Déclaration de M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur les relations nord-sud, les politiques d'aide au développement et l'impact des politiques agricoles et du commerce mondial sur les pays en développement, à Paris le 15 mai 2003.

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Circonstance : 5ème conférence européenne annuelle sur le développement économique organisée par la Banque mondiale et le Conseil d'analyse économique, à Paris le 15 mai 2003

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Présidents, les Ambassadeurs, les Directeurs généraux, les Conseillers,
Mesdames et Messieurs,
C'est un honneur et un réel plaisir pour moi d'accueillir au nom du gouvernement français, et en tant que ministre chargé de la Coopération, les nombreuses personnalités, les responsables politiques, économiques et financiers, les experts et les chercheurs qui participent à cette cinquième conférence européenne sur le développement économique organisée par la Banque mondiale (dite ABCDE).
Pendant deux jours, vos travaux vont se dérouler dans les locaux du ministère de l'Economie et des Finances. Je souhaite qu'ils permettent des échanges utiles et des progrès dans l'analyse et la mise au point de réponses plus efficaces aux questions qui se posent à nous en matière de développement.
Le rôle des responsables politiques et des experts, dans des occasions comme celle qui nous réunit, est d'abord d'interroger, d'écouter. Il est aussi de permettre à toutes les voix de se faire entendre afin que vous puissiez assurer votre rôle d'éclaireurs de la décision publique, en dissipant notamment les fausses évidences ou les consensus hâtifs.
Je ne doute pas que le président Lula da Silva qui s'adressera à vous à la fin de vos travaux plaidera lui aussi dans ce sens.
Les thèmes retenus cette année mettent en lumière votre rôle éminemment politique au vrai sens du mot. "Intégration économique et responsabilité sociale au travers des flux migratoires, des flux commerciaux et de capitaux privés, des flux de connaissance", tel est l'intitulé général ; il nous invite à avoir une conception large des politiques internationales en faveur du développement à la mesure d'une société mondialisée faite de multiples interactions.
Sans vouloir être exhaustif, permettez-moi en tant que responsable de la politique française d'aide au développement, de faire quelques observations sur les points que vous allez aborder.
Une impression d'ensemble tout d'abord : à lire le programme, nous pourrions être tentés de voir dans l'étendue croissante des domaines aujourd'hui associés à la politique du développement ce que le philosophe français Pascal disait déjà au XVIIème siècle, à propos de l'univers : "un espace infini dont le centre est partout et la circonférence nulle part".
Dans cet univers en perpétuelle évolution, il faut donc nous appuyer sur quelques repères. Les objectifs du Millénaire nous les fournissent. Ils vont même au-delà : ils proposent une forme de contrat entre les pays les plus riches et les pays en développement, en définissant les obligations réciproques et les responsabilités communes et différenciées.
Nous partons d'une réalité tragique : aujourd'hui encore, trois milliards de personnes vivent avec moins de deux dollars par jour. Cette situation concerne notamment des pays qui ne demandent qu'à s'insérer dans le réseau mondial de biens, de services, et d'idées. Et certains d'entre eux ont pourtant déjà lancé les réformes recommandées en vue d'accéder à ce réseau.
L'enjeu est de diviser ce chiffre de 3 milliards par deux, et d'atteindre les objectifs que la communauté internationale s'est donnés. Il importe pour cela de soutenir les signataires de ces engagements, de les aider à respecter au mieux ce contrat.
Comment ? D'abord en rappelant avec insistance à tous, responsables politiques et opinions publiques, l'enjeu de ces accords et ce qu'ils impliquent. Ensuite en veillant à rendre publics des faits, qui sont, comme chacun le sait, têtus.
Parmi ces faits, j'évoquerai en premier lieu, le montant de l'aide publique. Cette aide, nous le savons, a diminué de moitié en 10 ans. Nous, pays développés, nous sommes cependant résolus à apporter aux pays pauvres désireux d'atteindre les objectifs du Millénaire, les moyens dont ils ont besoin. La France, quant à elle, s'est engagée à augmenter de moitié son aide publique au développement durant les cinq prochaines années, afin d'atteindre en 2007 une part globale d'aide publique au développement égale à 0,5 % de son revenu national brut et dans les 5 ans qui suivront une part de 0,7 % de ce revenu.
Nous savons bien sûr que l'APD ne pourra couvrir qu'une partie du volume des financements nécessaires. D'autres sources de financement, qui seront évoquées ici, occuperont une place essentielle.
Il n'en reste pas moins que pour inciter tous les pays développés à consacrer un effort important à cette aide, nous devons pour cela démontrer son efficacité.
Au regard des disparités que l'on observe entre les contributions des principaux pays développés, je souhaiterais pour ma part que nous puissions convaincre les plus réticents d'augmenter leur effort et inciter en même temps nos institutions internationales à rendre effective cette croissance de l'aide publique.
Dans mon esprit, votre rôle est aussi de nous aider à échapper à la tentation des solutions toutes faites : il nous faut d'abord examiner sans préjugés le résultat des politiques suivies et évaluer les conséquences prévisibles de celles qui sont envisagées.
Comme vous le savez, nos politiques en faveur du développement sont toujours, en définitive, des politiques économiques. Par le passé nous avons cependant eu tendance à ignorer l'influence des facteurs humains, moins mesurables par définition.
D'une façon générale, nos conceptions du développement reposent toutes, à des degrés divers, sur trois éléments : pour se développer un pays doit s'ouvrir aux échanges internationaux, accueillir les initiatives de ses entrepreneurs, et disposer d'institutions transparentes et efficaces.
La plupart des pays en développement, notamment les initiateurs du NEPAD, sont les premiers à reconnaître l'importance de ces conditions. Cette initiative me paraît très importante. Elle renouvelle la relation entre les pays en développement concernés et les bailleurs de fonds. Sa mise en uvre méritera d'être observée, elle nous donnera certainement matière à réflexion.
Vous allez évoquer ici l'impact des politiques agricoles des pays de l'OCDE sur les pays en développement, et plus généralement celui du commerce mondial et son rôle dans la réduction de la pauvreté.
Il serait utile en particulier d'analyser les régimes du commerce mondial des produits de base sous les trois aspects que j'ai indiqués : échanges, distribution et institutions. Car ces produits fournissent encore le moyen d'existence de la majorité des habitants des pays en développement.
M. Robert Piccioto, qui interviendra demain, a mis en évidence les graves conséquences qu'a eues pour les pays africains non exportateurs de pétrole la volatilité des marchés et des prix ayant accompagné la mondialisation : il conclut que le transfert net et la redistribution économique se sont produits en réalité de l'Afrique vers le reste du monde et non l'inverse.
Afin d'éviter une marginalisation par rapport au commerce international, le président Jacques Chirac a proposé l'initiative commerciale pour l'Afrique. Son but est de faire en sorte que la libéralisation des échanges se fasse réellement en faveur des pays en développement, de tous les pays en développement. Les études qui nous seront présentées montrent bien en effet qu'avec nos règles actuelles, et dans l'hypothèse où le niveau des prix deviendrait la seule règle, nous risquons de laisser de côté une bonne part de ceux que nous essayons d'aider.
Je me garderai cependant dans cette introduction d'aborder plus avant tous les thèmes que vous allez traiter. Je dois en effet vous laisser travailler. Je me contenterai simplement d'une remarque.
Nous sommes confrontés à un monde instable, dans lequel le risque s'impose à tous. La recherche de la sécurité est donc une nécessité. L'actualité internationale ne peut que nous pousser à faire reconnaître le développement comme l'une des conditions essentielles de cette sécurité à l'échelle mondiale.
Comme tous mes collègues chargés du développement, dans nos pays respectifs, je compte sur vous pour ouvrir des pistes de réflexion et les approfondir. Plus encore que dans d'autres domaines, la réflexion doit en effet accompagner et guider notre action.
Vos échanges, je n'en doute pas, seront des plus profitables. Ils nourriront les débats et inspireront les décisions à venir. Je pense notamment à celles qui seront prises lors du Sommet du G8 d'Evian, les 1er et 2 juin.
Je souhaite donc à vos travaux le plus grand succès, en regrettant de ne pouvoir les suivre moi-même, puisque je dois vous quitter afin de me rendre à Bruxelles où se réunissent aujourd'hui et demain les ministres de l'Union européenne et ceux des pays d'Afrique-Caraïbes-Pacifique.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 mai 2003)