Interview de M. Philippe Douste-Blazy, secrétaire général de l'UMP, à La Chaîne Info LCI le 15 mai 2003, sur le dialogue social et la grève à l'occasion de la réforme des retraites.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser - Vous avez travaillé sur le problème des retraites quand vous étiez dans l'opposition. Avec un groupe de députés, vous avez demandé que le Gouvernement fasse des amendements à l'avant-projet qui est en cours de préparation. Cette nuit, les négociations entre les syndicats et les ministres n'ont rien donné malgré les 14 propositions avancées par F. Fillon. Cela veut dire que la situation est bloquée ou que le Gouvernement a encore une marge de manoeuvre ?
- "Le Gouvernement a fait le choix du dialogue social. Donc ça fait un an qu'il y a une concertation. Aujourd'hui, il y a un dialogue social. Hier, les propositions du ministre des Affaires sociales concernant les petites retraites avec proposition d'une notion de retraite minimum pour garantir à chacun la dignité après une vie de travail."
C'était réclamé donc ça c'est obtenu, dans les principes.
- "Dans les principes. Ce n'est pas encore réglé formellement, deuxièmement aussi, une avancée de la part du Gouvernement pour dire que ceux qui ont commencé à 14 ans, à 15 ans pourront également partir avant l'âge de 60 ans. Ce sont de grandes demandes qui étaient demandées par certains syndicats en particulier la CFDT et donc le dialogue social continue."
Vous dites "dialogue social" mais est-ce qu'on a maintenant commencé à négocier ?
- "La base du dialogue social, c'est d'abord concertation avant un texte. Une fois que le texte est écrit, une négociation. C'est ce qui se passe aujourd'hui. Alors, il faut bien voir que la vraie bombe sociale, ce ne sont pas les manifestations d'aujourd'hui. La vraie bombe sociale, c'est que dans 5, 6 ou 7 ans, il n'y a plus le pacte social en France si on ne fait rien. M. Rocard a écrit il y a 15 ans, M. Fabius l'a dit, M. Strauss-Kahn l'a écrit dans un livre qui s'appelle "La flamme et le cendre", M. Jospin l'a écrit et l'a dit dix fois dans des discours - nous l'avons à votre disposition : "la seule solution pour régler le problème des retraites c'est l'augmentation de la durée des cotisations en harmonisant les cotisations des Français". La gauche l'a écrit, le centre et la droit l'a écrit. Dans tous les pays européens, la réforme a été faite. Je suis un peu étonné qu'il n'y ait même pas un consensus national là-dessus puisqu'il y était. Tous les participants de la vie politique française l'ont écrit un jour ou l'autre. Là, il y a un dialogue social, c'est normal. Moi, j'ai énormément de respect pour les organisations syndicales et les représentants. Je voudrais simplement vous dire une chose. La grève du 13 mai, elle était prévue depuis très longtemps. Et comme elle était prévue depuis très longtemps, les Français n'ont pas été pris au dépourvu. Mais celle d'hier ou celle de ce matin - je vois ce qui se passe à Toulouse, je vois ce qui se passe pour arriver dans votre plateau - eh bien, celle-là, elle n'était pas prévue. Les Français ont été mis devant le fait accompli. Je pense très franchement que le dialogue social ne peut exister qu'à une seule condition : que tous les partenaires, que chacun puisse respecter loyalement les principes qui fondent ce dialogue social. Il y a des centaines de milliers de salariés, de parents d'élèves, qui sont otages aujourd'hui."
Cela, on le sait, on en parle beaucoup. Il y a beaucoup de salariés, aujourd'hui, qui sont otages, qui ne peuvent pas aller à leur travail et qui ne peuvent pas envoyer leurs enfants à l'école. Alors, est-ce que vous jouez l'opinion, vous pensez que c'est le mécontentement qui va faire plier les syndicats ?
- "Non pas du tout, on ne joue pas l'opinion, on joue notre pays, l'avenir de nos enfants. Tout le monde l'a écrit. C'est une affaire grave. Ce n'est pas un problème de savoir qui c'est les syndicats ou les autres qui vont gagner. C'est le pays. Il y a ceux qui sont responsables aujourd'hui et qui disent qu'il faut faire une réforme de structures. Il faut arrêter dans ce pays d'avoir peur, il faut arrêter d'avoir peur. Nous avons des problèmes de structures majeures pour les retraites, nous avons des problèmes majeurs sur l'Education nationale avec des enfants qui ne savent pas lire, écrire ou compter, je crois 17 % en sixième..."
Oui mais vous ne répondez pas à ma question ?
- "... Nous avons des problèmes de retraite et d'assurance maladie, il fait les régler..."
Donc, il faut passer en force ?
- "... Non, attendez, les hommes politiques et les femmes politiques sont là pour régler les problèmes de structures d'un pays. Ils ne sont pas là pour se faire aimer ou pour essayer d'organiser les choses. Il faut le dire une fois pour toutes. Alors que la gauche, qui en plus ne propose rien parce que sur les pancartes des manifestations - moi, je regarde -, à l'Assemblée nationale même, l'autre jour, le responsable, M. Ayrault du Parti socialiste à Assemblée nationale a dit : "on va vous faire passer, Monsieur Fillon, nos propositions". Il serait temps. Moi, j'attends les propositions du Parti socialiste sur les retraites."
Vous attendez. Apparemment elles n'ont pas encore été faites.
- "Voilà. Merci de le dire."
Le parti socialiste va se réunir en congrès donc, je pense qu'il a d'autres soucis pour le moment.
- "Il faudrait qu'il aille vite, parce que je crois qu'on en parle aujourd'hui des retraites, en France."
Oui, enfin on en parlait avant, on va en parler encore longtemps, puisqu'on doit en parler d'ici jusqu'au 14 juillet, donc il peut se passer beaucoup de choses, si j'ai bien compris.
- "Vaut mieux qu'ils fassent leurs propositions vite."
Moi je vous pose une question claire : est-ce que le Gouvernement doit passer en force, c'est-à-dire faire voter le projet par l'Assemblée et par le Sénat puisque la majorité y est largement acquise, ou est-ce qu'il faut prendre l'opinion à témoin en faisant un référendum par exemple, ou encore céder davantage puisque blocage ?
- "D'abord pourquoi céder davantage ? Personne ne cède. Il y a un enjeu : c'est notre pays. Il ne s'agit pas de bloquer, il s'agit de tout faire pour pouvoir régler le problème des retraites à long terme. Il y a des syndicats d'ailleurs, aujourd'hui, qui estiment que le Gouvernement répond vraiment à la question. Ils ont deux ou trois oppositions qui n'ont pas encore été totalement entendues."
Donc, on attend un peu ?
- "Faisons-le, vous verrez. Vous verrez qu'il y aura, progressivement, certains syndicats qui accepteront cette réforme parce que ce sont des syndicats qui sont totalement représentatifs et en même temps responsables."
Vous jouez la division syndicale?
- "Ce n'est pas la division syndicale. Il ne faudrait pas surtout que les représentants des syndicats qui sont, et je le dis très franchement, sont des gens très responsables, il ne faut pas qu'il y ait non plus de débordements de la part de certains salariés vis-à-vis des syndicats. Il ne faut pas qu'il y ait débordement. Pourquoi ? Parce que notre problème, aujourd'hui, c'est un problème de réforme de fond, de réforme de structures. Il ne s'agit pas de régler les problèmes pour deux ans."
Vous parlez de réforme de structures, mais celui qui va voir sa pension baisser, qui va devoir travailler plus longtemps, il n'est peut-être pas enchanté de ce qu'on lui propose.
- "Merci de me dire ça. Votre retraite, celle d'un instituteur, celle d'une infirmière, celle d'un praticien hospitalier, si nous ne faisons rien, là, aujourd'hui, si nous ne faisons rien, il va y avoir une baisse de cette pension de 50 %. Si nous faisons cette réforme, alors ils partiront avec 75 %. Il y a une différence énorme entre ne rien faire et faire quelque chose, c'est que la pension sera digne, sinon elle ne le sera pas. C'est ça qu'il faut expliquer ..."
On n'a pas le temps d'expliquer.
- "Pourtant, on est pour cela, madame."
Mais il y a un horaire. Question : il faudra augmenter les cotisations ?
- "Il n'y aura pas besoin d'augmenter les cotisations, si vous sauvez le système par l'augmentation de la durée de cotisation. Il y a trois paramètres : l'augmentation de la durée de cotisation, le niveau de la pension et, bien sûr le niveau des cotisations. Nous avons fait le choix de garder le haut niveau de pension en harmonisant de manière équitable la durée de cotisation pour tous les Français. Je demande à tous ceux qui nous écoutent de comprendre cela. Il y a un certain nombre de gens qui sont aujourd'hui bloqués, en particulier par les gens qui, eux, ne sont pas touchés par cette réforme, je pense en particulier au rail, à la RATP et aux transports en commun en général. Eux ne sont pas touchés par la réforme des retraites."
(source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 15 mai 2003)