Interview de M. Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF, à Europe 1 le 25 avril 2003, sur le projet de réforme des retraites présenté par M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, et sur les éventuelles conséquences économiques pour les entreprises françaises des divergences franco-américaines à propos de l'Irak.

Prononcé le

Média : Europe 1

Texte intégral

JEAN-PIERRE ELKABBACH : Bienvenue, monsieur Seillière.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Bonjour.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Le MEDEF soutient-il la réforme Fillon ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oh, la question est simple. Le MEDEF a joué un rôle, je crois, assez fort dans notre pays pour appeler l'attention sur la nécessité et l'urgence d'une réforme. Il l'a attendu longtemps, il a provoqué à certains moments des mouvements d'opinion parce qu'il disait qu'il fallait le faire et aujourd'hui, nous disons que le gouvernement entame le chemin de la réforme structurelle. C'est une grande nouvelle dans notre pays parce que les gouvernements ont plutôt jusqu'à présent, sauf exception, essayé d'esquiver le problème, de retarder la solution. Là, nous avons un gouvernement qui reconnaît l'existence d'un problème et qui préconise des mesures qui sont, pour certaines, lourdes et qui nous met sur le chemin de la réforme structurelle. Il le fait avec détermination, il le fait d'ailleurs avec pédagogie. L'émission d'hier de François Fillon a été 100 minutes d'explications calmes, assez partenariales d'ailleurs dans les interventions des syndicats ou du représentant du MEDEF. On a senti, si vous voulez, qu'il se produisait quelque chose qui va dans le bon sens.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Donc c'est l'idylle ? Vous pensez que les Français devraient accepter la réforme proposée ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, attendez, vous y allez trop fort dans la conclusion ! (rires)
JEAN-PIERRE ELKABBACH : (rires) Oui, mais je prends la description et j'arrive à la conclusion. Donc, il y a un soutien du MEDEF. Mais est-ce que les Français
devraient accepter maintenant la réforme qui est proposée, quitte à la nuancer et à l'améliorer davantage ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors, l'opinion, qui est sondée, sur-sondée, etc, révèle qu'elle comprend l'ampleur du problème et qu'elle se met également sur le chemin de l'acceptation. Alors, bien entendu, les syndicats, eux, sont encore très braqués pour certains, trouvent insuffisantes les propositions pour d'autres, de même que, je vous le dirais dans un instant, nous les trouvons aussi insuffisantes, mais cela dit, je crois que l'opinion, aujourd'hui, a compris la nécessité et l'urgence et donc c'est tout de même une bonne nouvelle.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : 40 ans de cotisation pour tous, pour tous en 2008, 41 en 2012, 42 en 2020 parce qu'on vivra plus longtemps, est-ce qu'on peut faire mieux ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Si vous voulez, les Allemands sont à 45 ans, donc 65 ans en Suède, et nous entamons trop tard, et c'est pour cela que le problème est très difficile et très urgent et d'une ampleur qu'il ne devrait pas avoir, nous entamons trop tard le bon chemin, celui de l'allongement de la durée de cotisation. Nous avions d'ailleurs, avec Nicole Notat, je vous le rappelle, en 2001, fait une déclaration commune qui reconnaissait que l'allongement de durée de cotisation était au centre du dispositif. Et d'ailleurs, hier, on a rappelé que Lionel Jospin l'avait lui-même préconisé.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Alors, pour François Fillon, un bon moyen d'assurer, Ernest-Antoine Seillière, le financement des retraites à long terme, c'est que les chefs d'entreprise gardent les salariés au travail jusqu'à 60 ans. Le feront-ils ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui. Ils le feront. Ils le feront progressivement. D'ailleurs, comme vous l'avez vu, tout ceci va se mettre en place à partir de 2008 dans le secteur privé. C'est d'ailleurs pour nous trop tard, je vous le dis comme je le pense, il faudrait commencer tout de suite. Enfin, cela dit, il faut mettre en place l'allongement de durée de cotisation pour la Fonction publique, puis ensuite l'allonger pour tout le monde, donc on est retardé dans 5 ans, à 5 ans pour tout cela, mais nous le ferons. Les entreprises sont décidées, bien entendu, à faire en sorte que l'allongement de durée de cotisation s'accompagne d'un allongement de la présence dans l'entreprise, donc on prendra les mesures pour cela, on fera de la formation, on fera de l'aménagement de poste de travail, on espère pouvoir mettre en place de l'emploi-retraite qui fait du temps partiel et du temps retraité en même temps, bref, il y a un immense chantier et je pense que la négociation sociale d'entreprise et de branche prendra tout ça en compte. En tout cas, nous serons les partenaires de l'évolution d'un système de retraite à partir du moment où il évolue dans le bon sens pour se réformer, et surtout pour sauver le système des retraites dans notre pays.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Et vous allez commencer assez vite ou en tout cas le plus vite possible, vous les ferez travailler ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui. Ils travailleront. Vous savez, s'ils ne travaillent pas actuellement tard, comme on le souhaite pour sauver le système des retraites, c'est parce qu'il y a une vraie complicité entre les salariés qui veulent partir, entre les entreprises qui trouvent avantage à ce qu'ils le fassent, et avec l'Etat qui les encourage. Nous sommes dans une société qui a pu, et je crois que c'est ce que l'essentiel de ce qu'a dit hier Fillon tient dans la formule, qui a pu penser qu'on pouvait garder son modèle social en travaillant moins. Eh bien, ce n'est pas vrai. Dans le monde entier, on sait que ce n'est pas vrai. En France aujourd'hui, on reconnaît que ce n'est plus vrai. C'était la grande illusion.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Pour vous, ça, c'est la rupture ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui, c'est ça, c'est là où la réforme structurelle se met en place avec une reconnaissance de l'évidence. Et c'est déjà, je crois, beaucoup.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Par exemple, à l'automne, une négociation paritaire est prévue sur les retraites complémentaires. Qu'est-ce que fera le MEDEF ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors, le MEDEF a, avec les partenaires sociaux, la responsabilité d'un large pan de la retraite
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Alors
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Qu'on appelle retraite complémentaire. C'est 30 milliards d'euros par an. Bien entendu, s'il y a mise en perspective par la loi, et là on le saura, ça sera décidé, de la réforme qui est actuellement avancée, bien entendu nous accompagnerons cette réforme, à la mesure des moyens de la retraite complémentaire, donc il y aura problèmes, mais cela dit, nous les traiterons et nous les traiterons dans un esprit de partenariat et de négociation.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Le mois de mai, Ernest-Antoine Seillière, va être marqué, le 6, 13 et 25 mai par des mobilisations, des défilés de syndicats qui ne sont pas toujours sur les mêmes plans en accord. Est-ce que vous êtes économiquement et politiquement préoccupé ? Ou vous vous dites, bon, c'est du classique, il faut vivre ça parce que c'est la France.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, je ne suis pas politiquement préoccupé. D'abord, ce n'est pas mon affaire, et ensuite, je crois vraiment que l'opinion ne laissera pas en effet la France bloquer la retraite structurelle des réformes. Je pense que ceci, c'est le modèle 1995 d'un rêve un peu nostalgique, un peu romantique pour certains. C'est fini. Donc, pas d'inquiétude politique en ce qui concerne le MEDEF. Mais, cela dit, beaucoup d'inquiétude en ce qui concerne en effet la compétitivité de notre pays. La réforme des retraites n'apporte rien sur le plan de la capacité de la France à produire à bon prix, d'avoir des parts de marché, de faire de l'emploi, etc, etc. C'est le règlement d'un problème social fondamental et c'est donc pour ça nécessaire mais ça n'apporte rien. Alors, à l'idée qu'en plus des ponts, des sur-ponts, de la RTT, on aura un mois de mai dans lequel un certain nombre de journées vont être bloquées par les empêchements de circuler , etc, eh bien je dis : on retarde, évidemment, la croissance que tout le monde attend pour pouvoir, entre autres, abonder le système de solidarité.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Avec l'effervescence syndicale de mai 2003, peut-être légitime, est-ce que vous croyez qu'une nouvelle fois, un gouvernement de droite pourrait tomber sur les retraites ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ce n'est pas à moi d'en juger
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Oui, mais dans le climat, en ce moment, par exemple, avec beaucoup de courage, Jean-Pierre Raffarin est en Chine, sans masque d'ailleurs, avec quelques patrons, et puis il vante souvent l'esprit de mai, est-ce qu'il risque d'être victime de l'esprit de mai ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, moi je crois que le gouvernement, s'il arrive à mettre en place une réforme structurelle de cette force et de cette taille, va au contraire se renforcer pour pouvoir traiter les problèmes structurels de notre pays. La réforme de l'Etat, la réforme de la Sécurité sociale et la modernité en place. L'équipe gouvernementale est une équipe jeune, déterminée, assez variée, qui surprend quelquefois dans son comportement, vous savez ce que nous pensons de la méthode, quelquefois, notre impatience, mais cela dit, c'est un gouvernement à mon avis qui est adapté aujourd'hui aux problèmes structurels de notre pays. C'est donc fondamental.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Et qu'est-ce qu'il faut qu'il fasse pour aller plus loin, plus vite, dans quel secteur, qu'est-ce qui lui manque ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, il lui manque certainement d'avoir déjà très fermement présenté la réforme de l'Etat. Si, comme il l'indique, il s'engage dans une vraie baisse du nombre des fonctionnaires, - je vous rappelle : 1 million de fonctionnaires en plus dans notre pays entre 1980 et 2002, 1 million en plus -, et donc c'est essentiel bien entendu qu'on réforme l'Etat de façon à pouvoir fonctionner avec moins de fonctionnaires.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Quand vous entendez dire, Ernest-Antoine Seillière, qu'on ne remplacera que la moitié des agents de l'Etat qui partent en retraite, comme le disait hier LES ECHOS, et que ça fait une baisse pour 2004 de 30 000 fonctionnaires, la moitié, vous dites : c'est suffisant, ou c'est un bon début ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Nous disons que, là aussi, on entame le chemin de la réforme structurelle et que c'est quelque chose qui est une bonne nouvelle, mais il faudra aller longtemps, très fort, pour se remettre à niveau.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : On peut parler un peu de l'Irak ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : On peut parler de l'Irak et de la position d'un certain nombre de patrons.? Il paraît que vous auriez préféré que les Français ressemblent aux Anglais et qu'ils soient d'un bout à l'autre pendant l'affaire irakienne aux côtés de George Bush. Il paraît que vous en avez beaucoup souffert
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, c'est entièrement faux ! Les entrepreneurs ont été, au contraire, à l'unisson de l'opinion française qui a souhaité donné toute sa place à la diplomatie pour éviter la guerre. Je l'ai dit, on l'a constaté et donc, je crois qu'il faut dire que, nous n'allons pas faire de diplomatie mais sur des questions aussi fondamentales que celle-là, nous avons été totalement en harmonie avec notre gouvernement.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Cependant
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ce qu'il y a de vrai, c'est qu'à un moment donné, aux Etats-Unis, il y a eu un basculement affectif en quelque sorte de l'opinion
JEAN-PIERRE ELKABBACH : qui continue, qui continue
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Qui continue, qui donc génère une campagne anti-française qui est beaucoup plus forte qu'on ne veut bien l'admettre, et que donc, nos entreprises sont à cet égard préoccupées. Mais cela dit, nous avons
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Est-ce que ça veut dire que le gouvernement aurait du davantage ou peut-être le Président de la République et son ministre des Affaires étrangères, tenir compte, comme vous l'avez dit, des intérêts économiques de la France ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je ne pense pas qu'il devait le faire, je pense qu'il doit reconnaître que n'ayant pas pris en cause du tout les aspects économiques, il y a aujourd'hui une situation qui est délicate, et donc les efforts pour réchauffer la relation avec les Etats-Unis sont essentiels pour l'avenir de la position des entreprises françaises sur le marché américain et donc nous sommes heureux de constater qu'il y a actuellement de part et d'autre des efforts dans ce sens. Je pense en effet qu'il ne faut pas prendre en otages nos produits, nos yaourts, nos avions, nos bouteilles, nos parfums, quand il y a eu des divergences diplomatiques.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Vous vous souvenez, ou peut-être que vous l'avez relue, de la formule du général de Gaulle : la politique de la France, elle ne se fait pas à la corbeille, elle ne se fait ni à la corbeille ni dans les vins et les fromages. Hein ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, je suis entièrement d'accord et nous n'avons jamais prétendu, encore une fois, que les entrepreneurs pouvaient avoir de l'influence sur la diplomatie. Mais quand la diplomatie mène à des conséquences, il faut les reconnaître et les traiter.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Pour les chefs d'entreprise, vous prévoyez un manque à gagner ou une perte de combien ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : C'est extrêmement difficile à dire. Si vous voulez
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Vous sentez des tentations, des sanctions
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Nous avons bien le sentiment, si vous voulez, que tout ceci ne va pas dans le bon sens du développement de la présence des intérêts économiques français aux Etats-Unis. Je crois qu'il faut le reconnaître. Mais également reconnaître que nous avons bon espoir qu'avec de la bonne volonté des deux côtés, on effacera ça, mais pas si vite qu'on ne le dit.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Mais qu'est-ce que vous allez faire, vous le MEDEF ? Vous allez envoyer des patrons aux Etats-Unis pour vous expliquer, pour vous dire que la France ou les Français sont plus beaux qu'on ne le croit ou qu'en tout cas, on le dit de New-York à la Californie ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Le MEDEF ne peut rien faire en tant que tel. Mais les entrepreneurs français, bien entendu, sont attentifs à multiplier avec leurs fournisseurs, avec leurs partenaires, leurs salariés aux Etats-Unis, etc, des relations de façon à expliquer qu'entre la France et les Etats-Unis, l'amitié, c'est tout de même ce qui restera.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Le MEDEF, est-ce qu'il travaille sur la part qu'il demande ou veut prendre dans la reconstruction de l'Irak ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui, alors, nous avons, bien entendu dit aux entreprises françaises : n'ayez aucun complexe, présentez-vous et préparez-vous pour participer, comme tous les pays du monde, toutes les entreprises de tous les pays du monde, à la reconstruction de l'Irak. Il n'y a strictement aucun handicap pour vous et donc, allez-y, et nous nous organisons d'ailleurs pour les aider à le faire.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Eh bien je vois que vous avez retrouvé votre moral, votre énergie, votre voix, monsieur le président du MEDEF.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, ma voie, V O I E, je ne l'ai jamais perdue.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Oui. Vous reconnaissez que la voix, V O I X, vous l'aviez un peu perdue.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Voilà, mais je l'ai retrouvée. Merci.
JEAN-PIERRE ELKABBACH : Merci à vous.
(Source http://www.medef.fr, le 29 avril 2003)