Texte intégral
Déclaration lors de la réunion du Parlement européen des jeunes, le 9 mai :
Nous voici réunis ce matin pour un anniversaire : l'appel lancé, il y a plus de 50 ans, par Robert Schuman à la France et à l'Allemagne pour jeter entre les ennemis de la veille, avec le charbon et l'acier, "les premières bases concrètes d'une Fédération européenne".
Quel endroit mieux choisi pour célébrer cet anniversaire ! En ce salon de l'Horloge, l'horloge de l'Histoire a effectivement commencé à se mettre en route pour l'Europe. C'est d'ici-même, en effet, que cet appel qui a changé la vie des Européens, est parti !
Avant de donner la parole au Parlement européen des jeunes, je voudrais rappeler la signification de cette date anniversaire qui, cette année, fait suite à la signature, le 16 avril du Traité d'adhésion à l'Europe de dix nouveaux pays.
L'Europe est une très vieille idée qui a précédé de plusieurs siècles la naissance des communautés européennes. C'est une idée qui a d'ailleurs connu bien des métamorphoses. L'Europe est le seul des continents, en effet, dont les frontières n'ont pas d'abord été tracées sur des cartes, mais dans l'imaginaire des hommes. Car cette Europe, ce fut d'abord, pendant des siècles et des siècles un territoire de l'esprit. Et ce n'est que très lentement, sur les routes des pèlerins, des marchands, des troubadours, des étudiants et des savants que cet espace imaginaire a commencé à prendre forme. Son existence réelle est apparue avec la prise de conscience des valeurs et des intérêts qu'ont en commun les peuples qui se pressaient alors, comme l'a écrit Paul Valéry, dans ce "petit cap de l'Asie".
Ainsi, il ne faut pas s'étonner que l'Europe ait été, pendant longtemps, plus une utopie qu'une réalité géographique ou politique. Face aux querelles des princes, aux dévastations des guerres, l'Europe c'était la patrie idéale des hommes de bonne volonté qui aspirent à régler leurs différends par la coopération, l'échange et le droit plutôt que par la force. Avec Montesquieu, Jean-Jacques Rousseau, Nietszche et bien d'autres, nombreux sont les intellectuels à avoir tenté de traduire cette vision idéale de l'Europe en un projet d'unité politique qui ne soit pas la domination impériale d'un pays sur les autres.
Ce projet politique, il revient à un poète de l'avoir exprimé le mieux en l'aidant à descendre du ciel des idées sur la terre des hommes. Je pense évidemment ici à Victor Hugo qui appelle à l'unité de l'Europe dans son fameux discours du Congrès de la Paix de 1849. C'était un an après le Printemps des peuples de 1848, qui a marqué le réveil des nations d'Europe centrale et orientale qui nous rejoignent aujourd'hui.
Ecoutons le poète :
"Un jour viendra où vous France, vous Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes, nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure et vous constituerez la fraternité européenne, absolument comme la Normandie, la Bretagne, la Bourgogne, la Lorraine, l'Alsace, toutes nos provinces se sont fondues dans la France. Un jour viendra où il n'y aura plus d'autres champs de bataille que les marchés s'ouvrant au commerce et les esprits s'ouvrant aux idées. Un jour viendra où les boulets et les bombes seront remplacés par les votes, par le suffrage universel des peuples, par le véritable arbitrage d'un grand Sénat souverain qui sera à l'Europe ce que le Parlement est à l'Angleterre, ce que la Diète est à l'Allemagne, ce que l'Assemblée législative est à la France ! Un jour viendra où l'on verra ces deux groupes immenses, les Etats-Unis d'Amérique, les Etats-Unis d'Europe, placés en face l'un de l'autre, se tendant la main par-dessus les mers, échangeant leurs produits, leur commerce, leur industrie, leurs arts, leurs génies."
Pour Victor Hugo, ce jour d'unité devait être l'aboutissement d'une maturation pacifique, le fruit des progrès de la science et de la conscience européennes. Mais pour que le rêve devienne réalité, il a fallu les orages d'acier des deux guerres mondiales qui ont précipité la crise la plus profonde qu'ait jamais connue notre civilisation. Ces guerres, en effet, ont pour un temps au moins, marqué la défaite de nos valeurs humanistes.
L'Europe, notre Europe, a donc d'abord été une rescapée, comme le sont aussi d'une certaine manière nos nouveaux partenaires européens après un demi-siècle de domination soviétique. Le grand poète et Prix Nobel polonais, Czelaw Milosz, dans son poème "Enfant d'Europe" écrit en 1943, témoigne de ces expériences douloureuses qui ont nourri l'identité européenne :
"() Garde ton lot de talents, enfant d'Europe,
héritier des églises baroques, des cathédrales
gothiques, des synagogues où gémit tout un peuple abusé.
Successeur de Descartes et Spinoza,
Héritier du concept de "l'honneur"
Enfant d'Europe
Préserve tes talents."
Ces talents sont le fruit de notre diversité culturelle et de notre attachement commun aux valeurs humanistes de l'Europe, à commencer par l'esprit d'ouverture, de tolérance et le respect de l'autre.
Au moment où nous rejoignent dix pays d'Europe centrale et orientale, alors que l'Europe est donc en voie de faire sa réunification, ne nous faisons cependant pas d'illusion. Nous ne sommes pas parvenus à la fin du voyage. La démocratie européenne doit être consolidée pour que les citoyens comprennent mieux le projet européen.
Dans ce but, le gouvernement a entrepris de faire de l'année 2003 et de l'année à venir, un temps fort du débat sur l'Europe. C'est ce qu'avait annoncé Jean-Pierre Raffarin à Orléans, en décembre dernier, lorsqu'il a donné le départ de la grande campagne d'information et de communication sur l'Europe qui va battre son plein dans les mois à venir. J'ai déjà, à la demande du Premier ministre, pris mon bâton de pèlerin en sillonnant les régions et les territoires de France. Mais le temps nous est compté. Et c'est pourquoi, j'aimerais lancer ici un appel : jeunes de tous les pays européens, du Parlement et des autres mouvements européens de jeunes, unissez-vous, mobilisez-vous ! Nous tous Français devons en effet répondre présents au rendez-vous des élections de juin 2004. Car prenons-en conscience : ces élections sont un événement. Pour la première fois, 25 peuples, venus des quatre coins de l'Europe, sont appelés aux mêmes urnes. Préparons-nous donc à l'échéance. Faisons en sorte que les Français, par leur participation au débat et au vote, portent haut et fort le message de l'Europe. Une Europe que nous construisons pour qu'elle soit la force de notre destin.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 mai 2003)
Interview à Radio France Internationale le 9 :
Q - Noëlle Lenoir, vous êtes la ministre française aux Affaires européennes, vous participez donc à un certain nombre de manifestations aujourd'hui. Tout à l'heure vous serez avec le Premier ministre à Matignon pour accueillir des jeunes qui se sont impliqués dans un projet européen. Ce matin, vous vous êtes exprimée également et vous avez lancé un vibrant hommage à ces jeunes : "Jeunes de tous les pays européens, unissez-vous, mobilisez-vous".
R - Tout à fait, parce que ce que je trouve très exaltant pour la ministre des Affaires européennes que je suis, c'est qu'à travers l'Europe et tous les débats qui ont lieu autour de l'Europe, sur le plan international, sur le plan du continent européen, en France, il y a une occasion de renouveler le débat public et l'engagement politique des jeunes. On parle beaucoup de la dépolitisation chez les jeunes. Ce n'est pas le cas pour ceux qui s'intéressent à l'Europe, et c'est une très bonne nouvelle.
Q - Pour autant, est-ce que vous n'êtes pas trop enthousiaste alors qu'en Pologne, en ce moment même, les chefs d'Etats et de gouvernements de France, d'Allemagne et de Pologne essaient de faire oublier leurs tensions, voire leur brouille née de la guerre en Irak, du soutien apporté aux Américains ?
R - Pour être franche, je suis un peu irritée de ce discours un peu gris à propos de la réunification de l'Europe. C'est vrai que les Etats européens, tous devenus démocratiques maintenant, n'ont pas une identité de vue sur tout. Mais qui aurait imaginé que la Pologne ait son mot à dire, il y a un peu près une quinzaine d'années ou une vingtaine d'années ? La Pologne n'avait pas son mot à dire. La Pologne retrouve sa souveraineté. Nous ne sommes pas d'accord sur tout avec elle. Mais le Triangle de Weimar, qui est le format dans lequel se réunissent aujourd'hui Jacques Chirac, Gerhard Schröder et le président de la République polonaise, M. Kwasniewski, est prévu de très longue date et est très intéressant, précisément parce que ces pays ont beaucoup de choses à se dire.
Q - Vous adhérez donc aux propos de Gerhard Schröder qui vient de dire que son pays et les Etats-Unis sont liés par une amitié vitale, laquelle autorise, dit-il, la liberté de divergence d'opinion ?
R - Absolument. Et le lien transatlantique est très fort aussi du point de vue de la France, Dominique de Villepin l'a dit à peu près dans les mêmes termes ; c'est parce qu'on est amis, et je dirais même frères ou surs, qu'on peut se dire les choses et qu'on doit se les dire.
Q - Alors est-ce que cela veut dire que Jacques Chirac et Gerhard Schröder diront ce qu'ils pensent, du fait que le président Kwasniewski ait choisi, il y a de cela quelques semaines, le F16, l'avion de chasse américain, au détriment d'un avion européen ; d'ailleurs l'annonce, si je me souviens bien, a été faite quelques jours autour de la signature, puisque la Pologne, dans un an, entrera dans l'Union européenne, c'est le genre de difficulté qu'il faut aplanir ?
R - Le président s'est déjà exprimé à ce propos et d'ailleurs il y aura une conférence de presse que Jacques Chirac va donner. Donc je ne veux pas anticiper sur ce qu'il va dire. Vous avez raison de souligner l'importance de la création d'une véritable industrie européenne de l'armement. J'ai rencontré récemment des industriels de l'aéronautique et du domaine spatial. Nous sommes parfaitement conscients que si l'Europe politique veut véritablement peser sur la scène internationale, il faut de la technologie de pointe et il faut une industrie de l'armement. Il n'est pas normal que les Etats-Unis consacrent un financement quinze fois plus important à la recherche et au développement que l'Europe. C'est un long chemin. Il y a d'autres pays, avant la Pologne, qui n'ont pas passé de commande auprès de l'industrie européenne. C'est un long chemin et, justement, la chance de l'Europe c'est de discuter de ces problèmes et de mobiliser tout le monde autour d'une Europe capable de maîtriser son destin.
Q - Vous parlez d'un long chemin, un long chemin bien évidemment a également été parcouru depuis cinquante ans ; est-ce que ce n'est pas la raison pour laquelle George Bush déclarait il y a peu, et cela avait fait polémique, que l'Europe était vieille. Il avait parlé de "vieille Europe" et c'était très péjoratif.
R - C'est M. Rumsfeld, le ministre de la Défense. L'Europe est ancienne puisque Europe est une déesse grecque, qui a été enlevée par Zeus. Cette Europe d'aujourd'hui repose sur des valeurs extrêmement anciennes : l'humanisme, le caractère universel aussi de ce projet européen. C'est vrai que l'on a une histoire, que l'on a tous une "besace" assez chargée sur notre dos. On s'est beaucoup battu. On s'est beaucoup fait la guerre. On s'est beaucoup opposé. Il y a aussi une coexistence des religions qui n'a pas été toujours pacifique. Maintenant il faut considérer que ce n'est plus l'occasion de se combattre mais au contraire le moment de s'unir. C'est tout le projet de l'appel de Robert Schuman du 9 mai 1950, dans le lieu où j'étais ce matin même avec les jeunes du Parlement européen des jeunes. C'est rendre la guerre entre nous impensable et pour rendre la guerre impensable, il faut discuter, il faut essayer de trouver un terrain commun. Cela ne veut pas dire qu'on est d'accord sur tout.
Q - Alors un terrain commun, c'est particulièrement difficile, on l'a vu au cours de ces cinquante dernières années, est-ce que ça ne l'est pas encore plus quand on va élargir l'Europe ? Il est forcément plus difficile de s'entendre quand on est 25 que lorsqu'on est 15. Est-ce qu'on ne s'oriente pas vers une Europe "à la carte" plutôt que vers une Europe intégrée comme la voulait Robert Schuman ?
R - D'abord quand on était moins nombreux, il y a eu des crises, sur la politique agricole et sur d'autres sujets extrêmement importants. On était six, alors qu'on est quinze et demain on va être vingt-cinq. Mais vous avez raison de dire que l'un des grands enjeux d'aujourd'hui c'est que la "maison Europe", qui va accueillir 25 Etats membres, au lieu des 15, doit être consolidée. Donc il faut une constitution européenne avec des institutions renforcées. Et nous pensons qu'il faut donner plus de visibilité politique à l'Europe, c'est-à-dire que les citoyens doivent se rendre compte de ce que l'Europe leur apporte, c'est-à-dire la paix, la stabilité mais aussi la croissance économique. Il faut des institutions beaucoup plus fortes et surtout plus accessibles. Et cela passe par les jeunes, essentiellement.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 mai 2003)
Nous voici réunis ce matin pour un anniversaire : l'appel lancé, il y a plus de 50 ans, par Robert Schuman à la France et à l'Allemagne pour jeter entre les ennemis de la veille, avec le charbon et l'acier, "les premières bases concrètes d'une Fédération européenne".
Quel endroit mieux choisi pour célébrer cet anniversaire ! En ce salon de l'Horloge, l'horloge de l'Histoire a effectivement commencé à se mettre en route pour l'Europe. C'est d'ici-même, en effet, que cet appel qui a changé la vie des Européens, est parti !
Avant de donner la parole au Parlement européen des jeunes, je voudrais rappeler la signification de cette date anniversaire qui, cette année, fait suite à la signature, le 16 avril du Traité d'adhésion à l'Europe de dix nouveaux pays.
L'Europe est une très vieille idée qui a précédé de plusieurs siècles la naissance des communautés européennes. C'est une idée qui a d'ailleurs connu bien des métamorphoses. L'Europe est le seul des continents, en effet, dont les frontières n'ont pas d'abord été tracées sur des cartes, mais dans l'imaginaire des hommes. Car cette Europe, ce fut d'abord, pendant des siècles et des siècles un territoire de l'esprit. Et ce n'est que très lentement, sur les routes des pèlerins, des marchands, des troubadours, des étudiants et des savants que cet espace imaginaire a commencé à prendre forme. Son existence réelle est apparue avec la prise de conscience des valeurs et des intérêts qu'ont en commun les peuples qui se pressaient alors, comme l'a écrit Paul Valéry, dans ce "petit cap de l'Asie".
Ainsi, il ne faut pas s'étonner que l'Europe ait été, pendant longtemps, plus une utopie qu'une réalité géographique ou politique. Face aux querelles des princes, aux dévastations des guerres, l'Europe c'était la patrie idéale des hommes de bonne volonté qui aspirent à régler leurs différends par la coopération, l'échange et le droit plutôt que par la force. Avec Montesquieu, Jean-Jacques Rousseau, Nietszche et bien d'autres, nombreux sont les intellectuels à avoir tenté de traduire cette vision idéale de l'Europe en un projet d'unité politique qui ne soit pas la domination impériale d'un pays sur les autres.
Ce projet politique, il revient à un poète de l'avoir exprimé le mieux en l'aidant à descendre du ciel des idées sur la terre des hommes. Je pense évidemment ici à Victor Hugo qui appelle à l'unité de l'Europe dans son fameux discours du Congrès de la Paix de 1849. C'était un an après le Printemps des peuples de 1848, qui a marqué le réveil des nations d'Europe centrale et orientale qui nous rejoignent aujourd'hui.
Ecoutons le poète :
"Un jour viendra où vous France, vous Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes, nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure et vous constituerez la fraternité européenne, absolument comme la Normandie, la Bretagne, la Bourgogne, la Lorraine, l'Alsace, toutes nos provinces se sont fondues dans la France. Un jour viendra où il n'y aura plus d'autres champs de bataille que les marchés s'ouvrant au commerce et les esprits s'ouvrant aux idées. Un jour viendra où les boulets et les bombes seront remplacés par les votes, par le suffrage universel des peuples, par le véritable arbitrage d'un grand Sénat souverain qui sera à l'Europe ce que le Parlement est à l'Angleterre, ce que la Diète est à l'Allemagne, ce que l'Assemblée législative est à la France ! Un jour viendra où l'on verra ces deux groupes immenses, les Etats-Unis d'Amérique, les Etats-Unis d'Europe, placés en face l'un de l'autre, se tendant la main par-dessus les mers, échangeant leurs produits, leur commerce, leur industrie, leurs arts, leurs génies."
Pour Victor Hugo, ce jour d'unité devait être l'aboutissement d'une maturation pacifique, le fruit des progrès de la science et de la conscience européennes. Mais pour que le rêve devienne réalité, il a fallu les orages d'acier des deux guerres mondiales qui ont précipité la crise la plus profonde qu'ait jamais connue notre civilisation. Ces guerres, en effet, ont pour un temps au moins, marqué la défaite de nos valeurs humanistes.
L'Europe, notre Europe, a donc d'abord été une rescapée, comme le sont aussi d'une certaine manière nos nouveaux partenaires européens après un demi-siècle de domination soviétique. Le grand poète et Prix Nobel polonais, Czelaw Milosz, dans son poème "Enfant d'Europe" écrit en 1943, témoigne de ces expériences douloureuses qui ont nourri l'identité européenne :
"() Garde ton lot de talents, enfant d'Europe,
héritier des églises baroques, des cathédrales
gothiques, des synagogues où gémit tout un peuple abusé.
Successeur de Descartes et Spinoza,
Héritier du concept de "l'honneur"
Enfant d'Europe
Préserve tes talents."
Ces talents sont le fruit de notre diversité culturelle et de notre attachement commun aux valeurs humanistes de l'Europe, à commencer par l'esprit d'ouverture, de tolérance et le respect de l'autre.
Au moment où nous rejoignent dix pays d'Europe centrale et orientale, alors que l'Europe est donc en voie de faire sa réunification, ne nous faisons cependant pas d'illusion. Nous ne sommes pas parvenus à la fin du voyage. La démocratie européenne doit être consolidée pour que les citoyens comprennent mieux le projet européen.
Dans ce but, le gouvernement a entrepris de faire de l'année 2003 et de l'année à venir, un temps fort du débat sur l'Europe. C'est ce qu'avait annoncé Jean-Pierre Raffarin à Orléans, en décembre dernier, lorsqu'il a donné le départ de la grande campagne d'information et de communication sur l'Europe qui va battre son plein dans les mois à venir. J'ai déjà, à la demande du Premier ministre, pris mon bâton de pèlerin en sillonnant les régions et les territoires de France. Mais le temps nous est compté. Et c'est pourquoi, j'aimerais lancer ici un appel : jeunes de tous les pays européens, du Parlement et des autres mouvements européens de jeunes, unissez-vous, mobilisez-vous ! Nous tous Français devons en effet répondre présents au rendez-vous des élections de juin 2004. Car prenons-en conscience : ces élections sont un événement. Pour la première fois, 25 peuples, venus des quatre coins de l'Europe, sont appelés aux mêmes urnes. Préparons-nous donc à l'échéance. Faisons en sorte que les Français, par leur participation au débat et au vote, portent haut et fort le message de l'Europe. Une Europe que nous construisons pour qu'elle soit la force de notre destin.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 mai 2003)
Interview à Radio France Internationale le 9 :
Q - Noëlle Lenoir, vous êtes la ministre française aux Affaires européennes, vous participez donc à un certain nombre de manifestations aujourd'hui. Tout à l'heure vous serez avec le Premier ministre à Matignon pour accueillir des jeunes qui se sont impliqués dans un projet européen. Ce matin, vous vous êtes exprimée également et vous avez lancé un vibrant hommage à ces jeunes : "Jeunes de tous les pays européens, unissez-vous, mobilisez-vous".
R - Tout à fait, parce que ce que je trouve très exaltant pour la ministre des Affaires européennes que je suis, c'est qu'à travers l'Europe et tous les débats qui ont lieu autour de l'Europe, sur le plan international, sur le plan du continent européen, en France, il y a une occasion de renouveler le débat public et l'engagement politique des jeunes. On parle beaucoup de la dépolitisation chez les jeunes. Ce n'est pas le cas pour ceux qui s'intéressent à l'Europe, et c'est une très bonne nouvelle.
Q - Pour autant, est-ce que vous n'êtes pas trop enthousiaste alors qu'en Pologne, en ce moment même, les chefs d'Etats et de gouvernements de France, d'Allemagne et de Pologne essaient de faire oublier leurs tensions, voire leur brouille née de la guerre en Irak, du soutien apporté aux Américains ?
R - Pour être franche, je suis un peu irritée de ce discours un peu gris à propos de la réunification de l'Europe. C'est vrai que les Etats européens, tous devenus démocratiques maintenant, n'ont pas une identité de vue sur tout. Mais qui aurait imaginé que la Pologne ait son mot à dire, il y a un peu près une quinzaine d'années ou une vingtaine d'années ? La Pologne n'avait pas son mot à dire. La Pologne retrouve sa souveraineté. Nous ne sommes pas d'accord sur tout avec elle. Mais le Triangle de Weimar, qui est le format dans lequel se réunissent aujourd'hui Jacques Chirac, Gerhard Schröder et le président de la République polonaise, M. Kwasniewski, est prévu de très longue date et est très intéressant, précisément parce que ces pays ont beaucoup de choses à se dire.
Q - Vous adhérez donc aux propos de Gerhard Schröder qui vient de dire que son pays et les Etats-Unis sont liés par une amitié vitale, laquelle autorise, dit-il, la liberté de divergence d'opinion ?
R - Absolument. Et le lien transatlantique est très fort aussi du point de vue de la France, Dominique de Villepin l'a dit à peu près dans les mêmes termes ; c'est parce qu'on est amis, et je dirais même frères ou surs, qu'on peut se dire les choses et qu'on doit se les dire.
Q - Alors est-ce que cela veut dire que Jacques Chirac et Gerhard Schröder diront ce qu'ils pensent, du fait que le président Kwasniewski ait choisi, il y a de cela quelques semaines, le F16, l'avion de chasse américain, au détriment d'un avion européen ; d'ailleurs l'annonce, si je me souviens bien, a été faite quelques jours autour de la signature, puisque la Pologne, dans un an, entrera dans l'Union européenne, c'est le genre de difficulté qu'il faut aplanir ?
R - Le président s'est déjà exprimé à ce propos et d'ailleurs il y aura une conférence de presse que Jacques Chirac va donner. Donc je ne veux pas anticiper sur ce qu'il va dire. Vous avez raison de souligner l'importance de la création d'une véritable industrie européenne de l'armement. J'ai rencontré récemment des industriels de l'aéronautique et du domaine spatial. Nous sommes parfaitement conscients que si l'Europe politique veut véritablement peser sur la scène internationale, il faut de la technologie de pointe et il faut une industrie de l'armement. Il n'est pas normal que les Etats-Unis consacrent un financement quinze fois plus important à la recherche et au développement que l'Europe. C'est un long chemin. Il y a d'autres pays, avant la Pologne, qui n'ont pas passé de commande auprès de l'industrie européenne. C'est un long chemin et, justement, la chance de l'Europe c'est de discuter de ces problèmes et de mobiliser tout le monde autour d'une Europe capable de maîtriser son destin.
Q - Vous parlez d'un long chemin, un long chemin bien évidemment a également été parcouru depuis cinquante ans ; est-ce que ce n'est pas la raison pour laquelle George Bush déclarait il y a peu, et cela avait fait polémique, que l'Europe était vieille. Il avait parlé de "vieille Europe" et c'était très péjoratif.
R - C'est M. Rumsfeld, le ministre de la Défense. L'Europe est ancienne puisque Europe est une déesse grecque, qui a été enlevée par Zeus. Cette Europe d'aujourd'hui repose sur des valeurs extrêmement anciennes : l'humanisme, le caractère universel aussi de ce projet européen. C'est vrai que l'on a une histoire, que l'on a tous une "besace" assez chargée sur notre dos. On s'est beaucoup battu. On s'est beaucoup fait la guerre. On s'est beaucoup opposé. Il y a aussi une coexistence des religions qui n'a pas été toujours pacifique. Maintenant il faut considérer que ce n'est plus l'occasion de se combattre mais au contraire le moment de s'unir. C'est tout le projet de l'appel de Robert Schuman du 9 mai 1950, dans le lieu où j'étais ce matin même avec les jeunes du Parlement européen des jeunes. C'est rendre la guerre entre nous impensable et pour rendre la guerre impensable, il faut discuter, il faut essayer de trouver un terrain commun. Cela ne veut pas dire qu'on est d'accord sur tout.
Q - Alors un terrain commun, c'est particulièrement difficile, on l'a vu au cours de ces cinquante dernières années, est-ce que ça ne l'est pas encore plus quand on va élargir l'Europe ? Il est forcément plus difficile de s'entendre quand on est 25 que lorsqu'on est 15. Est-ce qu'on ne s'oriente pas vers une Europe "à la carte" plutôt que vers une Europe intégrée comme la voulait Robert Schuman ?
R - D'abord quand on était moins nombreux, il y a eu des crises, sur la politique agricole et sur d'autres sujets extrêmement importants. On était six, alors qu'on est quinze et demain on va être vingt-cinq. Mais vous avez raison de dire que l'un des grands enjeux d'aujourd'hui c'est que la "maison Europe", qui va accueillir 25 Etats membres, au lieu des 15, doit être consolidée. Donc il faut une constitution européenne avec des institutions renforcées. Et nous pensons qu'il faut donner plus de visibilité politique à l'Europe, c'est-à-dire que les citoyens doivent se rendre compte de ce que l'Europe leur apporte, c'est-à-dire la paix, la stabilité mais aussi la croissance économique. Il faut des institutions beaucoup plus fortes et surtout plus accessibles. Et cela passe par les jeunes, essentiellement.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 mai 2003)