Interviews de M. Henri Emmanuelli, membre du conseil natinal du PS, à "Ouest France" et "Sud Ouest" le 28 avril 2003 et à "RTL" le 30 avril 2003, sur les nécessaires débat et clarification au sein du PS avant le congrès de Dijon, sur la réaffirmation de valeurs de gauche, sur la réforme de la retraite, sur l'opportunité de légiférer à propos du "foulard islamique".

Prononcé le

Média : Emission L'Invité de RTL - Ouest France - RTL - Sud Ouest

Texte intégral

RTL - ( 30 avril 2003)
R. Elkrief-. Le congrès du Parti socialiste approche, le vote des militants a commencé. Vous êtes le chef de file, avec Jean-Luc Mélenchon, d'une motion "Nouveau Monde", qui se présente donc contre la direction. Un petit mot sur ce parti socialiste qui se cherche : François Hollande, aujourd'hui, considère que sa motion sera victorieuse ; il considère que sur les premiers votes exprimés, il sera largement en tête. Comment vivez-vous ce premier diagnostic?
- "Je n'ai pas fait de diagnostic avant, je n'en ferai pas pendant, j'attendrai les résultats après. Mais ce que je voudrais dire c'est que l'intérêt d'un congrès du Parti socialiste, ce n'est pas tellement la satisfaction ou l'autosatisfaction de François Hollande, de Jean-Luc Mélenchon ou d'Henri Emmanuelli, c'est la capacité qu'aura cette formation politique à porter un message à l'extérieur, vis-à-vis de catégories de personnes, celles et ceux qui nous ont quitté l'année dernière..."
Le 21 Avril dernier, 3 millions d'électeurs à peu près...
- "Voilà, et celles et ceux à qui, face à un gouvernement qui pratique une politique de droite assez dure, nous devons redonner un petit peu d'espoir et de confiance, pour lesquels nous devons réinventer un horizon collectif. Alors, après, le reste, on réfléchit. Une motion "contre" la direction ? On ne fait pas une motion contre la direction..."
Il y a quand même un peu un climat anti-éléphants, anti-ministres, anti-dirigeants sortants quand même ?!
- "S'il y a un vote, évidemment, c'est fait pour départager. Dans l'esprit, il s'agit quand même d'avoir un débat politique et de faire voter, pour essayer de rectifier éventuellement l'orientation du Parti socialiste."
Vous, vous voulez le rectifier plutôt en allant sur l'extrême gauche quand même ?
- "Non, pas extrême."
Sur l'altermondialisme, sur l'antimondialisation...
- "J'entends ça depuis six mois, "la barre à gauche toute" ! Comme si "la barre à gauche toute", en terme de marine, ça ne voulait pas dire faire des ronds dans l'eau ! Moi je suis pas candidat à faire des ronds dans l'eau..."
A tourner en rond ?
- "A tourner en rond, ni à un pôle de radicalité qui est en général l'objectif de l'extrême gauche depuis 25 ou 30 ans. Et quant à l'aile gauche du Parti socialiste, je n'ai jamais très bien compris ce que serait ce type d'oiseau qui aurait une aile gauche et qui n'ait jamais d'aile droite. Donc, en réalité, de quoi s'agit-il ? Il s'agit de clarifier un certain nombre de positions politiques et, c'est vrai, de ramener le centre de gravité du Parti socialiste un peu plus à gauche. C'est quand même pas "à gauche toute" ou ceci ou cela."
Qu'est-ce qui se passe ? Vous regrettez de vous être engagé si loin ?
- "Mais pas du tout ! On dit ça depuis le début... Je n'ai jamais prononcé les mots "à gauche toute", "la barre à gauche toute", "pôle de radicalité". En revanche, nous avons et j'ai pratiqué, je continue à penser qu'il faut un certain nombre de ruptures. Et c'est ce mot-là, plutôt que d'autres qui a créé de vraies ou de fausses surprises."
Alors, "ruptures", par exemple ?
- "Des ruptures avec la logique de l'économie de marché sur un certain nombre de sujets. Je pense par exemple que pour la protection de l'environnement, si on ne se met pas en rupture avec la logique du profit ou de l'économie de marché, appelons ça comme on voudra, ce n'est pas demain qu'on protégera les côtes françaises, si on fait passer les dollars ou le prix de la cargaison avant la protection..."
C'est pour rester dans les bateaux, ça ! Mais quand même, parlons de la lutte contre le chômage, par exemple. Concrètement, il augmente aujourd'hui, on a des mauvais chiffres pour le mois de mars. La rupture, c'est quoi ? Une mesure clé que vous proposeriez avec ce nouvel état d'esprit que vous voulez inspirer au Parti socialiste...
- "On a hésité un moment donné sur l'idée de rétablir l'autorisation administrative de licenciement qui, contrairement à ce qu'on pense, n'a pas disparu en Europe - elle existe toujours aux Pays-Bas par exemple. Cela n'a jamais empêché d'ailleurs, malheureusement, le chômage de monter. Donc on n'a pas remis ça dans le texte. Mais par exemple, il existe aussi, dans d'autres pays européens, des dispositions qui font que dans des entreprises qui ont connu des bénéfices depuis trois ans, et au-delà d'une certaine taille, lorsqu'il y a un plan social, ce plan social ne peut pas être mis en oeuvre sans avoir reçu l'agrément des salariés. Nous avons mis par exemple cette disposition. Pourquoi ? Pour essayer de redonner à la fois au monde syndical des outils pour se battre, pour négocier et aussi un petit peu d'espoir aux salariés ; parce que je crois que mettre des gens en position de désespérance comme on l'a vu par exemple pour Metaleurop, on a bien senti quand même qu'à un moment donné ces gens étaient au bord de la rupture. C'est de la violence et je ne crois pas qu'il faille aller vers ce type de réalité ; je ne crois pas que le monde puisse être sécurisé, apaisé, serein s'il est trop inégalitaire. S'il est très inégalitaire, si pour les uns c'est la marginalisation, l'exclusion, l'inquiétude permanente, alors il y aura violence."
Ce n'est pas nouveau !
- "Et le rôle des socialistes par rapport à ça, ce n'est pas d'offrir la sécurité dans la rue, comme le dit Monsieur Sarkozy, c'est d'offrir la sécurité dans la vie. C'est défendre les systèmes de protection collective - je pense aux systèmes de retraite par répartition, je pense à la Sécurité Sociale mais je pense aussi à la sécurité dans l'assiette, etc. - et de réconcilier un petit peu les progressistes avec le progrès, parce qu'aujourd'hui, ce n'est plus le cas."
Serez-vous seriez candidat au poste de premier secrétaire, clairement, si vous vous retrouvez en situation ?
- "Je n'ai jamais postulé pour être candidat à quoi que ce soit. Sur l'histoire de poste de premier secrétaire, ma logique est toute simple. Elle consiste à dire qu'il y a un vote des militants, ensuite il y un congrès ; de ce congrès, il sort une majorité - elle peut être partielle, elle peut être totale - ; c'est à cette majorité de présenter au suffrage limité un candidat. Parce qu'on va pas réinventer à la tête du Parti socialiste la cohabitation, quand même ! Imaginez qu'on ait un premier secrétaire qui à quelques points près soit en désaccord avec l'option majoritaire. Je suis pour que ce soit ceux qui ont constitué la coalition majoritaire qui choisissent, dans leurs rangs, celle ou celui qui représente le vote des militants."
Est-ce qu'il faut légiférer sur le foulard ? C'est une question d'actualité très vive. Jack Lang fait son autocritique. Il dit qu'il a été naïf, beaucoup de gens disent qu'ils ont été naïfs...
- "D'abord, il faut se battre très fort contre un gouvernement qui échoue et les chiffres du chômage - plus de 100.000 chômeurs en un an, sont là pour le prouver. Et ensuite, sur la question spécifique du foulard, je crois que face à la montée des communautarismes, qui montent de manière inégale d'ailleurs, il faut appliquer les règles de la laïcité avec un certain courage."
Une loi ?
- "Une certaine radicalité. Je ne suis pas sûre qu'il faille retoucher ou refaire une loi. Je pense qu'il faut tout simplement appliquer les règles qui sont celles de la République et de la laïcité."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 30 avril 2003)