Tribune de M. Henri Emmanuelli, membre du conseil national du PS dans "La nouvelle revue socialiste" d'avril 2003 intitulé : "Reconquérir les classes populaires", sur la stratégie de reconquête par le PS de son électorat traditionnel à travers son projet de société et son mode de fonctionnement interne.

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Média : La Nouvelle Revue socialiste

Texte intégral

La reconquête des catégories populaires : ce thème témoigne, à lui seul, de l'ampleur de la crise d'identité de notre Parti. Comment le principal parti de la Gauche, héritier des mouvements ouvriers, promoteur des plus grandes réformes sociales depuis un siècle, en est-il venu à perdre la confiance des classes populaires ? En 1988, le candidat socialiste réunissait au premier tour 40 % du vote ouvrier et employé ; en 2002, il a atteint 11 % du vote des ouvriers et 19 % du vote des employés. Comment se peut-il que notre parti peine à identifier les raisons de ce déclin, et que certains camarades, au bout du compte, s'y résolvent ?
Reconquérir les classes populaires n'est une simple question d'arithmétique électorale où, à l'instar d'une grande entreprise, nous constaterions l'érosion de notre part de marché sur tel ou tel segment de la population. La Gauche n'a de sens que si elle propose une transformation de la société, émancipant les hommes et les femmes des dominations qui les oppressent, luttant contre les inégalités profondes du système économique. Elle s'adresse en premier lieu à ceux qui souffrent le plus et sont parmi les plus bas de l'échelle sociale. Une Gauche qui n'entraîne pas les classes populaires, c'est une Gauche qui perd son identité, une Gauche qui se condamne à ne jamais gagner, une Gauche qui ne pourra jamais mettre en oeuvre son programme de transformation de la société. Retrouver notre électorat est une démarche exigeante, longue, qui requiert de prendre conscience de l'ouragan qui s'est abattu depuis 20 ans sur les classes populaires, de reconnaître le rôle que nous n'avons pas su jouer et de tracer une alternative apte à susciter l'adhésion de ceux que nous avons vocation à représenter. Au moment où la contestation de la mondialisation néolibérale n'a jamais été aussi puissante, nous ne devons pas être timorés et proposer une réelle alternative.
I. La brutalité des années 80 et 90 pour les classes populaires
Pour bien comprendre l'ampleur de la rupture apparue dans les années 80 pour les classes populaires, il est nécessaire de rappeler les avancées fondamentales des Trente Glorieuses (de 1945 à 1975-80) à travers :
- l'intégration de la classe ouvrière dans le partage des fruits du progrès par la conquête de droits sociaux (maladie, retraite, assurance chômage, expression syndicale, ...) et la progression substantielle de son pouvoir d'achat.
- la perspective d'une promotion sociale réelle pour les enfants des classes populaires, leur permettant d'échapper à la condition ouvrière. L'émancipation par l'école et la promesse d'un destin meilleur pour les nouvelles générations constituent ainsi un des éléments fondateurs du compromis social d'après guerre.
- la reconnaissance sociale et politique de l'ouvrier comme figure emblématique, valorisée du peuple de Gauche, avec sa culture, ses rites, ses lieux de solidarité.

1.1. La fin de la progression du niveau de vie des classes populaires
De 1945 à 1980, le niveau de vie du ménage médian a progressé de plus de 3,5 % l'an (de 5 % chaque année au cours de la décennie 70), permettant un doublement du niveau de vie tous les 20 ans environ. L'ouvrier miséreux des années 40 vivant dans des bidonvilles, qui meurt avant d'avoir accédé à la retraite, de toute façon dérisoire, a cédé la place à un ouvrier de la fin des années 70, pouvant espérer une retraite décente de plusieurs années, jouissant d'un accès aux loisirs, propriétaire d'une voiture et de plus en plus souvent de son logement. Le chômage est alors très faible et les modes de consommation, sans s'unifier, se rapprochent entre classes sociales. Les inégalités de revenu déclinent fortement, le rapport entre le salaire moyen du cadre et celui de l'ouvrier passe de 4 en 1968 à 2.7 en 1984.
Cette dynamique de rattrapage ouvre la voie aux théorisations de la fin des classes sociales et augure de l'avènement d'une immense classe moyenne. Le réveil a été d'une brutalité inouïe.
La progression du niveau de vie du ménage médian n'augmente plus que de 0.8 % par an dans les années 80 et de 0.4 % par an entre 1990 et 1997. Pour les 20 à 30 % de salariés les plus modestes, on observe au mieux une stagnation du pouvoir d'achat des salaires dans les années 80 et une baisse, pour la première fois depuis cinquante ans, tout au long des années 90. Il aura fallu 14 ans pour que les 10 % de salariés les plus modestes de 1970 doublent leur niveau de vie ; il faut désormais plusieurs générations pour atteindre le même résultat. Alors qu'au cours des trente glorieuses, un ouvrier en début de carrière pouvait atteindre le salaire du cadre moyen en 30 ans, le temps de rattrapage a dépassé 200 ans dans les années 90.
Cette rupture dans la progression du niveau de vie fut d'autant plus brutale qu'au cours de cette même période, les taux d'intérêt et le prix des logements se sont envolés. Confrontées à une profonde dégradation de leur niveau de vie, les classes populaires ont du affronter un niveau inconnu de détérioration des conditions d'emploi. Le chômage des classes populaires avoisine les 20 %, le temps partiel contraint double, l'emploi précaire est multiplié par quatre, les conditions de travail enregistrent une dégradation continue depuis 1984. La pauvreté se transforme et alors qu'elle était surtout le triste " privilège " des salariés âgés, elle touche de plein fouet les salariés en activité, et singulièrement les jeunes. Les perspectives de promotion sociale s'en trouvent totalement bouleversées.
1.2. L'espoir d'un avenir meilleur pour ses enfants s'évanouit
Si la crise des vingt dernières années a stoppé net l'expansion des classes moyennes, le poids de cette rupture a pesé essentiellement sur les générations nées après 1955. Pour la première fois en temps de paix, les conditions de vie des nouvelles générations se sont dégradées par rapport à leurs aînés. Le pouvoir d'achat du salaire annuel des moins de 35 ans a chuté de 5 % en 20 ans (jusqu'en 1997). Et alors même que la qualification des générations nées après 1955 a connu une hausse formidable, la proportion de cadres et de professions intermédiaires stagne voire régresse, alors qu'elle n'avait cessé de croître pour les jeunes arrivées sur le marché du travail avant les années 70. Le taux de chômage des non qualifiés atteint 33 %, la précarité explose et les taux de détention de logement, de voiture tout comme le taux de départ en vacances régressent pour les jeunes générations par rapport à leurs parents au même âge. C'en est fini du mythe du rattrapage social et de la perspective d'un partage du progrès. Fait inconnu jusqu'alors, les pauvres comptent de plus en plus de jeunes dans leurs rangs. Les dégâts d'une telle remise en cause du pacte social sont considérables. Alors même que les injonctions à la consommation envahissent les média, les perspectives de les satisfaire n'ont jamais été aussi lointaines.
1.3. La disparition des classes populaires du discours et des média
Alors que la proportion d'ouvriers et d'employés est restée stable autour de 60 % de la population, ils sont devenus invisibles dans les media. Les années 80 et 90 ont été avant tout celles de l'exaltation du marché, de la bourse, de la sacralisation des managers et vainqueurs, de l'apologie de la France qui gagne et de la mondialisation heureuse. Dans le même temps, la culture ouvrière a été ravalée au rang de scorie du passé, caricaturée et moquée par un parisianisme arrogant.
Les classes populaires n'avaient pas disparu ; elles ont supporté l'attaque frontale du libéralisme, se sont transformées. Les bastions emblématiques des vieilles industries aux syndicats forts et à la militance bien ancrée ont sombré avec les restructurations. Désormais, les salariés modestes se recrutent dans les services, les PME sous traitantes, les régions éloignées de paris. Les ouvriers et employés sont de plus en plus des femmes, des français issus de l'immigration et connaissent la précarité. Cette transformation est profonde et affecte les structures de socialisation traditionnelle des classes populaires. La plupart n'ont jamais rencontré un syndicat de leur vie, et encore moins participé à une réunion politique ; ils n'assument plus leur condition ouvrière, désormais dévalorisée.
Toutes les médiations traditionnelles sont en crise : le syndicat, les associations, et plus encore la famille. La pauvreté et l'anomie vont croissant avec la multiplication des divorces et des familles monoparentales. L'individualisme roi renvoie chacun à son propre échec, culpabilisant les plus faibles, démultipliant ainsi les dégâts sociaux de la crise. Les cadres de transmission des savoirs et des règles disparaissent. On ne se mobilise plus pour des lendemains qui chantent, on résiste parfois avec l'énergie du désespoir.
Si les conditions objectives de vie démontrent à tout point de vue la réémergence d'une société clivée en classes sociales, la conscience de classe s'est profondément étiolée. De cette formidable régression, les classes populaires ont payé le plus lourd tribut. Une partie s'est enfoncée dans la misère, et souvent les plus jeunes, vivant de l'alternance de minima sociaux et de petits boulots. L'autre tente de maintenir son niveau de vie, au prix d'une dégradation continue des conditions de travail et d'une insécurité professionnelle. Mais tous ont perdu l'espoir d'un pouvoir politique capable de reprendre le dessus sur une économie mondialisée, ordonnée autour de la quête infinie du profit. Tous ont abandonné le rêve, si essentiel, de voir leurs enfants connaître un sort plus enviable. Beaucoup, dépassés par les logiques implacables qui les assaillent, finissent par en vouloir au voisin (l'étranger, le plus pauvre, l'élu) transformant les résistances non plus en actes politiques mais en actes de désespoir absolu (Cellatex, Daewoo, ....).
II Reconnaître notre responsabilité
Les évolutions économiques et sociales ne sont pas le fruit du hasard, et pour avoir gouverné 14 de ces 20 dernières années, nous n'y sommes pas étrangers. La mondialisation n'est pas seulement une plaie venue d'outre atlantique ; notre passivité face à l'offensive libérale, nos renoncements à changer le système, notre zèle à reprendre parfois les prescriptions libérales ont eu leur part dans ces changements. Nous sommes passés, en 25 ans, d'un monde encadré par des institutions, ordonné par des lois, à la jungle marchande et au désordre libéral. La culture de compétition généralisée a détruit peu à peu tous les liens et tous les droits qui assuraient la dignité des personnes et la cohésion sociale. La compétitivité a exigé la baisse des prélèvements fiscaux et sociaux et donc le démantèlement progressif de la protection sociale, le recul des investissements publics dans l'éducation, le logement, les équipements collectifs. L'inégalité progresse alors et la violence monte.
Nous n'avons pas pris la mesure des peurs engendrées par un monde qui cumule toutes les insécurités et suscite une demande parfois irrationnelle, mais néanmoins réelle, de restauration d'une autorité publique forte, capable de rétablir le primat de l'intérêt collectif, de remettre de l'ordre dans la jungle du chacun pour soi. Si une droite démagogique a pu remporter la victoire de la peur, ce n'est pas seulement la faute des médias, c'est d'abord parce que nous avons renoncé à incarner une alternative crédible à un monde sans repères, sans recours, sans perspective pour le plus grand nombre. La lucidité commande de reconnaître l'échec de 2002 pour ce qu'il est : le nôtre ! Échec de notre politique, de notre discours, et non un simple avatar de l'alternance. A coté des grandes réformes qui resteront dans l'histoire sociale de notre pays, nous avons fait trop de concessions aux exigences libérales (baisse de la fiscalité des stock-options, ouverture du capital de France Télécom, baisse d'impôts pour les classes supérieures, annualisation du temps de travail, résignation de fait face aux licenciements boursiers, acceptation du traité d'Amsterdam, prime a l'emploi, etc), et presque rien pour l'amélioration des conditions de travail et de rémunération de l'immense majorité des salariés.
Là où il y avait une demande de protection face à la mondialisation libérale, de nouvelles règles protégeant les classes populaires au travail comme dans la rue, nous n'avons pas su répondre. Non pas que certaines mesures n'aient pas été en ce sens, mais nous avons été incapables de répondre globalement à ce besoin de protection et de perspectives de progrès, préférant exalter les entrepreneurs de la nouvelle économie, brouillant notre message avec des discours éloignés des préoccupations de la majorité des salariés. La focalisation de notre discours sur les questions sociétales (les minorités, l'aspiration à l'autonomie, à la société de loisirs, les discriminations) a laissé croire que nous avions perdu de vue les questions sociales.
III Retrouver les classes populaires
1. Retrouver le socialisme
Le désenchantement de la population, et singulièrement des classes populaires, à l'égard de la politique tient au formidable succès idéologique du libéralisme, qui a réussi d'une part à disqualifier les concepts même de la pensée socialiste (le progrès, la modernité, l'égalité, ...) et à estomper la question même des finalités de l'action humaine. A la modernité prônée par les libéraux répond en fait la modernisation, sans fins véritables, qui nous échappe. Le marché vit du progrès inquestionné. Ce qui manque fondamentalement à l'économie néolibérale c'est la réflexion sur soi, l'identification de ses mobiles.
" Le libéralisme n'est pas susceptible de fournir, à lui seul, un discours politique, parce qu'il ne dit rien du pourquoi de l'accroissement des richesses qu'il entend libérer, et parce qu'il ne donne pas le moindre visage à ce que pourrait être la communauté des libertés à laquelle il aspire. " (M. Gauchet, La Démocratie contre elle-même, p.302)
Le libéralisme ambitionne une société de marché sans frontières selon une logique d'effacement des Etats et du pouvoir politique. L'action politique est alors réduite à un ensemble de techniques gestionnaires, qui la vide de son essence même, à savoir la délibération publique sur les fins de l'activité humaine.
Or face à l'immense force de persuasion de l'argent, le devoir de la Gauche est de maintenir la question des finalités continuellement posée. Interroger sans cesse ce cumul soi-disant objectif des données prenant pour acquis que la fin de l'homme est la consommation la plus luxuriante possible, le surgissement de nouveaux désirs subjectifs sous l'impulsion d'une force de persuasion publicitaire aux mains des entreprises, la transformation la plus rapide possible de la nature en marchandises. Pour ce faire, il faut réaffirmer le socialisme, débarrassé des " néo ", " post ", et autres préfixes en tous genres. Cette résistance doit être guidée non par l'horizon de ce qui est viable (ce que l'on peut faire dans le cadre du néolibéralisme), mais par celui de ce qui est possible (ce que l'on peut faire contre le néolibéralisme).
Retrouver le socialisme, c'est offrir un horizon, imaginer un avenir collectif pour notre société, porté par des valeurs fortes. L'égalité et la démocratie en constituent la matrice et nous devons les porter bien haut, sans concessions. Sous les coups de boutoir du libéralisme, la notion même d'égalité a été remise en cause et détournée. Elle est devenue synonyme d'uniformité, l'inégalité étant défendue au nom d'un droit à la différence, au prix d'une double confusion entre égalité et identité d'une part, entre inégalité et différence d'autre part. Les expressions d'inspiration libérale " égalité des chances " ou " équité " se sont imposées et substituées à l'égalité tout court, permettant de justifier, au bout du compte, des inégalités bien réelles. Ce glissement a contribué à un véritable retournement sémantique, diluant et dénaturant l'idée d'égalité, à la fois comme réalité et comme horizon. Une Gauche à l'offensive doit reconquérir les concepts et faire triompher sa conception de l'égalité et de la démocratie.
2. Un projet pour une autre société
Le discours sur les valeurs ne sera qu'incantation ou effet de tribunes si ces valeurs ne se déclinent pas dans un projet de société correspondant aux aspirations des classes populaires. Ce projet global doit être clairement alternatif à la mondialisation libérale. En dénaturalisant les évolutions économiques, en montrant le caractère proprement politique de la mondialisation, nous pouvons espérer rétablir la croyance en l'action politique et offrir une espérance aux classes dominées.
Le combat contre le capitalisme financier sera difficile, car il est plus complexe que jamais, le débordement du cadre spatial de la nation, cadre d'expression de la démocratie, étant une réalité. Mais les mobilisations internationales, le doute qui s'est instillé chez les zélateurs de la mondialisation heureuse témoignent que le temps est venu de mener avec vigueur ce combat. Ce dernier est véritablement politique. Il ne s'agit pas d'une lutte entre une finance désincarnée et les peuples, mais bien d'un affrontement entre les forces tenantes de l'ordre mondial actuel contre celles qui souhaitent le changer. Il y a ceux qui sont du côté de Davos et ceux qui se réclament de Porto Alegre. Notre parti ne peut être présent à l'un et à l'autre.
Les réformes pour infléchir le cours de la mondialisation ne sont pas hors de portée : soumettre la libre circulation des capitaux à des règles (contrôle des transactions, taxation des flux financiers, élimination des paradis fiscaux), subordonner la logique du commerce mondial à des impératifs écologiques et sociaux définis par des organisations internationales (OIT, Organisation mondiale de l'environnement), contrôler les activités des firmes multinationales pour éviter que des montages complexes privent toute action publique d'efficacité. Redonnons de la clarté à notre message en nous engageant en France et en Europe en faveur de ce combat.
Mais, si nous devons participer à la mobilisation internationale croissante contre la mondialisation, ce serait une erreur de croire qu'une politique de gauche se réduit à cette seule dimension. Il est possible dans notre pays de mener une politique différente, redonnant place et espoir aux classes populaires. La mondialisation ne nous oblige pas à privatiser la protection sociale, à démanteler les services publics, à ouvrir le capital des entreprises publiques ou à diminuer les moyens de l'action publique et de la redistribution, ou à se résoudre aux licenciements boursiers. Rien ne s'oppose à un projet protégeant les individus des ravages de la compétition généralisée, offrant salaires, emploi et haut niveau de protection sociale. Nous avons tenté de montrer dans notre contribution ce que pourrait être un projet socialiste.
3. Avancer des mots d'ordre unificateurs
La faiblesse des structures traditionnelles de socialisation des classes populaires (syndicats, partis associations, familles) est un obstacle majeur pour faire partager et porter ce projet. En effet, le contraste est saisissant entre d'une part le développement extrêmement fort des clivages entre classes sociales, et d'autre part, l'absence de conscience de cette communauté de destin au sein des catégories populaires. L'exacerbation de l'individualisme et l'éclatement des collectifs de travail ont condamné chaque individu à gérer seul la dureté de sa vie, empêchant la formulation de revendications communes.
Reconquérir les classes populaires doit impérativement s'appuyer sur la définition de mots d'ordre unifiant les salariés victimes de la crise, par delà la diversité des situations individuels. Ces mots d'ordre sont le seul moyen de transcender les revendications fragmentaires, identitaires et partiellement contradictoires de la population. Nous devons parler clair et ne pas tenter de concilier l'inconciliable : la baisse de la fiscalité sur les stock options et une plus grande égalité de notre système fiscal, la hausse des salaires et la maîtrise du coût du travail, l'investissement dans l'éducation, le logement, la santé et la réduction de la dépense publique, la protection contre les licenciements et l'attractivité de notre territoire.
Ces revendications doivent s'ancrer dans les aspirations premières des catégories populaires que sont le droit au travail et à un revenu décent, la perspective de progrès tout au long de la vie et pour les générations futures, la capacité de peser sur le destin du pays. Le droit au travail est inscrit dans notre Constitution, donnons nous vraiment les moyens de le mettre en oeuvre. La réponse de la Gauche à la demande de sécurité doit s'appuyer sur un projet de sécurité globale, offrant protection et épanouissement des individus de la naissance à la retraite, dans la rue mais aussi au travail. La cristallisation des peurs et la violence qui monte répondent à l'insécurité généralisée du libéralisme ; combattre l'insécurité, c'est d'abord lutter contre le libéralisme, redonner un contenu progressiste à la France et à l'Europe, dévoyée la première par l'extrême droite et la seconde par les libéraux.
Là où le libéralisme célèbre la culture du risque et encourage la mise en concurrence des hommes, des territoires et des règles, nous devons opposer la solidarité et la protection des plus faibles. La protection, la défense des acquis sociaux sont aujourd'hui trop stigmatisés, jusque dans nos propres rangs, sous l'aspect d'un dangereux corporatisme. Défendre les acquis sociaux, c'est défendre le bien commun et donc une certaine idée de l'universel. Là où la droite cultive la peur, le socialisme doit offrir la perspective d'un horizon collectif articulé sur de nouveaux compromis entre l'intérêt général et l'intérêt particulier, entre l'individu et la collectivité, entre le privé et le public.
4. Un Parti ouvert aux classes populaires
Pour changer la société, encore faut-il pouvoir écouter, être entendu, compris et cru par ceux auxquels ce projet s'adresse. Notre Parti a un rôle déterminant dans ce travail de reconquête. La discussion interne et les campagnes électorales ne peuvent être l'horizon indépassable de son activité. L'action, la mobilisation doivent être au cur de notre fonctionnement, en réinvestissant les lieux de rencontre, dans les quartiers, sur les lieux de travail, avec les associations et les organisations syndicales, en retissant des liens le plus souvent distendus depuis des années.
Il est encore plus urgent de promouvoir aux responsabilités des militants issus des classes populaires. Il ne s'agit pas de plaider pour des logiques peu efficaces de quotas, mais personne ne niera que le poids croissant des énarques dans nos dirigeants ne facilite pas l'identification des classes populaires à notre démarche. Le rétrécissement de la base sociologique des militants de ce parti, et plus encore de ses dirigeants, n'est pas étranger à la désaffection des milieux populaires à notre endroit. L'uniformisation des responsables conduit à des visions du monde identiques, à des manières de s'exprimer, des codes et des rites, incompréhensibles à ceux qui ne sont pas du milieu. Cet objectif n'est pas un simple slogan, car il requiert un profond bouleversement de nos manières de fonctionner : formation accrue, soutien à des candidatures nouvelles contre le recyclage de grands leaders battus ailleurs, encouragement à la prise de paroles, lutte contre le carriérisme ....
Enfin, rien ne pourra se faire sans que les militants puissent effectivement peser sur les décisions de notre Parti, dont la parole est aujourd'hui confisquée. Quiconque avait entrepris en 2001 une série de réunions dans les différentes fédérations et sections de notre parti avait pu ressentir le malaise, parfois la grogne à l'encontre de la politique menée. Ces voix là n'ont pas été entendues.
(source http://www.nouveau-monde.info, le 26 mars 2003)