Editoriaux de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte ouvrière, dans "Lutte ouvrière" les 8, 15 et 25 août 2003, sur la gestion de la canicule par le gouvernement et les faiblesses de ce dernier face au patronat.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Lutte Ouvrière

Texte intégral

8 août 2003
Encore moins de défense contre les "patrons-voyous"
Le Journal officiel a publié le 27 juillet un décret réduisant de moitié le maximum des indemnités versées par "la Garantie de salaires" (alimentée par une cotisation patronale de 0,35 % des salaires) pour les travailleurs des entreprises en faillite ou en liquidation judiciaire. C'est une mesure que le Medef réclamait depuis longtemps. Elle touchera surtout les cadres (et les salariés qui avaient une longue ancienneté dans l'entreprise). Mais elle n'en est pas moins scandaleuse, car une fois de plus le gouvernement montre qu'il est aux ordres du patronat.
Cette décision intervient dans un contexte où le nombre de chômeurs a encore augmenté de 25 900 en juin, et est officiellement de 2 404 200. C'est dû aux plans dits "sociaux" qui se succèdent sans cesse, mais aussi au nombre croissant de "licenciements pour motif personnel", dont le quotidien économique Les Echos, que personne ne saurait taxer de pro-ouvrier, titrait le 29 juillet qu'ils étaient "érigés en outil de management", c'est-à-dire de gestion des intérêts financiers des entreprises.
Non seulement le gouvernement ne fait rien pour s'opposer à ces vagues de licenciements, mais il vient même de décider de prendre en charge 50 % du coût des études demandées par les entreprises pour la conception des plans de licenciements. Autrement dit, les patrons qui voudront préparer des licenciements pourront faire payer les études préparatoires pour moitié par l'État !
On se souvient qu'après la fermeture de Metaleurop, Chirac avait condamné les "patrons voyous", qui disparaissaient sans crier gare et sans verser à leurs salariés, condamnés au chômage, la moindre indemnité. Eh bien, les décisions que prennent Chirac et Raffarin montrent ce qu'il faut penser de leur prétendue indignation.
C'est toujours le même raisonnement qu'on nous sert: ce qui serait bon pour les entreprises (c'est-à-dire pour le patronat) serait bon pour la société tout entière. C'est au nom de "l'intérêt général" que le Conseil constitutionnel vient ainsi d'entériner la baisse de l'impôt sur la fortune. Mais quand des salariés perdent leur emploi, ils perdent bien plus qu'un patron qui ferme son entreprise, même quand celui-ci a vraiment fait faillite. Car si dans ce cas les détenteurs de capitaux perdent ce qu'ils ont investi (et qui a déjà bien souvent été plusieurs fois amorti), ils gardent leur fortune personnelle, leur villa, leur yacht, leurs comptes en banque personnels, alors que pour bien des salariés, se retrouver au chômage, c'est devoir renoncer à la petite maison ou à l'appartement, à la voiture, pour lesquels on s'était lourdement endetté.
Et la plupart du temps, ce n'est pas la mauvaise marche des affaires, mais la recherche d'un taux de profit encore plus important, qui explique licenciements et restructurations.
Seulement tout cela se décide dans le secret des conseils d'administration, sans que les travailleurs aient les moyens de savoir le pourquoi et le comment des choses. C'est pourquoi, il est nécessaire d'imposer, avec l'interdiction des licenciements collectifs, la suppression des secrets bancaire, industriel et commercial, et le libre accès des travailleurs à la comptabilité des entreprises, afin que chacun puisse savoir où va l'argent, à qui profitent les richesses produites. Sans ce contrôle des travailleurs sur la marche de leur entreprise, il n'y a d'ailleurs pas de démocratie possible.
Alors bien sûr, il ne faut pas compter sur le gouvernement, qui ne songe qu'à faire plaisir au baron Seillière et au grand patronat, pour prendre de lui-même de telles mesures. Pas plus que sur une nouvelle mouture de la "gauche plurielle", qui a largement démontré dans le passé qu'elle n'avait pas d'autre politique économique que la droite. Mais les travailleurs, qui représentent le nombre, et sans qui rien ne fonctionnerait dans le pays, pour peu qu'ils prennent conscience de leur force, ont la possibilité d'imposer ces mesures. C'est en tout cas la seule voie à suivre pour ne pas être systématiquement sacrifiés au nom de l'intérêt général... du capital.
(source http://www.lutte-ouvriere.org, le 8 août 2003)
15 août 2003
Canicule : un gouvernement en dessous de tout
Des chefs de service des services d'urgence des hôpitaux ont alerté l'opinion sur l'augmentation importante du nombre de décès dus à la canicule, accusant le gouvernement de n'avoir pas prévu les moyens hospitaliers pour traiter tous les cas avant qu'il ne soit trop tard.
Les ministres en cause ont pris tout leur temps pour sortir de leur torpeur estivale, avant de réagir aux accusations des spécialistes et de mettre en place un dispositif d'alerte minimum, consistant pour l'essentiel à ouvrir un numéro vert. Certains d'entre eux ajoutant qu'il n'était pas dans les pouvoirs du gouvernement de faire la pluie et le beau temps, et qu'ils ne pouvaient pas être rendus responsables d'une vague de chaleur exceptionnelle.
Pourtant, le rôle de l'État, c'est de mettre en place des dispositifs contre les catastrophes naturelles comme les incendies ou les inondations, et il le fait bien mal. Son rôle, c'est de défendre la population, n'en déplaise à l'ex-ministre de la Santé du gouvernement Jospin, Bernard Kouchner qui s'est précipité au secours de ses successeurs, en s'indignant contre "cette société où on se tourne vers le gouvernement quand il fait chaud, ou quand il fait froid".
Il est incontestable que le gouvernement n'est pour rien dans la situation météorologique que nous subissons. De même rendons-lui cette justice, il ne porte pas à lui seul la responsabilité des déplorables conditions d'accueil qui existent actuellement dans nombre d'établissements hospitaliers. Cette situation est héritée de décennies et de décennies de dégagements de l'État à l'égard des services publics, de tous les services publics. L'alternance des gouvernements de gauche et de droite n'a, à aucun moment, ralenti cette dégradation.
On l'a constaté tout récemment. Les incendies de forêts, par exemple qui, même quand ils n'ont pas le tour dramatique qu'ils ont pris cette fois, se reproduisent chaque été. Et à chaque fois on entend les mêmes protestations contre l'insuffisance des moyens de lutte contre le feu, le même constat d'insuffisance des effectifs, aussi bien en hommes qu'en moyens matériels. Dans ce domaine, comme dans d'autres, l'État calcule au plus juste. Et tant pis si la situation qui se présente est plus grave que ne le prévoyaient les statistiques.
Il en va de même dans le domaine hospitalier. Mais en pire.
Là aussi, reviennent chaque année les mêmes protestations sur le manque d'effectifs, sur les lits que l'on ferme à longueur d'année faute de personnel, et bien plus encore durant les périodes d'été. Et cette situation va en empirant au fil des ans.
La dégradation des conditions d'accueil dans les hôpitaux, la dégradation des conditions de remboursement, donc d'accès aux soins qui touchent plus particulièrement ceux qui ont le moins de moyens, n'a pas cessé. Cette dégradation ne date pas du gouvernement Chirac-Raffarin. Mais cela n'exonère nullement ce dernier de ses responsabilités. Car il a bel et bien inscrit à son programme pour la rentrée le démantèlement du système de protection de la santé, poursuivant dans la voie tracée par les gouvernements précédents. Chirac et Raffarin continuent, comme Jospin et Kouchner, à fermer des hôpitaux de proximité, à maintenir des effectifs notoirement insuffisants en période normale dans les établissements hospitaliers, et qui le sont bien plus encore durant les mois d'été.
La canicule n'était sans doute pas prévue, mais ce qui était prévisible, c'est qu'une variation, somme toute minime de la température en France -quelques degrés de plus, sur une quinzaine de jours- , pouvait se traduire par des conséquences dramatiques pour les plus vulnérables, en particulier les personnes âgées isolées, faute de possibilité d'accueil dans des hôpitaux aux limites de leurs capacités.
Faisant écho à Kouchner, on peut se demander "qu'est-ce donc que cette société où l'on ne peut pas compter sur l'État pour protéger la vie des citoyens contre une vague de chaleur ?".
(source http://www.lutte-ouvriere-journal.org, le 14 août 2003)
25 Août 2003
LA FRAICHEUR DES SOMMETS ET CELLE DE L'ACCUEIL
Raffarin qui passait ses vacances loin de la canicule, en Haute-Savoie à 1000 mètres d'altitude à Combloux, station chic proche de Megève, avait confié à la presse que, lors de ses randonnées pédestres, il rencontrait beaucoup de marques d'encouragement de la part des randonneurs qu'il croisait. "Continuez", "tenez bon" lui disait-on selon lui. Etaient-ce des encouragements pour sa politique dure envers les pauvres, ou tout simplement à propos de la difficulté de la randonnée, on ne sait.
Toujours est-il qu'il a dû être surpris au Stade de France, le samedi 23, lorsque, prenant la parole pour ouvrir le championnat du monde d'athlétisme, il fut accueilli par un concert de sifflets venant des tribunes. Cette réaction du peuple vacancier d'en bas envers un ministre vacancier des hauteurs, fut entendue en direct des auditeurs de certaines radios et des téléspectateurs de France 2 et de France 3, bien que cela n'ait pas fait la "une" des quotidiens.
Raffarin peut maintenant mesurer ce que vaut l'opinion de ses voisins de villégiature à l'aune de celle du public populaire du Stade de France. Il a fait voter une loi prévoyant des sanctions contre ceux qui siffleraient la Marseillaise. Il ne lui reste plus qu'à en faire une contre ceux qui refuseraient de chanter les louanges du chef du gouvernement.
Pourtant, il ne fait que récolter ce qu'il a semé depuis seize mois qu'il est au pouvoir par la grâce de Chirac.
Mais si les médias peuvent ne pas insister sur de telles manifestations de mécontentement de la population, ils ne les feront pas disparaître.
Tout est révoltant. L'hypocrisie du tandem Chirac-Raffarin, dont l'un élargit la "fracture sociale", tandis que l'autre écrase la "France d'en-bas" dont ils parlaient avant les élections.
La surmortalité de cet été a révélé à quel point, faute de moyens, la situation des hôpitaux est catastrophique.
Les incendies de forêts ont mis en évidence le sous-équipement du pays en bombardiers d'eau et en personnel.
La multiplication des plans de licenciements aidant, le chômage ne cesse d'augmenter. Et si la justice a mis en examen le directeur de l'usine Flodor de Péronne, qui a tenté de faire déménager les machines pendant que les travailleurs étaient en congé, c'est seulement, selon les termes du procureur de la République, pour ne pas avoir "respecté les formes". Chaque nouvelle augmentation du nombre de chômeurs devient pour Raffarin et Chirac un prétexte de plus pour accorder de nouvelles aides à fonds perdus "aux entreprises", c'est-à-dire aux actionnaires.
Le gouvernement prépare une "réforme" de la sécurité sociale dont tout le monde sait qu'elle aboutira à une nouvelle détérioration du système de protection médicale.
Il n'y a pas assez d'infirmières, pas assez d'enseignants, pas assez de logements sociaux, moins de crédits pour la recherche scientifique, parce que, d'après les gens qui nous gouvernent, il faudrait faire des économies. Mais, selon Chirac, le gouvernement continuera à baisser l'impôt sur le revenu, ce qui ne concerne vraiment que les plus fortunés.
C'est qu'à l'approche des prochaines élections, il tient à faire des cadeaux aux couches les plus aisées de la population, à tout ce que le pays compte de possédants grands ou petits, car il sait qu'il ne pourra pas compter sur les voix de l'électorat populaire.
Mais que les partisans de Chirac et Raffarin soient majoritaires ou pas dans les urnes, les travailleurs peuvent trouver d'autres moyens de défendre leurs intérêts. Une riposte de l'ensemble du monde du travail est de plus en plus nécessaire et elle est possible !
Les sifflets du stade en ont peut-être donné le signal du départ.
(Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 28 août 2003)