Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur l'approfondissement et l'élargissement de L'Union européenne et sur la nécessité d'améliorer les relations Etats-Unis - Europe, Washington le 14 mai 1998.

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Circonstance : Débat organisé par "The European Institute", à Washington le 14 mai 1998

Texte intégral

Je tiens, avant tout, à remercier les organisateurs de ce débat, mais vous aussi, Mesdames et Messieurs, qui me faites l'honneur d'y participer. En tant que ministre chargé des Affaires européennes dans le gouvernement français, cette tribune m'est particulièrement utile pour expliquer à nos amis américains quelle est l'ambition de la France pour l'Europe et, plus largement, quelle est l'ambition de l'Europe dans un monde global.
J'espère y parvenir, mais comme vous le savez, expliquer l'Europe est un authentique défi, du moins si j'en crois Madeleine Albright. N'a-t-elle pas dit en effet - j'ignore si c'est vrai mais, en tout cas, c'est bien trouvé - que "pour comprendre l'Europe, il faut être génial ou français"? Je vais me revendiquer d'une de ces deux qualités, celle que personne ne me contestera, pour tenter cette présentation.
L'Union européenne est à la veille d'échéances très importantes : d'une part, le passage à la monnaie unique, l'euro, le 1er janvier 1999, pour onze pays européens ; d'autre part, l'élargissement de l'Union à 10 pays d'Europe centrale et orientale ainsi qu'à Chypre. Nous sommes bien au-delà des simples engagements : le passage à l'euro est désormais une certitude politique et les négociations d'adhésion ont été ouvertes le 31 mars dernier avec une première série de 6 candidats.
L'Europe fait ainsi le double choix de son approfondissement et de son élargissement.
Pour nous, Français, membres fondateurs de la Communauté européenne en 1957, l'approfondissement de l'Union a un sens politique très fort : l'euro est, d'une certaine façon, l'aboutissement de plus de 40 ans de construction européenne ; il est aussi, j'en suis convaincu, une étape fondamentale vers une Union politique plus étroite entre les Etats membres de l'Union et vers une unité plus profonde des Européens eux-mêmes. C'est cet objectif que je souhaite illustrer ici, en tentant de montrer ses incidences sur la relation transatlantique.
I. Approfondissement et élargissement de l'Union
Première donnée fondamentale: le passage à la monnaie unique. Le Conseil européen, c'est-à-dire les chefs d'Etat et de gouvernement des quinze Etats membres de l'Union européenne, se sont réunis les 2 et 3 mai derniers. Ils ont décidé que onze pays étaient qualifiés pour faire partie de la zone euro, à partir du 1er janvier 1999; ils ont également désigné le président de la future Banque centrale européenne, le Néerlandais Wim Duisenberg, et celui qui lui succédera, Jean-Claude Trichet, l'actuel gouverneur de la Banque de France.
En termes purement monétaires, l'essentiel est donc fait. La date du 1er janvier prochain aura donc essentiellement une portée juridique, symbolique et pratique. Nous aurons alors trois ans pour concrétiser le passage à la monnaie unique. C'est en effet à partir du 1er janvier 2002 que les monnaies de ces onze pays auront disparu pour laisser la place à l'euro, mais dès le 1er janvier prochain, les différentes monnaies nationales ne seront légalement que des subdivisions particulières de l'euro.
Bien entendu, les débats ne sont pas clos, y compris dans votre pays. Les universitaires américains continuent de s'interroger sur les incidences économiques et financières de l'euro, sur sa viabilité à long terme. Deux articles récents symbolisent ici la vigueur de ce débat.
Le premier, intitulé "L'UEM et les conflits internationaux" et publié par la revue Foreign Affairs (novembre-décembre 1997) est signé du célèbre professeur d'économie de l'Université de Harvard, Martin Feldstein.
Pour cet économiste, l'euro va conduire à une exacerbation des oppositions à l'intérieur de l'Europe d'abord, entre Français et Allemands en particulier, entre l'Europe et le reste du monde ensuite. Pour lui, les pays européens seront inévitablement conduits, pour préserver leurs politiques sociales, à se protéger par la reconstitution des barrières douanières.
Le second article, publié par le Wall Street Journal, est écrit par Robert Mundell, un autre grand économiste de l'Université de Columbia, père de la théorie des "zones monétaires optimales". Ce dernier soutient la thèse rigoureusement opposée, en expliquant que l'euro est certes un facteur de stabilisation monétaire, mais aussi économique et politique, bref, un facteur de prospérité et de paix.
Vous comprendrez aisément que je ne peux souscrire aux thèses de M. Feldstein. S'il est probable que l'euro incitera à une certaine harmonisation des politiques fiscale et sociale, il est cependant tout à fait impossible que l'Union, qui est le plus grand marché dans le monde et le plus gros importateur, bascule dans le protectionnisme. J'observe, à cet égard, que l'Administration américaine exclut elle-même un tel risque. Comme le soulignait le président Clinton, le 3 mai, en saluant le passage à l'euro : "Une Europe forte et stable, avec des marchés ouverts et une croissance soutenue, est bonne pour l'Amérique et pour le monde".
Je me rallie, en revanche, aux thèses de M. Mundell, qui voit dans l'euro un événement d'une ampleur inédite dans l'histoire monétaire, qu'il compare à la montée en puissance du dollar aux dépens de la livre sterling au début de ce siècle.
Cet économiste conclut son étude ainsi : "Une Union monétaire bien gérée, comprenant la plupart des pays membres de l'Union européenne aujourd'hui, l'essentiel des nations européennes demain, apportera un bénéfice considérable pour les peuples d'Europe, mais aussi pour les peuples du reste du monde, les Américains en particulier".
Le débat sur les incidences économiques de l'euro est donc loin d'être clos sur les deux rivages de l'Atlantique. Mais le débat idéologique, quant à lui, est terminé en Europe. Avec onze pays, l'euro est constitué sur une base large. D'autres pays, le Royaume-Uni, la Suède et le Danemark, qui n'ont pas voulu nous rejoindre aussi tôt, adhéreront à la monnaie unique dans les prochaines années.
C'est une donnée fondamentale pour les Européens : l'euro va créer les conditions d'une croissance saine et durable et s'imposera rapidement comme une monnaie de réserve à l'échelle internationale. Cette évolution ne pourra que bénéficier au système monétaire international qui repose, sans doute excessivement, sur le dollar. Le Système monétaire international pourra trouver un réel équilibre, fondé sur les réalités économiques et monétaires enfin mises en concordance.
Deuxième donnée fondamentale: l'élargissement de l'Union européenne. L'Union compte quinze membres, dans quelques années, elle en aura 20, 25 ou plus. Comme je vous le disais, les négociations d'adhésion ont commencé il y a quelques semaines. Nul ne peut bien sûr prévoir à quelle date elles se termineront mais une chose est sûre: au terme de l'adhésion de ces onze pays, l'Union européenne comptera 470 millions d'habitants, dont 100 millions d'habitants issus des futurs adhérents. Sachant que le PIB actuel des onze candidats est inférieur à celui des Pays-Bas, vous imaginez facilement le potentiel de croissance de cette région.
D'ailleurs, ces pays qui, il y a quelques années, vivaient dans un régime d'économie dirigée, ont entrepris des efforts très importants de restructuration et de modernisation. Il leur faudra bien sûr plusieurs années avant l'adhésion, mais d'ores et déjà leur intérêt rejoint le nôtre.
Quels que soient la durée des transitions nécessaires et le coût financier de celles-ci, l'important pour l'Union, pour la France en particulier, était d'afficher une direction, un objectif. C'est désormais chose faite.
Bien entendu, je présume que certains parmi vous continuent d'entretenir des doutes sur la viabilité du projet européen, tel que je viens de le résumer. Je dirai ceci : il est vrai qu'il y a, dans le monde, une course à la constitution d'ensembles plus ou moins intégrés, en Amérique du Nord bien sûr (avec l'ALENA mais aussi le projet de zone de libre-échange à la dimension du continent américain), en Asie (avec l'ASEAN), en Amérique latine (avec le Mercosur), en Afrique aussi...
C'est un des effets de la globalisation. Mais le projet européen va bien au-delà de la seule dimension marchande. Si nous avons choisi l'élargissement, c'est parce que nous pensons que la responsabilité historique des Européens est de réaliser l'unité du continent et que l'Union européenne pourra ainsi mieux exprimer ses intérêts, son modèle, sa culture, ses valeurs, bref son identité dans un monde multipolaire.
Bien entendu, beaucoup reste à faire afin de faire vivre l'Europe à venir : il faut notamment adapter les institutions européennes, réformer les politiques communes, et notamment la politique agricole, mais il y a un consensus en Europe pour assurer la pérennité de ces politiques et éviter que l'Union ne se réduise, à l'avenir, à une simple zone de libre-échange. Cette Europe-puissance, dotée d'une identité forte, sera ouverte sur le monde et, en particulier, dans le respect de l'autonomie de chacun, vers les Etats-Unis d'Amérique.
II. Où en est la relation entre l'Europe et les Etats-Unis d'Amérique ?
Les relations entre les Etats membres de l'Union et les Etats-Unis d'Amérique sont anciennes, solides, diverses, en particulier avec la France. Je voudrais rappeler que la France est l'allié le plus ancien des Etats-Unis et que, chaque fois, dans tous les moments importants de l'histoire, nous avons toujours, nos deux républiques ont toujours été du même côté.
Ainsi, ces relations sont bien plus que des relations d'Etat à Etat : pour ne prendre que l'exemple des relations franco-américaines, 70 000 résidents américains travaillent en France ; 500 000 emplois dépendent, aux Etats-Unis, des investissements directs français. Ce sont des signes visibles d'une solidarité vivante qui s'ajoute aux liens culturels et historiques enracinés dans une longue histoire commune. Ces liens, ce sont aujourd'hui, pour une grande part, les sociétés civiles qui les tissent. Ce sont les mondes des affaires, de l'université, de la recherche scientifique, de la création artistique, qui les développent et les entretiennent.
Pour ce qui est des relations entre les économies et les sociétés, les rapports entre l'Europe et les Etats-Unis n'ont jamais été aussi denses, ni aussi productifs.
Cependant, cette évolution n'est pas toujours comprise par les Américains qui hésitent à voir dans l'Union européenne un véritable partenaire.
Cela se comprend : les Etats-Unis sont habitués, parlons franchement, aux commodités d'un dialogue séparé avec chacun des pays européens, dialogue en apparence plus avantageux pour eux ; l'Europe est plutôt, dans cette relation, source de complication.
Elle avance à son rythme, avec ses progrès, ses temps morts, ses procédures particulières et souvent complexes, sa volonté de parler d'une seule voix sans parvenir toujours à faire entendre et sentir cette unité, je pense, par exemple, à sa politique commerciale mais aussi à sa Politique étrangère et de sécurité commune.
Derrière ce scepticisme, il y a, sans doute, aussi, une certaine ambivalence des Américains face au processus d'unification européenne. Ils souhaitent voir émerger un interlocuteur unique, sans doute. Mais ils ne veulent pas d'un concurrent, encore moins d'un rival. Nous vivons avec cette difficulté depuis 40 ans. Les nouveaux défis nés de la globalisation ne l'ont pas atténuée.
Le paradoxe veut au contraire que la disparition des frontières idéologiques, commerciales et technologiques, la facilité que nous avons aujourd'hui à échanger et à communiquer, n'éliminent pas mais stimulent plutôt les tendances au repli sur soi, réveillent la méfiance à l'égard du monde extérieur, et confortent, de part et d'autre de l'Atlantique, les préjugés existants.
Pour contrer ces tendances, il faut rappeler ce que la relation transatlantique a produit, en termes de paix, de prospérité, de solidarité de nos entreprises et de nos sociétés. Il faut surtout montrer ce que cette relation peut et doit encore produire. Il y a, pour cela, plusieurs voies.
- La première est celle proposée par la Commission européenne dans le cadre du "New Transatlantic Market", que les Etats membres ont écartée. Comme vous le savez peut-être, la France ne partageait pas les idées de M. Brittan, pour des raisons de fond que je résume ici :
* les contentieux en cours entre l'Union et les Etats-Unis sont nombreux : ils portent sur les lois extra-territoriales, les hormones, les bananes, les organismes génétiquement modifiés, bien d'autres encore ; il faut commencer par aider à leur règlement si nous voulons une relation transatlantique dynamique ;
* vous savez par ailleurs, depuis les dernières négociations de l'Uruguay Round, que l'Union européenne souhaite préserver son modèle, son identité. Parmi les facteurs constitutifs de cette identité figurent l'agriculture et l'audiovisuel, sujets dans lesquels les Etats-Unis ont, sans doute, des intérêts différents. Si nous nous querellons sur ce terrain, nous risquons de remettre en cause l'équilibre difficilement atteint.
Car la seconde manière d'agir - et la bonne - est la voie multilatérale. Nous avons créé ensemble une Organisation mondiale du Commerce qui garantit la poursuite de la libéralisation des échanges dans le cadre de règles du jeu fixées en commun et qui permet d'assurer, de façon équitable, le règlement des différends. On a bien vu, à Marrakech, puis à Singapour, que c'était l'action conjuguée des Etats-Unis et de l'Europe qui permettait les nouvelles avancées du commerce international.
Les négociations multilatérales vont reprendre à l'OMC dès la fin de 1999 : il nous semble utile que dès à présent l'Union et les Etats-Unis engagent une concertation étroite afin de bien préparer cette échéance. En tant que principales puissances économiques et commerciales, nous avons bien évidemment des responsabilités particulières pour organiser ces prochaines négociations.
Il doit en aller de même en ce qui concerne la monnaie.
Comme je le disais, je suis convaincu que l'avènement de la monnaie unique européenne, le 1er janvier 1999, créera, à côté du dollar, une monnaie dont le potentiel financier et commercial lui sera à peu près comparable. Je me réjouis que les Etats-Unis, qui ont pris récemment conscience de cette réalité, y répondent de façon positive. Américains et Européens seront, dans cette situation, conjointement responsables, plus que tout autre pays, de la bonne gestion du système monétaire international. Ils devront coopérer davantage.
Les Européens sont prêts à cette coopération dans le domaine commercial et monétaire pourvu qu'elle s'effectue dans le cadre multilatéral et dans le respect du principe qui veut que l'on ne décide pas pour autrui.
La franchise m'oblige à dire, à cet égard, que les Etats-Unis doivent savoir résister à la tentation de définir unilatéralement des règles de conduite et des sanctions qui s'imposent à leurs partenaires, sans que ceux-ci aient eu à en délibérer. Pour une démocratie qui s'est construite sur le principe "sans représentation, pas de taxation ", il doit être facile de comprendre que ce même principe, qui implique qu'aucune nation ne peut décider pour une autre, doit s'appliquer à la société internationale et tout particulièrement à la relation entre Etats-Unis et Europe.
Ceci m'amène à dire un mot sur l'une des principales pierres d'achoppement de la relation euro-atlantique à l'heure actuelle, je veux parler des lois extra-territoriales adoptées par le Congrès des Etats-Unis - lois Helms-Burton et loi d'Amato-Gilman - mais aussi au niveau de certains de ses Etats, tel le Massachussets. Cette utilisation de la politique commerciale à des fins de politique étrangère est une véritable pierre jetée dans le jardin de ceux qui, en Europe comme aux Etats-Unis et dans le reste du monde, ont oeuvré pour construire une Organisation mondiale du Commerce fondée sur des critères clairs et sur un mécanisme objectif de règlement des différends.
Et il est douteux que la relation transatlantique puisse durablement progresser si les Etats-Unis ne renoncent pas à ces pratiques contraires au droit international et à leur intérêt bien compris.
Qu'il s'agisse de l'application des sanctions internationales ou de la réforme de l'Organisation des Nations unies, ni les Etats-Unis, ni l'Europe n'ont, en effet, la possibilité réelle d'imposer durablement leurs vues à l'autre. L'efficacité des sanctions justifie elle-même un vrai débat, qui se développe chez vous, je le sais, comme chez nous. De même, l'ONU ne se réformera pas du jour au lendemain. Il n'y aura pas de réels progrès, dans ces matières complexes, sans un dialogue renouvelé entre nous.
Au-delà de ces problèmes actuels, les Etats-Unis et l'Europe doivent avoir une vision politique de leur relation.
III. L'avenir de notre relation : vers un "leadership partagé"?
Nous devons être capables de regarder au-delà de la dissymétrie actuelle entre une Europe encore mal assurée et des Etats-Unis laissés sans rivaux par la chute de l'Union Soviétique. Cette situation n'est confortable qu'en apparence pour les Etats-Unis et doit évoluer, dans votre intérêt, dans le nôtre et dans celui de notre relation commune.
Les Etats-Unis sont aujourd'hui dans une situation prédominante pour le règlement des problèmes politiques et stratégiques de la planète.
Cela s'est vérifié lors de l'élargissement de l'OTAN, processus positif que nous avons soutenu, mais qui a été très largement conduit y compris dans ses contours géographiques, par les Etats-Unis. Ceci se vérifie dans le processus de paix au Moyen-Orient dont le déblocage dépend de l'implication résolue des Etats-Unis. C'est de l'Amérique que dépend également l'équilibre stratégique en Extrême-Orient.
Nous pourrions multiplier les exemples. Mais nous savons aussi que le monopole n'est pas une bonne chose en soi : la concurrence des idées, des solutions, la conjonction de moyens divers, sont préférables à un monde où toutes les questions s'adressent à un seul.
On peut se demander, au reste, si cette situation sera tolérée, dans le long terme, par le public américain. Les Etats-Unis accepteront-ils de voir converger vers eux tous les problèmes du monde, et n'y aura-t-il pas, un jour, rejet de leur part si le monde extérieur continue à attendre d'eux la réponse à toutes ces questions ?
Du point de vue des Européens, cette situation n'est pas davantage supportable dans la durée. Elle ne correspond pas aux nécessités d'un monde dont l'organisation doit prendre en compte la diversité et s'appuyer sur un équilibre multipolaire. Elle est dangereuse à terme pour la relation transatlantique : le monopole américain risque de décourager les Européens de s'investir dans le domaine de la politique étrangère et de défense. Il risque de leur faire perdre le sens des responsabilités sur la scène du monde.
Une Europe de ce genre, fragmentée et repliée sur elle-même, ne serait pas, sur le long terme, le partenaire dont les Américains on besoin pour leur politique étrangère. Tôt ou tard, l'Amérique se détournerait d'une telle Europe et la relation transatlantique n'y résisterait pas.
Ce qu'il nous faut, c'est réfléchir ensemble à ce que l'Europe et les Etats-Unis peuvent s'apporter mutuellement pour régler leurs problèmes communs. Comment faire en sorte que les Américains et les Européens s'apportent les uns aux autres le meilleur de leurs traditions ?
Des Etats-Unis, les Européens doivent apprendre la capacité à s'engager, la résolution dans l'action ; des Européens, les Américains peuvent aussi tirer quelque inspiration : l'Union, avec son expérience unique d'intégration économique et politique, est aujourd'hui plus à même que beaucoup d'autres d'accepter et de gérer les interdépendances résultant de la mondialisation.
A cet égard, je ne peux que me féliciter de l'émergence d'une nouvelle donne dans les relations économiques et financières internationales. Je veux parler d'un débat qui, sans remettre en cause les vertus de la mondialisation, souligne aujourd'hui la nécessité d'introduire de nouvelles règles ou, plus exactement, de nouveaux codes de conduite entre les agents économiques et entre les Etats eux-mêmes.
Pour tout dire, il me semble que l'époque des grands spéculateurs et de la manipulation des taux d'intérêt et de change a vécu. Aujourd'hui, c'est George Soros qui dénonce les gains éhontés de la spéculation et invoque des remèdes. De même, les assises récentes du Fonds monétaire international ont défini les grandes orientations d'une réforme qui comportera des obligations de transparence, de responsabilisation des agents économiques et de bonne gestion des finances publiques.
Comme l'a souligné le Ministre qui a présidé les travaux du Comité intérimaire du FMI, le Belge M. Maystadt, "On ne remet pas en cause le marché, mais on dit qu'il ne peut plus être livré à lui-même. Beaucoup de mesures retenues par le Comité représentent une interférence de l'autorité publique qui était inconcevable voilà un an."
Le débat est aussi vieux que les marchés, nous le savons, mais il n'est pas aujourd'hui le fait de socio-démocrates ou de radicaux attardés. La mondialisation sécrète elle-même une évolution des esprits et des politiques.
Comme j'ai tenté de vous le démontrer, l'euro introduira un degré de stabilité supplémentaire dans les relations monétaires et financières internationales, dans le domaine de la concertation et de la négociation pour autant qu'on veuille s'en saisir. Dans cette situation, la responsabilité conjointe des Etats-Unis et de l'Europe se trouvera renforcée.
De même, je ne peux que me réjouir des idées exprimées par Mme Charlene Barshefsky, représentant spécial pour le Commerce, qui a présenté comme doctrine officielle des Etats-Unis d'Amérique ce qui n'était auparavant que des prises de position au Congrès ou des expressions non-gouvernementales plus ou moins isolées.
Que dit-elle ? Que les échanges doivent progresser sans provoquer des dommages irréparables à l'environnement ; que certaines règles ne sont pas seulement des "valeurs occidentales" mais des Droits de l'Homme universellement reconnus, que presque la moitié des pays membres de l'Organisation mondiale du Commerce n'ont aucune règle de concurrence et que la corruption doit être condamnée sous toutes ses formes.
L'Europe, pour sa part, ne dit pas autre chose et n'est pas en reste dans ce débat. C'est pourquoi, et je concluerai sur ce point, j'ai la certitude que les déferlantes qui courent sur l'économie et la finance mondiales appellent à l'établissement de nouveaux codes de conduite.
Les économies, les valeurs et les intérêts des Etats-Unis et de l'Europe sont largement communs. La question est de savoir s'ils parviendront à définir des méthodes nouvelles de partage de la décision et des responsabilités. S'il y parviennent ils pourront gérer ensemble ces intérêts communs, pour fonder enfin la relation transatlantique sur le "leadership partagé" (Shared leadership) que Mme Albright a appelé de ses voeux, et que nous souhaitons construire, entre les Etats-Unis et l'Europe./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 septembre 2001)