Déclaration de M. Hamlaoui Mékachera, secrétaire d'Etat aux anciens combattants, sur la déportation des Juifs de France et la rafle du Vel' d'hiv', les "Justes" de France, la rénovation de l'exposition française du musée de la déportation à Auschwitz et la lutte contre le racisme et l'antisémitisme dans les établissements d'enseignement, Paris le 20 juillet 2003.

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Circonstance : Journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'Etat français et d'hommage aux "Justes" de France, Paris le 20 juillet 2003

Texte intégral

Madame la Ministre,
Madame la Présidente de la Fondation pour la mémoire de la Shoah,
Monsieur le Maire de Paris,
Messieurs les Préfets,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les élus,
Messieurs les officiers généraux,
Monsieur le Président du CRIF,
Messieurs les grands rabbins,
Mesdames et Messieurs les Présidents d'associations,
Mesdames et Messieurs,
Nous sommes rassemblés pour une cérémonie nationale singulière.
Singulière, bien sûr, par l'émotion d'une intensité sans pareille qu'elle suscite toujours.
Mais, singulière, cette commémoration l'est surtout parce qu'elle exige de nous, individuellement et collectivement, un profond travail de mémoire et de réflexion sur notre pays, sur notre passé, sur nous-même.
Parce qu'elle exige de nous tous, mobilisation pour le présent et vigilance pour l'avenir.
Mesdames et Messieurs, en cet instant, partout en France, et plus particulièrement ici, à quelques mètres de l'ancien Vélodrome d'Hiver, nous nous souvenons de ce que furent les persécutions antisémites en France pendant la Seconde Guerre mondiale.
Se souvenir, c'est prendre la mesure de la douleur des persécutés, c'est accompagner celle de leur communauté, c'est attester de celle de la Nation, c'est partager celle de l'humanité toute entière.
Douleur bouleversante, et insurpassable, de ceux qui furent les victimes des rafles et de toutes les violences et les humiliations décidées par l'Occupant et par les autorités françaises pendant toutes ces années noires et qui prirent, à partir de l'été 1942, une dimension dramatiquement nouvelle.
Douleur de toute une communauté qui se souvient du martyr de ses parents, de son propre martyr, et qui a désormais le devoir d'en porter témoignage au travers du temps.
Douleur de la Nation, qui se souvient que des Français, que l'Etat français, se sont ainsi rendus " complice de la folie criminelle de l'Occupant ", selon les mots prononcés en 1995 par le Président de la République, M. Jacques CHIRAC, et qui résonnent encore, et qui résonneront longtemps, tant ils sont justes et tant ils étaient nécessaires.
Douleur de toute l'humanité, devant la tragédie unique de la Shoah qui concerne et qui interpelle tous les hommes, quelles que soient leur histoire, leur confession ou leurs convictions.
Car, c'est bien le propre de l'homme que de se sentir comptable du destin de toute l'humanité. Chaque homme porte en lui la mémoire et l'avenir de l'humanité toute entière.
Au cur de notre histoire, la folie incommensurable de la Shoah. Au cur de notre avenir, l'exigence impérieuse de rendre absolument impossible la reproduction de tels crimes.
Mesdames et Messieurs, se souvenir, c'est aussi rappeler que, d'emblée, des hommes et des femmes de France prirent conscience de ce qui se commettait à l'encontre des Juifs.
Ces " Justes " - selon la belle appellation choisie par YAD VASHEM pour les honorer - ces Justes, ont compris que le Vel d'Hiv ne pouvait conduire qu'à l'irréparable.
En effet, pourquoi mobiliser l'administration à tous les niveaux, pourquoi réquisitionner tant de forces de l'ordre, pourquoi planifier dans le secret, pourquoi une telle ampleur, pourquoi une telle violence, pourquoi tant d'inhumanité, si ce n'est pour conduire à l'extermination ?
L'honneur des " Justes " est à la mesure du drame : immense.
Le " Dictionnaire des Justes de France " que vient de publier YAD VASHEM, comme les travaux remarquables de M. Serge KLARSFELD, nous présentent les mille et une figures, en ces circonstances dramatiques, de l'Honneur.
Au fil des pages, au gré des visages, des noms - humbles ou reconnus - à l'évocation de ces individus, de ces familles, de ces communautés religieuses, de ces villages entiers, on est prit par la beauté de cette diversité, on est ému par tant de courage, de modestie, par tant d'héroïsme, le plus souvent resté discret.
A cette lecture, on se surprend à rêver d'une France qui n'aurait enfanté que des " Justes ", qui n'aurait été qu'avec DE GAULLE, qui ne se serait illustrée qu'à Bir Hakeim ou en Italie. Une France à laquelle croyait la communauté juive avant d'y être si sauvagement persécutée. Beaucoup d'ailleurs, pour leur malheur, n'arrivèrent pas à imaginer un autre visage à la patrie des Lumières et des droits de l'Homme.
" Aujourd'hui, l'action des Justes, comme les drames vécus par nos compatriotes, nous obligent ". Ces mots prononcés par le Premier ministre, M. Jean-Pierre RAFFARIN, ici même, l'année dernière, pour le soixantième anniversaire de la rafle du " Vel d'Hiv ", le Gouvernement s'est attaché à les mettre en application de façon concrète.
Ainsi, le Premier ministre a décidé de faire rénover l'exposition française du musée d'AUSCHWITZ.
Sur ce lieu de malheur, devenu tragiquement emblématique, le drame des Juifs déportés depuis la France doit être enfin évoqué pour ce qu'il fut.
En 2005, pour le soixantième anniversaire de la libération des camps, ceux qui se rendront à AUSCHWITZ, comme vous, chers amis jeunes ici présents, comme moi un mercredi de mars dernier que je n'oublierai jamais Ceux qui se rendront à AUSCHWITZ, disais-je, devront pouvoir connaître le destin des Juifs déportés depuis notre pays. Ils furent 76 000.
Cette rénovation indispensable, est l'affaire de tous, donc de l'Etat. Nous assumerons nos responsabilités. C'est aussi l'affaire des représentants des victimes, des Fondations, des associations et des scientifiques. Tous sont associés à ce chantier essentiel.
Je veux remercier, pour son concours éminent, la Présidente de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, Madame Simone VEIL. Je lui dit publiquement mon respect et ma reconnaissance, auquel je veux associer le Gouvernement, pour son engagement inlassable et courageux qui appelle notre respect.
Mesdames et Messieurs, l'action du Gouvernement s'est déployée dans d'autres domaines également importants.
Concrètement, la réunion du Groupe d'action international sur la mémoire de la Shoah, à Strasbourg, sous présidence française, s'est traduite par l'instauration d'une journée consacrée à l'enseignement de la Shoah dans les établissements scolaires, le 27 janvier.
Le ministère de l'Education nationale s'est mobilisé pour que cet enseignement soit effectivement dispensé dès cette année 2003.
Concrètement, la vigilance contre toute manifestation d'antisémitisme a été renforcée.
Elle ne fléchira évidemment pas, afin d'éviter les actes choquants, insupportables, de ces dernières années.
Concrètement, le 27 février dernier, le Ministre de la Jeunesse, de l'Education nationale et de la Recherche et le Ministre délégué à l'Enseignement scolaire ont présenté un plan en 10 mesures pour lutter contre les manifestations racistes et antisémites dans les établissements d'enseignement.
En effet, notre vigilance commune ne doit pas se relâcher à l'encontre de ces gestes, de ces agressions verbales et parfois même physiques, dont je sais qu'ils n'ont pas cessé, et qui créent un climat d'inquiétude, voire de peur. Rien ne saurait le justifier.
Les passions, et même les émotions légitimes, suscitées par l'actualité ne sauraient expliquer des replis identitaires ou des amalgames scandaleux, encore moins une réécriture de l'Histoire. Il n'y a pas de place en France pour l'intolérance.
Mesdames et Messieurs,
Participer à cette cérémonie est pour moi un honneur. Un grand honneur.
Je le ressens tout autant comme une lourde responsabilité.
Car, c'est rien de moins que le maintien et la transmission de la mémoire des souffrances indicibles de toute une communauté, c'est l'édification de la mémoire de la France, c'est aussi la défense de notre cohésion nationale, qui sont en jeu. C'est l'avenir de la France. Notre avenir commun.
Je vous remercie.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 25 juillet 2003)