Déclaration de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, sur les relations économiques entre la France et la Chine, la situation économique et le projet de réforme des retraites, Pékin le 26 avril 2003.

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Circonstance : Intervention devant la Chambre de commerce et d'industrie française en Chine à l'occasion du voyage officiel de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, du 23 au 26 avrril 2003

Texte intégral

Merci beaucoup Monsieur le Président de vos propos chaleureux, de votre accueil, et de me donner cette occasion que j'attendais de pouvoir parler avec ces militants de l'économie française que sont les entrepreneurs expatriés que je salue ainsi que les ministres, les parlementaires et les nombreuses autorités qui sont ici présents. Je suis sincèrement heureux d'être avec vous, parce que je mesure les difficultés qui sont les vôtres, dans la situation dans laquelle aujourd'hui se trouve cette région du monde. Et comme l'a dit votre président, vous pouvez compter sur la France et sur mon gouvernement pour faire preuve d'attention, de vigilance, de mobilisation, avec les autorités chinoises et apporter toutes les solutions nécessaires aux problèmes qui sont posés. Mais ne cédons pas aux paniques, ne cédons pas aux rumeurs et faisons face avec détermination, sang-froid, lucidité, aux difficultés que nous avons à surmonter. Nous sommes face à une bataille. Nous devons livrer bataille contre un virus, tous ensemble, mais faisons-le avec sang-froid, avec réalisme, et avec ce souci qui est le nôtre, évidemment, de faire particulièrement attention à la situation des familles et à la situation de tous nos compatriotes. C'est pour ça que je suis sincèrement heureux d'être parmi vous aujourd'hui. J'avais de multiples raisons d'être en Chine à ce moment, mais c'est une raison supplémentaire, et je crois que les autorités publiques de notre pays doivent toujours être aux côtés de ceux qui ont des batailles à livrer. Donc je suis, dans cette circonstance, ému d'être à vos côtés.
Je voudrais vous dire combien je tenais à ce voyage pour les raisons, Monsieur le Président, que vous avez soulignées. Parce que nous sommes parmi les premiers à rencontrer cette quatrième génération de dirigeants chinois, à bâtir avec eux des méthodes de travail et des objectifs communs qu'il nous fallait construire. Tout ceci dans la ligne du partenariat global que le président de la République française, avec son homologue chinois, a bâti. Il est très important de mesurer que depuis 1964, en effet, il y a une compréhension du monde entre la France et la Chine, qui est assez voisine. C'est assez étonnant, de par l'histoire de nos civilisations, de par les rencontres, de la géographie et de l'histoire que, finalement, la France et la Chine puissent avoir, sur l'organisation du monde, des visions aussi communes. Peut-être parce que nous venons de vieilles civilisations et que nous savons le poids de l'Histoire et que nous mesurons la nécessité, face à tant de différences, de respecter les autres. Cette vision d'un monde multipolaire qui a pu s'exprimer dans la très difficile crise de l'Irak. Cette position voisine de la France et de la Chine, nous donnent l'occasion de renforcer cette position originale, spécifique et particulière qu'a la France par rapport à la Chine. Et je crois qu'il était important, dans ces circonstances, de pouvoir, avec les dirigeants chinois, construire des perspectives d'avenir, pour, comme l'a dit le Premier ministre chinois, mettre nos échanges économiques au niveau de nos solidarités politiques. Et c'est, je crois, ce qu'il est important de faire aujourd'hui. Il y a, évidemment, dans cette dimension économique, aujourd'hui - vous l'avez souligné - une situation étonnante. Au fond, notre déficit commercial pourrait paraître préoccupant, malgré les efforts des uns et des autres, et je salue ceux que vous menez, puisque nous sommes en croissance, mais nous sommes en croissance de nos importations, nous sommes en croissance de nos exportations et nous nous trouvons avec un déficit commercial que nous souhaitons évidemment combler. Nous avons un niveau aujourd'hui d'importations qui est presque quatre fois celui de nos exportations. Nous avons donc des efforts importants à combler et je tiens à dire que ceci doit se faire naturellement avec le partenariat global qui lie nos deux pays.
On voit bien que nous avons de belles réussites ici ; les grandes entreprises, j'en ai vu une liste dans votre comité de parrainage pour les années thématiques. Je vois des résultats importants par les gros contrats qui sont régulièrement signés. Je vois la connaissance qu'ont les dirigeants chinois quand on leur parle des grandes entreprises françaises et qui connaissent leurs dirigeants, qui connaissent leurs produits et qui connaissent l'ensemble de leurs performances. Et les ministres ici présents, Dominique Bussereau, François Loos et Renaud Muselier, qui ont participé à de nombreuses réunions hier, ont vu combien il y avait de la considération pour les entreprises françaises, pour leurs performances. Mais il est vrai pour notre commerce international, des sujets qui sont pour nous des sujets d'excellence en matière d'exportation, ne sont pas des sujets d'excellence en matière d'importation pour nos amis chinois. Et la place de l'agro-alimentaire, par exemple, est une place modeste dans les importations chinoises. Et malgré tous les efforts de PSA, la place de l'automobile, elle n'est pas encore ce que nous souhaiterions qu'elle soit dans les importations chinoises. Il y a, en fait, un écart très important entre ce que sont nos performances en matière d'exportation et puis ceux qui sont les secteurs clés pour lesquels nous avons, avec les Chinois, un certain nombre d'objectifs très particuliers. Mais je crois vraiment que les réalisations exemplaires qui existent déjà dans le domaine du nucléaire, dans le domaine de l'automobile, dans le domaine de la distribution, les télécommunications, les transports, sont des secteurs pour lesquels nous devons pouvoir créer une dynamique économique française en Chine. Je vois bien aussi toute l'importance qu'on doit donner aux petites et moyennes entreprises dans ce développement. Je vois que 75 % de nos exportateurs sont des PME vers la Chine, mais ils ne représentent que 25 %, évidemment, de notre volume d'exportation. Et donc là, il y a un effort important. Nous avons dû reporter la mission d'entreprise - je cherche des yeux, François Loos, il est là - que devait conduire le ministre du Commerce extérieur, mais ce n'est que reporté de quelques semaines. Nous mènerons cette mission d'entrepreneurs, ici en Chine, dans plusieurs villes chinoises, pour pouvoir faire en sorte que l'on puisse développer notre implantation de petites et moyennes entreprises. C'est un secteur très important pour lequel nous devons faire des efforts et avec tous les dispositifs qui existent dans notre pays, aider à l'exportation nos entreprises à pénétrer le marché chinois.
Nous sommes vraiment convaincus que la Chine va, dans ce début de 21ème siècle, prendre une place très importante dans l'économie mondiale. Nous le voyons clairement dans les rapports de force politiques, évidemment. Mais nous voyons aussi aujourd'hui, dans un certain nombre de grands événements, de grandes échéances, combien la Chine a su se placer au centre du monde, ces premières années du 21ème siècle. Les Jeux olympiques, l'Exposition universelle, vont porter la Chine, évidemment, de plain-pied, dans le monde dans lequel elle s'est déjà placée, par son ouverture, par son accès aux technologies. Mais finalement, le monde ne le sait pas encore et on voyait bien, dans ce grand débat si préoccupant qu'a été la crise de l'Irak, il y avait tous les pays qui quotidiennement parlaient de l'Irak et on voyait bien qu'il y avait un autre monde à côté, qui en parlait moins, même s'il jouait son rôle. Et pendant qu'il ne parlait pas de l'Irak, il était quand même sur des taux de croissance de 9 %. Je le disais hier aux journalistes : 9 % de croissance, cela fait rêver un Premier ministre français. J'en prends la moitié, j'en prends le tiers, et avec cela, je règle une grande partie des problèmes de la société française. Tout ceci, nous devons le mesurer, les entreprises doivent le mesurer, les Français doivent le savoir : il y a un grand continent qui se mobilise, qui avance, qui s'ouvre au monde, et s'ouvrant au monde, fait les efforts nécessaires de développement dans tous les domaines et pour lesquels nous ne pouvons pas être dans cette situation d'une très grande proximité politique, avec un statut original et particulier, et puis finalement, nous laisser doubler par l'Italie. Dieu sait si j'ai pour Berlusconi, Silvio, beaucoup d'estime et beaucoup d'amitié, mais enfin, il n'y a aucune raison que l'Italie soit devant nous sur les marchés chinois. Donc quand j'ai vu qu'ils nous avaient doublé l'année dernière, ce n'est pas quelque chose qui m'a fait fondamentalement plaisir. Donc je suis vraiment à vos côtés pour participer à cette prise de conscience nationale d'abord, et puis ensuite tout le soutien aux procédures économiques, pour que nos entreprises puissent avoir accès au développement ici, en Chine. Je crois qu'il est très important de bien faire connaître les marchés chinois. Il est important de faire connaître auprès de nos amis chinois, naturellement la qualité de nos entreprises, la capacité que nous avons à offrir autre chose que de la marchandise, c'est-à-dire du transfert de technologie et d'accompagner nos efforts commerciaux par des efforts de matière grise, de développement ; c'est une attente essentielle pour les entreprises. C'est aussi un élément très important pour nous que de développer nos relations culturelles. Et quand je prends le mot culturel ", je prends le mot " culturel " au sens le plus large, c'est-à-dire au sens de la création, la création technique, la création technologique, la création culturelle. C'est vrai qu'hier, j'ai vécu un moment d'émotion quand j'ai vu la construction de ce grand complexe musical, où théâtre, opéra, auditorium vont se trouver conjugués, tout ça sortant des mains de l'intelligence française. Je trouve qu'il y a là un signe particulièrement fort. Mais il faut faire en sorte que ces signes-là puissent générer un mouvement de mobilisation et de dynamique créatrice sur le plan intellectuel. Cela veut dire qu'il nous faut accueillir davantage encore d'étudiants, d'ingénieurs, de chercheurs, pour que nous puissions participer à ce développement. Même si nous avons connu, dans ces dernières années, un développement important de nos visas pour les jeunes étudiants, et nous en accueillons 8.000 chaque année. Et je crois que c'est un élément très important de l'avenir, comme le développement de l'apprentissage du chinois en France. 5.000 jeunes Français apprennent le chinois, ce n'est pas suffisant, nous avons des efforts à faire sur nous-mêmes pour promouvoir cette relation entre la Chine et la France, et nous ferons également, cher Monsieur l'Ambassadeur, avec vous, des efforts importants pour que la présence de la France, en Chine Je pense notamment aux deux nouveaux lycées que nous allons mettre en place, créer, pour faire en sorte, qu'à Pékin, on puisse accueillir le double d'élèves qu'actuellement. Et puis un nouveau lycée également à Shanghaï pour accueillir tous les Français qui veulent participer au développement important de cette grande métropole orientale de la Chine.
Voilà quelques mots que je voulais vous transmettre. Un mot sur la situation économique de notre pays pour vous dire combien nous sommes mobilisés pour faire face aujourd'hui à ce ralentissement de la croissance internationale. Je crois qu'il y a quelque chose qui apparaît clairement quand on est en Chine, mais qui apparaît clairement quand on regarde l'économie du monde. On ne sortira pas des problèmes de la France en travaillant moins. Quand je vois comment on construit aujourd'hui en Chine, comment on se développe, ne croyons pas que les voies de progrès pour la France soient en dehors des voies de l'effort, non. C'est forcément par la mobilisation que nous pourrons surmonter les difficultés qui sont les nôtres. Ces difficultés, nous les surmonterons ; nous les surmonterons parce qu'il y a un fort potentiel, notamment dans la situation des entreprises de notre pays, une grande capacité, un haut niveau technologique, une qualité de formation. Il y a des efforts évidemment qui sont à faire, mais nous avons un fort potentiel. Je ne pense pas que nous traversions une crise économique, nous sommes dans un cycle ; un cycle pour lequel il nous faut nous préparer à la reprise. C'est pour cela que je souhaite que la situation économique de notre pays reste saine sur ces fondamentaux ; c'est pour cela que je ne souhaite pas qu'on augmente, ni les charges, ni les impôts, pour que dès que la croissance internationale pourra repartir, nos entreprises puissent repartir. Elles sont aujourd'hui avec un niveau de stocks assez bas, il y a des capacités de développement assez rapides. Il faut que l'on se tienne prêt pour le retour de la croissance et que nous mobilisions notre pays dans cet objectif-là, de pouvoir partir avec la croissance à nouveau, dans la perspective du plein emploi qui doit rester la perspective de l'économie française.
Tout ceci nous demande des efforts, nous demande de l'énergie ; nous avons cette énergie, nous ferons ces efforts. Il est évident que j'aurais préféré faire une réforme des retraites avec 4 %, 5 % de croissance et que c'est un peu plus difficile quand nous sommes dans une situation plus fragile. Mais nous ferons la réforme des retraites, parce qu'il s'agit de l'avenir de la France, il s'agit de préparer notre pays à assumer son défi. Nous ne pouvons pas avoir le niveau social le plus élevé du monde et ne pas nous mettre, nous-mêmes, en situation d'effort pour pouvoir être capable de financer, dans la durée, ce niveau social important qu'est celui de la France aujourd'hui. Et ne pas, systématiquement, reporter sur les générations futures, les devoirs et les obligations qui sont celles de notre génération. C'est pour ça que nous ferons la réforme des retraites, c'est pour ça que nous ferons la réforme de l'Etat. Nous allons faire en sorte que profondément, l'Etat puisse être plus près du citoyen, avoir une organisation plus efficace avec un meilleur rapport coût-efficacité. Cela ne veut pas dire que les fonctionnaires seront malheureux, bien au contraire. Nous allons valoriser Je salue tous ceux qui, ici, défendent les couleurs de la France, derrière vous, monsieur l'Ambassadeur. Je suis le chef des fonctionnaires, je les défendrai, je les défendrai partout, pour qu'on puisse faire en sorte qu'ils aient avec eux, et un Etat respecté et respectable et la capacité d'agir. Ce n'est pas simplement en développant l'impuissance de la bureaucratie, sans développer de l'efficacité, que l'on revalorise la Fonction publique. La Fonction publique, on la revalorise, quand on lui donne le moyen d'avoir un vrai service public qui réponde à l'attente des citoyens. C'est pour ça que nous voulons, aujourd'hui, donner la force au service public, mais la force au service public, ce n'est pas la course aux moyens, ce n'est pas la course au gigantisme, c'est au contraire la course à qualité. Faire ce que fait l'ensemble de ceux qui font de la performance. C'est la recherche de la qualité. Il faut chercher toujours le meilleur service au meilleur coût. C'est cela, cette réforme que nous voulons faire ; c'est pour ça que nous voulons nous mobiliser pour réussir ces réformes. Et moins nous avons de marge extérieure et plus il faut faire d'efforts à l'intérieur pour pouvoir nous donner la capacité à vivre ce 21ème siècle, de manière tout à fait efficace et à la hauteur de la réputation et des ambitions de la France.
Je voudrais vous remercier les uns et les autres des efforts que vous faites. Je voudrais vraiment vous dire que nous avons besoin de travailler encore davantage ensemble. J'ai vraiment conscience, qu'ici, dans cette région du monde, le 21ème siècle est en train de se jouer. La France doit y être présente, la France doit y être attentive, nous devons avoir de multiples échanges pour non seulement, sur le plan politique, mais aussi sur le plan culturel et économique, pouvoir fertiliser ces relations. Je vous remercie d'y participer activement, vous pouvez compter sur la fidélité de la France, à ce que vous faites et à ce que vous êtes. Merci. "

(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 14 mai 2003)