Interviews de M. Dominique Galouzeau de ViIlepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, à France 2 le 15 mars 2003 et au "Journal du Dimanche" le 16, sur l'évolution de la crise irakienne vers la logique de guerre, les perspectives pour l'Onu en cas de déclenchement de la guerre et l'avenir des relations entre la France et les Etats-Unis.

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Média : France 2 - Le Journal du Dimanche - Télévision

Texte intégral

(Interview au Journal de 20h de France 2 à Paris, le 15 mars 2003) :
Q - La France compte-t-elle occuper le terrain, envoyer des contre-feux et en tout cas, faire des propositions concrètes ?
R - Nous restons en initiative et nous venons d'adopter ce soir une déclaration tripartite des trois ministres russe, allemand et français, pour soutenir une nouvelle réunion du Conseil de sécurité, une réunion d'urgence, à l'échelon ministériel, pour examiner le rapport que doit faire, en début de semaine, M. Blix. Il doit fixer les tâches clés du désarmement de l'Irak ; c'est-à-dire donner un calendrier très précis à la communauté internationale. Nous pensons qu'il faut que ce calendrier et ces propositions soient examinés à l'échelon ministériel et que, tous ensemble, nous définissions le délai raisonnable qui nous permettrait le désarmement.
Q - Evidemment le temps presse, on va y revenir en détail, mais je voudrais d'abord savoir si Jacques Chirac a eu George Bush au téléphone aujourd'hui, il y a quelques heures, ou compte l'avoir dans la soirée ?
R - Il ne l'a pas eu au cours des derniers jours, mais ils sont en contact régulier, comme je le suis avec Colin Powell et avec tous les ministres qui s'attellent à ce dossier.
Q - Revenons sur la déclaration radiophonique de George Bush d'aujourd'hui. Il disait, je cite ses paroles : "des journées cruciales attendent les pays libres du monde et appellent les gouvernements à montrer leurs engagements en faveur de la paix et de la sécurité, pour voir s'il ne s'agit que de paroles." Quelle est la réponse de la France à travers votre voix ?
R - C'est de souligner le paradoxe. D'un côté, il y a cette marche vers la guerre, ces préparatifs qui tous les jours sont plus forts, et de l'autre, il y a la réalité de la concertation internationale, il y a le soutien d'une majorité très large au Conseil de sécurité et d'une très large majorité de la communauté internationale - nous l'avons vu tout à l'heure à travers vos images - qui dit qu'il est possible d'avancer vers un désarmement pacifique de l'Irak.
Q - Vous êtes, vous l'avez dit, pour des solutions réalistes. Le Chili a proposé un délai de trois semaines, qui a été immédiatement rejeté par Washington. Est-ce encore sérieux d'y croire ?
R - Mais bien sûr, pour une raison simple, c'est que les inspecteurs nous disent que ce désarmement progresse, qu'il y a une coopération active de l'Irak, que l'on peut faire autrement que la guerre, pourquoi alors...
Q - Mais est-ce que vous croyez vraiment, pardonnez-moi, que Saddam Hussein est prêt à une coopération absolue, totale, spectaculaire, comme on le lui demande ?
R - C'est ce que nous disent, jour après jour, les inspecteurs. Ils soulignent les progrès, ils soulignent la coopération qui s'est engagée. Pourquoi faire la guerre alors que l'on peut obtenir le même résultat par le biais d'un désarmement pacifique, avec les inspecteurs sur place ? C'est cette logique de paix qui est aujourd'hui évidemment à l'épreuve face à cette détermination américaine.
Q - Gerhard Schröder, qui est donc votre partenaire et allié dans ces propositions, exprimait ses doutes, en disant qu'on ne va pas arriver à éviter le conflit. On est à l'heure de vérité, quel est votre sentiment ?
R - Notre sentiment, c'est qu'il y a une très grande détermination américaine. On peut difficilement imaginer ce qui pourrait arrêter cette machine. Nous pensons que l'unité de la communauté internationale, l'unité de la conscience internationale, et surtout qu'une concertation - les trois vont se réunir aux Açores, nous proposons que les Quinze se réunissent en début de semaine, le président de la République avait proposé que les quinze chefs d'Etat du Conseil de sécurité se réunissent ensemble pour faire des propositions concrètes...
Q - C'est resté lettre morte...
R - Oui, mais je pense que, à l'heure de vérité, quand on voit ce qui se prépare aujourd'hui à Bagdad, quand on voit les conséquences et l'incertitude dans lesquelles risque d'entrer le monde avec l'épreuve de la guerre, je crois qu'une dernière réflexion serait bienvenue.
Q - Quelques questions très concrètes. D'abord, beaucoup de rumeurs circulent quant aux dates d'entrée dans la guerre des Américains. George Bush a toujours dit qu'il préviendrait ses alliés. Est-ce que vous considérez que dans les jours à venir, le monde ne verra pas une attaque ou en tout cas le début d'un conflit ?
R - Nous pensons que la détermination américaine et la préparation militaire militent au contraire dans le sens d'une guerre, et c'est bien pour cela que cette mobilisation du Conseil de sécurité
Q - Mais c'est imminent ? Vous diriez demain, après-demain ?
R - Ils ont parlé d'un délai qui était celui du 17 mars, c'est ce qui avait été dit. Il avait été question de donner quelques jours de plus, mais je crois que pour les Américains, cela se compte en jours.
Q - Dominique de Villepin, vous parlez, et c'est une question plus personnelle, vous parlez avec beaucoup de fougue, beaucoup de passion, beaucoup de foi, beaucoup d'emphase, que faites-vous quand viennent les moments de découragement ?
R - Les moments de découragement ne viennent pas, tout simplement parce que, quand on a la chance de défendre la diplomatie française, de défendre la France et la vision de la France, au service de la vision du président de la République, eh bien on n'a pas le droit d'être découragé.
Q - La France est-elle prête à un compromis ?
R - La France est prête à un compromis sur un calendrier très resserré, mais pas sur un ultimatum, pas sur un recours automatique à la force, parce que nous pensons que le principe de responsabilité est intangible dans la communauté internationale.
Q - Merci Dominique de Villepin, d'avoir répondu à nos questions.
R - Merci à vous.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 mars 2003)
(Interview au "Journal du Dimanche" à Paris, le 16 mars 2003) :
Q - Existe-t-il encore une chance aujourd'hui d'éviter la guerre ?
R - Nous sommes face à une situation étonnante : on assiste d'un côté à une marche forcée vers la guerre et de l'autre, dans les négociations à New York à l'affirmation d'une majorité claire en faveur d'un désarmement pacifique de l'Irak. En effet, le projet anglo-américano-espagnol qui s'inscrivait dans une logique d'ultimatum n'a pas recueilli de nouveaux soutiens. Et les tentatives britanniques pour lui redonner vie ont tourné court.
D'autres pays ont suggéré des formules de compromis. Ainsi le Chili a avancé un délai de trois semaines, mais la Maison-Blanche a opposé une fin de non-recevoir. En fait, toutes ces propositions se heurtent à l'accélération du calendrier militaire.
Dès lors la question est claire : acceptons-nous cette logique de guerre ou restons-nous dans la logique des inspecteurs, qui doivent transmettre leur programme de travail en début de semaine au Conseil de sécurité ? La France, avec l'Allemagne et la Russie, propose une réunion d'urgence du Conseil de sécurité au niveau ministériel afin d'approuver ce programme de travail et de le mettre en uvre avec un calendrier resserré. Une déclaration en ce sens des trois ministres a été adoptée hier soir.
Q - Qu'attendez-vous du Sommet des Açores ?
R - Nous voulons espérer que ce sommet à trois ne cédera pas à une logique de guerre. Avec une très large majorité du Conseil de sécurité, nous restons attachés à un désarmement pacifique de l'Irak.
Il faut garder ce cap. Pas seulement pour répondre au problème irakien, mais aussi pour faire face aux autres crises de prolifération, notamment en Corée du Nord. Il faut faire du régime des inspections tel que nous sommes en train de le bâtir en Irak un outil exemplaire pour répondre à ces menaces. L'essentiel est bien que la communauté internationale retrouve l'unité qu'elle avait su forger au moment de l'adoption de la résolution 1441. Cette unité est la condition de l'efficacité et de la légitimité de l'action internationale.
Q - Si la guerre est déclenchée malgré tout est-ce la mort de l'ONU ?
R - Pas du tout. Même dans ce cas, nous aurons besoin des Nations unies. Car un pays peut gagner la guerre. Mais aucun pays ne peut construire seul la paix. Cela exigera la mobilisation de tous, qu'il s'agisse de l'aide humanitaire, de la remise sur pied de l'économie irakienne, ou encore de la reconnaissance du futur régime politique.
En revanche, vouloir faire du Conseil de sécurité une simple chambre d'enregistrement conduirait bien à saper l'autorité des Nations unies.
Q - La France n'a-t-elle pas cassé quelque chose dans ses relations avec ses alliés ?
R - Même si certains sont tentés par la polémique ou la recherche de boucs-émissaires, la France se refuse à rentrer dans ce jeu inutile et dangereux.
Depuis le début de la crise, la France n'a cessé d'oeuvrer pour l'unité de la communauté internationale et du Conseil de sécurité. C'est grâce à la France que la résolution 1441 a été adoptée à l'unanimité. Depuis lors, la France a multiplié les initiatives : nous avons proposé, par exemple, de renforcer les moyens mis à la disposition des inspecteurs. Nous avons aussi proposé de définir les tâches prioritaires qui restaient à accomplir avec un rapport d'étape toutes les trois semaines ; nous avons dit que sur cette base nous étions prêts à accélérer le calendrier du désarmement.
Au-delà, la France a une vision des relations internationales. Les Nations unies sont, pour elle, l'ossature de la communauté internationale. La résolution 1441 a été un moment rare où le Conseil de sécurité a manifesté son unité. Alors que nous sommes face au risque de la guerre, il faut se mobiliser pour retrouver ce chemin.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 mars 2003)