Interview de M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat chargé des relations avec le Parlement et porte-parole du gouvernement, à France inter le 22 août 2003, sur le bilan de la canicule, des mesures gouvernementales et sur la façon d'améliorer le système d'alerte pour préparer l'avenir.

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Média : France Inter

Texte intégral

A. Ardisson - J.-F. Copé, bonjour. Si vous deviez résumer de façon moins officielle, moins solennelle qu'hier, l'examen de conscience et l'état des lieux auxquels s'est livré le Conseil des ministres, vous diriez : "on a fait tout ce qu'on a pu ou on aurait pu mieux faire ? "
- "Oh ! vous savez, je crois qu'on a vécu un drame terrible durant cet été. Alors c'est vrai bien sûr que notre pays a subi d'autres épreuves ces dernières années mais celle-ci avait vraiment quelque chose de particulier, c'est que ce sont les plus fragiles et les aînés, les plus âgés de notre pays qui sont décédés. Donc aujourd'hui le sentiment qu'on a, c'est d'abord un sentiment de très grande peine, de compassion, de volonté d'agir maintenant activement et de tirer tous les enseignements de tout cela. Et quand je dis tirer tous les enseignements de ce que nous avons vécu, ça veut dire faire l'inventaire précis de la manière dont les services publics ont fonctionné, dont les uns et les autres ont pu réagir pour que, pour l'avenir, on puisse être à l'évidence mieux préparé en amont sur un événement qui a été exceptionnel."
A propos de compassion, par rapport à ce que vous connaissez de lui et par rapport aux circonstances, vous n'avez pas trouvé que le Président de la République était plus distant, un peu décalé peut-être ?
- "Ah ! non vraiment pas. Ca, je peux vous dire aussi bien lors du Conseil des ministres qu'à travers tous les éléments dont je peux disposer concernant cet aspect des choses, croyez-moi, le premier message du Président de la République, ça a été de redire combien il fallait dans ce domaine réfléchir et travailler tout autant avec la raison qu'avec le cur."
Pour en revenir au Gouvernement, ce qui lui est reproché et pas seulement par l'opposition, également par les gens de terrain, c'est sa sous-évaluation de la situation et une certaine lenteur de réaction. Est-ce qu'il n'y a pas eu un effet Pelloux ? Je m'explique : quand le très médiatique représentant des urgentistes a lancé son cri d'alarme le 10 août, la réaction des autorités c'était de dire : "il nous fait encore son numéro". Et il a fallu trois jours pour que le Plan Blanc soit déclenché.
- "Non, vraiment, A. Ardisson, je sais que ces périodes douloureuses sont toujours propices à simplifier les choses, parfois même à les caricaturer. Mais croyez-moi, les choses n'ont pas fonctionné ainsi. En réalité, je crois qu'il faut bien insister là-dessus, jusqu'au 6 août, il n'y a pas d'indication qui remonte au Gouvernement et en particulier au ministre de la Santé que le nombre de personnes décédées est supérieur à celles de l'année précédente. C'est seulement à partir du 7 que l'information remonte au niveau du ministre de la Santé, et c'est dès ce moment que l'on décide de monter en puissance le dispositif qui va aboutir au fameux Plan blanc, c'est-à-dire la réquisition de tous les moyens hospitaliers disponibles. Je crois qu'il faut bien que chacun ait à l'esprit que dans ce drame que notre pays a vécu, le service public s'est mobilisé autant qu'il a pu le faire dans le contexte que l'on sait parce qu'il ne faut pas oublier cela. Cette canicule exceptionnelle - on n'a jamais vu ça depuis cent ans -, s'est produite en plein mois d'août, c'est-à-dire au moment où les personnels des services publics sont les moins nombreux compte tenu des congés et avec en plus le problème des 35 heures. Tout cela a conduit à une situation exceptionnelle. Donc, je crois qu'il faut évidemment en tirer maintenant toutes les conséquences. D'abord, il faut continuer de gérer un certain nombre d'éléments qu'il nous faut assumer maintenant en tant que pouvoirs publics et puis ensuite réfléchir dans la durée à tous les enseignements à tirer de ce que nous venons de vivre."
Vous pointez du doigt le système d'alerte. Qu'est-ce que ça veut dire revoir le système d'alerte ?
- "Ça veut dire que nous devons de manière je dirais scientifique, précise, méthodique prendre la mesure de l'efficacité, de la fiabilité de ce qui aujourd'hui permet d'alerter le décideur politique. Qu'est-ce qui aujourd'hui permet, quels sont les différents services, les différentes méthodes de fonctionnement que l'on peut avoir pour améliorer la prévention, l'anticipation sur un certain nombre de phénomènes dont il faut bien le dire qu'aujourd'hui notre pays ne les a pas connus pour pouvoir les affronter. Donc là, nous avons vécu une canicule exceptionnelle. C'est un événement absolument majeur qui exige que l'on se mobilise, comme on sait désormais mieux le faire sur les très grands coups de froid. Et bien, les très grands coups de chaleur, il faut que l'on travaille aussi cela de manière concrète et opérationnelle sur le plan de notre organisation administrative. Pour ça, il faut faire l'inventaire précis, méthodique, dépassionné de la manière dont fonctionnent nos services d'alerte et c'est pour ça qu'on va travailler maintenant sous l'impulsion du Premier ministre qui en a fait la demande express."
Un comité est chargé d'évaluer scientifiquement le nombre de morts liés à canicule. Sur quelle période va-t-il travailler ? Quelle période prendra-t-il en compte ? Parce que ce craignent les médecins, c'est qu'il y a un effet retard notamment chez les personnes âgées
- "Non. D'abord, je précise bien qu'il faut distinguer les deux choses, 1) l'évaluation de nos systèmes d'alerte, 2) effectivement prendre la mesure du nombre de décès, donc des conséquences de cette canicule sur ceux de nos concitoyens qui en ont été les victimes. Là, il faut faire un travail là aussi très rigoureux. Moi, j'invite chacun à être prudent sur tous ces chiffres qui sortent d'un peu partout en ce moment et dont on ne sait pas en réalité ce qui relève véritablement des effets directs de la canicule ou ce qui n'en relève pas. "
Enfin, bon... On sait qu'il faut se préparer au pire quand même.
- "Enfin, au pire De toute façon, on est dans une situation qui est dramatique, A. Ardisson. Enfin ! de quoi parle-t-on ? De milliers de victimes naturellement. Donc, en tout état de cause, ce travail aussi douloureux soit-il à accomplir, il nous faut le faire parce qu'il y a un devoir de vérité et de transparence vis-à-vis des Français. Simplement, ce sur quoi je veux insister, c'est qu'il mérite largement d'être fait avec rigueur, avec méthode et puis surtout en évitant les effets de manche, les effets d'annonce qui ne sont pas vérifiés. Donc, tout ça doit se faire de manière très transparente, très méthodique et bien entendu avec l'exigence de vérité qui s'impose."
Alors le problème maintenant, vous le disiez, c'est de savoir comment faire face la prochaine fois ? Parce que s'il y a une chose dont on est sûr, c'est qu'il y aura une prochaine fois et pas nécessairement dans 50 ans, plus vraisemblablement de façon rapprochée, compte tenu des modifications climatiques. Alors entre le renforcement des moyens hospitaliers, le renforcement du personnel dans les maisons de retraite, tout ce qui concerne le médical et le paramédical en ville, ça va coûter évidemment très cher. Comment cela s'articule avec la réforme de la Sécurité sociale ?
- "De toute façon, il faut bien qu'on fasse l'inventaire des besoins maintenant. Il faut que l'on réfléchisse de manière globale à la manière dont les pouvoirs publics doivent pouvoir s'organiser à la fois pour assumer, le temps d'une crise, bien sûr, mais aussi en amont organiser notre système de santé mais aussi tout ce qui touche à la gériatrie qui est un secteur qui pendant très longtemps, a été négligé hélas, et dont chacun doit bien comprendre qu'il doit être une priorité essentielle dans notre système de santé publique comme doit l'être nos services d'urgences. Je crois que l'un des grands enseignements que l'on tire de ce que nous venons de vivre, c'est qu'il faut remettre nos services d'urgences à leur juste place en termes de moyens et en termes de considération."
Ca veut dire que vous êtes prêt à réviser vos priorités ?
- "Oui, enfin si ce n'est quand même qu'en ce qui concerne le service des urgences, sa modernisation est intégrée dans l'hôpital 2007, dans le plan hôpital 2007 qui a été lancé depuis quelques mois. Donc, il y a vraiment une réflexion très constructive dans ce domaine. "
Pour rester sur le domaine de l'argent, on a annoncé que le trimestre était négatif en termes de croissance. Si on ajoute la lutte contre les incendies, les indemnisations aux agriculteurs, etc, etc, comment faire face ?
- "Ecoutez, oui, le deuxième trimestre a vu un chiffre de croissance négatif mais je rappelle aussi que ce deuxième trimestre, il a été marqué par un nombre de grèves très important et puis également par une parité euro-dollar qui n'est pas favorable à nos exportations. Donc tout ça, ça pèse évidemment sur les conditions de la reprise économique. Je crois qu'il faut être lucide et dans ce contexte, il faut bien entendu en tirer tous les enseignements. Je crois que c'est un appel à la mobilisation. Nous allons poursuivre l'ensemble des actions sur lesquelles nous nous sommes engagés, c'est l'agenda 2006 dont a parlé J.-P. Raffarin. Il faut préserver notre système de Sécurité sociale. Il faut moderniser notre école publique. Il y a beaucoup de chantiers comme cela sur lequel il faut qu'on avance. Mais c'est vrai qu'il y a à travers ce que nous avons vécu là aussi une réflexion de société sur nos aînés qui, pour beaucoup d'entre eux, sont décédés hors de l'hôpital. Et donc, il y a une réflexion de société à avoir sur la manière de retisser le lien social. Tout cela, c'est un message politique à délivrer aux Français et à partager avec eux."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 22 août 2003)