Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, à Europe 1 le 4 septembre 2003, sur son opposition à la politique de baisse des impôts sans réduction des dépenses budgétaires, le déficit de la sécurité sociale et sur l'ouverture d'un grand débat sur l'éducation nationale.

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Média : Europe 1

Texte intégral

A. Chabot - J. Chirac voulait une baisse de l'impôt sur le revenu de 3 %, J.-P. Raffarin va la faire... Et vous, vous dites ?
- "Je dis que je ne crois pas aux baisses d'impôts qui nourrissent le déficit et la dette. On est en train de faire pour ceux qui vont arriver, des montagnes de dettes, des montagnes ! On a dépassé - je ne sais pas si on peut se représenter ce chiffre - mille milliards d'euros de dettes. Et ça, il va falloir le payer"
On peut faire des économies aussi...
- "Oui, vous avez raison de dire cela. Il y a des baisses d'impôts qui sont des baisses d'impôts justifiées, j'allais dire vertueuses : ce sont celles qui répondent à des baisses de la dépense publique. Mais quand on veut baisser les impôts sans baisser la dépense publique, dans un pays qui est déjà en déficit de près de 20 % - je dis ce chiffre parce qu'on dit d'habitude 3 ou 4 % ; c'est 3 ou 4 % de toute la richesse produite par les Français, mais la vérité c'est que l'Etat dépense chaque année près de 20 % de plus qu'il ne rentre dans les caisses, et on veut encore baisser la recette. Eh bien, je trouve qu'il y a là au moins une imprudence, c'est quelque chose qui n'est pas sain. Notre génération, la génération de ceux qui ont aujourd'hui 40, 50 ans, ils n'avaient pas de dettes quand ils sont arrivés au travail, on ne leur avait pas laissé de dettes ; la France, le Général de Gaulle, Pompidou, Giscard, Barre n'avaient pas laissé de dettes aux Français. Depuis 20 ans, on les accumule au point que cette année encore, chaque enfant, chaque personne a été endettée de mille euros de plus, qu'il va falloir que l'on rembourse, chaque année..."
Oui, mais vous faites un procès d'intention au Gouvernement. Vous dites que ce sera financé par la dette. Il y aura peut-être autant d'économies dans le budget. Vous n'y croyez pas, sérieusement ?
- "Non, pour l'instant je n'y crois pas. La démarche que le Premier ministre a faite à Bruxelles signifie que l'on a décidé, en effet, que c'était dans le déficit qu'on trouverait les baisses d'impôts c'est-à-dire dans la dette. Et ça n'est pas une gestion saine. Il y a des débats parmi les économistes, je ne crois pas que l'on puisse financer la croissance par le déficit et par la dette, dans un pays qui est aussi lourdement endetté que nous le sommes."
Quand on est en panne de croissance - c'est l'argument utilisé par le Gouvernement -, il faut donner un petit coup de pouce au pouvoir d'achat, à la consommation et par les baisses d'impôts sur le revenu, auxquelles il faut ajouter les 500 millions...
- "Vous observerez quelque chose en Europe : les pays chez qui la croissance est saine, par exemple l'Espagne, ce sont des pays en équilibre, ce sont des pays dont les finances publiques n'alourdissent pas ainsi l'activité de la Nation. Donc, pour la France, on ferait bien d'y réfléchir, c'est un grave souci. Je sais bien que la plupart des Français y attache une importance un peu anecdotique, ils se disent que ce sont des débats de rentrée, comme tous les ans, les impôts, le budget... C'est très important pour eux, ils devraient regarder leurs enfants autour de la table au petit déjeuner le matin : on est en train de leur préparer un avenir plombé."
Donc vous seriez prêt à changer d'avis si le Gouvernement disait - J.-P. Raffarin fait allusion dans cette interview qu'il accorde au Figaro ce matin - qu'il y aura effectivement des économies, des redéploiements ? Sur tout cela, vous répétez : "je n'y crois pas" ?
- "La réflexion sur la baisse d'impôts est juste quand elle s'accompagne d'une baisse des dépenses et que le budget s'approche ou va vers l'équilibre. Nous, c'est le chemin inverse que nous sommes en train de faire : nous nous étions approchés de l'équilibre parce qu'on a eu des années de croissance dont les socialistes n'ont pas assez profité ; aujourd'hui on est en train d'aller vers les déficits et vers la dette. Pour moi, c'est une grave inquiétude. "
Vous ne rejoignez pas les socialistes qui disent qu'il faut réhabiliter l'impôt ?!
- "Au contraire, j'ai trouvé cette déclaration terrible. Vous vous souviendrez sans doute que quand ils étaient au gouvernement, un certain nombre de leaders socialistes ont dit : "Notre priorité doit être la baisse des impôts". L. Fabius avait publié une tribune en disant : "Si on ne baisse pas les impôts, on perdra les élections". Il s'était soi-disant engagé dans cette voie là. Il suffit qu'il retourne dans l'opposition pour retrouver vraiment un discours complètement archaïque. Moi, ce n'est pas l'impôt que je veux réhabiliter, au contraire : c'est l'équilibre et la santé des finances, quelque chose qui soit de bon sens et qui fasse que l'Etat soit géré comme un ménage normal doit l'être, en équilibrant ses dépenses et ses recettes."
Et vous ne rejoignez pas votre ami, P. Méhaignerie, président de la Commission des finances qui disait, il y a quelques jours que 1 %, ce serait bien mais pas plus... C'est déjà trop, pour vous, 1 % ?
- "En raison de ses responsabilités, P. Méhaignerie disait cela pour dire à sa manière et prudemment la même chose que moi."
Le déficit de la Sécurité sociale, ce sont 10 milliards d'euros cette année. J.-P. Raffarin dit que l'objectif, l'année prochaine, est de réduire ce déficit, mais pas d'augmentation en vue pour la CSG. Là aussi, vous dites que c'est une erreur, que ce n'est pas assez et qu'il faut augmenter la CSG ?
- "Ah non, je ne dis pas ça. Je dis que l'état de l'hôpital est tel qu'il va bien falloir qu'on remette tout à plat..."
Y compris les 35 heures, par exemple ?
- "Oui, enfin tous les sujets qui concernent l'hôpital doivent être remis sur la table. J'ai rencontré hier le docteur Pelloux, le responsable des urgentistes en France, nous avons fait un bilan de la situation à l'hôpital aujourd'hui. Comment ne pas se rendre compte que le drame que nous venons de vivre - 10.000, 11.000, 15.000, peut-être plus de morts, qui pour beaucoup d'entre eux n'auraient pas dû mourir - est lié à l'organisation des pouvoirs publics en France, au fait qu'il n'y a pas d'alerte et qu'on n'en a pas eu, d'alarme et qu'on n'en a pas eu, et au fait que l'hôpital a fait une thrombose, ça a fait un blocage. On ne pouvait pas évacuer des urgences comme il convenait, les malades qu'il aurait fallu pour faire la place aux autres. Donc on est, oui, devant un hôpital français qui a atteint, je crois, un point de non-retour si l'on ne s'en occupe pas vraiment."
Oui, mais qu'est-ce que l'on fait pour réduire les déficits, selon vous ? Il faut bien trouver des solutions...
- "Oui, je pense que la réorganisation est aussi un élément de santé..."
Alors, pour revenir sur les déficits, 4 % cette année, le 3 octobre, la Commission européenne va se pencher sur les finances de la France. Craignez-vous des sanctions de l'Europe ?
- "Je sais bien que tout le monde présente les choses comme ça, mais pour moi, le problème du déficit, ça n'est pas principalement un problème européen..."
Mais quand on est pointés du doigt par les commissaires européens et après, qu'il y a des sanctions financières, ça fait mauvais genre, non ?
- "Et qui ont des raisons pour le faire..."
Mais on ne sera pas les seuls...
- "Vous avez lu la déclaration du gouverneur de la Banque de France"
J.-C. Trichet qui, comme vous, dit attention au déficit et à l'endettement...
- "Il y a un problème, dit-il, et il a raison. Mais pour moi, augmenter par milliards d'euros la dette, ce n'est pas un problème pour Bruxelles : c'est un problème pour la France. Ça n'est pas un problème pour les commissaires, c'est un problème pour nos enfants. Et il y a de l'irresponsabilité dans un pays aussi riche que le nôtre, à vouloir faire payer par nos enfants les dépenses que nous sommes incapables d'assumer nous-mêmes, faute d'avoir réorganisé notre pays."
J'entends le mot irresponsabilité ? J. Chirac, le Président de la République est irresponsable, J.-P. Raffarin
- "Non"
Ben si, quand même, le Premier ministre est irresponsable quand il prend cette décision. Vous dites : il y a de l'irresponsabilité !
- "Je sais bien que vous êtes dans votre rôle ! Oui, je parle de l'irresponsabilité d'une génération politique qui choisit d'aller vers la facilité des déficits et de la dette, parce que c'est populaire, parce que ça empêche de reposer les véritables questions, alors que nous sommes devant un problème national et que ce problème national est celui d'un pays qui tombe dans le déséquilibre alors qu'il devrait être dans l'équilibre. La France a tous les atouts pour être dans l'équilibre. Cela demande simplement - "simplement" est vite dit - une prise de conscience et une volonté qui, jusqu'à maintenant et depuis beaucoup de gouvernements, n'ont pas été appliquées, en tout cas je ne crois pas au déficit et à la dette. Et je persiste et je signe."
Ceux qui nous écoutent ce matin disent qu'il y a une logique, les critiques de F. Bayrou sont extrêmement sévères, l'UDF ne peut pas voter un budget qui dira 3 % de baisse des impôts plus les autres décisions. Vous voterez ou vous ne voterez pas ?
- "Nous verrons ce qu'est le budget le moment venu et je ne suis pas en train de faire un affrontement partisan..."
Non, mais si vous dites qu'il faut être responsable, il faut l'être !
- "Je parle en citoyen à des citoyens, je parle en homme à des pères et mères de famille et je dis que nous avons un problème. Le résoudre par la facilité par un claquement de doigt n'est pas une solution en tout cas que j'approuve. Quant au reste, la discussion budgétaire, on verra..."
Vous serez sévère mais sinon, ce serait la rupture du pacte de la majorité, c'est grave quand même...
- "Vous voyez bien qu'il y a cela aussi, donc on verra. Vous savez bien, ce n'est pas le vote à l'Assemblée qui est la question aujourd'hui, il est acquis. L'UMP a la majorité à elle toute seule. Ceux qui à l'intérieur de l'UMP pensent exactement comme moi - et ils sont nombreux - ne le diront pas et voteront. Pour ma part, j'essayerai de le dire à la tribune. Nous avons un problème national et ce problème s'adresse à chacun d'entre nous, ce n'est pas une affaire politique à l'intérieur de l'Assemblée."
A votre place hier, il y avait L. Ferry, le ministre de l'Education, qui ouvre un grand débat, justement pour déboucher sur une loi d'orientation. Il invite les anciens ministres de l'Education, donc vous, à participer à ce grand débat. Vous irez, vous participerez ?
- "Je lui ai répondu que si c'est un véritable débat profond, j'irai, mais que jusqu'à maintenant en France, souvenons-nous par exemple dans l'année qui vient de s'écouler on a eu un débat sur la décentralisation, un débat sur l'énergie... Honnêtement, du débat ça n'avait que le nom ! C'était une présentation publicitaire d'une mise en scène de discussions ! L'éducation demande mieux que cela et plus profond. Et s'il y a un vrai débat sur l'éducation, naturellement, je me ferai un devoir, ça sera un devoir pour moi d'y participer avec l'expérience qui est la mienne."
Deux petites questions politiques très courtes : C. Millon nommé ambassadeur, ça vous choque ou vous dites "je suis très content pour A.-M. Comparini, ça va lui déblayer le terrain pour l'élection régionale" ?
- "J'ai trouvé ça un peu triste pour tout le monde. Ce sont des arrangements, je suis persuadé qu'un grand nombre de Français considère que nos grandes fonctions d'Etat ne doivent pas être faites pour des arrangements, mais je ne veux pas en dire plus..."
Vous serez candidat pour les régionales, tête de liste en Aquitaine, comme l'on dit ?
- "Ma décision n'est pas prise, et quand elle sera prise, je la communiquerai aux Aquitains, d'abord, parce que c'est eux que ça regarde."
Ça dépend de quoi ?
- "Ça dépend"
De l'ensemble de l'accord avec l'UMP, votre partenaire ?
- "Ça dépend de ce que je ressentirai des besoins profonds des Aquitains, de leurs attentes et de la situation politique en France."
Il paraît que ça va mieux avec A . Juppé, c'est vrai, rassurez-nous, là.
- "Ça n'a jamais été mal. On peut avoir des débats avec un homme "
Mais ça peut être pire ?!
- "On peut avoir des différences, y compris des divergences avec un homme, et avoir cependant pour lui de l'estime personnelle, ce qui est je crois le cas entre A . Juppé et moi et réciproquement."
(source http://www.udf.org, le 8 septembre 2003)