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Dernières Nouvelles d'Alsace :
Au moment où il fête ses dix ans, l'âge de raison, l'Eurocorps vous semble-t-il opérationnel, et de façon satisfaisante ?
Mme Alliot-Marie :
L'importance des missions qui ont été confiées au Corps européen en Bosnie, en 1998 et 1999, puis au Kosovo - où il a assuré, pour l'OTAN, la responsabilité de l'État-major de la KFOR - démontre à elles seules son existence opérationnelle et la qualité de ses interventions. C'est d'ailleurs ce que nous avons voulu marquer en l'invitant à défiler sur les Champs-Élysées, le 14 juillet dernier. Le Corps européen est aujourd'hui le premier élément de la force d'intervention rapide européenne que l'Union européenne avait décidé de constituer dès 1999, qui sera parfaitement en place fin 2003, comme cela était prévu.
Cette FAR européenne peut-elle être à la hauteur de ce qu'on attend d'elle ?
Oui. Regardez à Bunia : nous avons été capables d'intervenir très efficacement dès que Kofi Annan, le Secrétaire général de l'ONU, nous a demandé de le faire. Je n'imaginais pas, je l'avoue, qu'elle aurait une telle capacité de réaction et de mise en oeuvre de ses moyens.
L'Eurocorps peut-il désormais se présenter comme l'embryon d'une défense européenne qui reste, à ce jour, une chimère politique ?
Mais la défense européenne est déjà une réalité ! Bien sûr, il faut la renforcer, et les Européens doivent relever leurs contributions financières s'ils veulent être crédibles dans ce domaine. Bien sûr elle est perfectible, mais elle avance à la fois sur le plan institutionnel et sur le plan fonctionnel. C'est vrai, l'Europe de la défense - qui était une idée des précurseurs de l'Union - a mis beaucoup de temps à se remettre de l'échec de la Communauté européenne de défense (CED) mais maintenant sa réalisation est beaucoup plus rapide qu'on ne le pense. En Macédoine, personne n'imaginait que l'Union européenne pourrait efficacement prendre le commandement de la force de paix. Eh bien, elle l'a fait, et aujourd'hui elle y est pleinement reconnue comme une force à part entière, et elle se prépare à prendre, en 2004, la responsabilité de la force de stabilisation en Bosnie. Nous avons aussi lancé de grands programmes avec les Tigre, Galiléo, les frégates multi-missions, les Drônes...
Quel a été le déclic psychologique ?
La loi de programmation militaire de 2002. Tant que la France n'avait pas manifesté sa volonté concrète de faire avancer l'Europe de la Défense, les autres membres de l'Union étaient restés très attentistes. Et tout à coup, l'Allemagne et même l'Angleterre se sont tournées vers l'Europe de la défense...
L'épisode irakien et les divergences, qu'il a mises au jour, entre les différents pays de l'Union vont-elles à nouveau gripper le mouvement ?
Non. Paradoxalement, ils l'ont plutôt renforcé ! L'Europe a toujours progressé à l'occasion de crises. C'est au sommet du Touquet, au plus fort de nos divergences avec la Grande-Bretagne sur la stratégie à adopter vis-à-vis de l'Irak, que nous avons mis en place l'agence européenne de l'armement, un grand projet. Ces divergences - qu'il ne faut pas exagérer - ont fait prendre conscience aux Européens de la nécessité d'être plus proches.
L'attitude des entrants de 2004 ne semble pourtant guère positive...
Il faut comprendre l'attitude des pays de l'ancien bloc de l'Est. Pendant longtemps, les États-Unis et l'OTAN ont été leur seule perspective. Pour eux, l'Europe de la défense, c'était abstrait. Ils disaient : où sont les avions, les chars pour nous protéger ? Notre action en Macédoine et au Congo leur a montré que nous existons militairement... Quant aux achats d'avion, c'est une question de calendrier. Des pays comme la Pologne se sont engagés pour des avions américains il y a déjà des années au moment où le Rafale souffrait d'un vrai problème de crédibilité. Et pour cause : le gouvernement précédent n'avait pas jugé bon de s'engager sur cet appareil !
Les Français partagent-ils, selon vous, les choix en faveur de la défense nationale ?
Eh bien oui. Des enquêtes que nous avons fait réaliser montrent que plus de 80 % des Français approuvent les choix budgétaires en matière de défense. En voyant l'instabilité du monde et le terrorisme, en voyant ce qui s'est passé en Côte d'Ivoire, ils ont eu - je le crois - une compréhension de l'utilité de l'armée. Ils doivent aussi savoir que le ministère de la Défense est aussi le principal agent de stimulation de l'industrie française.
Votre succès dans un ministère inédit pour une femme a surpris tout le monde. Comment l'expliquez-vous ?
Ce n'est pas être une femme ou un homme qui compte ; c'est être compétent(e)... Le fait d'avoir été présidente d'un parti gaulliste pour lequel les valeurs de l'honneur, du sens du service et de l'effort sont importantes, m'a sûrement bien préparée : nous parlons le même langage... Pour le reste, je me suis très vite passionnée pour les dossiers de ce ministère et je crois que cela a été apprécié... On a vite compris que j'étais loin d'être ce " gadget " dont avait parlé la presse.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 11 septembre 2003)