Interview de M. Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF, à France 2 le 23 mai 2003, sur les conséquences économiques des mouvements de grèves suscités par le projet gouvernemental de réforme des retraites, et sur le taux de croissance économique de la France.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

Roland Sicard.- Ernest-Antoine Seillière, bonjour.
Ernest-Antoine Seillière.- Bonjour.
Roland Sicard.- Le MEDEF vient de publier son diagnostic pour la situation économique de la France, diagnostic assez sombre, on va en parler. Mais d'abord, l'actualité. Le gouvernement a toutes les peines du monde à faire passer son projet sur les retraites. Est-ce que vous penser qu'il va réussir à tenir le cap.
Ernest-Antoine Seillière.- Je n'en sais rien. Parce que je ne suis pas le gouvernement, je ne suis pas les syndicats, non je représente les entrepreneurs et nous regardons ceci évidemment avec beaucoup d'anxiété. D'abord, parce que la résistance de notre pays à la mise en place d'une réforme que tout le monde a fait autour de nous, crée pour les salariés du privé et pour les entrepreneurs des perturbations de vie évidentes : grève des services publics, des transports, inquiétude des parents qui ne savent pas si leur enfant sera pris à l'école, etc. Donc, le service public, en essayant de bloquer cette réforme, gêne énormément tout le secteur privé qui, lui, génère évidemment par les biens et les services qu'il produit tous les jours, la richesse nationale. Et donc tout ceci, en effet, nous angoisse. Sur le fond, la réforme des retraites est absolument indispensable, tout le monde l'a faite encore une fois dans le monde et nous devrons la faire et donc le gouvernement n'a pas d'autre choix, bien entendu, que de la faire.
Roland Sicard.- Cela dit, s'il y a vraiment blocage du pays, ça risque de coûter très cher.
Ernest-Antoine Seillière.- S'il y a blocage du pays, vous savez, je l'ai dit, la France s'appauvrit dans la rue. C'est-à-dire qu'on aura moins, évidemment, de produit national, donc moins d'impôts, moins d'impôts donc moins de capacité de payer les services publics, et donc on est entraîné dans une phase que l'on appelle la préparation du déclin. Et ça, je ne pense pas que les Français le souhaitent.
Roland Sicard.- Mais est-ce que les entreprises peuvent contourner ces problèmes ? Est-ce qu'il y a des moyens pour elles, malgré le blocage, de continuer à travailler ? Si le blocage se produit bien entendu.
Ernest-Antoine Seillière.- Dans l'immédiat, toutes les entreprises, évidemment, essayent de s'arranger, il y a ce que l'on appelle un formidable système D. Mais ça ne peut pas durer très longtemps et à partir d'un certain moment, évidemment, on décourage l'entrepreneur, l'entreprise et à ce moment-là, il y a transfert dans la création des richesses ailleurs qu'en France. C'est évidemment quelque chose qui est également très angoissant et qu'il faut absolument éviter. Le comportement social français, je l'ai dit, le printemps social peut nous mener à l'hiver économique, c'est-à-dire en fait à une forme d'économie française de deuxième zone et qui serait évidemment pour les Français quelque chose de fondamentalement nouveau et d'assez dramatique.
Roland Sicard.- Alors, justement, est-ce que le gouvernement s'y est bien pris pour faire passer cette réforme ? Est-ce qu'il n'aurait pas du négocier davantage ? Est-ce qu'il ne devrait pas faire des concessions ?
Ernest-Antoine Seillière.- Ecoutez, moi je ne juge pas la manière dont le gouvernement fait les choses, il lui appartient d'avoir la responsabilité politique du rythme et de la manière. Et nous l'avons dit, nous jugerons aux résultats. Ou les réformes se mettent en place et notre pays a toutes ses chances car il a des atouts formidables, son infrastructure est parfaite, sa formation est encore très bonne quand les professeurs veulent bien enseigner, et donc nous avons en fait un pays qui est prêt à jouer la partie de la réussite. Les entrepreneurs sont derrière ce pays-là. Mais si, bien entendu, tout se bloque, eh bien, bien entendu, nous aurons à ce moment-là une autre économie et, il faut le savoir, d'autres destins pour les Français, il faut le savoir, d'autres destins pour nos enfants, il faut le savoir.
Roland Sicard.- Alors, si ce risque de blocage se confirmait, dans cette hypothèse, est-ce que vous, vous restez partisan d'un service minimum qui n'existe pas en France ?
Ernest-Antoine Seillière.- C'est une question que nous avons beaucoup évoquée. Nous sommes là aussi le seul pays qui donne à une catégorie de Français qui sont les gens des services publics, la possibilité de bloquer le pays. Ils ont un pouvoir de fait qui, en quelque sorte, paralyse en effet la capacité d'un pays de se gérer normalement. Tout ceci n'existe pas dans la plupart des pays du monde, on ne donne pas à certains le pouvoir de bloquer le tout. Donc on s'organise de façon à ce que ceux qui ont ce pouvoir, eh bien, ce soit organisé par la loi, limité. Et nous sommes, bien entendu, demandeurs, le Président de la République d'ailleurs, élu par 80 % des Français, s'est engagé à mettre en place un service minimum dans le service public de façon à laisser...
Roland Sicard.- ...Oui mais il s'est rendu compte que ce n'était pas vraiment possible.
Ernest-Antoine Seillière : Je ne sais pas s'il s'en est rendu compte ou pas, en tout cas, il devra également le faire si nous voulons avoir une économie française qui fonctionne à peu près à l'identique des autres.
Roland Sicard : Alors, sur le fond du problème des retraites, est-ce que vous n'avez pas l'impression qu'en fait on n'a pas vraiment pris en compte l'attachement des Français à ce système de retraites ?
Ernest-Antoine Seillière : L'attachement des Français aux systèmes sociaux est évident. Le seul problème est de savoir si on peut les maintenir tels quel sans les réformer. Chacun sait que ce n'est pas possible pour les retraites. On demande, comme partout dans le monde, à travailler un peu plus dans la vie pour tenir compte de l'allongement de la vie. Enfin, vous savez, tout ce diagnostic là sur les retraites, je ne vais pas vous le refaire, ce que nous vous disons, nous, MEDEF, c'est que les données économiques fondamentales de notre pays se sont beaucoup érodées sur longue période et que nous sommes dans une situation de fragilité et tout ce qui dérègle notre pays actuellement, en réalité, nous met probablement sur la pente irréparable d'être une économie de deuxième rang. Et ceci, il faut l'éviter à tout prix. Alors, nous faisons ce diagnostic, de façon à ce que les Français, en tout cas ceux qui veulent bien regarder avec lucidité la réalité, veulent bien se dire que s'ils ne prennent pas en main leur destin par la réforme, alors, c'est vrai, la France en sera plus un pays où il fera bon produire, travailler, à la limite peut-être vivre, se soigner, et nous aurons pour la génération suivante beaucoup, beaucoup de difficultés. Il faut les éviter, donc réformer et le diagnostic du MEDEF est tout-à-fait clair : nous travaillons moins que les autres, nous travaillons moins longtemps que les autres, notre Smic est supérieur aux autres, notre productivité est moins bonne que les autres, nous avons créé moins d'emplois en France que dans la moyenne européenne depuis 10 ans. Tout ceci, ce sont des faits. Il faut les regarder en face et se dire : pour pouvoir faire face à notre destin économique et le réussir, il faut réformer. Réformer, bien entendu, dans le dialogue. C'est ce qui a été fait. On a proposé la réforme dans le dialogue. Si la France se bloque devant la réforme, c'en est fini de sa réussite économique. Nous vous le disons avec beaucoup de clarté.
Roland Sicard : Cela dit, vous faites donc un diagnostic très sombre de la situation de la France et pourtant
Ernest-Antoine Seillière : ... Réaliste, réaliste...
Roland Sicard : ... Et pourtant, il y a un chiffre qui vous contredit puisque la France est au premier trimestre 2003 un des seuls pays à faire de la croissance avec 0,3 %. Elle fait mieux que les autres.
Ernest-Antoine Seillière : Je peux vous dire que quand on a 0,3 % de croissance, il n'y a pas de quoi pavoiser. Ca veut dire qu'on ne sera pas capable de maintenir le train de vie de son pays...
Roland Sicard : ... C'est mieux que d'être en récession...
Ernest-Antoine Seillière : Bien entendu ! Comme disait Pagnol, quand je me regarde, je m'inquiète et quand je me compare, je me rassure. Regardons ceux qui échouent et disons eh bien oui, ça ne va pas si mal. Non ! Nous sommes à la stagnation. Nous avons un vrai problème pour arriver à faire en sorte que nous puissions maintenir nos systèmes sociaux. Ils doivent se réformer de façon à pouvoir les maintenir pour l'essentiel. Et je vous en prie, de grâce, ne nous rassurons pas en disant : nous faisons 0,3 % de croissance, tout va très bien madame la marquise. Non ! Il y a de quoi s'inquiéter, c'est-à-dire en fait décider de prendre en main la réforme de notre pays. C'est tout. Il faut le faire.
Roland Sicard : Alors, vous dites, il faut travailler plus. Mais il y a deux choses que les Français ne comprennent pas. D'une part, quand on leur dit de travailler plus longtemps pour les retraites, eh bien ils s'aperçoivent qu'à 50 ans, ce sont les patrons souvent qui les mettent dehors. Et puis quand on leur dit de travailler plus de 35 heures, ils s'aperçoivent que le chômage est très important.
Ernest-Antoine Seillière : On a préféré, dans notre pays, vous avez les salariés, les entrepreneurs, et bien entendu l'Etat, traiter les problèmes sociaux par la mise à la retraite anticipée. Tout le mode y a trouvé son compte.
Roland Sicard : Y compris les patrons.
Ernest-Antoine Seillière : Y compris les patrons bien entendu qui ont souvent préféré engager un jeune plus formé, plus dynamique, etc. Mais vous savez, les salariés étaient demandeurs aussi. Et, bien entendu, pour les gouvernements successifs, ils ont financé puissamment sur budget public ces mises à la retraite anticipée par des systèmes financiers. Nous, au MEDEF, ça fait 5 ans que nous disons que tout ceci n'est pas bon. Ce n'est pas en ligne avec ce qu'il faut faire. Et nous nous engageons, s'il y a un allongement de la durée du travail dans la vie pour la retraite, à faire en sorte que les seniors puissent travailler en entreprise par des négociations d'entreprise qui feront qu'ils seront utilisés pour la formation en entreprise, ils seront utilisés bien entendu dans les travaux moins pénibles que ceux qu'ils ont. C'est un sujet nouveau. La France entière a vécu sur le départ anticipé à la retraite. Et nous allons nous mettre, nous à préparer la France à faire travailler les gens plus tard puisqu'il le faudra pour leur retraite et dans des conditions bien entendu convenables et négociées. C'est un engagement que nous prenons, c'est la contribution des entreprises à la réforme de retraite. Nous savons nous aussi nous réformer.
Roland Sicard : C'est un engagement précis. On le suivra.
Ernest-Antoine Seillière : Avec grand plaisir.
Roland Sicard : Merci Ernest-Antoine Seillière.
(source http://www.medef.fr, le 23 mai 2003)