Déclaration de Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle, sur le travail temporaire notamment la formation, le statut et la sécurité des travailleurs intérimaires et l'égalité professionnelle entre hommes et femmes, Paris le 16 mai 2003.

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Circonstance : Congrès mondial de la Confédération internationale des entreprises de travail temporaire à Paris le 16 mai 2003

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
C'est François Fillon que vous aviez invité à clôturer ce congrès international du travail temporaire. Je le fais bien volontiers. En me demandant de le représenter, il m'a chargée de l'excuser.
J'ajoute que je suis particulièrement heureuse de cette opportunité qui m'est offerte de participer à cette manifestation et je remercie Monsieur Claude DEROURE, Président du SIETT, organisateur de ce congrès, ainsi que Monsieur Ton BIERMANS, Président du CIETT, de m'y accueillir.
Le travail intérimaire témoigne, en effet, de la possibilité de concilier les exigences de développement de l'emploi et d'un travail de qualité. Le travail intérimaire est à la fois source de création d'emplois et d'emplois de qualité. Les orateurs qui sont intervenus ont, je crois, bien montré les enjeux représentés par le travail temporaire, ainsi que les défis auxquels nos économies sont confrontées. Vous avez pu, je crois, à la fois tracer les lignes de force de l'évolution des marchés du travail, esquisser des perspectives économiques et approfondir l'apport que constitue le travail temporaire.
Pour caractériser le secteur du travail temporaire, je parlerai de dynamisme, d'équilibre et de diversité.
Dynamisme, d'abord. Il se manifeste par un essor qui, malgré un léger repli en 2002, ne s'est jamais démenti. En France, le volume d'intérimaires, en équivalents temps plein, a doublé sur la période 1995-2000. La moitié des travailleurs intérimaires en 2001 avait moins de 25 ans. Ce phénomène n'est pas limité à la France : la part de l'emploi intérimaire dans la population active française (1,6 %) est supérieure à la moyenne de l'Union européenne, mais demeure inférieure à celle de la Grande-Bretagne (3,9 %), des Pays-Bas (3,7 %) et des Etats-Unis (2,6 %). Le secteur industriel est celui qui emploie le plus grand nombre d'intérimaires (50 % des emplois) mais le secteur tertiaire est aujourd'hui celui où l'intérim est le plus dynamique.
En cela, l'intérim permet d'enrichir la croissance en emplois. Son développement est l'une des voies pour permettre que la France, comme les autres pays, dispose d'un marché du travail dynamique, favorisant l'accroissement des compétences et la variété des parcours individuels des salariés. Pour les jeunes en particulier, l'intérim est souvent une voie vers l'emploi, car il permet d'acquérir une expérience et, de plus en plus, une réelle qualification sanctionnée par un diplôme ou valorisée par une convention collective. Plus généralement, l'emploi intérimaire peut être un moyen d'apprendre à s'intégrer dans une équipe, d'adopter un comportement professionnel. De fait, une proportion importante de jeunes ayant effectué une mission de travail en intérim parvient à s'intégrer durablement au sein des entreprises d'accueil. Il semble donc bien que l'intérim puisse déboucher sur des relations de travail plus stables, à rebours de certaines idées reçues, selon lesquelles intérim rimerait avec insécurité et précarité sur le marché du travail. L'intérim joue, en particulier, un rôle essentiel dans l'insertion professionnelle des femmes. J'y reviendrai plus loin.
Après le dynamisme, l'équilibre. Car le développement de l'interim ne doit pas se faire au détriment de la qualité de l'emploi.
Enrichir la croissance en emploi ne veut pas dire céder du terrain sur la qualité des emplois. C'est bien l'objectif de l'Union européenne dans le domaine de l'emploi : promouvoir la création d'emplois de qualité, c'est à dire parvenir à concilier flexibilité et sécurité.
Dès le début des années 80, le travail intérimaire étant devenu une composante importante du fonctionnement du marché du travail en Europe, le Conseil et le Parlement Européen ont adopté des résolutions dans lesquelles ils soulignaient la nécessité d'une action communautaire pour encadrer la pratique des entreprises et favoriser la sécurité des travailleurs. Par ailleurs, la Charte sociale des droits fondamentaux précise que les nouvelles formes d'emploi, au rang desquelles figure le travail intérimaire, doivent faire l'objet d'une "harmonisation par le haut". C'est en s'appuyant sur ces orientations que les Etats membres se sont attachés à réussir cette indispensable conciliation entre sécurité et flexibilité.
Cette conciliation ne peut pas résulter de la seule norme étatique. En France, la loi a joué un rôle essentiel, en fixant le cadre général des droits individuels des travailleurs intérimaires sous trois aspects principaux : le principe de l'égalité de rémunération, la prévention des risques professionnels, l'accès à la formation professionnelle.
Mais ce cadre légal a accompagné une activité conventionnelle très importante, qui implique directement les partenaires sociaux, seuls à même de trouver le meilleur cadre, adapté aux nécessités de la profession et aux aspirations des salariés. C'est pourquoi, le secteur de l'intérim doit être le lieu privilégié du dialogue social. Je souhaite saluer ici le travail accompli par les partenaires sociaux français de ce secteur et la vivacité de ce dialogue social.
Trois points me paraissent essentiels à souligner, à partir de l'exemple français, car ils impliquent une responsabilité partagée des pouvoirs publics, des partenaires sociaux et des entreprises dans la recherche d'un emploi intérimaire de qualité :
- D'abord, la formation des salariés : dans ce domaine, les efforts des partenaires sociaux ne datent pas d'hier. C'est le 9 juin 1983 que fut signé l'accord par lequel les entreprises de travail temporaire s'engageaient à consacrer, au minimum, la moitié de leur contribution formation aux intérimaires. Les partenaires sociaux du secteur ont également été les premiers à signer, en octobre 2000, un accord sur la validation des acquis de l'expérience, bien avant l'adoption d'un dispositif législatif. Un autre accord est entré en application au 1er juillet 2002 sur le droit individuel à la formation.
- Ensuite, la progression vers un véritable statut de l'intérimaire : elle s'est poursuivie, afin d'améliorer sa protection dans tous les domaines et de favoriser, par conséquent, l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes.
Ainsi, le statut de l'intérimaire en France, ce n'est pas seulement la formation. C'est aussi l'accès à une mutuelle, au comité d'entreprise et à des prêts et aides au logement, via le Fonds d'action sociale du travail temporaire. Les efforts dans ce domaine doivent être poursuivis, car l'insertion, aujourd'hui, passe autant par le travail que par l'accès au logement, gage d'une insertion sociale réussie.
- Enfin, la sécurité et les conditions de travail des travailleurs intérimaires : c'est un réel sujet d'inquiétude dans la mesure où les statistiques montrent la surexposition des travailleurs intérimaires aux différents risques professionnels. Je sais que vous êtes particulièrement sensibles à cette question. Il faut, tant au sein de vos entreprises que dans les entreprises utilisatrices, que l'on développe une véritable culture de la sécurité, prenant en compte la situation particulière du travailleur intérimaire. Car un manque de formation ou de connaissance de l'entreprise peuvent en faire la victime ou l'auteur de très graves accidents du travail.
Après le dynamisme et l'équilibre, la diversité du travail intérimaire. Les régimes du travail intérimaire différent d'un pays à l'autre, ce qui rend compliquée la négociation en cours de la directive sur le travail intérimaire.
Comme vous le savez, la France est l'un des pays qui a poussé le plus loin le souci d'assurer la protection du travailleur intérimaire, notamment au regard des exigences de l'égalité de traitement. Nous considérons, en effet, que le développement du travail intérimaire est une bonne chose, pour autant qu'il s'accompagne d'un véritable statut, notamment conventionnel, du travailleur intérimaire. C'est en ce sens que le travail intérimaire concilie souplesse de l'emploi, d'une part, sécurité pour le salarié d'autre part.
Il convient de souligner que les négociations en cours, au sein de l'Union, sur cette directive s'appuient sur les points de convergence constatés entre les partenaires sociaux européens. La Commission européenne, de son côté, ne ménage pas ses efforts pour rapprocher les points de vues, tout en avançant sur la voie d'un texte garantissant l'égalité de traitement.
La France est particulièrement attachée à la réussite de ces négociations, en étant consciente que la libre circulation des travailleurs ne doit pas aboutir à une concurrence par le bas, préjudiciable à ce qu'il est convenu d'appeler le modèle social européen.
En cela, le secteur de l'intérim est au coeur des évolutions du monde du travail. J'ai la conviction que l'avenir de ce secteur doit être trouvé dans la recherche négociée des bons équilibres entre les partenaires sociaux. Equilibre faisant du travailleur intérimaire non un salarié de seconde zone, mais au contraire le témoin vivant qu'il est possible de concilier un haut niveau de garanties sociales avec le souci d'assurer une flexibilité et une diversité des relations du travail.
Le sujet que vous avez choisi d'aborder, pendant ces deux jours, renvoie à l'un des grands défis de notre siècle, celui de l'ouverture du champ des possibles aux femmes comme aux hommes.
En ouvrant le champ des possibilités pour les femmes, nous voulons faire bénéficier la société toute entière de compétences et d'approches nouvelles. Nous voulons offrir à notre pays et à l'Europe un modèle de croissance efficace et conforme aux valeurs de notre démocratie.
Là aussi, des entreprises de travail temporaire, très proches du terrain et innovantes, ont compris que les femmes représentent une richesse et un " vivier de compétences " et ont lancé des plans d'action faisant de l'égalité professionnelle un mode de gestion des emplois, particulièrement adéquat avec les difficultés de recrutement dans certains secteurs, comme le bâtiment ou l'industrie.
La construction européenne et la libre circulation des travailleurs exigent une coordination et une convergence des politiques des Etats membres conformément aux directives européennes. Elles sont nombreuses et innovantes, dans le domaine de l'égalité des chances.
La France doit être exemplaire, dans ce domaine, au niveau européen.
Or si l'une des grandes évolutions du monde du travail, dans les vingt dernières années, a été l'arrivée massive des femmes sur le marché du travail, force est de constater que, malgré une législation contraignante, l'égalité professionnelle femmes-hommes est loin d'être réalisée.
Les statistiques le montrent :
- la distorsion entre le salaire masculin et le salaire féminin est de 25 % en moyenne, avec un écart irréductible de 11 %,
- le chômage des femmes est plus lourd, de près de 5 points, que celui des hommes,
- le taux d'activité des femmes entre 25 et 55 ans est plus faible que celui des hommes : 80,7 % contre 94 %.
Quatre facteurs expliquent ces inégalités :
1. le travail des femmes reste concentré dans des emplois de service faiblement rémunérés,
2. les femmes occupent à 75 % les postes les moins qualifiés du tertiaire,
3. la durée et la flexibilité du travail concernent surtout les femmes, 85 % des travailleurs à temps partiel sont des femmes, qui ne l'ont pas toujours demandé,
4. l'inégal accès aux postes de responsabilité est criant, quand on voit qu'il n'y a que 27 % de femmes parmi les cadres et dirigeants et qu'elles n'occupent que 7 % des postes de responsabilité dans les entreprises privées.
Ces chiffres inacceptables renvoient à des paradoxes :
- Les filles ont un niveau scolaire et universitaire supérieur à celui des garçons, mais nombre d'entre elles (80 %) sont maintenues -dans des fonctions d'exécution.
- Le nombre de femmes cadres augmente, mais elles sont, comme je viens de le dire, quasiment absentes des postes de décision.
- Les schémas traditionnels de répartition des rôles entre les sexes continuent à perpétuer des images stéréotypées sur les métiers considérés comme convenant aux hommes et aux femmes.
La progression de l'égalité professionnelle est une préoccupation forte du Gouvernement, qui m'en a confié la charge.
La communication en Conseil des ministres, que j'ai présentée le 24 juillet dernier, définissait cinq axes d'action :
- l'égalité des chances dans la formation et la diversification des choix professionnels,
- la mixité professionnelle au sein des branches et des entreprises,
- l'égal accès à la promotion professionnelle,
- la réduction des écarts de rémunération,
- l'articulation des temps de vie.
Plutôt que de contraindre, il vaut mieux convaincre. Le Gouvernement et les partenaires sociaux ont donc choisi d'avancer ensemble.
J'ai, tout au long de l'automne 2002, concerté avec les représentants des organisations syndicales, patronales et de salariés.
Avec François FILLON, Ministre des Affaires sociales, du travail et de la solidarité, nous avons réuni tous les partenaires sociaux lors d'une table ronde, le 19 décembre, pour donner le " coup d'envoi " d'une nouvelle étape du dialogue social sur ce sujet.
Les participants ont exprimé leur accord sur trois grands points :
- l'importance des enjeux de l'égalité professionnelle,
- les perspectives de la concertation sur les 5 grands axes : la formation, la mixité professionnelle, le déroulement de carrière, la réduction des écarts de rémunération et l'articulation des temps de vie.
- la voie du dialogue social, car il vaut mieux négocier qu'imposer.
L'approche des questions d'égalité implique la mise en oeuvre d'une démarche transversale et la mise en réseau des acteurs.
Il faut d'abord mener une politique volontariste pour favoriser une plus grande mixité professionnelle et promouvoir des femmes à des postes traditionnellement réservés aux hommes.
Mais, si l'Etat doit porter les politiques d'égalité, l'approche globale de l'égalité entre les hommes et les femmes doit être partagée, dans une démarche partenariale entre l'Etat, les collectivités territoriales, les acteurs de l'économie, le monde associatif et la société civile toute entière.
Des initiatives nombreuses sont prises sur le terrain. Elles apportent une réponse efficace aux difficultés rencontrées pour établir l'égalité professionnelle. Elles montrent l'importance de la mixité des emplois dans les branches et les entreprises, comme facteur de dynamisme et de changement :
- L'importance d'améliorer les conditions de travail, pour adapter les postes aux femmes, ce qui bénéficie à tous.
- L'importance de trouver des solutions innovantes aux problèmes de recrutement et d'évolution de l'emploi.
Je pense aux actions qui, à travers une démarche partenariale, mobilisent les acteurs et permettent de qualifier des femmes dans des métiers considérés comme réservés aux hommes.
L'opération DEFI (Des emplois pour les femmes), menée en Lorraine, est un exemple d'action conduite en partenariat entre une entreprise de travail temporaire, des entreprises, la Déléguée régionale aux droits des femmes et à l'égalité professionnelle, l'ANPE, l'ANACT, la Direction régionale à l'emploi et la formation professionnelle, et en synergie avec l'AFPA pour la formation
- L'importance de promouvoir les femmes dans l'entreprise et de faire de l'égalité un élément fort de la gestion des ressources humaines.
- L'importance de diversifier l'emploi des femmes. La diffusion des bonnes pratiques, incitant à une ouverture plus grande des offres de recrutement vers les femmes, va dans ce sens.
Il faut pour cela une politique publique volontariste de promotion des emplois et des ?, de restauration de la valeur du travail, avec la mobilisation de tous les acteurs sur l'ensemble du territoire.
Enfin, il est nécessaire de faciliter la création d'activités par les femmes. Elles restent minoritaires dans la création d'entreprises.
L'égalité des chances n'est pas seulement une question d'équité à l'égard des femmes, c'est une chance formidable de modernisation de notre pays pour faire face aux défis que nous lancent l'élargissement de l'Europe et la mondialisation, comme vous l'avez fort bien démontré lors de ce congrès international.
Vous avez placé cette rencontre mondiale, sous le thème des défis de l'emploi au XXIème siècle. Nos économies sont mondialisées.
C'est une chance, c'est une opportunité à saisir. C'est parfois une contrainte, celle de l'humanisation de la mondialisation. Le travail doit être, de ce point de vue, exemplaire. Lorsqu'il est régulé, lorsqu'il obéit à des normes conventionnelles négociées par les partenaires sociaux, il nous montre que l'on peut parvenir à un équilibre entre la recherche de souplesse dans l'activité économique et dans le fonctionnement du marché du travail et le besoin de sécurité et de garanties des droits pour les salariés.
Tel est bien l'enjeu fondamental des années à venir qu'appelle de ses voeux le Président de la République.

(source http://www.social.gouv.fr, le 5 août 2003)