Interview de M. Jean-Marie Le Pen, président du Front national, à "RTL" le 12 août 2003, sur la canicule, sur la sortie de prison de José Bové, sur la vie interne du FN, et sa candidature aux élections régionales 2004, en Provence-Alpes-Côte d'Azur.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Arzt-. Bonjour J.-M. Le Pen. Où vous situez-vous dans ce débat sur la canicule ? Il y a matière à critiquer le gouvernement ?
- " Je me situe d'abord à Paris moi. Je suis au travail. Je ne suis pas en vacances. Et, ayant le sens de la prévision, j'ai pris mes vacances avant, au début du mois de juillet. "
Et vous pensez au contraire, alors, que le gouvernement n'a pas eu le sens de la prévision ?
- " Je pense que gouverner c'est prévoir. Il est bien évident que les phénomènes climatologiques échappent à monsieur Raffarin. Ce ne sont pas les seules choses qui lui échappent. Mais, celui-là oui. Cela dit, on sait, moi je sais depuis quarante ans que la barrière de chaleur en Europe, d'ailleurs aussi en Afrique monte d'un kilomètre par an, on le sait, ça. Nous sommes dans un climat qui est en voie de réchauffement sans que ça ait grand chose à voir avec les affaires de J. Bové mais en fait c'est cela. Or, le prévoir, eh bien ça appartient tout de même au Gouvernement. "
Vous voulez dire que c'est moins l'affaire de la pollution...
- " Par exemple, la pollution, ça a directement un rapport avec la circulation automobile dans les villes mais la canicule, pas du tout. Or, il y a des incendies tous les ans. On sait que la gravité peut atteindre des sommets et en particulier cette année. Or, nous ne nous sommes jamais dotés des matériels nécessaires. Je vois par exemple que nous pourrions très bien nous doter de matériel militaire, en particulier en porteurs ou en hélicoptères qui soient de nature à servir éventuellement durant la guerre mais surtout pour la protection de la sécurité civile, capables d'être bombardiers d'eau. Qu'on ne soit pas obligé d'aller louer des hélicoptères russes, ou je ne sais pas, ou srilankais. Je crois qu'il y a là, en effet, un défaut de prévision. Mais ce que je pense, c'est que nous sommes dans un état de rupture d'équilibre latent. C'est-à-dire nous sommes, comme on dit, à flux tendu et tant dans le domaine sociologique, social, économique, technologique, nous sommes au bord de la rupture. "
Est-ce que vous pensez aux hôpitaux par exemple ?
- " Par exemple. C'est un exemple. Il suffit qu'il ne se produise une crise pour qu'immédiatement ça tourne à la catastrophe. Et je dois dire qu'en matière de canicule, si le mois d'août reste très chaud, je rappelle - là aussi il n'y a pas besoin d'être sorcier pour le savoir - que le mois de septembre est le mois le plus sec de l'année. Par conséquent, tous les problèmes de la sécheresse se trouveront multipliés, y compris celui de la nourriture et des animaux. "
Vous-même, à titre personnel, vous modérez votre consommation d'électricité actuellement ?
- " Eh bien oui, tout naturellement. Oui, d'ailleurs je suis quelqu'un d'assez économe. "
Vous avez prononcé le nom de J. Bové...
- " Joseph, Joseph. J'y tiens beaucoup. Ce n'est pas un copain, je l'appelle pas Jojo par son prénom ou José. Je sais bien que pour quelqu'un qui est né en Californie ou qui a été élevé en Californie, ça fait plus chic de s'appeler José que Joseph mais enfin. "
Appelez-le comme vous voulez. Mais est-ce que pour reprendre une formule qui avait été appliquée à vous il y a longtemps, est-ce qu'il pose de bonnes questions mais apporte de mauvaises réponses ?
- " Laissez-moi vous dire d'abord que ce berger d'Arcadie, il n'est pas le seul d'ailleurs, c'est la mode, les bergers. Colonna est berger aussi. Il y a un retour de la politique française à la bergerie. On avait déjà vu ça juste avant la Révolution avec la Reine Marie-Antoinette qui ouvrait la bergerie au Trianon vous savez. Moi, ce qui m'a frappé dans l'affaire de Joseph Bové, c'est la formidable complaisance du pouvoir pour que cet homme qui devrait être détenu en prison 10 mois - il y a au moins deux mois dont Chirac lui a fait cadeau -, mais il restait huit mois. Et bien voilà, ces huit mois il les avait à peine entamés que le voilà sur une estrade à arranger les altermondistes, non pas les anti-mondialistes, mais les alter-mondialistes. "
Et alors, quelles conclusions vous en tirez ?
- " La conclusion, je pense, c'est que le Gouvernement espère, là, avoir trouvé un moyen de nuire électoralement à la gauche et il se réserve peut-être quelques surprises. "
C'est-à-dire, ce serait l'équivalent de ce qui s'était passé, on le dit souvent, avec vous par rapport à la droite ?
- " Mais moi je n'y suis pour rien. Moi, on ne m'a jamais fait de complaisances. Le moins que l'on puisse dire, c'est que je n'ai rencontré que des difficultés, et je continuerai à en rencontrer encore. "
Certains disaient que la gauche vous favorisait.
- " Ah oui mais ça c'est parce qu'un jour, il y a eu une mode de scrutin mais il n'était pas fait pour moi. Il était fait pour sauver le Parti socialiste. Alors que le Front national ait eu une fois des députés proportionnellement à son nombre d'électeurs, c'est ça qui devrait être la normale. Et ce qui est anormal, c'est que ce ne soit pas le cas aujourd'hui. "
Au Front national, il y a aussi une actualité : c'était en juillet le départ de B. Anthony, le représentant du courant catholique traditionaliste qui a démissionné du bureau politique.
- " Il ne représente pas un courant. Il est un des membres de ce courant. Et puis vous savez, les hommes ça va, ça vient. Notre ami s'est retiré pour faire autre chose, c'est son droit. Moi je le respecte. "
Vous ne pensez pas que ce courant, catholique traditionaliste donc, correspond à une partie de votre électorat ?
- " Il ne s'incarne pas exclusivement dans monsieur Anthony. Il y a, je pense, un certain nombre de catholiques au Front national mais il n'y a pas que cela. Et moi je lutte beaucoup pour faire respecter la laïcité politique du Front national. "
C'est ce que je voulais dire. Est-ce que votre fille Marine Le Pen est représentative de l'évolution de la société ? Apparemment, vous la poussez vers les instances dirigeantes.
- " Je ne l'ai jamais poussée, d'abord. Elle est tout à fait capable de se pousser elle-même. En plus, elle n'a jamais été en concurrence avec B. Anthony, à ma connaissance. "
Donc pour vous c'est une affaire...
- " Oui. Le Front national se porte à merveille. Je ne me vois pas dans les gazettes, c'est vrai. Je ne me vois pas non plus dans les sondages, ce qui est assez pittoresque. J'ai constaté avec plaisir que la France d'en haut m'était hostile à 99%. Eh bien moi je trouve ça plutôt consolant. "
C'était un sondage hier dans le Figaro.
- " Parce que moi, je compte surtout aux élections sur la France d'en bas. Parce que c'est elle qui probablement va parler et va parler haut dans les élections qui viennent. "
A propos d'élections justement, il y a les élections régionales l'an prochain. Vous vous présentez en Province-Alpes-Côte d'Azur.
- " Je me représente, car à l'inverse de monsieur Muselier, moi je suis conseiller régional de Province-Alpes-Côte d'Azur depuis 12 ans. Alors que monsieur Muselier n'a jamais accordé d'importance, semble-t-il, à cette institution. "
R. Muselier, c'est le candidat de l'UMP. Il a dit "Je vais renvoyer à Saint-Cloud celui qui a toujours été battu en PACA".
- " Eh bien voilà. Il dit aussi " nous sommes des dizaines de députés, de sénateurs, de maires, de conseillers généraux ". Mais moi je pose la question : Si vous êtes tous là depuis si longtemps, qu'avez-vous fait ? On peut faire échec au drame qui nous guette. "
Si vous devenez président de Province-Alpes-Côte d'Azur, vous irez accueillir le président Chirac quand il ira séjourner aux foires de Brégançon ?
- " Je remplirais mes devoirs, rien que mes devoirs, tous mes devoirs. "
Un dernier mot sur l'actualité sociale, les retraites. Finalement, on termine là-dessus, le gouvernement Raffarin a réussi à entamer cette réforme. Vous lui reconnaissez au moins une certaine ténacité ?
- " Euh, non. Je ne lui reconnais pas cela. D'ailleurs, il a à peine commencé la réforme. Je dois dire que s'il l'a commencé c'est grâce au Front national. Il l'a avoué lui-même, c'est l'esprit de mai. C'est le coup de pied au derrière que l'établissement a reçu lors des élections présidentielles, qui a poussé l'UMP à faire quelque chose, pas grand chose, mais à faire quelque chose. J'aurai d'ailleurs l'occasion de m'en expliquer, puisqu'on a parlé de la PACA tout à l'heure, le 6 septembre au premier grand rassemblement populaire en Camargue. Dans quelques jours donc, dans quelques semaines et j'aurai l'occasion d'entamer là ma campagne électorale qui sera bien évidemment non seulement une campagne électorale régionale mais une campagne électorale nationale et puis après l'européenne, trois mois après. Parce que sinon, on ne voit pas d'où pourrait venir le salut de la Province-Alpes-Côte d'Azur sinon de la nation française. "
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 12 août 2003)