Texte intégral
S. Paoli Vous évoquiez, l'un et l'autre, chacun avec son regard particulier - et c'est important ces différences - la situation actuelle. Vous, monsieur Barrot, vous évoquiez le risque d'enlisement pour les Américains.
J. Barrot : "Oui. Il est vrai que ce que nous avions redouté, ce sur quoi nous avions mis en garde nos alliés, risque en effet de se trouver avéré dans les faits. Ce n'est pas pour s'en réjouir, c'est simplement pour dire que désormais, nous devons convaincre tous nos alliés, et en particulier les démocraties européennes, que l'on ne traite pas des problèmes de la paix au Moyen-Orient, comme dans l'ensemble du monde, uniquement à travers des interventions militaires ponctuelles, qui ne résoudront pas les problèmes et qui entraînent un cortège de souffrances. Il y a en germes, en effet, une reconstruction de la gestion, de la régulation mondiale qui est en cours. Il faut que la France, qui a en quelque sorte, à travers l'attitude de J. Chirac, pris une longueur d'avance, aujourd'hui, mettre toute sa puissance de réflexion, sa puissance de conviction pour amener les démocraties à construire la paix, demain, d'une autre manière, c'est-à-dire dans le cadre de l'ONU, et vraiment sur des bases beaucoup plus solides."
Sinon, l'enlisement, - car il faudra peut-être quelques jour avant de pouvoir répondre à cette question - mais au moins, J.-M. Ayrault, cette guerre ne se déroule pas du tout comme les Américains l'avaient prévu. Est-ce que cela vous inquiète sur ce qui suivra cette guerre, c'est-à-dire peut-être l'instauration de nouveaux rapports de force sur cette planète ?
J.-M. Ayrault : "Ce que nous craignions, malheureusement, se produit. Nous étions contre cette guerre, non pas parce que nous sommes des "pacifistes habituels" ou des "protestataires habituels" - pour reprendre l'expression que citait D. Bromberger - mais par conviction. Nous avons pris nos responsabilités - je pense aux socialistes - au moment du Kosovo, de l'Afghanistan, [exprimé] notre solidarité avec les Américains après le 11 septembre et dans d'autres circonstances. Nous ne sommes pas des pacifistes systématiques. Nous sommes pour la paix, mais la paix cela se construit et parfois, il faut utiliser l'action militaire pour défendre la paix et les principes des droits de l'homme. Mais là, c'est tout autre chose qui se produit, et c'est cela qui fait notre profond désaccord avec les Etats-Unis, son gouvernement, parce que tout le monde ne pense pas la même chose. Il y a un nouvel ordre mondial à construire qui ne peut être basé que sur le droit et la justice. Et ce que nous avons dit, c'est "non" à cette guerre parce que c'est une guerre préventive, unilatérale, en dehors des Nations unies, parce qu'elle va creuser le fossé des civilisations, et c'est en train de se faire. L'opinion arabe, presque à l'unanimité, est contre les Américains. On voit même en Irak les populations victimes du régime de S. Hussein, qui ont une sorte de réflexe nationaliste, parce qu'ils voient bien cette intervention. Je crois qu'il y a un énorme travail à faire parce qu'aujourd'hui, il y a la crise des relations franco-américaines, c'est sûr, mais il y a la crise des Nations unies, la crise de l'OTAN, la crise de l'Europe. Donc, nous avons un énorme travail à faire. On ne peut pas rester - le monde ne peut pas rester - en cet état, sinon c'est la catastrophe annoncée. Il y a un point sur lequel je voudrais insister, si vous permettez : c'est l'aspect humanitaire..."
On en a beaucoup parlé ce matin.
J.-M. Ayrault : "J'ai entendu ce que vous avez dit, j'ai entendu les représentants de la Croix Rouge, ici en France, et en Irak. Il y a une question qu'il faut poser aux belligérants, à la coalition anglo-américaine : c'est de respecter les couloirs aériens et routiers pour faire passer les aides humanitaires. Par exemple, à Bassora, on a l'impression qu'on empêche. On a dit ce matin que c'était les Anglo-américains qui contrôlaient les approvisionnements en eau. On a l'impression qu'on utilise l'aspect humanitaire pour faire la guerre. Je crois qu'il faut vraiment dénoncer cela et en tout cas avoir des explications. La France doit le demander aussi."
J. Barrot, [parlons de] l'après-guerre, très important. Est-ce que les Américains vont accepter de sortir de leur unilatéralisme ? M. Blair prend l'avion aujourd'hui pour aller voir le président américain et lui proposer que l'ONU puisse s'occuper de la question de l'après-guerre.
J. Barrot : "C'est tout de même déjà un progrès. Il y a à Londres, désormais, une prise de conscience - d'autant plus à la lumière de ce qui se passe -, de la nécessité absolue de ramener l'ONU au coeur du dispositif et de faire en sorte que la reconstruction de l'Irak ne se fasse pas, là aussi, d'une manière unilatérale, avec une sorte - je ne peux qualifier le terme exact - d'omniprésence américaine qui sera ressentie très mal dans la région et qui peut avoir des effets tout à fait pervers. Il faut revenir avec l'ensemble des démocraties pour garantir, en quelque sorte, l'unité et l'intégrité de l'Irak, avec si possible, en effet, une base politique stable qui tienne compte du pluralisme de ce pays. Et là, nous avons incontestablement un rôle majeur à jouer. Mais, je voudrais insister sur un fait - je pense que nous sommes largement d'accord avec J.-M. Ayrault - : il y a un point très important, c'est que, s'il y a bien une leçon à tirer, c'est aussi que nous ne pouvons pas non plus, nous, en Europe, pratiquer une espèce de pacifisme. Il faut savoir construire, poser les premiers jalons d'une défense européenne. C'est à ce moment-là que nous pourrons compter vraiment dans une crise comme celle-là, et parler véritablement avec autorité par rapport à nos amis et alliés américains, ont un peu le sentiment, ou plutôt qui parfois répandent l'idée, que ce sont eux qui sont les seuls capables d'assumer l'effort de défense contre la violence, contre la prolifération, contre le terrorisme. Non ! Nous sommes nous aussi des combattants du terrorisme et contre la prolifération, mais effectivement par d'autres méthodes."
Ce n'est pas une petite question que vous posez, parce que c'est quelle Europe, monsieur Ayrault, quelle Europe demain ? Elle sort un peu ébranlée de tout ce qui se passe en ce moment.
J.-M. Ayrault : "C'est sûr. En même temps, il y a une Europe économique, une Europe monétaire, mais il n'y a pas un projet politique partagé. Il faut le clarifier : quelle société voulons-nous d'abord entre Européens ?"
Et surtout qui le clarifiera ? Est-ce que c'est une Europe à géométrie variable, une Europe réduite ? F. Bayrou qui sera ce soir l'invité de "Res Publica", dit : "il faut changer l'Europe".
J.-M. Ayrault : "Oui, d'accord, il faut changer l'Europe, il faut construire l'Europe à partir de ce qui a déjà été fait depuis le Traité de Rome. Il ne faut pas que ce soit un slogan ; F. Bayrou, c'est bien, mais concrètement, qu'est-ce qu'il propose ? Je crois que l'Europe à 25, c'est-à-dire l'Europe qui va être élargie aux anciens pays, qui faisaient partie de l'Europe mais qui ont été sous le joug soviétique, dans le Pacte de Varsovie - je pense à la Pologne -, ils ont naturellement leur place, mais il faut qu'on construise avec ces pays un projet de société. On ne peut pas faire n'importe quoi. Ce n'est pas un modèle extérieur, notamment anglo-saxon, qu'il faut imposer à l'Europe. C'est le premier point. Le deuxième point, je crois qu'il sera difficile, à 25, d'avoir une politique étrangère immédiatement, qui soit commune et claire, et donc aussi une politique de défense, parce que les deux sont liés. Donc, je propose très concrètement que se constitue une sorte de ligue européenne, c'est-à-dire des pays volontaires - je pense à la France et à l'Allemagne - pour cette politique étrangère commune et aussi cette défense commune. C'est-à-dire qu'il y aura des choix à faire, y compris financiers, et y travailler. Mais pas seulement la France et l'Allemagne, ou la Belgique, parce que c'est bien de se réunir à trois, mais il faudra parler aussi avec les Anglais, il faudra parler avec les Italiens, fondateurs, comme nous, du Traité de la Communauté européenne, et puis avec l'Espagne, les principaux pays. Et après, les volontaires pourront nous rejoindre. Mais il ne s'agit pas d'avoir une avant-garde ou un noyau dur, parce que la formule est mal perçue par nos partenaires. Et puis, il faut surtout parler, discuter, expliquer. Quand nous nous sommes réunis à Versailles avec les Allemands, par exemple, j'ai trouvé cela formidable, 40 ans après le Traité de l'Elysée, la réconciliation franco-allemande. C'était bien, c'était formidable. Mais je trouve que les autorités françaises n'ont pas pris le temps pour aller expliquer le sens que cela pouvait avoir pour l'Europe. Cela n'a pas toujours été compris par les Espagnols, par les Anglais, par les autres pays. Je pense qu'il faut prendre le temps, et je trouve que J. Chirac a une position juste concernant l'Irak, mais il aurait dû prendre plus de temps pour aller expliquer la position française. Il y a à remonter énormément de choses. Il y a de la confiance à créer, d'abord entre Européens."
J. Barrot : "Je veux simplement dire à J.-M. Ayrault qu'il y a une réponse très pratique : personnellement, avec A. Juppé, nous allons envoyer des parlementaires UMP ..."
J.-M. Ayrault : "Oui, nous le faisons aussi, mais ..."
J. Barrot : "... à travers les capitales européennes pour essayer, justement, de nouer un dialogue beaucoup plus approfondi. C'est le moment pour les Européens de se poser les questions de fond."
Un dernière question à l'un et à l'autre, et est difficile. Il faudrait du temps pour y répondre, mais vous avez très peu de temps pour le faire, parce qu'on est en retard. Les politiques ont un travail immense qui les attend sur les questions européennes, sur l'ordre mondial, etc. Comment allez-vous y intégrer la question des opinions internationales qui s'expriment de plus en plus clairement ? On voit, notamment en Europe, l'étonnant décalage parfois entre la représentation politique et l'expression du peuple. Comment vous intégrez cette question à votre raisonnement ?
J. Barrot : "C'est le moment où jamais de jouer vraiment, sur le plan de la démocratie, notre rôle de politiques. C'est de parler, de ne pas laisser non plus une information dont on a vu - D. Bromberger l'a montré aussi - les limites d'une certaine information téléguidée. Il faut que nous, nous jouions notre rôle, et que nous puissions effectivement évoquer les problèmes de fond. Nous sommes tous appelés - et je pense que J.-M. Ayrault ne me contredira pas -, opposition-majorité, à prendre nos responsabilités : comment construire l'ordre mondial demain ? Là, il faut que les politiques se trouvent tous mobilisés pour expliquer, pour dialoguer."
J.-M. Ayrault : "C'est un mot d'optimisme, parce qu'il existe une opinion publique européenne ; elle est forte et elle est claire : elle est contre la guerre, elle est pour un autre monde d'une certaine façon. Il faut donc entendre ce message. C'est notre responsabilité, nous les politiques. Il faut donc mettre de l'ordre dans le monde tel qu'il est, il faut le gouverner, il faut le réguler. Je pense que ces initiatives portent à la fois sur les questions économiques et sociales, elles portent bien sûr sur la sécurité. J'approuve l'initiative russe de revenir très vite au Conseil de sécurité. Il va se réunir mercredi. Et puis, j'ai proposé, la semaine dernière, une conférence internationale avec l'ensemble des grands pays et aussi les pays de la région, sur le Moyen-Orient, parce qu'il y a quand même une responsabilité mondiale sur le conflit israélo-palestinien. Si on avait commencé par ça, par le régler, avec une volonté politique... Elle n'existait pas et je trouve cela tout à fait dangereux. Il est grand temps de reconstruire et la tâche est immense."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 26 mars 2003)
J. Barrot : "Oui. Il est vrai que ce que nous avions redouté, ce sur quoi nous avions mis en garde nos alliés, risque en effet de se trouver avéré dans les faits. Ce n'est pas pour s'en réjouir, c'est simplement pour dire que désormais, nous devons convaincre tous nos alliés, et en particulier les démocraties européennes, que l'on ne traite pas des problèmes de la paix au Moyen-Orient, comme dans l'ensemble du monde, uniquement à travers des interventions militaires ponctuelles, qui ne résoudront pas les problèmes et qui entraînent un cortège de souffrances. Il y a en germes, en effet, une reconstruction de la gestion, de la régulation mondiale qui est en cours. Il faut que la France, qui a en quelque sorte, à travers l'attitude de J. Chirac, pris une longueur d'avance, aujourd'hui, mettre toute sa puissance de réflexion, sa puissance de conviction pour amener les démocraties à construire la paix, demain, d'une autre manière, c'est-à-dire dans le cadre de l'ONU, et vraiment sur des bases beaucoup plus solides."
Sinon, l'enlisement, - car il faudra peut-être quelques jour avant de pouvoir répondre à cette question - mais au moins, J.-M. Ayrault, cette guerre ne se déroule pas du tout comme les Américains l'avaient prévu. Est-ce que cela vous inquiète sur ce qui suivra cette guerre, c'est-à-dire peut-être l'instauration de nouveaux rapports de force sur cette planète ?
J.-M. Ayrault : "Ce que nous craignions, malheureusement, se produit. Nous étions contre cette guerre, non pas parce que nous sommes des "pacifistes habituels" ou des "protestataires habituels" - pour reprendre l'expression que citait D. Bromberger - mais par conviction. Nous avons pris nos responsabilités - je pense aux socialistes - au moment du Kosovo, de l'Afghanistan, [exprimé] notre solidarité avec les Américains après le 11 septembre et dans d'autres circonstances. Nous ne sommes pas des pacifistes systématiques. Nous sommes pour la paix, mais la paix cela se construit et parfois, il faut utiliser l'action militaire pour défendre la paix et les principes des droits de l'homme. Mais là, c'est tout autre chose qui se produit, et c'est cela qui fait notre profond désaccord avec les Etats-Unis, son gouvernement, parce que tout le monde ne pense pas la même chose. Il y a un nouvel ordre mondial à construire qui ne peut être basé que sur le droit et la justice. Et ce que nous avons dit, c'est "non" à cette guerre parce que c'est une guerre préventive, unilatérale, en dehors des Nations unies, parce qu'elle va creuser le fossé des civilisations, et c'est en train de se faire. L'opinion arabe, presque à l'unanimité, est contre les Américains. On voit même en Irak les populations victimes du régime de S. Hussein, qui ont une sorte de réflexe nationaliste, parce qu'ils voient bien cette intervention. Je crois qu'il y a un énorme travail à faire parce qu'aujourd'hui, il y a la crise des relations franco-américaines, c'est sûr, mais il y a la crise des Nations unies, la crise de l'OTAN, la crise de l'Europe. Donc, nous avons un énorme travail à faire. On ne peut pas rester - le monde ne peut pas rester - en cet état, sinon c'est la catastrophe annoncée. Il y a un point sur lequel je voudrais insister, si vous permettez : c'est l'aspect humanitaire..."
On en a beaucoup parlé ce matin.
J.-M. Ayrault : "J'ai entendu ce que vous avez dit, j'ai entendu les représentants de la Croix Rouge, ici en France, et en Irak. Il y a une question qu'il faut poser aux belligérants, à la coalition anglo-américaine : c'est de respecter les couloirs aériens et routiers pour faire passer les aides humanitaires. Par exemple, à Bassora, on a l'impression qu'on empêche. On a dit ce matin que c'était les Anglo-américains qui contrôlaient les approvisionnements en eau. On a l'impression qu'on utilise l'aspect humanitaire pour faire la guerre. Je crois qu'il faut vraiment dénoncer cela et en tout cas avoir des explications. La France doit le demander aussi."
J. Barrot, [parlons de] l'après-guerre, très important. Est-ce que les Américains vont accepter de sortir de leur unilatéralisme ? M. Blair prend l'avion aujourd'hui pour aller voir le président américain et lui proposer que l'ONU puisse s'occuper de la question de l'après-guerre.
J. Barrot : "C'est tout de même déjà un progrès. Il y a à Londres, désormais, une prise de conscience - d'autant plus à la lumière de ce qui se passe -, de la nécessité absolue de ramener l'ONU au coeur du dispositif et de faire en sorte que la reconstruction de l'Irak ne se fasse pas, là aussi, d'une manière unilatérale, avec une sorte - je ne peux qualifier le terme exact - d'omniprésence américaine qui sera ressentie très mal dans la région et qui peut avoir des effets tout à fait pervers. Il faut revenir avec l'ensemble des démocraties pour garantir, en quelque sorte, l'unité et l'intégrité de l'Irak, avec si possible, en effet, une base politique stable qui tienne compte du pluralisme de ce pays. Et là, nous avons incontestablement un rôle majeur à jouer. Mais, je voudrais insister sur un fait - je pense que nous sommes largement d'accord avec J.-M. Ayrault - : il y a un point très important, c'est que, s'il y a bien une leçon à tirer, c'est aussi que nous ne pouvons pas non plus, nous, en Europe, pratiquer une espèce de pacifisme. Il faut savoir construire, poser les premiers jalons d'une défense européenne. C'est à ce moment-là que nous pourrons compter vraiment dans une crise comme celle-là, et parler véritablement avec autorité par rapport à nos amis et alliés américains, ont un peu le sentiment, ou plutôt qui parfois répandent l'idée, que ce sont eux qui sont les seuls capables d'assumer l'effort de défense contre la violence, contre la prolifération, contre le terrorisme. Non ! Nous sommes nous aussi des combattants du terrorisme et contre la prolifération, mais effectivement par d'autres méthodes."
Ce n'est pas une petite question que vous posez, parce que c'est quelle Europe, monsieur Ayrault, quelle Europe demain ? Elle sort un peu ébranlée de tout ce qui se passe en ce moment.
J.-M. Ayrault : "C'est sûr. En même temps, il y a une Europe économique, une Europe monétaire, mais il n'y a pas un projet politique partagé. Il faut le clarifier : quelle société voulons-nous d'abord entre Européens ?"
Et surtout qui le clarifiera ? Est-ce que c'est une Europe à géométrie variable, une Europe réduite ? F. Bayrou qui sera ce soir l'invité de "Res Publica", dit : "il faut changer l'Europe".
J.-M. Ayrault : "Oui, d'accord, il faut changer l'Europe, il faut construire l'Europe à partir de ce qui a déjà été fait depuis le Traité de Rome. Il ne faut pas que ce soit un slogan ; F. Bayrou, c'est bien, mais concrètement, qu'est-ce qu'il propose ? Je crois que l'Europe à 25, c'est-à-dire l'Europe qui va être élargie aux anciens pays, qui faisaient partie de l'Europe mais qui ont été sous le joug soviétique, dans le Pacte de Varsovie - je pense à la Pologne -, ils ont naturellement leur place, mais il faut qu'on construise avec ces pays un projet de société. On ne peut pas faire n'importe quoi. Ce n'est pas un modèle extérieur, notamment anglo-saxon, qu'il faut imposer à l'Europe. C'est le premier point. Le deuxième point, je crois qu'il sera difficile, à 25, d'avoir une politique étrangère immédiatement, qui soit commune et claire, et donc aussi une politique de défense, parce que les deux sont liés. Donc, je propose très concrètement que se constitue une sorte de ligue européenne, c'est-à-dire des pays volontaires - je pense à la France et à l'Allemagne - pour cette politique étrangère commune et aussi cette défense commune. C'est-à-dire qu'il y aura des choix à faire, y compris financiers, et y travailler. Mais pas seulement la France et l'Allemagne, ou la Belgique, parce que c'est bien de se réunir à trois, mais il faudra parler aussi avec les Anglais, il faudra parler avec les Italiens, fondateurs, comme nous, du Traité de la Communauté européenne, et puis avec l'Espagne, les principaux pays. Et après, les volontaires pourront nous rejoindre. Mais il ne s'agit pas d'avoir une avant-garde ou un noyau dur, parce que la formule est mal perçue par nos partenaires. Et puis, il faut surtout parler, discuter, expliquer. Quand nous nous sommes réunis à Versailles avec les Allemands, par exemple, j'ai trouvé cela formidable, 40 ans après le Traité de l'Elysée, la réconciliation franco-allemande. C'était bien, c'était formidable. Mais je trouve que les autorités françaises n'ont pas pris le temps pour aller expliquer le sens que cela pouvait avoir pour l'Europe. Cela n'a pas toujours été compris par les Espagnols, par les Anglais, par les autres pays. Je pense qu'il faut prendre le temps, et je trouve que J. Chirac a une position juste concernant l'Irak, mais il aurait dû prendre plus de temps pour aller expliquer la position française. Il y a à remonter énormément de choses. Il y a de la confiance à créer, d'abord entre Européens."
J. Barrot : "Je veux simplement dire à J.-M. Ayrault qu'il y a une réponse très pratique : personnellement, avec A. Juppé, nous allons envoyer des parlementaires UMP ..."
J.-M. Ayrault : "Oui, nous le faisons aussi, mais ..."
J. Barrot : "... à travers les capitales européennes pour essayer, justement, de nouer un dialogue beaucoup plus approfondi. C'est le moment pour les Européens de se poser les questions de fond."
Un dernière question à l'un et à l'autre, et est difficile. Il faudrait du temps pour y répondre, mais vous avez très peu de temps pour le faire, parce qu'on est en retard. Les politiques ont un travail immense qui les attend sur les questions européennes, sur l'ordre mondial, etc. Comment allez-vous y intégrer la question des opinions internationales qui s'expriment de plus en plus clairement ? On voit, notamment en Europe, l'étonnant décalage parfois entre la représentation politique et l'expression du peuple. Comment vous intégrez cette question à votre raisonnement ?
J. Barrot : "C'est le moment où jamais de jouer vraiment, sur le plan de la démocratie, notre rôle de politiques. C'est de parler, de ne pas laisser non plus une information dont on a vu - D. Bromberger l'a montré aussi - les limites d'une certaine information téléguidée. Il faut que nous, nous jouions notre rôle, et que nous puissions effectivement évoquer les problèmes de fond. Nous sommes tous appelés - et je pense que J.-M. Ayrault ne me contredira pas -, opposition-majorité, à prendre nos responsabilités : comment construire l'ordre mondial demain ? Là, il faut que les politiques se trouvent tous mobilisés pour expliquer, pour dialoguer."
J.-M. Ayrault : "C'est un mot d'optimisme, parce qu'il existe une opinion publique européenne ; elle est forte et elle est claire : elle est contre la guerre, elle est pour un autre monde d'une certaine façon. Il faut donc entendre ce message. C'est notre responsabilité, nous les politiques. Il faut donc mettre de l'ordre dans le monde tel qu'il est, il faut le gouverner, il faut le réguler. Je pense que ces initiatives portent à la fois sur les questions économiques et sociales, elles portent bien sûr sur la sécurité. J'approuve l'initiative russe de revenir très vite au Conseil de sécurité. Il va se réunir mercredi. Et puis, j'ai proposé, la semaine dernière, une conférence internationale avec l'ensemble des grands pays et aussi les pays de la région, sur le Moyen-Orient, parce qu'il y a quand même une responsabilité mondiale sur le conflit israélo-palestinien. Si on avait commencé par ça, par le régler, avec une volonté politique... Elle n'existait pas et je trouve cela tout à fait dangereux. Il est grand temps de reconstruire et la tâche est immense."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 26 mars 2003)