Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, dans "La Tribune" du 10 juillet 2003, sur son souhait de voir baisser les charges sociales sur les bas salaires pour soutenir la consommation plutôt que la baisse des impôts.

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Média : La Tribune

Texte intégral

Rappelant que "la pédagogie (est) la vertu cardinale de la politique ", le président de l'UDF s'oppose au choix d'une baisse d'impôts, lui préférant un soutien à la consommation.
Comment jugez-vous la situation économique de la France ?
Le climat est préoccupant. La France, et l'Europe en général, souffrent d'une croissance presque absente, avec des handicaps persistants. Il y a quelques mois, on vivait avec l'illusion que la fin de la guerre en Irak allait résoudre tous les problèmes. On s'aperçoit que ce n'est pas vrai. La France et l'Allemagne sont aux prises avec de grandes difficultés économiques. Sur le terrain, de surcroît, on a l'impression d'une flambée de délocalisations, dont les analystes nationaux ne parlent guère, mais qui est un épisode de plus illustrant les difficultés de l'emploi dans notre pays.
La politique du gouvernement vous semble-t-elle adaptée ?
Au moment de l'élection de 2002, on avait identifié deux grands sujets à propos desquels il fallait agir : les 35 heures et les retraites. Je regrette le gouvernement ait pris la décision de ne pas traiter sur le fond le dossier des 35 heures. Il les a certes assouplies à la marge, mais aucune réflexion de fond n'a été conduite sur cette contrainte qui pèse sur le coût de l'emploi. Ce choix fait par le gouvernement pèse lourd sur la situation économique de la France. Sur le deuxième chapitre, celui des retraites, même si j'avais espéré une autre réforme, j'ai soutenu le gouvernement. Il fallait en effet que cette réforme aboutisse pour que le pays ne vive pas avec l'idée que toute réforme était impossible. Il fallait donc faire preuve de solidarité. Il y a maintenant devant nous des problèmes cruciaux qu'il va falloir traiter, notamment la question budgétaire.
Vous avez évoqué la semaine dernière la situation " calamiteuse " des finances publiques
Je reprenais en souriant un mot d'Alain Juppé en d'autres temps Il faut se mettre en face de la vérité. La présentation faite à l'opinion publique n'est pas assez pédagogique. Pour évaluer le déficit, les analystes parlent toujours en points de PIB, 3 %, 4 %, ce qui à l'oreille, ne fait pas beaucoup. En réalité, le déficit est immense : chaque année, la France dépense en moins de dix mois la totalité de ses rentrées sur douze mois. Le reste du temps, elle vit à crédit. Elle emprunte chaque année pour payer ses dépenses des deux derniers mois. Voilà la réalité de la situation française. Rien n'est plus dangereux que de reporter sur les générations à venir la charge des emprunts que nous faisons pour notre train de vie ordinaire. Et pendant ce temps, on continue, comme si de rien n'était, à parler de baisse d'impôts
Vous estimez illusoires ces promesses de baisses d'impôts ?
On continue à promettre des baisses d'impôts, comme s'il y avait des marges de manuvre. Or ces marges de manuvre n'existent pas. Et quand bien même elles existeraient, ce que je ne crois pas, je pense qu'il faudrait les affecter aux salaires, à commencer par les plus bas, par la baisse des charges, plutôt qu'à une baisse de l'impôt sur le revenu, qui risque d'accroître encore davantage le taux d'épargne dans cette période d'incertitude. Les salaires du bas de l'échelle paient très peu d'impôt sur le revenu. Seule la relance de ces salaires peut apporter le revenu supplémentaire pour soutenir la consommation. Ce doit être la priorité aujourd'hui. N'ayant jamais cru aux promesses de baisses d'impôts massives, je ne crois pas davantage que ce soit le meilleur choix à faire pour relancer la croissance.
La prévision officielle de croissance reste à 2,5 % pour 2004, contre l'avis de tous les experts
Une démocratie responsable devrait mettre sur la table plusieurs hypothèses de croissance. L'idée qu'un gouvernement serve la croissance en affichant des taux magnifiques, sous forme d'incantation, c'est une " conduite magique ", porteuse à terme de beaucoup de désillusions. On aurait gagné beaucoup à avoir fait depuis quatorze mois un exercice de vérité absolue en ayant mis les Français devant la gravité de la situation. Pour qu'ils soient les acteurs des décisions à prendre, et pas seulement des spectateurs.
Après les revers sur la décentralisation, faut-il revoir la réforme ?
La décentralisation est un enjeu majeur, puisque c'est à travers elle que s'effectuera la réforme de l'Etat. Mais elle ne peut se réduire à un simple transfert de charges. Ce qui a manqué jusqu'à présent, c'est une conception simple des enjeux de la réforme. Les projets sont trop confus. La pédagogie et la clarté sont les vertus cardinales de la politique.
Propos recueillis par Delphine Girard


(source http://www.udf.org, le 11 juillet 2003)