Tribune de Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie, dans le "Figaro" le 9 mai 2003, sur l'innovation industrielle en Europe, intitulée "Economie réglementation et compétitivité sont-elles compatibles dans le cadre de l'Union ? L'urgence d'une politique industrielle européenne".

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Économie Réglementation et compétitivité sont-elles compatibles dans le cadre de l'Union ? L'urgence d'une politique industrielle européenne
Alors que nous célébrons aujourd'hui la journée de l'Europe, cette dernière se trouve, à nouveau, face à son destin. L'Union européenne que nous connaissions à quinze, fondamentalement proche de l'Europe des six pères fondateurs, doit désormais radicalement évoluer. Une évolution politique bien sûr, alors que dix nouveaux pays ont signé leur adhésion à l'Union et que nous attendons les propositions de la Convention sur l'avenir de l'Europe, doivent permettre un fonctionnement efficace dans une con figuration élargie. Une évolution économique aussi, tant il devient urgent de parvenir à une véritable politique industrielle européenne. Nous voici donc à l'heure des choix. L'Europe s'est fixée, en l'an 2000 à Lisbonne, le grand dessein de "devenir l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde". Il nous faut aujourd'hui en trouver les moyens et les mettre en oeuvre.
Nos économies se caractérisent par un rapprochement croissant entre intérêt national et intérêt communautaire, nous avons atteint la cohésion requise dans nos réglementations, et il n'existe déjà plus de frontières économiques nationales. Parallèlement, la concurrence mondiale que nous affrontons est de plus en plus aiguë. Un nouvel esprit, une dynamique nouvelle autour d'une stratégie industrielle européenne doivent donc désormais tourner l'Europe vers l'extérieur. Jusqu'ici, notre attention, nos efforts ont porté sur l'ouverture à la concurrence interne, sur la transposition et l'application commune des directives, sur la mise en bon ordre de nos législations, sur l'adaptation aux mutations de nos industries. Chaque Etat-membre s'est efforcé d'en tirer le meilleur parti, en appliquant la maxime : "Chacun pour soi, la règle pour tous." Cette première étape était nécessaire, elle se poursuit encore.
Mais à présent que ce marché intérieur est une réalité, il importe de mobiliser nos forces pour l'affirmation de notre puissance commune. La concurrence intracommunautaire ne saurait demeurer notre unique souci : c'est la concurrence de l'Union européenne avec le monde environnant qui doit désormais nous mobiliser. L'industrie européenne représente 45 millions d'emplois et un excédent commercial de 55 milliards d'euros. Il nous faut cultiver et renforcer ce succès. Les économies européennes ont d'abord souhaité vivre en commun, elles doivent maintenant "vouloir" ensemble.
Osons faire de la réglementation un outil de croissance ! L'intérêt global de l'Union doit ainsi, systématiquement, être mieux pris en compte par exemple dans les décisions de la Commission portant sur la concurrence, les aides d'Etat ou la lutte contre les positions dominantes qui, par définition, sont relatives à des cas particuliers. Nous devons apprendre à mettre la réglementation au service de l'intérêt bien compris de l'Europe face aux autres puissances économiques, et non pas restreindre celui-ci par l'application trop dogmatique de règles internes. Conçues comme fondements et moyens de notre excellence, ces dernières ne doivent pas être dénaturées en de multiples handicaps. Peut-on, par exemple, considérer qu'il est bon qu'un groupe puissant puisse émerger dans un jeu concurrentiel légal avec les pays extra-européens ? Si nous l'admettons, il faut que le droit européen le permette.
C'est bien dans cet esprit que je compte mobiliser la réflexion de nos partenaires européens sur la question fondamentale de l'innovation, dans laquelle l'Europe accuse un retard trop important, par rapport à des pays comme le Japon ou les Etats-Unis. C'est ce retard que j'ai entrepris de rattraper, avec le plan innovation que j'ai préparé et présenté avec ma collègue Claudie Haigneré. Mais je souhaite amplifier cet axe stratégique de notre politique économique. Et nous ne pourrons gagner cette bataille de la valeur ajoutée qu'en suscitant parallèlement une approche ambitieuse de sa réglementation au niveau européen.
Agissons ainsi sur les réglementations existantes, et décidons du futur avec celles que nous définirons dans ce nouvel esprit. J'en appelle à tous mes homologues européens, afin qu'à l'avenir, la compétitivité des industries de l'Union européenne soit, au niveau communautaire, un vrai critère de décision, et non une simple variable d'ajustement ! Il faut, pour cela, développer une approche horizontale, systématique, des politiques envisagées dans tous les domaines, afin de les analyser sous l'angle spécifique de leurs conséquences en termes de compétitivité.
Il est par ailleurs essentiel de développer une approche sectorielle, afin que les spécificités des différentes industries donnent lieu à des décisions adaptées. Et c'est précisément pour faire émerger les positions communes les plus pertinentes dans chaque secteur industriel, que nous avons institué, avec nos partenaires allemands, des journées de travail régulières, associant ministres et services de nos deux pays. Cette dynamique a bien évidemment vocation à rassembler d'autres partenaires autour de positions que nous souhaitons décisives.
C'est ainsi que se développeront, par ailleurs, de grands axes stratégiques industriels au niveau européen. Avec Airbus, STMicroelectronics ou EADS, les Européens ont montré qu'ils étaient capables de s'entendre pour construire de grands projets. Pour l'Union, il s'agit maintenant de favoriser de manière volontariste des réalisations communes, comme la conquête spatiale ou la défense, les technologies de l'information ou les biotechnologies, autour desquelles se renforceront nos positions économiques et notre conscience politique.
Certaines avancées institutionnelles récentes dessinent les linéaments de cette nouvelle politique. Ainsi, la création d'un Conseil Compétitivité en 2002 manifeste une volonté des gouvernements de miser sur l'essor industriel européen. Il nous faut agir, avec détermination et dans la continuité, pour en faire une instance décisionnelle forte qui réponde à nos ambitions.
Le futur texte constitutionnel, qui naîtra des travaux de la Convention sur l'avenir de l'Europe, doit être l'occasion d'affirmer haut et fort ces principes. Car ne l'oublions pas : de la compétitivité de l'industrie européenne dépendent la cohésion sociale et les emplois.
Adressons le signal fort d'une ferme volonté pour l'avenir de l'Europe, fondé sur une économie dynamique et compétitive, dotée d'une industrie solide et d'un environnement propice aux entreprises, à travers une véritable politique industrielle européenne. L'avenir des Européens se joue dans ce défi. Ne nous demandons plus ce que l'Europe peut faire pour nous, mais ce que nous pouvons faire pour l'Europe !
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 mai 2003)