Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les députés,
Mesdames, Messieurs,
C'est avec plaisir que je viens aujourd'hui devant la Commission des Affaires économiques et la Délégation pour l'Union Européenne de votre Assemblée, faire avec vous le point des négociations européennes et internationales concernant l'agriculture, et vous présenter leur perspectives d'évolution dans les semaines et les mois qui viennent.
Rien de ce qui se passe à Bruxelles depuis plusieurs mois n'est compréhensible s'il n'est pas mis en rapport avec les discussions devant l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC).
Sous des abords très techniques, savamment entretenus par le cercle très fermé des experts et des négociateurs, les discussions en cours marquent un affrontement entre deux grandes conceptions politiques et économiques de l'agriculture.
Il y a, d'une part, celle de l'Union européenne, fondée sur la promotion du modèle d'une agriculture " économiquement forte et écologiquement responsable ", attachée à la prise en compte des différentes formes d'agriculture, à la vitalité des territoires et soucieuse du développement des pays les plus pauvres.
Il y a, d'autre part, la conception du groupe de Cairns, qui réunit les grandes puissances exportatrices agricoles du monde, qui voit en l'agriculture une activité industrielle, au même titre que l'automobile ou les biens de consommation. Leur objectif est simple : obtenir l'interdiction des politiques agricoles et faire en sorte que les règles commerciales internationales consacrent la domination sans partage du marché.
Dans ce contexte, le prétendu isolement de l'Europe à l'OMC relève du paradoxe : dans sa très grande majorité, la communauté internationale -et tout particulièrement le monde en développement - n'a pas intérêt à l'ultra-libéralisme agricole, les pays les plus pauvres soumis aux disciplines de l'ajustement structurel en ont trop fait l'amère expérience pour l'ignorer.
Alors, comment l'Europe en est-elle arrivée là ?
Tout d'abord, et on ne peut que le regretter, l'Europe n'a pas mené, ces dernières années, le combat des idées. Alors que le groupe de Cairns a engagé un formidable exercice de communication vis-à-vis des intellectuels, des économistes, des décideurs politiques et des relais d'opinion que sont les organisations non gouvernementales, dans les pays développés comme dans le monde en développement, l'Europe est restée l'arme au pied et a " rasé les murs ", en s'excusant d'exister.
Au point que, lorsqu'à ma prise de fonctions j'ai pris la plume dans la presse européenne avec six de mes collègues pour défendre la Politique Agricole Commune (PAC) des accusations outrancières dont elle est parfois l'objet, on m'a fait le reproche de ne pas suffisamment croire en la construction européenne.
Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que, faute pour l'Europe de leur avoir proposé une vision et son soutien, les pays en développement se soient progressivement ralliés au groupe de Cairns.
Ainsi, l'Europe s'est-elle résignée à cette présentation faisant de la PAC la source de tous les maux de la planète. Faute d'avoir fait entendre sa voix clairement et défendu ses intérêts avec détermination, elle a laissé se développer une alliance tactique entre les Etats-Unis et le groupe de Cairns.
Les Etats-Unis considèrent l'agriculture comme une activité stratégique, relevant de la sécurité nationale. Faisant preuve en cela d'un pragmatisme bienvenu, le Président George W. BUSH vient, après six ans d'expérience malheureuse, de faire marche arrière sur le découplage des aides et d'augmenter de 80 % le budget public consacré à l'agriculture.
En encourageant les pays du groupe de Cairns à ouvrir les hostilités à l'OMC avec l'Union Européenne, les Etats-Unis canalisent les appétits commerciaux de ceux-ci vers le plus grand marché solvable du monde et les détournent de leurs instruments de politique agricole : je veux parler des marketing loans, de la fausse aide alimentaire ou des crédits à l'exportation.
Il est possible et - à vrai dire - souhaitable de trouver un terrain d'entente avec les Etats-Unis. C'est, d'ailleurs, le message que j'ai adressé au négociateur américain à l'OMC, Robert ZOELLICK, lorsque je l'ai rencontré, il y a quelques semaines, à Washington. L'Europe et les Etats-Unis sont attachés à des politiques agricoles fortes. Ils reconnaissent la nécessité de soutenir les zones les plus fragiles, pour éviter la déprise agricole et la désertification. Ils sont chacun engagés dans une démarche d'aide spécifique aux pays africains les plus pauvres, qui n'a pas encore de fondement juridique solide à l'OMC.
Alors que les négociations piétinent à Genève et que la vision se brouille à Bruxelles, où les propositions de la Commission ne répondent pas aux défis de notre temps, il est temps de redonner à la construction européenne un sens et des perspectives.
C'est ce qu'a voulu faire le Président de la République en octobre dernier, à Bruxelles, en rendant une visibilité au budget de la PAC pour les dix ans qui viennent. C'est également ce qu'il vient de faire lors du sommet France-Afrique, en marquant une priorité politique forte à une solidarité renouvelée avec un continent laissé pour compte par la mondialisation ultra-libérale.
C'est l'ambition que j'entends poursuivre dans le domaine agricole, et je veux, pour cela, me fixer avec vous deux objectifs :
Le premier est de promouvoir le modèle d'une agriculture européenne " écologiquement responsable et économiquement forte ".
A court terme, nous devons relever un premier défi : renforcer l'efficacité d'une PAC trop bureaucratique et insuffisamment adaptée aux besoins locaux. Cela suppose notamment de simplifier et d'améliorer les politiques de développement rural. Il s'agit - je veux le dire - de réformes concrètes, qui peuvent être aisément adoptées et rapidement mises en oeuvre.
Dans le même temps, nous devons engager sur de meilleures bases la réflexion quant à l'avenir de la PAC après 2006. Les propositions de la Commission sur le découplage des aides sont à la fois absurdes et injustes. Elles sont, d'ailleurs, rejetées par onze pays sur quinze. Elles trahissent la méconnaissance par leurs concepteurs des réalités agricoles. Car leur motivation est uniquement inspirée par la volonté de jouer les bons élèves à l'OMC, notamment à la conférence ministérielle de Cancun en septembre prochain, fût-ce en sacrifiant un élément aussi essentiel du modèle agricole européen que les aides de marché accordées aux agriculteurs en contrepartie d'engagements de maîtrise de la production.
S'obstiner dans cette voie contre l'avis du Conseil des ministres européens de l'Agriculture serait une erreur. Ce serait une erreur vis-à-vis de nos agriculteurs et de nos opinions publiques. Mais ce serait également une erreur vis-à-vis des autres Etats membres de l'OMC, qui pourraient croire que le découplage pourrait être la variable d'ajustement de la négociation à Cancun. Nous devons avoir le courage et la franchise de dire publiquement que cela ne sera pas le cas. Le Président de la République, le Premier ministre et moi-même serons d'une particulière vigilance en ce domaine, et - croyez le bien - d'une très grande fermeté.
Nous devons, en revanche, engager avec les professionnels, les représentants de la société civile, et en partenariat étroit avec les futurs Etats membres de l'Europe, une réflexion sur l'avenir de l'agriculture après 2006. Pour notre part, nous y sommes prêts. 2006 viendra vite, et nous n'aurons pas trop des deux années qui viennent pour préparer sereinement la PAC de demain.
Le second objectif que je me fixe est de réussir à l'OMC une négociation commerciale équilibrée et soucieuse du développement des pays les plus pauvres, l'objectif principal fixé à Doha.
La proposition agricole récemment mise sur la table par l'OMC est trop caricaturale et déséquilibrée pour constituer une base de travail acceptable dans cette négociation. Elle est trop caricaturale car, sous des abords techniques, elle interdirait aux Etats de mener à l'avenir des politiques agricoles. Elle est également trop déséquilibrée, car elle ne fait aucun cas de la situation des pays les plus pauvres, notamment les pays africains, et fait peser l'essentiel de l'effort sur l'Europe, sans prendre en compte les instruments de soutien américains à l'agriculture.
Dans les prochains jours, on nous présentera une nouvelle version de cette proposition. La tentation de l'OMC sera sans doute forte de ne la modifier qu'à la marge, pour tester la détermination des négociateurs.
Vous pouvez compter sur mon engagement total, avec Dominique de VILLEPIN et François LOOS, pour que l'Europe saisisse cette opportunité de rassembler autour de ses valeurs.
Messieurs les Présidents,
Mesdames, messieurs les députés,
Nous n'avons pas, dans ce dossier, à rougir de ce que nous avons fait et des propositions que nous avons mises sur la table. Dans les prochaines semaines, c'est en restant fidèle à ses valeurs, et non en reniant ce qui fait sa spécificité, que l'Europe conclura au mieux ces négociations, tout en aidant efficacement les pays les plus pauvres.
L'enjeu de notre action dépasse de beaucoup des considérations strictement techniques ou financières. Car ce qui est en cause dans ces négociations communautaires et internationales n'est rien de moins que la sauvegarde d'un modèle de civilisation, auquel nous sommes profondément attachés. Dans cette mission difficile, je sais pouvoir compter sur votre soutien ; vous pouvez, en retour, compter sur mon écoute attentive et mon attention la plus vigilante aux préoccupations dont vous me ferez part.
Je vous remercie.
(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 14 mars 2003)
Mesdames, Messieurs les députés,
Mesdames, Messieurs,
C'est avec plaisir que je viens aujourd'hui devant la Commission des Affaires économiques et la Délégation pour l'Union Européenne de votre Assemblée, faire avec vous le point des négociations européennes et internationales concernant l'agriculture, et vous présenter leur perspectives d'évolution dans les semaines et les mois qui viennent.
Rien de ce qui se passe à Bruxelles depuis plusieurs mois n'est compréhensible s'il n'est pas mis en rapport avec les discussions devant l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC).
Sous des abords très techniques, savamment entretenus par le cercle très fermé des experts et des négociateurs, les discussions en cours marquent un affrontement entre deux grandes conceptions politiques et économiques de l'agriculture.
Il y a, d'une part, celle de l'Union européenne, fondée sur la promotion du modèle d'une agriculture " économiquement forte et écologiquement responsable ", attachée à la prise en compte des différentes formes d'agriculture, à la vitalité des territoires et soucieuse du développement des pays les plus pauvres.
Il y a, d'autre part, la conception du groupe de Cairns, qui réunit les grandes puissances exportatrices agricoles du monde, qui voit en l'agriculture une activité industrielle, au même titre que l'automobile ou les biens de consommation. Leur objectif est simple : obtenir l'interdiction des politiques agricoles et faire en sorte que les règles commerciales internationales consacrent la domination sans partage du marché.
Dans ce contexte, le prétendu isolement de l'Europe à l'OMC relève du paradoxe : dans sa très grande majorité, la communauté internationale -et tout particulièrement le monde en développement - n'a pas intérêt à l'ultra-libéralisme agricole, les pays les plus pauvres soumis aux disciplines de l'ajustement structurel en ont trop fait l'amère expérience pour l'ignorer.
Alors, comment l'Europe en est-elle arrivée là ?
Tout d'abord, et on ne peut que le regretter, l'Europe n'a pas mené, ces dernières années, le combat des idées. Alors que le groupe de Cairns a engagé un formidable exercice de communication vis-à-vis des intellectuels, des économistes, des décideurs politiques et des relais d'opinion que sont les organisations non gouvernementales, dans les pays développés comme dans le monde en développement, l'Europe est restée l'arme au pied et a " rasé les murs ", en s'excusant d'exister.
Au point que, lorsqu'à ma prise de fonctions j'ai pris la plume dans la presse européenne avec six de mes collègues pour défendre la Politique Agricole Commune (PAC) des accusations outrancières dont elle est parfois l'objet, on m'a fait le reproche de ne pas suffisamment croire en la construction européenne.
Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que, faute pour l'Europe de leur avoir proposé une vision et son soutien, les pays en développement se soient progressivement ralliés au groupe de Cairns.
Ainsi, l'Europe s'est-elle résignée à cette présentation faisant de la PAC la source de tous les maux de la planète. Faute d'avoir fait entendre sa voix clairement et défendu ses intérêts avec détermination, elle a laissé se développer une alliance tactique entre les Etats-Unis et le groupe de Cairns.
Les Etats-Unis considèrent l'agriculture comme une activité stratégique, relevant de la sécurité nationale. Faisant preuve en cela d'un pragmatisme bienvenu, le Président George W. BUSH vient, après six ans d'expérience malheureuse, de faire marche arrière sur le découplage des aides et d'augmenter de 80 % le budget public consacré à l'agriculture.
En encourageant les pays du groupe de Cairns à ouvrir les hostilités à l'OMC avec l'Union Européenne, les Etats-Unis canalisent les appétits commerciaux de ceux-ci vers le plus grand marché solvable du monde et les détournent de leurs instruments de politique agricole : je veux parler des marketing loans, de la fausse aide alimentaire ou des crédits à l'exportation.
Il est possible et - à vrai dire - souhaitable de trouver un terrain d'entente avec les Etats-Unis. C'est, d'ailleurs, le message que j'ai adressé au négociateur américain à l'OMC, Robert ZOELLICK, lorsque je l'ai rencontré, il y a quelques semaines, à Washington. L'Europe et les Etats-Unis sont attachés à des politiques agricoles fortes. Ils reconnaissent la nécessité de soutenir les zones les plus fragiles, pour éviter la déprise agricole et la désertification. Ils sont chacun engagés dans une démarche d'aide spécifique aux pays africains les plus pauvres, qui n'a pas encore de fondement juridique solide à l'OMC.
Alors que les négociations piétinent à Genève et que la vision se brouille à Bruxelles, où les propositions de la Commission ne répondent pas aux défis de notre temps, il est temps de redonner à la construction européenne un sens et des perspectives.
C'est ce qu'a voulu faire le Président de la République en octobre dernier, à Bruxelles, en rendant une visibilité au budget de la PAC pour les dix ans qui viennent. C'est également ce qu'il vient de faire lors du sommet France-Afrique, en marquant une priorité politique forte à une solidarité renouvelée avec un continent laissé pour compte par la mondialisation ultra-libérale.
C'est l'ambition que j'entends poursuivre dans le domaine agricole, et je veux, pour cela, me fixer avec vous deux objectifs :
Le premier est de promouvoir le modèle d'une agriculture européenne " écologiquement responsable et économiquement forte ".
A court terme, nous devons relever un premier défi : renforcer l'efficacité d'une PAC trop bureaucratique et insuffisamment adaptée aux besoins locaux. Cela suppose notamment de simplifier et d'améliorer les politiques de développement rural. Il s'agit - je veux le dire - de réformes concrètes, qui peuvent être aisément adoptées et rapidement mises en oeuvre.
Dans le même temps, nous devons engager sur de meilleures bases la réflexion quant à l'avenir de la PAC après 2006. Les propositions de la Commission sur le découplage des aides sont à la fois absurdes et injustes. Elles sont, d'ailleurs, rejetées par onze pays sur quinze. Elles trahissent la méconnaissance par leurs concepteurs des réalités agricoles. Car leur motivation est uniquement inspirée par la volonté de jouer les bons élèves à l'OMC, notamment à la conférence ministérielle de Cancun en septembre prochain, fût-ce en sacrifiant un élément aussi essentiel du modèle agricole européen que les aides de marché accordées aux agriculteurs en contrepartie d'engagements de maîtrise de la production.
S'obstiner dans cette voie contre l'avis du Conseil des ministres européens de l'Agriculture serait une erreur. Ce serait une erreur vis-à-vis de nos agriculteurs et de nos opinions publiques. Mais ce serait également une erreur vis-à-vis des autres Etats membres de l'OMC, qui pourraient croire que le découplage pourrait être la variable d'ajustement de la négociation à Cancun. Nous devons avoir le courage et la franchise de dire publiquement que cela ne sera pas le cas. Le Président de la République, le Premier ministre et moi-même serons d'une particulière vigilance en ce domaine, et - croyez le bien - d'une très grande fermeté.
Nous devons, en revanche, engager avec les professionnels, les représentants de la société civile, et en partenariat étroit avec les futurs Etats membres de l'Europe, une réflexion sur l'avenir de l'agriculture après 2006. Pour notre part, nous y sommes prêts. 2006 viendra vite, et nous n'aurons pas trop des deux années qui viennent pour préparer sereinement la PAC de demain.
Le second objectif que je me fixe est de réussir à l'OMC une négociation commerciale équilibrée et soucieuse du développement des pays les plus pauvres, l'objectif principal fixé à Doha.
La proposition agricole récemment mise sur la table par l'OMC est trop caricaturale et déséquilibrée pour constituer une base de travail acceptable dans cette négociation. Elle est trop caricaturale car, sous des abords techniques, elle interdirait aux Etats de mener à l'avenir des politiques agricoles. Elle est également trop déséquilibrée, car elle ne fait aucun cas de la situation des pays les plus pauvres, notamment les pays africains, et fait peser l'essentiel de l'effort sur l'Europe, sans prendre en compte les instruments de soutien américains à l'agriculture.
Dans les prochains jours, on nous présentera une nouvelle version de cette proposition. La tentation de l'OMC sera sans doute forte de ne la modifier qu'à la marge, pour tester la détermination des négociateurs.
Vous pouvez compter sur mon engagement total, avec Dominique de VILLEPIN et François LOOS, pour que l'Europe saisisse cette opportunité de rassembler autour de ses valeurs.
Messieurs les Présidents,
Mesdames, messieurs les députés,
Nous n'avons pas, dans ce dossier, à rougir de ce que nous avons fait et des propositions que nous avons mises sur la table. Dans les prochaines semaines, c'est en restant fidèle à ses valeurs, et non en reniant ce qui fait sa spécificité, que l'Europe conclura au mieux ces négociations, tout en aidant efficacement les pays les plus pauvres.
L'enjeu de notre action dépasse de beaucoup des considérations strictement techniques ou financières. Car ce qui est en cause dans ces négociations communautaires et internationales n'est rien de moins que la sauvegarde d'un modèle de civilisation, auquel nous sommes profondément attachés. Dans cette mission difficile, je sais pouvoir compter sur votre soutien ; vous pouvez, en retour, compter sur mon écoute attentive et mon attention la plus vigilante aux préoccupations dont vous me ferez part.
Je vous remercie.
(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 14 mars 2003)