Déclaration de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, à Berlin le 6 mai 2003, et interview dans "Die Welt" le 6, sur la coopération franco-allemande en matière de défense et d'armements, la défense européenne, la participation britannique à la défense européenne, les relations franco-américaines et la PESC.

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Circonstance : Visite de Mme Michèle Alliot-Marie au Bundestag à Berlin le 6 mai 2003

Média : Die Welt - Presse étrangère

Texte intégral

Je mesure le privilège qui m'est donné aujourd'hui de prendre la parole devant vous, dans ce bâtiment chargé d'Histoire, symbole, avec la Porte de Brandebourg toute proche, de la réunification allemande et du retour de sa capitale à Berlin.
Je me félicite aussi de ce que l'Allemagne joue aujourd'hui, sur la scène internationale, un rôle important en faveur de la paix, du respect du droit international et du développement.
La France s'en réjouit en tant qu'amie et en tant que partenaire.
La concertation étroite entre nos pays est devenue une donnée fondamentale de la construction européenne.
L'éclat, la chaleur et l'émotion des cérémonies qui marquèrent, à Paris et à Berlin, le 40° anniversaire du traité de l'Elysée témoignent de cette réalité et illustrent notre détermination conjointe pour faire avancer l'Europe de la politique étrangère, de défense et de sécurité.
La crise iraquienne a certes provoqué au sein de l'Union Européenne des remous qui sont réels, mais dont il ne faut exagérer ni l'ampleur, ni la durée.
Certains y ont vu des signes d'éclatement de l'Europe de la défense avant même que celle-ci ne se réalise.
D'autres y ont vu une menace à l'encontre de l'OTAN et du lien transatlantique.
En réalité, ces deux perceptions me paraissent erronées.
L' Europe se construit dans le respect de ses alliances et dans le maintien de ses liens privilégiés avec les pays qui partagent ses valeurs.
Les récents évènements auront suscité une prise de conscience parmi les Européens pour aller résolument vers une affirmation politique de l'Union Européenne
L'affirmation de l'Europe de la Défense y est devenue un enjeu majeur, pilier de l'édifice politique.
Nos deux pays se doivent de continuer à assumer leur responsabilité historique en jouant un rôle moteur et pionnier.
L'Europe de la Défense et de la Sécurité existe, n'en déplaise aux sceptiques.
La coopération franco-allemande est historiquement à son origine.
Elle doit continuer à montrer la voie de façon résolue, en associant un nombre grandissant de partenaires.
La brigade franco-allemande, le Corps Européen, la coopération en matière d'armement : ces réalisations ont constitué la première réalité tangible de la PESD.
Elles font de notre partenariat stratégique le socle sur lequel elle s'édifie.
La feuille de route adoptée par nos ministères de la défense après le 40ème anniversaire du Traité de l'Elysée en fixe les priorités.
L'union de nos forces et de nos volontés se manifeste aussi par notre contribution commune aux travaux de la Convention.
Ce volontarisme politique doit déboucher sur des réalités concrètes.
Nous avons su, dans le passé, réaliser ensemble le missile Roland, l'avion de transport Transall et l'avion d'entraînement Alpha Jet.
L'avion de transport A 400 M s'inscrit dans la continuité de cet effort.
Il constituera un symbole fort de l'Europe de la Défense, en nous donnant de véritables capacités de projection.
Son sort, mesdames et messieurs, est entre vos mains.
Il nous faut aussi finaliser nos projets dans le domaine des hélicoptères Tigre et NH 90.
Nous avons constitué le couple fondateur de l'OCCAR.
L'édification de la politique européenne d'armement doit être poursuivie.
C'est pourquoi nous appelons de nos vux la création d'une Agence de développement et d'acquisition des capacités militaires.
Nos traditions militaires étaient radicalement différentes, antagonistes même.
Nous avons pourtant élaboré un concept stratégique franco-allemand.
Nous allons créer un Collège Européen de Sécurité et de Défense.
La voie est tracée.
Mais il nous faut aller plus loin dans la construction de l'Europe de la Défense.
Avant tout, et prioritairement, notre crédibilité passe par le renforcement de nos capacités opérationnelles.
En Macédoine, une opération de l'UE est en cours, avec l'aide et avec les moyens de l'OTAN.
Une nouvelle opération en Bosnie nous permettra d'approfondir cette coopération entre les deux organisations.
Mais nous devons nous préparer aussi, si besoin était, à intervenir de façon autonome, avec des moyens purement européens.
Les propositions avancées à Bruxelles le 29 avril dernier en constituent la première étape.
Mais que l'on ne se méprenne pas.
Notre demande s'inscrit dans un esprit d'ouverture totale à l'égard de nos autres partenaires européens.
Nombre d'entre eux montre son intérêt pour le processus lancé à Bruxelles.
Il faut s'attacher, en particulier, à ce que le dossier de la force de réaction rapide européenne progresse en convergence avec le Royaume Uni et en compatibilité avec le projet NRF de l'OTAN.
Sur la plan politique, enfin, je suis convaincue que l'Europe de la Défense avancera rapidement.
Elle devancera même la construction de l'Europe politique, facilitant ainsi la consolidation de la PESC.
Historiquement, c'est bien la nécessité de se défendre et d'organiser les armées qui a accéléré la construction des systèmes étatiques.
Nous sommes arrivés à ce stade, et l'Europe de la défense progresse plus vite qu'en leur temps l'Europe économique et l'Europe monétaire.
Cette progression suppose des concessions, qui touchent au cur de la souveraineté.
Pour la France, c'est accepter d'avoir des forces plus intéropérables et plus intégrées dans le cadre européen.
Cela suppose aussi des efforts financiers.
La Loi de Programmation Militaire française marque la volonté du gouvernement d'assumer ses responsabilités.
Elle marque que, pour notre gouvernement, la sécurité est une priorité absolue.
Elle fixe à 2 % du PIB la hauteur de notre effort militaire.
Elle a pour buts de :
rétablir la disponibilité des matériels
moderniser les équipements
consolider la professionnalisation
améliorer la préparation opérationnelle de nos forces
Cet effort, nous le mettons au service de tous les Européens.
La mission historique de nos deux nations est de montrer la voie.
Nous devons convaincre nos partenaires, et surtout les plus récents, de la capacité de l'Europe à assumer ses responsabilités en matière de défense.
Nous avons pour objectif l'émergence progressive d'un monde multipolaire, susceptible de renforcer la stabilité internationale.
Cela suppose que le pôle européen soit fort et solidaire, dans le respect naturellement de ses amitiés et de ses alliances, en particulier avec le pôle américain.
Dans le domaine de la sécurité et de la défense, c'est notre responsabilité morale et politique de faire converger nos efforts pour montrer le chemin aux générations futures.
Il faut donc continuer ensemble cette uvre fondamentale en poursuivant et accélérant le chemin parcouru depuis plus de quarante ans.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 9 mai 2003)
"L'Europe doit se doter de capacités de défense renforcées"
Q - Madame la Ministre, vous visitez Berlin aujourd'hui. Qu'en est-il du partenariat franco-allemand en matière de Défense ?
R - Je réponds avec grand plaisir à une invitation du président de la commission de la défense du Bundestag, Reinhold Robbe. Je voudrais souligner combien je suis honorée par cette invitation, qui démontre la qualité des relations que la France et l'Allemagne entretiennent depuis de nombreuses années, en particulier dans le domaine de la défense. Je tiens à remercier tout spécialement Wolfgang Thierse de l'occasion qu'il me donne de m'exprimer au nom de la France devant les élus de votre pays.
Q - Comme l'Allemagne, la France se trouve dans une crise économique et financière. Contrairement à l'Allemagne, vous avez augmenté les dépenses pour la Défense. Jugez-vous donc l'Allemagne capable et disposée à contribuer suffisamment à la construction d'une défense européenne ?
R - Comme vous le savez, la France a décidé d'engager le redressement de son effort de défense, au service de la sécurité de ses citoyens mais aussi de la sécurité de l'Europe comme de la paix dans le monde. Nous vivons dans un monde dangereux, qui voit se multiplier les conflits régionaux et dans lequel le terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive prennent une dimension inquiétante. Nous, Européens, avons le devoir de garantir notre sécurité commune et notre autonomie de décision si nous voulons que l'Europe joue son rôle dans le monde, dans un véritable partenariat avec nos alliés, en particulier américains. La loi de programmation militaire pour la période 2003-2008, approuvée en janvier dernier par le Parlement, a concrétisé cette volonté forte du président Jacques Chirac et du gouvernement. Pourtant, il demeure des lacunes au niveau européen. La construction de l'Europe de la Défense est ainsi un enjeu prioritaire, car, comme l'a rappelé le président de la République le 16 avril dernier à Athènes, c'est à partir des progrès, qui sont sérieux, de la politique européenne de défense que l'on créera les conditions optimales pour mettre en uvre une politique étrangère commune. Il nous faut en être conscients et être prêts à consentir les efforts nécessaires. L'Europe ne pourra se faire entendre que si elle dispose des moyens militaires adéquats. Ce n'est qu'alors qu'elle pourra faire respecter ses valeurs et ses intérêts.
Q - Concernant la politique de la Défense, la Grande-Bretagne jusqu'à présent a été le partenaire le plus important de la France. Entre vous il y aura même une coopération de construire des porte-avions. La guerre contre l'Irak, a-t-elle changé la situation ? Envisagez-vous la possibilité d'exclure Londres de la Défense européenne?
R - La France et la Grande-Bretagne sont les deux pays disposant des budgets militaires les plus importants. La dynamique du Sommet de Saint-Malo, réaffirmée lors du Sommet du Touquet le 04 février dernier, est importante pour la construction de l'Europe de la défense. Avec nos partenaires britanniques, nous partageons en particulier la même conviction que l'Europe doit se doter de capacités de défense renforcées afin qu'elle puisse pleinement assumer ses responsabilités. Les progrès dans ce domaine sont cette année particulièrement significatifs, ce qui montre que notre différend au sujet de l'Irak n'a pas entamé notre volonté commune de construire ensemble une défense européenne. L'Union européenne a pris la relève de l'ONU le 1er janvier 2003 pour la mission de police en Bosnie-Herzégovine et de l'OTAN le 31 mars 2003 pour la mission de stabilisation en Macédoine. Je voudrais souligner par ailleurs que la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni soutiennent conjointement le projet de l'Union de prendre militairement la relève de l'OTAN en Bosnie au début de l'année prochaine. Dans le domaine de l'armement, nous avons, avec le Royaume-Uni comme avec l'Allemagne, des programmes majeurs en coopération ; je citerai notamment l'A400M ou le missile Météor, et il n'est bien entendu pas question de les remettre en cause. Nous poursuivons par ailleurs nos réflexions sur les possibilités de coopération franco-britannique pour la construction du deuxième porte-avions.
Q - Le vice-secrétaire à la Défense, M. Paul Wolfowitz a menacé de punir la France pour son opposition à la guerre. On parle déjà d'une pénitence, qui pourrait faire beaucoup de mal aux intérêts militaires de la France. Est-ce qu'il y a des indices concrets ?
R - La France et les Etats-Unis sont non seulement des alliés mais des amis dont les liens, très forts, remontent à la fin du 18ème siècle. Notre amitié réciproque est de taille, si je puis dire, à résister aux déclarations, loin d'être reprises unanimement par les autorités américaines, auxquelles vous faites allusion.
Je constate pour ma part que, sur le terrain, partout où nos soldats sont engagés ou en contact avec leurs homologues américains, nos relations restent empreintes de professionnalisme, de respect mutuel et de cordialité. Cela, c'est un fait et c'est, pour moi, ce qui compte.
Q - Avez-vous l'impression que le chancelier, Monsieur Gerhard Schröder, a commencé de se détourner de la coalition anti-guerre ?
R - Je vous laisse la responsabilité des termes que vous employez dans votre question.
Je constate simplement que la France et l'Allemagne n'ont eu de cesse, pendant toutes les phases qu'a connu la crise irakienne, et encore maintenant, d'affirmer une position commune fondée sur une vision partagée du monde dans lequel nous vivons, des enjeux de la crise elle-même et des règles sur lesquelles doivent se fonder les relations internationales.
Q - Le président Jacques Chirac a sévèrement critiqué plusieurs nouveaux membres de l'UE, parce qu'ils ont soutenu Washington dans la crise irakienne. Cette critique là est-elle justifiée rétrospectivement?
R - Là encore, je vous laisse la responsabilité des termes employés.
Ce que je peux vous dire, c'est que la France est convaincue que, dans un monde qui est devenu multipolaire, l'Europe a une grande responsabilité à jouer, en particulier dans les domaines de la sécurité, de la stabilité et du développement. Or, nous voyons bien que nous, les Européens membres actuels et futurs de l'Union, nous pouvons avoir, du fait de notre histoire, des appréciations différentes des situations. Cependant, nous sommes unis par des valeurs communes et par un destin que nous voulons construire ensemble. Il me paraît normal que ce destin que nous avons choisi de partager se traduise, dans le cadre d'une concertation appropriée, par des positions communes sur les grandes questions qui nous sont soumises. C'est là le véritable défi de la politique étrangère et de sécurité commune.
Q - Quel jugement portez-vous sur le fait que l'Allemagne ne veuille pas abandonner la conscription ?
R - Plusieurs pays européens ont réorganisé leurs forces armées depuis la fin de la Guerre froide. Chacun l'a fait en fonction de ses besoins, de ses traditions et de ses impératifs. Je constate que tous, quel que soit notre mode d'organisation, nous avons fait évoluer nos forces afin de les mettre en mesure de gérer les situations de crise dans le contexte de notre époque. Une culture européenne de sécurité et de défense s'est ainsi forgée. Je fais confiance à nos amis allemands pour définir, dans ce contexte, les solutions qui leur paraîtront les plus appropriées. Cette responsabilité leur appartient pleinement, et je n'entends pas m'y immiscer.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 mai 2003)