Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur l'exposition de photographies réalisées par le peintre afghan Reza, Paris le 11 juin 2003.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Inauguration de l'exposition "Destins croisés" sur les grilles du Sénat, le 11 juin 2003

Texte intégral

Madame,
Excellence,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mes chers Collègues,
Mesdames, Messieurs, chers Amis,
Nous voici réunis, pour la septième fois déjà, pour rendre hommage à la photographie en inaugurant une exposition sur les grilles de la rue de Médicis
L'aventure a commencé il y a trois ans à peine. Il s'agit donc d'un rythme à la fois soutenu et long, celui du temps nécessaire pour que les clichés exercent leur emprise, que la magie du " bouche à oreille " fonctionne et pour que, de proche en proche, un véritable mouvement de société se produise.
Car là est bien le miracle de cette nouvelle manière de présenter des photographies que le Sénat a inventée.
Comme toutes les inventions, elle est sans doute le fruit de l'intuition de quelques uns.
Elle est, surtout, la conséquence d'une nécessité qui faisait que, en juin 2000 nous devions faire place nette pour lancer une nouvelle époque dans la programmation du Musée du Luxembourg.
Ces expositions de photographies réalisent ce paradoxe qu'elles font d'un lieu - des grilles - qui devait séparer, un lieu de rassemblement. Rassemblement des passants, des visiteurs de Paris, des voyageurs, des usagers du jardin, de tant de gens qui, sans cette initiative, ne seraient peut-être jamais allés voir ces expositions.
Je lisais, dans un célèbre journal du soir, un article fort savant qui se posait la grave question : " Comment exposer la photographie ? ". " Il faut, écrivait l'auteur, M. Nicolas Thely, montrer la forme que la photo avait avant d'être au musée ". Voilà une question qui, pour nous, ne se pose pas car la photo n'est pas au musée, elle est dans la rue, une de ces rues semblables à celles que fréquente cette petite fille de Sarajevo avec ses poupées.
A côté des rues de Sarajevo, la rue de Médicis est une rue de riches dans laquelle, Dieu merci, les enfants n'ont pas besoin de vendre leurs poupées pour manger.
Ces photos sont donc non seulement dans la rue, elles sont dans le siècle, non pas comme des remords mais comme d'utiles rappels, une sorte de mémoire, l'image de semblables pas si éloignés qui nous regardent et nous ouvrent l'esprit sinon le cur.
Nul besoin, grâce au talent de Reza, de s'interroger longtemps sur le message. C'est le message de " l'humaine condition ", aurait dit Montaigne. On s'aperçoit ainsi que cet art de la photographie est une manière à la fois déjà ancienne mais très nouvelle de communication. Ce ne sont pas des portraits, ce sont presque des paroles. On devine les enjeux qui se cachent derrière ces êtres ou, plutôt, ces enjeux qui les écrasent et que les visions d'autres médias tels que la télévision au contraire banalisent à force de nous les montrer, dans le bruit et la fureur, la " stupeur et l'effroi ".
Art de l'instant, la photographie devient moment d'éternité. Un moment décisif pour tous ces regards échangés avec les sujets qui nous sont proposés.
Je disais, tout à l'heure, que le Sénat avait inventé, à travers ces expositions, un nouveau mode de communication. Je crois surtout qu'il a eu la chance de prendre cette initiative à un moment où l'art photographique prenait une nouvelle dimension et comblait un vide. Ces photos apparaissent comme la reconquête de l'immobilité sur tous les médias du mouvement. Leurs effets n'en sont que plus durables.
Ces photos sont si belles qu'on en viendrait presque à en oublier leur auteur. Dans ce monde bercé par la technique ou, comme on dit aujourd'hui, la " technologie ", on a tendance un peu vite à oublier qu'il ne suffit pas d'un appareil photographique pour prendre des clichés comme Reza. Nous avons déjà eu beaucoup de chance avec ses prédécesseurs mais, sans enlever leur mérite, ceux-ci nous présentaient d'abord des paysages plus que des émotions. Ils avaient ouvert une voie, celle de la prise de conscience de l'existence d'un patrimoine commun. C'est peut-être pour ça d'ailleurs que leurs photos furent si respectées.
Reza nous introduit dans un autre monde, peut-être plus profond, qui est celui de la nature humaine, celle des hommes, des femmes et surtout des enfants.
Son exposition est une collection de destinées rythmées par les mêmes étapes que les nôtres mais dans des circonstances infiniment plus tragiques.
Le miracle conjugué de la nature humaine et de l'art de Reza fait cependant que nous n'arrivons pas à ressentir un sentiment de tristesse. Il se dégage de l'ensemble une impression de confiance infinie. Puisse cette confiance affiner notre conscience !
Reza est un ami du Sénat. Un ami très cher que j'ai rencontré alors qu'il accompagnait son ami Massoud hélas un peu délaissé par les pouvoirs publics français alors même qu'il nous appelait à nous méfier. L'histoire tragique nous apprend qu'il ne s'est pas assez méfié pour lui-même, mais son image demeure comme celle d'un homme généreux, cherchant à construire un pays en s'efforçant de s'élever au-dessus des passions ethniques ou religieuses.
Il nous a montré que l'Orient aussi pouvait produire des hommes raisonnables et courageux et que les clivages de culture n'étaient pas aussi profonds que d'aucuns voudraient le faire croire.
Reza a suivi l'exemple de son ami Massoud. Il ne s'est pas contenté de l'immortaliser par ses photos de cette merveilleuse vallée du Pamshir. Il a voulu concrètement, comme il dit, " soigner les âmes " au moins autant meurtries que les corps et les curs. C'est pourquoi il a créé Aïna, cette association qui s'efforce de recréer une vie culturelle et un pluralisme des médias sans lesquels la liberté ou la démocratie sont, de nos jours, des mots vides.
Merci donc, cher Ami Reza, pour tout ce que vous nous donnez en même temps.
Merci à vous tous qui êtes là.
Merci à tous ceux qui ont aidé à l'organisation de cette exposition.
Vous avez accompli, les uns et les autres, un acte de foi dans l'humanité et dans l'ouverture d'esprit de nos compatriotes.
C'est un honneur pour notre Assemblée que de vous en avoir donné l'occasion.
(source http://www.senat.fr, le 4 septembre 2003)