Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à "RTL" le 31 mars 2003, sur la nécessité d'une Europe politique, sur les slogans ambigus dans les manifestations contre la guerre en Irak, sur la politique économique et sociale du gouvernement.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral


R. Elkrief La guerre est loin d'être terminée. Néanmoins, des manoeuvres, des discussions, des préparatifs, des prises de contact commencent, pour préparer l'après-guerre. Dans quel sens cela doit-il aller pour la France ?
- "C'est vrai que nous sommes d'abord devant un conflit dur, et qui dure. Dur, parce que la guerre - comme on l'avait laissé entendre depuis plusieurs semaines, voire depuis plusieurs mois - ne pouvait pas être une promenade, comme l'avaient imaginé George Bush et ses conseillers. Et un conflit qui dure, parce que ça va prendre des semaines. A partir de là, il faut préparer une sortie le plus rapidement possible vers l'ONU - et ça ne peut être que vers l'ONU -, et ensuite, il faut qu'il y ait un système d'après-guerre de sécurité collective, qui doit reposer sur deux piliers essentiels : les institutions internationales, l'ONU qui doit être renforcé et non pas affaibli ; et ensuite l'Europe. Parce qu'il ne peut y avoir une ONU forte que s'il y a une Europe politique."
L'Europe, avec les Anglais ou sans les Anglais ?
- "Avec ceux qui voudront avancer plus vite et plus loin. Aujourd'hui, reconnaissons-le, les Anglais ont pris une responsabilité, parce qu'ils sont allés ailleurs, et finalement moins vite."
Mais faut-il essayer de les ramener avec nous ou pas ?
- "Je pense qu'il faut leur poser une question de confiance. Cela vaut pour les Anglais comme pour d'autres, les Anglais ayant une part plus importante, compte tenu de leur présence et de leurs forces militaires. Mais je pense qu'on ne peux plus rester dans la tergiversation, dans l'hésitation. Il faut aller vers l'Europe de la défense, il faut aller vers l'Europe politique, mais avec une règle qui est difficile à faire entendre, mais qui est indispensable : c'est la règle de la majorité qualifiée. Parce que si on avait eu cette règle, d'abord les Anglais n'auraient pas pu la transgresser et seraient restés dans la position européenne. S'il n'y a pas de règle, c'est-à-dire si vous avez une Europe de la défense - ce qui serait déjà un premier pas - avec des forces militaires intégrées, avec une agence pour les armements, mais que chaque pays constituant cette Europe de la défense peut faire prévaloir une autre alliance, ou peut faire prévaloir une autre opinion, alors vous n'avez pas d'Europe."
Avec cette règle, la France ne pourrait pas non plus utiliser le droit de veto ?
- "Il faut aller dans les deux sens : une Europe politique, avec ceux qui le voudront, mais au-delà des Quinze et des vingt-cinq demain, c'est-à-dire à sept ou huit. Je suis favorable à une Europe beaucoup plus intégrée, ce qu'on appelle une "Europe d'avant-garde", qui met en solidarité à la fois des principes de politique étrangère, et des principes de défense. Si on ne va pas dans ce sens, alors on aura la prédominance d'une autre alliance, l'alliance atlantique, c'est-à-dire avec les Etats-Unis. J'espère pas avec cette administration, mais même si c'était encore cette administration ou si c'était une autre, il y aurait là comme une tentation toujours présente de faire prévaloir un autre intérêt que l'intérêt européen. Il faut que l'Europe sorte de ce conflit, puisque c'en est un, conflit dans lequel elle n'a pas pu jouer tout à fait son rôle, puisqu'elle n'a pas pu l'empêcher, sorte renforcée. Cela ne peut se faire que sur une double base : politique et défense."
Parlons un petit peu du climat dans les manifestations. Samedi une manifestation, beaucoup de mises en garde, y compris par exemple de l'écologiste Aurélie Filipetti, la Verte de Paris, qui dit que "la gauche a fait l'autruche dans cette affaire" : elle a laissé faire des dérapages, elle a laissé faire des amalgames. Vous faites le ménage, comme les autres?
- "Non, moi je n'ai pas besoin de faire le ménage. Que les Verts puissent se poser cette question, c'est leur affaire. Mais le Parti socialiste en tout cas n'a jamais toléré, et ne tolérera jamais des actes ambigus ou des amalgames entre ce qui se passe en Irak ou ce qui peut se passer au Proche-Orient, en Palestine. Nous devons avoir des positions sur le sujet de la Palestine, et nous les connaissons : Etat palestinien, sécurité pour l'Etat d'Israël. Mais nous n'avons pas à faire d'amalgame. Donc que ceux qui ont pu avoir des confusions fassent aujourd'hui..."
Vous ne vous sentez pas concerné ?
- "Dans les manifestations, si. Dès lors que nous sommes organisateurs de manifestations, et qu'il y a des groupes ou des individus qui se promènent avec des badges Saddam Hussein, ou qui lancent des slogans, ou pire encore brûlent des drapeaux, je dis là que nous ne pouvons pas le tolérer, nous le condamnons et ces gens-là n'ont rien à faire dans les manifestations. On ne peut pas faire une manifestation pour la paix et avoir des cris de haine ! Donc nous devons, les uns et les autres, dans les collectifs auxquels nous appartenons, lorsque nous participons à des manifestations, être d'une clarté absolue. Et le Parti socialiste l'a toujours été. Il n'a jamais toléré le moindre amalgame, la moindre confusion."
Parlons aussi évidemment de la situation économique et sociale en France. C'est quand même très difficile pour vous de vous faire entendre dans ce contexte : J. Chirac au sommet de la popularité, une situation économique qu'on présente comme due à la guerre, comme un dommage collatéral de la guerre. Pas facile tout de même!
- "Pas facile, si on reste sur des simplismes ! D'abord, la situation économique est, hélas, très difficile depuis plusieurs mois et elle n'est pas due à la guerre. La guerre n'est commencée que depuis, hélas, quelques jours. Donc, il y a là un constat à faire. Je vais vous poser une question : où est passé le gouvernement de J.-P. Raffarin ? Alors, vous parlez de la popularité de J. Chirac. C'est un fait, parce que la France a pris la position qu'il fallait prendre. Nous l'y avons incité..."
C'est grâce à vous ?!
- "Non, mais je pense qu'il y a eu une position qui a été la plus unanime possible, et je ne vais pas m'en plaindre, puisqu'elle a renforcé la démarche de la France. Elle n'a pas été suffisante, mais je ne vais pas m'en plaindre. Très bien. Mais il y a une situation économique qui est depuis longtemps installée, des choix qui ont été faits, qui se sont révélés malencontreux. Quand on baisse l'impôt sur le revenu et qu'il n'y a aucun effet sur la consommation et que F. Mer lui-même vient de dire, alors que c'est quand même le gouvernement de J.-P. Raffarin qui l'a décidée, que cela n'a eu aucun impact sur la croissance, c'est un problème ! Alors, je vous pose la question : où est passé le gouvernement de J.-P. Raffarin ? Parce que ses choix se sont révélés infructueux. Il y a maintenant regain du chômage, regain d'inflation, déficits publics et sociaux considérables. Savez-vous qu'il va y avoir seize milliards d'euros, à la fin de l'année, de déficit de la sécurité sociale et on n'entend pas le gouvernement, sauf pour nous dire qu'il y aura peut-être une hausse de CSG mais c'est pas sûr, qu'il y aura peut-être une hausse de cotisations sociales mais c'est pas sûr, qu'il y a peut-être des remboursements... Nous avons aujourd'hui un gouvernement qui suit, un gouvernement qui hésite, un gouvernement qui ne donne aucune visibilité par rapport à l'avenir. Alors oui, l'opposition, elle, va se faire entendre, parce que même si on est dans une période de difficultés internationales, la moindre des choses est quand même de dire la vérité aux Français ! nous allons y contribuer."
Je relève au passage que la Commission européenne, par exemple sur le déficit français, estime que ces déficits ont commencé depuis 1999, donc que L. Jospin a joué à la cigale et que ça s'est poursuivi par la suite...
- "Je suis désolé, mais ce n'est pas ce que dit la Commission européenne. La Commission européenne dit qu'il y a eu une résorption continue des déficits publics et sociaux, puisqu'il y a avait un équilibre, voire même un excédent de la sécurité sociale, jusqu'à l'année 2000 et que l'année 2000, la croissance s'est ralentie, que le gouvernement a continué à maîtriser les dépenses - insuffisamment - mais que c'est - et elle le précise bien - en 2002 que les déficits se creusent, que les dépenses continuent, voire même progressent..."
Donc, c'est la faute du Gouvernement ?
- "Mais bien sûr ! je ne le dis pas par souci de m'opposer, je le dis parce que c'est un fait. Et que ce fait mérite d'être reconnu, mérite d'être sanctionné."
Puisqu'on est dans un contexte de congrès du Parti socialiste, en pleine bataille intérieure, dans votre motion qui est signée par 27 ministres de L. Jospin, un des points forts, c'est les 35 heures pour tout le monde. C'est censé "résoudre la situation économique", alors que cela a été très contesté ?
- "Ce que je constate, c'est que le gouvernement est en place depuis près d'un an. Il a démoli les emplois jeunes, les 35 heures, il a suspendu la loi de modernisation sociale, il a suspendu toutes les mesures d'insertion que nous avions nous-mêmes créées. Le résultat, il est là : le chômage a augmenté considérablement au mois de février, et cela fait maintenant six mois. Alors si vous pensez - en tout cas nous, nous le pensons pas - que ce sont les mesures de Jospin qui sont à l'origine du chômage d'aujourd'hui, je vous dis "non". Ce qui est en cause, c'est qu'on a supprimé les mesures d'incitation à l'emploi que nous avions mises en place. Le résultat il est là : le chômage, le chômage, le chômage."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 2 avril 2003)