Déclaration de Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie, à Bordeaux le 24 avril 2003, sur la redéfinition de la politique énergétique, notamment sur l'abandon des énergies fossiles, en voie d'épuisement, et interview dans "Le Parisien" le 24 avril 2003, sur la nécessité de développer les énergies renouvelables en France.

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Média : Le Parisien

Texte intégral

Monsieur le Ministre,
Monsieur le Préfet de région,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs,

Je suis très heureuse de me trouver parmi vous aujourd'hui à Bordeaux pour cette quatrième rencontre régionale du Débat national sur les énergies. Paris, Strasbourg, Nice nous ont déjà apporté leur moisson de réflexions et d'enseignements -en particulier sur la maîtrise de la consommation. C'est aujourd'hui à la capitale girondine d'apporter sa contribution ; et je suis d'avance convaincue que les débats seront fructueux. Je ne doute pas que le comité des Sages et que Jean Besson observeront très attentivement les travaux de cette journée. Je tenais également à remercier le groupe de Prospective du Sénat pour leur contribution au Débat.
Je remercie très chaleureusement M. le Sénateur Jacques Valade de son accueil, et de son engagement dans ce débat : comme ancien ministre de la Recherche, vous savez à quel point l'intelligence et l'innovation constituent les clefs des questions qui nous occupent. Et plus particulièrement sans doute, de celle qui sera l'objet de notre attention aujourd'hui : l'avenir des énergies fossiles.
Quelle place occuperont demain, dans notre bouquet énergétique, le charbon, le gaz et le pétrole, qui furent les " carburants " essentiels des deux premières révolutions industrielles ?
Quelle place occupera chacune d'entre elles par rapport aux autres ? Telles sont en effet les grandes interrogations qui s'imposent, à l'heure où la France s'apprête à redéfinir sa politique énergétique.
Par définition, ces énergies fossiles ne sont pas renouvelables, du moins à l'échelle de l'histoire humaine : en les extrayant de la Terre, nous consommons une réserve nécessairement limitée. La première question est donc celle du risque d'épuisement des réserves et des conséquences de cet épuisement, programmé sur l'évolution des prix de ces énergies et donc sur notre économie.
La seconde constatation, c'est que ces énergies sont très inégalement réparties dans le monde, ce qui pose bien sûr le problème de la sécurité d'approvisionnement.
Enfin, ces énergies nous mettent également en face d'un autre problème : la pollution de l'environnement. Celle des mers bien sûr dans le cas du pétrole et je tiens ici à réaffirmer la solidarité du gouvernement avec les habitants de l'Aquitaine qui ont été frappés durement par la marée noire issue du bateau bien mal nommé Prestige. Cette catastrophe considérable, sur le plan écologique mais aussi économique, cette région le sait bien, nous rappelle que la sécurité de la production et du transport d'énergie doit constituer une priorité absolue. Mais la pollution concerne aussi, bien sûr, l'atmosphère, lors de la combustion des énergies fossiles. Il ne s'agit plus d'une limite physique ou politique, mais d'une limite vitale, qui, à elle seule, suffirait à motiver notre interrogation.
Nous sommes donc confrontés à ce triple défi économique, géopolitique et environnemental, nous sommes dans l'obligation matérielle et morale d'élaborer des solutions. Avant d'évoquer les principales pistes, que vous explorerez aujourd'hui, permettez moi un très court état des lieux.
L'importance historique des énergies fossiles
Rappelons le tout de même, les énergies fossiles, qui n'ont plus aujourd'hui la même réputation, ont représenté, lors de leur découverte au 19ème siècle, une formidable avancée écologique : leur exploitation a en effet mis fin à la destruction immodérée des forêts européennes !
Elles furent la source de l'extraordinaire essor de la civilisation industrielle, qui a connu depuis de nouvelles " mutations " : chimique, électrique, nucléaire. Leur exploitation à l'étranger d'abord, puis en France, avec le gisement gazier de Lacq a permis également l'émergence d'un groupe pétrolier et gazier français qui se situe parmi les 5 leaders mondiaux. En permettant d'immenses progrès dans l'agriculture (grâce aux engrais, et aux machines agricoles), les énergies fossiles ont contribué à l'amélioration de la condition matérielle de l'humanité.
Abondantes, peu coûteuses (même s'il ne faut pas oublier le coût humain, pour le charbon particulièrement), faciles à transporter, présentant une densité énergétique supérieure à tout ce que l'on connaissait jusque là, elles répondaient (presque) parfaitement à nos besoins.
Les énergies fossiles aujourd'hui
Aujourd'hui, les énergies fossiles occupent toujours la première place dans notre consommation et c'est encore plus vrai au niveau mondial. Sur 269 Millions de Tonnes Equivalent Pétrole d'énergie primaire que nous consommons, le pétrole et le gaz ensemble représentent 50 %. La consommation de charbon, quant à elle, en constante diminution, est quasi-résiduelle
Il y a là d'ailleurs une véritable spécificité française. Si notre pays ne consomme plus de charbon, ce n'est en effet pas le cas de pays aussi proches que l'Allemagne, les Etats-Unis ou le Danemark où 50% de l'électricité est encore produite à partir du charbon.
Ceci explique en partie le caractère " vertueux " de la France en matière d'émissions de gaz à effet de serre - l'Allemagne émettant par exemple 60% de plus de CO² que la France.
Deuxième fait notable. La France importe presque intégralement toutes ses énergies fossiles ; elles constituent ainsi les 50 % de notre dépendance énergétique.
L'actualité internationale donne certes un relief particulier à cette question, mais elle se posera toujours, même lorsque les tensions seront retombées dans le Golfe Persique. Il reviendra à la première table ronde d'illustrer les risques liés à la concentration des réserves dans quelques pays notamment du Moyen-Orient dont il faut souligner le caractère incontournable à moyen terme pour nos approvisionnements pétroliers.
L'indépendance énergétique française est donc un défi et un dessein qui se conçoit de longue haleine. La sécurité d'approvisionnement n'en est qu'un aspect ; elle est notre première préoccupation, assurément, mais il est évident que la meilleure manière de l'assurer, est également de jouir du degré maximal d'autosuffisance.
Pouvons-nous nous en passer ?
Aussi, la question préalable s'impose-t-elle d'elle-même : dans quelle mesure pourrions-nous nous passer des énergies fossiles ? Si le charbon n'est plus une nécessité dans notre économie, le pétrole en revanche, est encore irremplaçable pour certains usages, notamment pour les transports routiers ou aériens. Le gaz, quant à lui, tend à se substituer au charbon et au pétrole pour le chauffage, voire pour la production d'électricité, et commence à pénétrer le domaine des transports routiers.
La réponse est donc très claire : nous ne pouvons pas nous passer, à court et moyen terme, des énergies fossiles. Leur remplacement doit néanmoins être envisagé, à long terme. Car les réserves s'épuiseront.
L'épuisement des réserves
Chaque année, en effet, nous brûlons ce que la nature a mis un million d'années à constituer... Nous venons à peine de prendre conscience que ces ressources n'étaient pas inépuisables. Un enfant qui naît aujourd'hui connaîtra certainement l'épuisement du pétrole. Il verra probablement celui du gaz.
Certes, on fera observer que cela fait des années que l'on prédit l'épuisement du pétrole, et que l'on trouve toujours de nouvelles réserves, qui reportent indéfiniment les échéances. C'est encore probablement exact, probablement... Mais cela le devient nécessairement de moins en moins, car quels que soient les progrès des technologies de découverte et d'extraction, ce sont des réserves géologiques, elles ne seront donc pas infinies.
Si nous n'anticipons pas les choses, nous irons au devant de graves désordres économiques et certainement d'insupportables tensions internationales.
L'équation est en effet assez simple. D'un côté, le pic de production devrait être atteint dans 20 à 40 ans. De l'autre, la consommation va continuer d'augmenter du fait de la croissance des transports et de la demande des pays en développement. Il est clair que cette dynamique aboutira à une forte augmentation des prix à laquelle notre pays doit se préparer.
La première table ronde de cette rencontre devra nous éclairer sur ces questions et surtout sur le temps qu'il nous reste pour assurer la transition vers l'économie de " l'après-pétrole " ou a minima du " moins de pétrole ".
Les énergies fossiles polluent l'atmosphère
Mais l'épuisement des ressources n'est sans doute pas le problème le plus grave posé par les énergies fossiles. Je veux parler, bien sûr, de la sécurité du transport d'énergie et de l'effet de serre. Sur le premier aspect, notre pays est malheureusement très conscient des catastrophes environnementales que ces transports peuvent engendrer : de manière dramatique dans le cas des marées noires mais également de manière insidieuse avec les dégazages sauvages en mer. Il reviendra également à la première table ronde de faire des propositions concrètes pour que cesse le recours à des navires vétustes et ses conséquences inadmissibles sur l'environnement, complémentairement aux mesures récemment prises, notamment, au niveau européen. Vous savez que le gouvernement a été des plus actifs dans le processus communautaire pour que l'Europe décide d'imposer un durcissement plus rapide des normes de sécurité imposées aux navires qui accèdent aux ports européens, notamment, par le recours à la double coque.
Les émissions de CO2 sont dénoncées par la quasi-totalité des scientifiques comme la cause principale des changements climatiques dont on constate aujourd'hui les effets désastreux. Réchauffement planétaire, catastrophes naturelles, inondations, les fléaux montent en puissance. Les travaux du Groupe Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat (GIEC) sont sans contestation possible sur ce point.
Le recours aux énergies fossiles est évidemment le premier responsable de ces émissions excessives. On estime que le système terrestre ne peut absorber que 3 milliards de tonnes de carbone par an. Or l'humanité en produit le double, sous forme de gaz carbonique; dans 30 ans, ce sera plus du triple si les tendances actuelles se poursuivent.
Pour ramener les choses dans l'ordre, chacun des 6 milliards d'habitants de la planète devrait donc, dans une répartition équitable, limiter sa production de CO2 pour se chauffer, pour se déplacer, pour s'alimenter, à 500 kg d'équivalent carbone par an.
Or 500 kg d'émission de carbone, c'est ce que l'on produit en roulant 5000 km en zone urbaine avec une voiture modeste. C'est l'effet d'un aller-retour Paris-New-York. C'est quelques mois de chauffage au gaz d'une maison, c'est la production de 2 tonnes de béton alors qu'une maison moyenne en nécessite 17, c'est aussi la conséquence de la production de 70 kg de viande de boeuf...
On réalise donc, notamment pour les pays industrialisés, l'immensité des efforts à accomplir pour en arriver là :
par conséquent, nous n'y parviendrons pas sans un changement radical de mode de vie - mais tellement radical que l'on peut se poser des questions sur sa possibilité même - ou sans des solutions technologiques révolutionnaires.
La deuxième table ronde de cette rencontre devrait nous aider à nous faire une opinion sur cette question. De même, cette seconde table ronde nous permettra de faire le point sur une autre forme de pollution, plus locale, la pollution urbaine liée à l'ozone, au dioxyde d'azote et aux poussières et en particulier de répondre aux questions suivantes : quelles sont les conséquences de cette pollution sur la santé ? Les améliorations des véhicules permettront-ils effectivement de réduire fortement les émissions de polluants ? Ou faudra-t-il réduire spécifiquement les déplacements motorisés dans le coeur des villes ?
Les nécessaires économies
Quoi qu'il en soit, désordres climatiques, pollutions locales ou épuisement des ressources, les énergies fossiles à l'exception peut être du charbon n'auront marqué qu'une époque - finalement extrêmement brève, une sorte de flash - de l'histoire de l'humanité.
Si nous devons les économiser, ce n'est pas parce qu'elles sont finies, car l'échéance arrivera tôt ou tard - et que ce soit dans dix ou vingt ans de plus ou de moins, cela ne change pas le fond du problème -, mais c'est pour nous donner le temps de mettre au point les solutions de remplacement.
Les progrès technologiques, voies d'avenir...
Ce sont en effet les innovations technologiques en cours d'élaboration qui nous permettrons, à terme, de nous passer des énergies fossiles ou d'en réduire les effets nocifs. Le progrès peut en effet, dans un premier temps, nous servir à réduire les inconvénients de leur utilisation voire leur donner une seconde vie. La séquestration du carbone pourrait ainsi ouvrir de nouvelles perspectives au charbon, plus abondant que le pétrole ou le gaz, en contenant son impact sur l'effet de serre.
Les progrès technologiques seront également nécessaires pour remplacer les énergies fossiles :
L'hydrogène prendra peut être ainsi un jour la place des hydrocarbures, notamment dans le domaine des transports, mais sans oublier que l'hydrogène n'est pas une ressource mais un vecteur énergétique, qu'il faut produire avec des moyens respectueux de l'environnement. Ces technologies, et d'autres, seront évoquées au cours de la troisième table ronde.
Enfin, il nous faudra déterminer les usages pour lesquels les énergies fossiles sont encore particulièrement adaptées, ce qui devrait constituer pour les années à venir leur domaine de prédilection. La dernière table ronde de cette journée en sera chargée.
Il faudra en particulier s'interroger sur la place du gaz et du charbon dans le futur bouquet électrique et notamment sur les conséquences des évolutions à venir sur les sites de production actuels et sur les émissions de gaz à effet de serre. Dans le domaine du chauffage, il faudra également s'interroger sur les évolutions respectives du gaz et du fioul.
Conclusion
Les énergies fossiles ont représenté une rupture, peut-être la plus grande rupture technologique de l'histoire de l'humanité ; elles lui ont permis, par les facilités qu'elles offrent, un développement sans précédent. Toute la vie moderne est organisée autour de l'utilisation massive des énergies fossiles et les peuples qui en manquent n'aspirent qu'à en avoir. Nous sommes, de ce fait, exposés au risque d'un accroissement des rejets de gaz dans l'atmosphère. Nous devons donc relever sans attendre ce défi ; d'une part en recherchant les technologies qui permettront de limiter l'impact sur l'environnement de l'utilisation des énergies fossiles ; d'autre part en les économisant et en évitant le gaspillage pour nous donner le temps de trouver les solutions technologiques de remplacement.
Confiante dans la rigueur et la lucidité de vos réflexions, je ne saurais mieux faire que vous encourager à l'audace ; lorsqu'il s'agit comme ici de l'avenir de nos enfants, les solutions timides et les démarches à reculons ne sont pas de mise ! Nous devons prendre de la hauteur, pour que notre regard porte plus loin ; car, comme le disait Montaigne : " penser, c'est être à la recherche d'un promontoire " ; eh bien faisons de ce débat le promontoire de nos pensées énergétiques ! Dans cette recherche, gardons à l'esprit les trois impératifs qui définissent le développement durable : la prospérité économique, la protection de la nature et la cohésion sociale. Armés de ces principes, défrichons les premiers sentiers de la " Quatrième Révolution Industrielle " : celle qui fera rimer prospérité et responsabilité environnementale.
Je vous remercie.
(Source http://www.minefi.gouv.fr, le 28 avril 2003)