Déclaration de M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur la crise alimentaire en Afrique, à New York le 5 mars 2003.

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Circonstance : Réunion du G8 sur la sécurité alimentaire, à New York le 5 mars 2003

Texte intégral


La France est pleinement consciente de la gravité de la crise qui sévit aujourd'hui en Afrique. C'est pourquoi nous sommes très heureux d'assumer la coprésidence, au titre du G8, de l'initiative américaine qui a rendu possible cette réunion. La question qui se pose à nous est de savoir ce que nous pouvons, et ce que nous devons faire, pour mettre un terme à ce cruel fléau. Sans prétendre apporter de réponse définitive à des questions aussi difficiles, je souhaite soumettre à votre sagacité quelques pistes de réflexion.
Je crois que nous devons tout d'abord encourager et promouvoir l'action déjà engagée pour lutter contre la crise alimentaire en Afrique. Je pense notamment à l'initiative "Africa Hunger Alert" du Programme alimentaire mondial, à la mobilisation des organisations non-gouvernementales, en particulier des signataires de la "Déclaration de Baltimore" sur ce thème.
Au-delà, notre souci doit être de réfléchir aux conditions susceptibles d'assurer le succès à notre combat contre la famine. Trois d'entre elles, tout particulièrement, me paraissent essentielles:
En premier lieu, l'aide alimentaire doit être l'instrument de dernier recours. Son utilité est claire : elle doit permettre d'éviter le pire. Aujourd'hui, un effort de la communauté internationale dans son ensemble, gouvernements, institutions internationales, ONG et acteurs privés, est sans doute nécessaire dans le but de pallier l'immense crise vivrière qui menace l'Afrique.
Notre effort doit être concerté afin de gagner en efficacité. Il nous paraît important, notamment, de soutenir la tâche des organisations internationales compétentes qui s'y consacrent. Dans ce cadre, notre effort doit s'appuyer sur une évaluation précise de l'ampleur et de la nature des besoins des pays et des populations victimes. Je me félicite sincèrement, à ce propos, de l'initiative de la Commission européenne, en coordination avec les membres de l'Union européenne, d'accompagner le travail d'évaluation des besoins qui sera réalisé par le Programme alimentaire mondial, dès la semaine prochaine, à Rome.
En deuxième lieu, pour que l'aide remplisse convenablement ses objectifs, elle doit répondre à certaines règles. En particulier, les modalités d'octroi de l'aide alimentaire doivent être prises en compte afin de ne pas déstabiliser les productions locales des pays bénéficiaires.
Des règles communes ont été fixées, dans le cadre de la Convention de Londres sur l'Aide alimentaire de 1999, à laquelle la France participe avec, parmi les membres du G8, les Etats-Unis, l'Allemagne, le Royaume-Uni, le Canada, le Japon et la Commission européenne. Sans doute faut-il la réviser. Nous souhaitons que ce travail soit mené en liaison avec le PAM et la FAO.
Parmi les principes de cette convention, auxquels la France adhère pleinement, je citerai les trois règles suivantes:
- L'aide doit respecter les habitudes alimentaires locales ;
- Les achats locaux ou triangulaires de produits agricoles doivent être privilégiés ;
- L'aide doit être déliée des exportations commerciales du pays donateur.
Dans le cadre des négociations en cours à l'Organisation mondiale du commerce et dans la perspective de la renégociation de la Convention de Londres, la France et l'Union européenne demandent certaines évolutions :
- L'aide alimentaire doit se faire sous forme de dons ;
- Elle devrait être fournie exclusivement en espèces, à l'exception éventuelle des situations d'urgence humanitaire reconnues par les organisations internationales compétentes.
Pour être efficaces et renforcer le potentiel agricole des pays en crise, il faut agir sur un ensemble de déterminants. La coopération française met l'accent sur le renforcement des politiques agricoles et alimentaires à l'échelle nationale et régionale en Afrique, avec plusieurs axes :
- L'appui aux politiques agricoles pour leur permettre une meilleure organisation des marchés locaux et tirer le meilleur profit des complémentarités régionales et internationales, en particulier dans le cadre de la COMESA et de la CEDEAO ;
- L'amélioration des systèmes d'information et de statistiques rurales en Afrique, dans le cadre d'un programme multi-bailleurs lancé en septembre dernier ;
- L'amélioration de la productivité de l'agriculture, qui passe à la fois par le renforcement de l'organisation des producteurs et par un effort renouvelé de recherche adaptée aux conditions spécifiques de l'agriculture africaine ;
- Enfin, le renforcement des capacités dans le domaine de l'aide alimentaire elle-même pour permettre aux bénéficiaires d'optimiser leur gestion de l'aide, sur le plan quantitatif et qualitatif.
En troisième lieu, nous devons lutter contre les causes structurelles des crises alimentaires, afin de créer des conditions durables de sécurité alimentaire et agricole pour le continent africain.
La France a proposé récemment un geste de solidarité et de générosité à l'égard de l'Afrique, à travers une initiative commerciale. Nous espérons que cette initiative recevra le soutien de nos partenaires des pays industrialisés.
Elle consiste à :
- Mieux gérer les politiques d'aides et d'exportations agricoles des pays développés afin d'éviter qu'elles ne déstabilisent les productions vivrières africaines. La France propose notamment un moratoire sur les aides à l'exportation agricole déstabilisantes, pendant la durée des négociations à l'OMC, qui s'appliquerait à l'aide alimentaire utilisée à des fins commerciales ainsi qu'aux crédits destinés à l'exportation ;
- Défendre pour l'Afrique un traitement commercial privilégié, comportant un accès préférentiel et pérenne à nos marchés, sans limitation dans le temps ;
- Examiner à nouveau la question de la fluctuation des cours des matières premières et des produits de base, qui est essentielle pour le développement de l'Afrique.
La stabilisation et l'avenir du continent africain - nous en sommes convaincus - reposent sur le succès de l'initiative du NEPAD et de ses programmes agricoles et de sécurité alimentaire. Le NEPAD, vous le savez, constitue d'ailleurs la première priorité de la présidence française du G8.
Lors du prochain sommet à Evian, il est essentiel que nous parlions d'une seule voix et que nous sachions témoigner à la communauté internationale, aux Africains tout d'abord mais aussi à l'ensemble de nos sociétés, que le problème de la famine et de la sécurité alimentaire est traité avec le sérieux, la détermination et l'efficacité qui s'imposent à des pays développés, soucieux des grands équilibres du monde contemporain.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 mars 2003)