Interviews de M. Jean-Marie Le Pen, président du Front national, à "France Inter" le 18 avril 2003 et dans "Le Monde" le 19 avril 2003, sur les leçon à tirer du 21 avril 2002, sur la gestion de la crise irakienne par Jacques Chirac, sur le risque de népotisme au Front national, la réforme des retraites et l'action de Nicolas Sarkozy.

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - France Inter - Le Monde

Texte intégral

France Inter (18 avril 2003)
S. Paoli - Le 21 avril 2002 a-t-il été un choc politique pour rien ? Pour la première fois dans l'histoire du suffrage universel, un candidat d'extrême droite, J.-M. Le Pen, accédait au deuxième tour de l'élection présidentielle. L. Jospin, candidat de la gauche plurielle, était éliminé. J. Chirac, président sortant, obtenait au premier tour moins de 20 % des suffrages exprimés. Au deuxième tour, la victoire de J. Chirac, avec les voix de la gauche, n'avait pas masqué la progression de J.-M. Le Pen, malgré l'énorme manifestation de refus du Front national le 1er mai. Un an après, un sondage de la SOFRES pour L'Express et France Inter réalisé les 9 et 10 avril derniers auprès de 996 personnes, échantillon représentatif de l'ensemble de la population âgée de 18 ans et plus, révèle que vous considérez que le Gouvernement ne fait pas vraiment ce qu'il faut pour faire reculer le Front national et que la gauche n'a pas tiré les leçons de la défaite de L. Jospin.
Premier invité politique de ce " 7/9 Spécial ", avant F. Hollande, Premier secrétaire du Parti socialiste à 8h40, et N. Sarkozy, ministre de l'Intérieur, à 8h50, J.-M. Le Pen, président du Front national. Bonjour.
- "Bonjour."
Si une élection avait lieu aujourd'hui, la SOFRES vous créditerait de 21 % des intentions de vote, en progression donc par rapport au score que vous aviez réalisé en 2002. Mais 68 % des personnes interrogées considèrent que vous représentez un danger pour la démocratie. Comment expliquez-vous ce tiraillement de la société française ?
- "Je crois que c'est lié à la manière dont nous sommes présentés. Ce sont les médias qui parlent de nous. Nous avons très peu souvent - et je vous remercie de me l'avoir donnée ce matin - la parole pour dire ce que nous sommes, ce que nous pensons. De là, une image disons excessive, extrémiste qui ne correspond pas du tout ni à nos analyses, ni à nos propositions. Mais je pense qu'il est reconnu tout de même au Front national d'abord le courage de dire ce qu'il pense, ensuite d'avoir une qualité qui devrait être fondamentale pour les dirigeants, pour les gouvernants : c'est le sens de la prévision et même celui de la prévoyance. Tout le monde reconnaît que, dans le fond, depuis trente ans que le Front national a été fondé et qu'il s'exprime, il a exprimé des analyses qui ont correspondu à ce qui s'est passé. Donc, les gens se disent après tout : ces gens-là voient clair, et par conséquent, pourquoi ne pas leur faire confiance au moment où, dans le fond, aussi bien la gauche que la droite semblent incapables de résoudre les grands problèmes que précisément le Front national soulignait."

Mais le tiraillement, tout de même, vous dites on se tourne vers nous. Mais 68 % des Français considèrent que vous êtes un danger pour la démocratie.
- "Oui, mais personne ne dit comment et pourquoi. Le grand reproche que je fais à la classe politique et un peu à la classe médiatique aussi, c'est de n'avoir jamais articulé de grief précis contre le Front national. Et je serais un assassin, j'aurais droit à un jury, j'aurais droit à des avocats, des témoins, j'aurais droit à un réquisitoire qui expliquerait ce que j'ai fait de mal. Là, jamais."
Si. Il y a quand même eu le racisme, la xénophobie, des choses qu'on vous a...
- " ... Non, mais ça, ce sont des affirmations qui ne sont pas prouvées. "
Sur vos propos, M. Le Pen.
- "Je nie formellement que le Front national soit raciste. Il a d'ailleurs dans ses dirigeants des gens de toutes races et de toutes religions. Il n'est pas xénophobe, il est francophile. C'est une confusion de termes. Et je crois que ce sont des termes de polémique qui sont utilisés par des gens qui ont peur qu'on prenne leur place et qui se défendent becs et ongles."
Mais n'avez-vous pas vous-même alimenté la polémique ? Par exemple, vos propos sur les différences des races il y a quelques années, vous savez ce que ça avait entraîné comme débat y compris sur les idées que véhiculait le Front national.
- "Ecoutez, on m'avait posé la question de savoir si je pensais que les races étaient égales. J'ai dit écoutez, non, il me semble que par exemple les Noirs sont de meilleurs footballeurs mais sont moins bons nageurs que ne sont les autres. Bon, voilà. Est-ce que c'était provocant, absolument abominable ? Est-ce que ce qu'on appelle ces " dérapages verbaux ", trois en vingt ans, je crois et qu'on me reproche d'ailleurs sans cesse, est-ce que c'est moins grave que les dérapages financiers innombrables que l'on a vus dans la classe politique ou les dérapages sexuels ? Je crois que non."
Alors un an après, M. Le Pen, un an après le 21 avril 2002, le Front national est-il perçu par les Français comme un parti pour lequel on voterait dans l'esprit d'un vote d'influence, c'est-à-dire au fond pour peser sur l'UMP et sur la majorité au pouvoir ?
- "Je crois que c'est un des rôles utiles du Front national - c'est ce qu'on appelait autrefois le rôle tribunitien que jouait le Parti communiste. Quand on dit qu'il y a une " lepénisation " des esprits dans certains cas, ça veut dire que les arguments que nous avançons sont dans le fond repris par nos adversaires et leur politique s'aligne mais toujours avec une très grande faiblesse et une très grande mollesse qui la prive de tout résultat sérieux. C'est un peu la politique de M. Sarkozy. M. Sarkozy fait des choses, il s'agite, et quelquefois, elles ne sont pas stupides. Mais c'est dérisoire par rapport à l'enjeu. Ce n'est pas du tout à la mesure des problèmes, ni à la mesure des dangers que court le pays."

Et comment réagissez-vous quand vous entendez - peut-être l'avez-vous entendue dans le journal de 8 heures tout à l'heure - une jeune femme qui dit : " moi, je vote pour J.-M. Le Pen parce que je sais qu'il ne sera pas élu ". Mais on comprenait qu'elle votait pour vous parce que c'était un levier peut-être pour influencer la politique du Gouvernement.
- "Mais c'est vrai, c'est sûrement vrai. Mais je pense qu'il y a pas mal de gens de gauche aussi qui ont dû avoir cette idée là quand ils ont voté pour J. Chirac au deuxième tour de l'élection présidentielle. Ils votaient pour lui, ils ne souhaitaient pas qu'il soit élu mais il l'a été et ça leur a coûté cher et ça n'a pas fini de leur coûter cher."
Et votre analyse de la société française ? Le 21 avril 2002 a-t-il modifié quelque chose ?
- "Je crois que oui, et c'est là je crois où il y a une erreur d'appréciation entre nous et nos adversaires et certains observateurs qui ont dit : Le Front national, c'est assez extraordinaire, c'est formidable mais il a atteint un sommet. Eh bien, moi, je ne crois pas du tout, je ne crois pas du tout que ce soit une fin pour le Front national, c'est un début. Je crois que ce jour-là a marqué pour nous un changement de stratégie. Jusqu'ici, nous nous sommes battus en défensive, un petit peu comme le guetteur au créneau, en avertissant que tel ou tel danger menaçait la société ou le pays. Eh bien, nous allons dans les années qui viennent, là, d'abord avec le tremplin des élections de 2004, nous allons viser l'arrivée au pouvoir, c'est-à-dire que nous allons nous mettre en situation de présenter une alternative à la classe politique française, tant il est vrai que je pense que, dans l'année qui vient, elle va faire la démonstration de son impuissance et de son incapacité. On a déjà vu éclater les notions présentées comme des grandes notions d'avenir : l'Union européenne, l'OTAN et beaucoup d'autres, et même l'ONU. Eh bien, on va s'apercevoir que, dans le fond, l'Etat-Nation qui est le concept que nous défendons, nous, par patriotisme et par raison, eh bien que cet Etat-Nation est somme toute même dans la mondialisation probablement la collectivité locale la plus utile et la plus efficace. "
Alors le début mais le début de quoi, M. Le Pen ? Le début d'un Front national avec un nouveau visage, le visage de Marine Le Pen, le vôtre ? Et le débat au sein même du Front national sur le risque du népotisme ?
- "Ecoutez, non. Si vous regardez les affaires françaises, on peut se poser la question parce que Michelin, fils de Michelin, Lagardère, fils de Lagardère, Bouygues, fils de Bouygues. Ce n'est pas le cas. Marine, ma fille, est une dirigeante du Front national et membre du bureau politique. Elle a été candidate aux élections. C'est aussi une jeune mère de famille, une jeune professionnelle. Elle me semble représentative d'une catégorie sociale importante de notre pays à laquelle peut-être le Front national ne s'était pas suffisamment intéressé. Et je crois qu'elle a un grand avenir, je l'espère pour nous tous et pour le Front national lui-même. Mais elle n'est pas seule dans ce mouvement. Il y a des gens à tous les postes et chacun essaie de remplir son office. "
Sauf qu'on ne discute pas les décisions du président.
- "Si, on les discute quelquefois mais enfin..."

Même B. Gollnisch ?
- "Bien sûr, évidemment. Nous avons des concertations permanentes. Nos organes de direction sont l'objet d'échanges extrêmement libres mais il est vrai qu'à un moment donné, il y a quelqu'un qui tranche. Mais quoi d'étonnant dans cette disposition du Front national qui est dans le fond dans la ligne de la philosophie de la Vème République. La Vème République est un régime présidentiel ou en tous les cas qui devrait l'être. Le Front national l'est aussi. Il l'est d'autant plus que, menacé de toutes parts, accablé par la persécution, il est tenu à une rigoureuse discipline intérieure, faute de quoi il pourrait lui arriver ce qu'il lui est d'ailleurs arrivé avec la trahison de B. Mégret, de courir de grands risques d'explosion."
Quel est votre horizon, J.-M. Le Pen ? 2007, vous serez candidat à la présidentielle ou pas ?
- "Moi, je ne suis pas fonctionnaire, je n'ai pas la religion de la retraite. Tant que j'en aurais la force intellectuelle, physique, morale, mentale, je continuerai le combat que je mène depuis déjà longtemps pour mon pays et pour les Français. Et, dans la perspective normale de mes possibilités d'aujourd'hui, en effet, je vise l'élection présidentielle de 2007 ou d'avant, on ne sait jamais, mais surtout parce que, chaque chose en son temps, les élections de l'an prochain qui vont être déterminantes et qui selon moi"
Européennes et régionales.
- "Européennes, régionales, cantonales, et qui selon moi constitueront un tremplin extrêmement significatif et efficace pour la bataille qui suivra, les batailles parce qu'il y aura en effet les présidentielles mais aussi les législatives. "
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 22 avril 2003)