quelque chose qui compte sur la planète, autant que les Etats-Unis. Pour l'instant, l'Union européenne a été construite avec l'idée de tous les gouvernements, que c'était aux nations de conduire la politique étrangère et que l'Union européenne, on verrait plus tard ou on verrait après. Aujourd'hui, on va mesurer les dégâts causés par ce choix."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 18 mars 2003)