Texte intégral
Je suis très heureux, Monsieur le Président, d'être parmi vous aujourd'hui pour le 81éme Congrès de votre fédération, fondée si je ne me trompe pas en 1908... : c'est ainsi presque un siècle de savoir-faire, de technique, de progrès et d'organisation qui vous rassemblent ici, à Chambéry où vous me permettez cet après-midi d'allier le plaisir de participer à vos travaux et de retrouver ma région.
Ici, comme dans d'autres régions telles que la vôtre Président, la culture du tabac joue un rôle important pour le territoire, l'économie, et l'équilibre de l'agriculture ou plutôt des agricultures : bien souvent, cette production assure la pérennité des exploitations concernées, qui se situent dans des zones où le tabac ne peut être remplacé par des cultures céréalières, pour des contraintes de structures, ni par d'autres cultures spécialisées, comme les fruits et légumes, dont l'équilibre ténu trouve une utile diversification dans vos productions.
Plus encore que dans d'autres secteurs, l'intensité de main d'oeuvre de vos exploitations et de l'industrie de transformation leur font jouer un rôle éminent dans le maintien de l'activité et de l'emploi.
Grandes utilisatrices de main d'oeuvre, vos exploitations sont bien entendu très sensibles à la charge qu'elle représente dans vos coûts de production. A cet égard, vous estimez, avez-vous dit, que ces charges restent de loin les plus élevées parmi celles supportées par vos collègues producteurs des autres pays européens.
S'agissant de l'harmonisation du coût du travail, je voudrais souligner que les comparaisons intracommunautaires sont toujours délicates car le coût du travail résulte de nombreux paramètres variables d'un pays à l'autre et pas toujours très simples à appréhender.
Ceci étant dit, le Gouvernement ne reste pas pour autant inactif car le coût du travail, en particulier pour les bas salaires, demeure un élément clé de la compétitivité des entreprises et donc de l'emploi.
Sur ce point, qui constitue une vraie priorité, le gouvernement a déjà avancé des éléments de réponse tangibles.
S'agissant des coûts de la main-d'oeuvre, divers dispositifs visent à alléger les charges sociales des employeurs de main-d'oeuvre, dont certains sont spécifiques aux exploitants agricoles.
Pour les salariés permanents, les entreprises et les exploitants agricoles bénéficient déjà de la " réduction bas salaires ", ainsi que de l'allègement dégressif des cotisations patronales de sécurité sociale pour les 35 heures.
Par ailleurs, la loi du 17 janvier dernier sur les salaires, le temps de travail et le développement de l'emploi a prévu de fusionner progressivement la réduction dégressive sur les bas salaires et l'allègement 35 heures pour parvenir, à une exonération unique qui sera totale à 1 SMIC et dégressive jusqu'à 1,7 SMIC. Le maintien de cet allègement est désormais compatible avec l'accomplissement d'heures supplémentaires, ce qui est très favorable au secteur.
S'agissant des travailleurs occasionnels, des efforts importants ont été engagés en réduisant de plus de 23 millions d'euros par an les cotisations sociales pesant sur ces emplois. L'ensemble de la rémunération, y compris les heures supplémentaires, bénéficie de cet abattement, ce qui est évidemment favorable à votre secteur.
Par ailleurs, vous avez souligné la situation budgétaire extrêmement tendue dans la quelle nous devons collectivement nous inscrire. Le poids des factures impayées et des engagements passés que j'ai découvert à mon arrivée, ont fortement contraint la préparation du budget 2003 et notamment celui des offices, dont l'ONIFLHOR.
Mais quoi qu'il en soit, au-delà des contraintes du budget primitif de l'office, j'ai demandé à mes services d'expertiser tous les moyens qui peuvent être mobilisés en faveur du secteur du tabac, afin de répondre aux besoins les plus pressants. Je pense en particulier aux Contrats de plan Etat-Région, aux CAD ou encore au PDRN, même si la négociation de ce plan global, comme vous le savez, est toujours très déséquilibrée entre les Etats membres et la Commission.
D'autre part, vous avez évoqué les problèmes phytosanitaires que vous rencontrez sur vos exploitations en soulignant l'importance des homologations relatives à des usages mineurs. Je n'ignore pas l'impact économique que peuvent entraîner ces maladies. Vous avez donc besoin de produits phytosanitaires pour protéger vos cultures, des produits sûrs pour vous-même, pour les consommateurs et l'environnement.
C'est avec le souci de vous apporter ces réponses que dès 2002, un travail important a été réalisé avec l'ANITTA pour passer en revue les produits spécifiques pouvant couvrir potentiellement les besoins de votre secteur. Des demandes d'extension d'usage sont en examen. Je peux vous dire, d'ores et déjà, que plusieurs produits recevront une homologation au plus tard en juin prochain.
Il s'agit là d'une première avancée. Mes services resteront attentifs à ce que les autres demandes en cours soient examinées le plus rapidement possible par les commissions ad hoc dès lors que industries agro-chimiques auront finalisé les dossiers.
Charges de main d'oeuvre, fortes spécificités et exigences phytosanitaires, autant de contraintes qui ne vous ont pas empêché de progresser et de valoriser les atouts qui sont les vôtres en tirant le meilleur parti des outils mis en place par les dispositions communautaires.
Je pense bien sûr aux deux principes essentiels qui régissent le fonctionnement de cette OCM, appliquée dans sa nouvelle formule depuis 1999, c'est-à-dire la modulation de la prime au kg de tabac livré en fonction de la qualité des tabacs et une plus grande flexibilité dans la gestion des quotas de production.
Aujourd'hui, avec le recul de ces trois années de mise en uvre de cette nouvelle OCM, je crois que tout le monde sera d'accord pour reconnaître que la production française a pleinement su tirer parti de ces nouvelles règles du jeu pour améliorer la qualité et la valeur commerciale du tabac produit afin de satisfaire les besoins du marché.
Car si la modulation de la prime en fonction de la qualité a pu constituer une vraie contrainte pour certains pays producteurs, elle n'a en revanche posé aucun problème à la production française. Et pour cause ! La politique de qualité menée depuis vingt ans par votre secteur s'inscrivait d'emblée dans cette stratégie. Ce qui était un pari au début des années 80 est ainsi devenu une réussite.
Concernant la gestion des quotas de production, les efforts déployés par les planteurs français pour s'adapter à la demande du marché sont aujourd'hui traduits dans la réalité des chiffres : la part des tabacs blonds représente plus de 70% de la production totale française et aucun quota ne remonte à Bruxelles.
C'est à l'initiative de vos organisations, et avec le soutien sans faille des pouvoirs publics, que cette importante évolution a pu être réalisée.
Or, en 2002, le Conseil des ministres de l'agriculture a fixé le niveau des primes et des quotas pour une nouvelle période de trois récoltes. Or, si le niveau des primes en soi reste inchangé, vous savez toutefois qu'elles seront mécaniquement réduites par l'augmentation en 2003 de la retenue pour le fonds communautaire du tabac.
Personne, je crois, ne se fait d'illusion sur les positions qui se cachent derrière ces chiffres, puisque dès le sommet européen de Göteborg du 15 mai 2001, la déclaration de la Commission relative au développement durable visait explicitement l'OCM Tabac et recommandait une suppression progressive des aides.
Parallèlement cheminait alors la proposition de règlement Conseil sur les récoltes 2002, 2003, 2004 où la Commission, dès le 5é considérant réitérait sa proposition de démantèlement des aides tabac.
Le sommet n'a finalement pas validé le document de la Commission, ce qui a permis aux délégations de faire supprimer la référence en cause. Concernant la proposition de règlement Conseil, le Parlement européen s'est également prononcé contre cette suppression et a aboutit à un vote du Conseil abolissant la notion de suppression des aides. Comme quoi la Commission ne fait pas toujours ce qu'elle veut....
Mais si ces épisodes se sont finalement conclus en notre faveur, ils doivent être gardés en mémoire et justifient en tout cas notre extrême vigilance : la Commission ne semble pas avoir abandonné son idée, loin s'en faut.
Elle a d'ailleurs récidivé à l'automne 2002 en présentant un projet de règlement destiné à augmenter substantiellement le niveau de la compensation financière offerte aux producteurs souhaitant quitter le secteur, ce qui aurait pour conséquence d'interdire le rachat des quotas ainsi libérés par des producteurs désireux de développer leur activité.
Je sais qu'en amont, mes équipes avaient examiné avec vous le détail et les implications de ces propositions ce qui a permis à notre délégation, appuyée par les autres Etats membres producteurs, de plaider efficacement ce dossier et d'imposer à la Commission de revoir sa proposition à la baisse.
Il faut cependant rester vigilant : les demandes de sortie du secteur effectuées depuis lors n'ont pas été à la hauteur des espérances de la Commission ce qui pourrait l'inciter à revenir une nouvelle fois sur ce projet.
La vigilance est d'ailleurs de mise d'une manière générale sur les sujets communautaires :
Les primes et les quotas sont fixés jusqu'en 2004 et les propositions FISCHLER, à ce stade, ne prévoient rien d'immédiat pour le tabac.
Or, une éventuelle disparition des aides générerait par effet mécanique un accroissement des importations de tabacs, souvent de qualité plus médiocre, en provenance de pays tiers, et aurait donc un impact nul sur la consommation globale de tabac dans l'Union européenne, sans incidence sur la santé publique.
En outre, le risque serait alors fort de déstabiliser d'autres filières comme les fruits et légumes, voyant arriver une production supplémentaire importante, de provoquer des suppressions d'emplois et de mettre gravement en danger la pérennité d'exploitations pour lesquelles la production tabacole présente un impact modeste en surface mais essentiel dans le chiffre d'affaires.
Enfin dernier, mais non moindre, sujet : la revue à mi-parcours.
Et même si la proposition de la commission en matière de découplage ne concerne pas le secteur du tabac, je crois que l'expérience nous a appris, à vous comme à moi, à être prudents et attentifs vis à vis de la Commission. D'ailleurs, elle ne cache pas les différents scenarii qu'elle envisage pour votre secteur, vous l'avez souligné vous-même tout à l'heure.
Et s'agissant de la proposition de découplage telle qu'elle est formulée aujourd'hui dans la revue à mi-parcours, je crois, Monsieur le Président, que vous avez bien résumé la situation en parlant d'une vraie provocation.
Comment qualifier autrement une mesure qui, si elle était appliquée, ferait disparaître une filière et tous les emplois qu'elle représente ?
Il est évident qu'une aide versée à la surface historiquement basée sur le montant des aides au tabac et découplée de cette production aboutirait à court terme à des conversions vers d'autres spéculations, ce qui anéantirait les efforts de toute une filière en déstabilisant l'ensemble du système coopératif et de transformation.
Alors que vous avez entrepris des efforts importants pour améliorer la qualité, on viendrait vous expliquer qu'on vous fait disparaître au nom de la lutte contre le productivisme ! ce " fameux " productivisme devrais-je dire....
Cette proposition est inacceptable. Je l'ai dit au Conseil des Ministres de l'agriculture à Bruxelles, avec le soutien de 10 autres pays. La France n'est donc pas isolée dans son refus de cette proposition.
S'agissant de la modulation, je voudrais rappeler que celle mise en place par le précédent gouvernement, dite modulation nationale optionnelle, était une usine à gaz que j'ai suspendue dès mon arrivée, tant ce mécanisme était ingérable. Et j'ai veillé à en éliminer, vous êtes bien placés pour le savoir, les injustices les plus criantes...
Je ne suis bien évidemment pas hostile au développement rural que cette modulation était censée alimenter, bien au contraire. L'expérience a malheureusement montré qu'entre l'intention affichée et la réalité - car les faits sont têtus - il y avait un véritable gouffre.
La Commission nous propose aujourd'hui, dans le cadre de la revue à mi-parcours de la PAC, de réformer la politique de développement rural, qui ne fonctionne pas. C'est une nécessité. Dès mon arrivée, j'ai demandé que cette politique soit moins bureaucratique, moins centralisée, pour que l'on n'ait pas l'obligation de faire remonter à Bruxelles des problèmes qui pourraient être réglés localement, au plus près des réalités du terrain, et qu'on puisse financer un plus grand nombre de mesures que ce n'était le cas jusqu'à présent.
Qu'on ne vienne donc pas dire que je suis contre le développement rural.
La Commission nous propose de dégager des moyens supplémentaires pour le développement rural par un prélèvement sur les aides de marché, en d'autres termes sur le premier pilier de la PAC, et ce pour tous les pays européens. Les moyens supplémentaires ainsi dégagés seraient redistribués entre les pays suivant une logique de cohésion.
Cette proposition n'est pas acceptable en l'état.
D'abord parce qu'on ne peut pas mettre la charrue avant les boeufs.
Comment pourrait-on décider d'accorder des moyens supplémentaires à une politique qui, aujourd'hui, ne fonctionne pas ? Il faut donc d'abord s'entendre sur les moyens de la réformer intelligemment.
Ensuite parce qu'il ne faut pas que le renforcement du développement rural soit le prétexte à un affaiblissement du premier pilier de la PAC, dont le budget a été fixé jusqu'en 2013 par les Chefs d'Etat et de Gouvernement en octobre dernier à Bruxelles. Un renforcement des moyens du développement rural ne pourrait en tout état de cause s'envisager que dans des proportions très modestes.
Enfin parce qu'il n'est pas question de tout mélanger, et de transformer la politique de développement rural en politique de cohésion. Chacune de ces politiques a ses instruments et ses moyens propres, et cela ne doit pas être remis en cause.
Vous l'aurez compris, il y a beaucoup de " si " et beaucoup de " mais " à un renforcement des moyens du développement rural, qui ne pourrait s'envisager que dans le cadre d'un paquet global satisfaisant. Il est aujourd'hui beaucoup trop tôt pour pouvoir s'engager dans cette direction.
Quant à la proposition de dégressivité des aides, c'est-à-dire d'économies budgétaires pour financer des baisses de prix supplémentaires par rapport à ce qui a été décidé à Berlin, notamment dans le secteur du lait, j'y suis fermement opposé.
Ici encore, nous sommes confrontés à une proposition idéologique, fondée sur le mythe d'un prix mondial assurant le bien-être de l'humanité, alors que ce prix ne reflète ni un équilibre économique, ni un équilibre social, ni un équilibre environnemental.
La France n'est pas la seule, loin de là, à dire que rien ne justifie dans les conditions de marché les baisses de prix supplémentaires que nous propose la Commission.
Voilà, Monsieur le Président, les grands principes qui guideront mon action face aux ambitions que nourrit la Commission pour réformer ou plutôt révolutionner les différents secteurs de notre agriculture.
Voilà les convictions qui m'animeront pour défendre ce modèle agricole auquel chacun de nous est attaché.
Voilà ce qui fonde ma détermination pour que soit préservée cette agriculture humaine, diversifiée et souvent familiale que vous représentez tous.
Votre secteur, comme les autres, fait partie de cet équilibre de nos agricultures, de nos territoires et de nos économies locales et doit être défendu avec la même ardeur, même si à Bruxelles ou ailleurs, certains feignent de croire que le fumeur européen éteindra sa cigarette lorsque le dernier hectare de tabac aura disparu de nos campagnes françaises, italiennes ou grecques.
Cela étant, si la santé publique est l'affaire de tous, votre activité vous confère un rôle tout particulier dans la lutte contre le cancer dont le Président de la République vient de faire une priorité nationale.
Je sais, vous nous l'avez dit, que vous êtes à la fois conscients de cette responsabilité et prêts à l'assumer pleinement comme des partenaires à part entière de cette politique ambitieuse.
Je sais que vous en avez compris les enjeux et que vous saurez y trouver la place naturelle qui doit être la vôtre dans cette initiative forte pour la santé de nos concitoyens et de nos enfants.
(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 4 avril 2003)