Interview de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, dans "Frankfurter Allgemeine Zeitung" du 19 juillet 2003, sur l'armée de métier en France, les positions françaises concernant l'Irak et le Congo, la future défense européenne et le rôle de l'Allemagne dans sa construction.

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Média : Frankfurter Allgemeine Zeitung - Presse étrangère

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L'armée de métier française doit avoir du mal à trouver des candidats qualifiés ; dans le même temps, les contacts se font toujours moins nombreux entre les citoyens et les soldats. L'Armée française peut-elle toujours prétendre jouer un rôle modèle ?
Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense
L'Armée française s'est, en I'espace de cinq ans, transformée de fond en comble d'une manière incroyablement rapide. Grâce à cette réforme, la France dispose de forces armées à la hauteur des nouvelles exigences stratégiques. L'Armée répond aux trois défis que sont la défense du territoire national, la protection de ses compatriotes dans le monde entier ? comme nous l'a par exemple montré la crise en Côte d'Ivoire ?, ainsi que la défense de nos valeurs partout où cela est jugé nécessaire, comme en Afghanistan, par exemple. La qualité et les capacités d'adaptation de I'Armée française sont aujourd'hui reconnues par tout le monde.
Chaque année, I'Armée pourvoit 30 000 postes. Elle reçoit en moyenne deux candidatures pour chaque offre d'emploi. Il n'y a donc pas de problème général de recrutement. Les difficultés n'apparaissent ponctuellement que là où les entreprises privées souffrent également d'un manque de candidats, c'est le cas en France pour les médecins et, dans une moindre mesure, pour les informaticiens spécialisés. Mais l'image améIiorée des forces armées françaises nous aide à attirer des personnes qualifiées.
Le contact avec les jeunes Français, filles ou garçons, est naturellement très important. Parmi eux, 98% d'une classe d'âge prend part à une journée d'information. Je prépare actuellement une réforme dont I'objectif est d'ôter à cette journée d'information son caractère scolaire et de donner I'occasion de vivre des expériences concrètes avec I'Armée, comme la visite d'une caserne ou des discussions avec des soldats. Mais les réservistes et les soldats de métier, qui, lorsque s'achève leur cursus militaire, choisissent un métier civil, jouent également un rôle important dans la perception qu'a la société de l'Armée. L'échange Armée?Nation fonctionne.
La France participera-t-elle à la pacification de I'Iraq, notamment en envoyant des troupes placées sous le commandement de I'OTAN ?
Pour l'instant, la résolution des Nations unies qui prévaut est celle qui règle le processus de reconstruction. II n'y est pas question de l'OTAN, d'une intervention de I'Armée française ou de la Bundeswehr. II est hors de question que des soldats français interviennent sans un mandat de l'ONU. La résolution actuelle ne prévoit tout simplement pas un envoi de troupes. Il ne s'agit que d'un mandat pour la reconstruction.
Aucune résolution supplémentaire de l'ONU n'est par contre nécessaire pour l'envoi d'inspecteurs de l'ONU en Iraq. Pour mettre fin aux débats sur les armes de destruction massive et tirer enfin au clair la situation, il serait plus que souhaitable que les inspecteurs en désarmement de l'ONU puissent reprendre leur travail en Iraq.
A Bunia (Congo), la France a fortement contribué à ce qu'une intervention de I'Union européenne à I'étranger ait pour la première fois lieu sans avoir recours aux structures de I'OTAN. Quel jugement portez-vous sur la manière dont s'est jusqu'à présent déroulée l'opération Artémis ?
L'Europe a réagi de manière remarquablement rapide. Le processus de décision politique, les questions organisationnelles et la mise en place, à Paris, d'un quartier général accueillant des officiers de toutes les nations participantes, tout cela a été traité en un très court délai. Bien que les conditions de l'intervention soient aussi difficiles que l'on peut se l'imaginer, l'opération est couronnée de succès. Nous sommes parvenus à amener des troupes et du matériel lourd dans la région retirée de Bunia plus tôt que prévu. L'ambiance est excellente et les soldats s'entendent bien. J'aurais bientôt I'occasion de m'en convaincre sur place. Dans l'ensemble, on peut dire que cette intervention constitue un exemple type pour les futures missions de la troupe d'intervention rapide de l'Union européenne.
Vous avez lancé un appel pour qu'un effort financier plus important soit fourni de la part de tous les partenaires européens afin de soutenir la construction de la défense européenne. L'Allemagne peut-elle ici prétendre jouer le rôle d'un partenaire privilégié ?
L'Allemagne est un partenaire fiable et important dans la coopération au niveau de la défense. Le gouvernement fédéral a fait preuve d'un grand sens de la responsabilité lorsqu'il s'est agi de sauver le programme pour I'A400M, I'avion de transport européen. Dans d'autres programmes européens comme Meteor, Galileo et Tigre, le gouvernement fédéral a également respecté ses engagements en dépit des difficultés financières qu'il rencontre. II faut que nous soyons clairs sur les priorités que nous entendons nous fixer. La sécurité de nos citoyens n'est?elle pas plus importante que le critère des 3% fixé de manière relativement arbitraire dans le pacte de stabilité ? Depuis la chute du mur de Berlin, le monde n'est pas devenu plus sûr, au contraire, les menaces ont même augmenté. Le budget de la Défense ne devrait par conséquent pas souffrir de goulots d'étranglement financiers. Je considère comme tout à fait raisonnable l'idée d'assouplir le pacte de stabilité en excluant par exemple du calcul du critère de déficit les dépenses engagées dans le cadre de programmes d'acquisition de matériel militaire. Du reste, ces programmes d'acquisitions, qui sont des investissements pour le futur, relancent aussi la croissance économique européenne. Mes collègues européens des ministères de la Défense sont de cet avis.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 31 juillet 2003)