Interview de Mme Tokia Saïfi, secrétaire d'Etat au développement durable, dans "L'Information agricole" de juin 2003, sur la place de l'agriculture dans la stratégie nationale de développement durable.

Prononcé le 1er juin 2003

Intervenant(s) : 

Média : L'Information agricole

Texte intégral

L'Information Agricole - Pourquoi avez-vous initié cette Semaine du développement durable en France autour du thème " le quotidien du citoyen durable " ?
Tokia Saïfi - Aujourd'hui, selon une étude Ipsos menée par le secrétariat d'Etat au Développement durable, seulement deux tiers des Français ont entendu ou lu l'expression " développement durable " et 8 % ne l'associent pas aux trois piliers : activité économique, équité sociale et protection de l'environnement ! Il y a donc urgence à informer, mobiliser compte tenu des enjeux pour la planète et les hommes. Nous avons choisi de parler des gestes au quotidien car dans nos activités de tous les jours, au travail, en utilisant les transports en commun, en faisant ses courses, en équipant sa maison, nous pouvons participer au développement durable en évitant les gaspillages, les pollutions
I. A. - Plus de 1 500 initiatives ont été parrainées par votre secrétariat d'Etat. Quels exemples pouvez-vous nous donner ?
T. S. - Toutes les opérations avaient cette originalité d'expliquer le développement durable dans leur secteur d'activité. Ainsi, les chaînes de grande distribution ont sensibilisé aux produits bio et issus du commerce équitable ; les banques aux placements éthiques ; les centres de recyclage au tri sélectif, etc. En matière d'agriculture, le secteur s'est aussi mobilisé avec des actions très diverses. Je voulais souligner celles qui ont réconcilié les trois piliers du développement durable comme l'association " Les potagers du Garon " qui favorise la réinsertion sociale par le maraîchage biologique et a mené une semaine de sensibilisation des enfants au bon usage de l'eau. Le " Service d'éco-développement agricole et rural de Bourgogne " a organisé des visites de fermes qui sont parvenues à l'autonomie alimentaire des élevages bovins, ovins et volailles en agriculture biologique. Enfin, le musée Gourmand à Sadirac, en Gironde a organisé une découverte visuelle de la biodiversité végétale et alimentaire ainsi qu'une initiation aux goûts en faisant découvrir des légumes oubliés.
I. A. - Comment les Pouvoirs publics vont-ils eux-même donner l'exemple ?
T. S. - La Stratégie nationale de développement durable qui a été adoptée en comité interministériel le 3 juin dernier comporte six grands thèmes, dont l'Etat doit être exemplaire. Il me semble en effet que l'Etat doit être en mesure d'appliquer à lui même les démarches qu'il souhaite voir adopter par les différents acteurs. La Stratégie nationale de développement durable fixe donc des objectifs que l'Etat devra prendre en compte dans la définition et la mise en oeuvre de ses politiques. Cela implique l'intégration des principes de développement durable dans sa gestion quotidienne, notamment par le développement de démarches éco-responsables au sein des administrations, des établissements publics mais aussi des entreprises publiques. La Stratégie fixe pour l'Etat une réduction de consommation d'eau, d'énergie, de production de déchets et vise une politique d'achats de produits ayant un moindre impact sur l'environnement. Mais encore, mieux gérer son patrimoine bâti et non bâti ou les flottes de véhicules, faciliter la mise en place de plans de déplacements de ses personnels pour favoriser les transports en commun sont les différentes facettes de l'exemplarité de l'Etat qu'il nous faut développer. Il s'agit d'un enjeu fort de la modernisation et la réforme de l'Etat.
I. A. - Quelles suites, retombées en attendez- vous ?
T. S. - Mettre en oeuvre une véritable politique d'éco-responsabilité au sein des administrations au delà de l'exemplarité aura un effet d'entraînement pour l'ensemble de la société. Par exemple, favoriser par les achats publics les produits plus respectueux de l'environnement ouvrira de nouveaux marchés aux industriels qui les produisent et poussera ceux qui hésitent à en produire à passer le pas. C'est dans ce sens que sera révisé le code des marchés publics à l'automne prochain. Et vous savez, sensibiliser plus de 6 millions d'agents de la sphère publique aux démarches éco-responsables dans leur quotidien au travail permettra également de leur faire adopter plus facilement des gestes plus respectueux de l'environnement et du développement durable dans les autres moments de leur vie de tous les jours.
I. A. - Comment concevez-vous le développement durable dans l'agriculture ? Quelles sont les discussions engagées avec le ministre de l'Agriculture, Hervé Gaymard ?
T. S. - J'ai particulièrement tenu à ce que la Stratégie nationale du développement durable aborde la question de l'agriculture car cette dernière a un rôle majeur à jouer vis-à-vis du maintien du tissu rural, de la préservation de l'environnement et d'autres attentes de la société comme celles, par exemple, des consommateurs. Il faut en finir avec les " accusations " portées contre les agriculteurs. Mais la profession manifeste encore un enthousiasme trop faible pour le développement durable
La Stratégie nationale de développement durable que j'ai proposée au Gouvernement et qui a été élaborée en étroite collaboration avec Hervé Gaymard, propose au niveau international une libéralisation maîtrisée des échanges agricoles, selon les secteurs, et régulée entre pays. Cela permettra la concurrence entre les producteurs tout en maintenant un tissu d'exploitations familiales, au Nord, comme au Sud. Ceci implique le renforcement des politiques agricoles au Sud et le recentrage de celles du Nord vers des objectifs de développement durable.
I. A. - Quelles actions concrètes allez-vous engager dans ce domaine ?
T. S. - Nous devons rechercher, au niveau national, comme l'a souhaité le Président de la République, un équilibre entre une agriculture économiquement forte et une agriculture écologiquement responsable. Cela passe par le respect des bonnes pratiques agri-environnementales et le développement de l'agriculture raisonnée. Nous avons des objectifs chiffrés puisque 30 % de la production française devront être issus de l'agriculture raisonnée d'ici à 2005. Enfin, l'agriculture biologique a un rôle à jouer. C'est pourquoi le Gouvernement, dans les prochains mois, arrêtera un plan de relance de l'agriculture biologique. Les propositions de Martial Saddier, député de la Haute-Savoie à qui le Premier ministre a confié une mission sur l'agriculture biologique, seront une base de travail très utile pour le Gouvernement.
I. A. - Les agriculteurs français sont prêts à faire des efforts mais il est nécessaire qu'ils soient conjugués à l'échelle de la planète. Comment faire en sorte que d'autres pays comme les E-U, le Brésil soient également complètement impliqués dans cette démarche ?
T. S. - Il est en effet essentiel que les agriculteurs du monde entier, et en particulier des grands pays agricoles, soient impliqués dans une démarche de développement durable. Pour cela, des plans d'action sont négociés au niveau international. Ainsi, l'article 40 du plan d'action de Johannesburg prévoit de " promouvoir des programmes visant à accroître, d'une manière qui soit durable, le rendement des sols et l'utilisation efficace des ressources en eau dans l'agriculture, la foresterie, les zones humides, les pêcheries artisanales et l'aquaculture, en particulier par le recours à des approches autochtones et basées sur les communautés locales ". Ce plan d'actions prévoit aussi d'" améliorer l'accès aux marchés existants et d'en développer de nouveaux, pour les produits agricoles à valeur ajoutée ".
(Source http://www.fnsea.fr, le 5 août 2003)