Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur les relations entre la France et la Grèce, l'Union économique et monétaire, la situation à Chypre et le contentieux entre la Turquie et la Grèce, Athènes le 14 septembre 1996.

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Circonstance : Voyage en Grèce de M. Alain Juppé, notamment pour la commémoration du 150ème anniversaire de l'Ecole française d'Athènes, le 14 septembre 1996

Texte intégral


Je voudrais d'emblée remercier le Premier ministre Simitis de m'accueillir aujourd'hui à Athènes. J'avais choisi cette date parce qu'elle me permettait effectivement de participer à la commémoration de la création de l'Ecole française d'Athènes, il y a maintenant 150 ans. Les conditions propres à la vie politique interne de la Grèce ont évolué depuis que j'ai fait ce choix et je suis particulièrement reconnaissant au Premier ministre d'avoir néanmoins maintenu son invitation et de m'avoir donc donné la possibilité d'être demain à l'Ecole française d'Athènes. Nous avons eu, ce matin, un entretien que M. Simitis a qualifié de chaleureux et je crois que c'est le mot qui convient.

Les relations entre la France et la Grèce sont traditionnellement bonnes, et j'ai toujours un petit peu de mal, quand je m'exprime sur la Grèce, à faire le partage entre mes sentiments, des sentiments d'affection que j'ai pour votre pays et votre peuple, et puis évidemment les considérations plus officielles et plus politiques. Cette relation se fonde sur l'amitié, il faut dire les choses simplement. J'ai constaté qu'aujourd'hui les conditions étaient réunies pour que ces mêmes relations prennent un nouvel élan, qu'elles se renforcent encore. D'abord sur un plan bilatéral, nous n'avons pas de difficultés, nos relations économiques sont bonnes, des grands projets sont en cours d'élaboration, et nous avons souhaité qu'ils se concrétisent. Nos relations culturelles sont également très belles. J'ai évoqué la présence de la chaîne de télévision francophone TV5 en Grèce, nous avons là un certain nombre de décisions à prendre et j'ai trouvé beaucoup d'ouverture de la part du Premier ministre grec.

J'ai ensuite redit à M. Simitis combien la France était prête à soutenir la Grèce dans ses efforts pour approfondir sa relation avec l'Union européenne et ceci nous a évidemment amené à échanger nos vues sur la Conférence intergouvernementale. Nos approches ne sont pas toujours forcément les mêmes entre Etats membres mais nous avons la commune volonté d'avancer. Il faut que le calendrier que nous nous sommes fixé et qui devrait permettre d'aboutir au printemps prochain soit tenu. C'est dans cet état d'esprit que nous aborderons les rencontres de Dublin, en octobre et en décembre prochains.

Nous avons également évoqué l'Union économique et monétaire. J'ai réaffirmé la volonté de la France de respecter ses engagements, c'est-à-dire les critères et les calendriers fixés par le Traité. Et puis, nous avons bien sûr aussi évoqué la situation régionale. J'ai redit à M. Simitis que la France souhaitait l'apaisement, le dialogue, car toute escalade finalement est difficile à maîtriser. Nous sommes attachés au respect des traités, nous sommes hostiles à toute mesure unilatérale, a fortiori toute mesure de force. Lorsqu'il y a des différends, ils doivent être portés devant les juridictions internationales suivant des procédures de type "Cour internationale de Justice". Et la France est prête, pour sa part, à exercer toute son influence pour que le dialogue entre la Turquie et la Grèce ainsi que le dialogue intercommunautaire à Chypre puisse reprendre, de façon à réunir les conditions de l'apaisement et du progrès, de la coopération.

Voilà quelques uns des sujets que nous avons abordés. Je voudrais à nouveau dire à M. Simitis et à M. Pangalos, dont je ne veux pas oublier qu'il a été, pendant deux ans, mon collègue autour de la table du Conseil des ministres à Bruxelles, toute la joie que j'ai à être aujourd'hui à Athènes et toute la satisfaction de voir combien nos relations sont bonnes.

Q - En ce qui concerne l'affaire chypriote, Monsieur le Premier ministre, étant donné l'impuissance des Nations unies à apporter une solution et étant donné aussi la perspective de l'adhésion de Chypre à l'Union, la France croit-elle que cette affaire doit être laissée exclusivement aux initiatives américaines comme ce fut le cas pour l'ex-Yougoslavie ou bien ne faut-il pas prendre une initiative substantielle, comme la création d'une action commune pour Chypre ou la nomination d'un représentant de l'Union de haut rang pour que l'acquis communautaire soit repris dans la solution qui sera trouvée pour Chypre ?

R - Juste une petite précision : la solution de la crise yougoslave n'a pas été le seul fait de nos amis alliés américains. Tout le monde s'y est mis, tout le monde a joué un rôle et en particulier, l'Union européenne, la Grèce et la France.

S'agissant de Chypre, nous continuons à penser que les bases de discussions et de compromis qui ont été posées par les Nations unies sont utiles et peuvent fournir des éléments de démarrage d'un dialogue. Mais naturellement nous pensons que l'Union européenne a aussi son rôle à jouer dans la perspective de l'élargissement que vous avez évoqué et nous soutenons les efforts de la présidence irlandaise en ce sens. La France est elle-même disponible si elle peut servir, compte tenu de ses bonnes relations avec les différentes parties concernées.

Q - Monsieur le Premier ministre, vous avez dit qu'il fallait éviter les initiatives unilatérales, afin de ne pas provoquer des crises. Que considérez-vous comme initiative unilatérale ? Est-ce qu'une éventuelle décision de la Grèce de défendre ses eaux territoriales quand c'est son droit souverain pourrait être considérée commune une initiative unilatérale ? Est-ce que les vues de la Turquie sur les îlots rocheux d'Imia sont considérées comme une initiative unilatérale ?

R - Vous savez, dans mes études, j'ai été formé à la précision dans le langage. Alors, une initiative unilatérale, c'est une initiative qui est prise par un seul côté sans en parler à l'autre. Voilà ce que cela veut dire. Et donc, on peut imaginer, à partir de cela, toutes sortes de scénarios. Je l'ai dit tout à l'heure, la France est attachée au respect des traités. Lorsqu'il y a un différend sur l'interprétation de ces traités, il y a des procédures, il y a une Cour internationale de Justice ou d'autres procédures qui peuvent s'inspirer de cette idée, de cet esprit. En revanche, toute solution de force, toute solution, je le répète, imposée sans dialogue, ne me paraît pas de nature à faire avancer les choses. Je n'entrerai pas dans davantage de détails.

Q - Monsieur le Premier ministre, votre gouvernement s'est opposé à l'initiative américaine en Iraq. Est-ce que vous êtes de l'avis que la Turquie a le droit d'intervenir dans cette région comme elle le projette ?

R - Je ne pense pas que l'on puisse dire que le gouvernement français se soit opposé à l'initiative américaine. Nous avons simplement rappelé notre attachement aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies qui sont la loi internationale. Et ceci nous a effectivement amené à considérer que certaines réactions n'étaient pas adaptées à la situation. Mais nous avons rappelé que ce respect des résolutions du Conseil de sécurité s'adressait à tout le monde, y compris aux autorités iraquiennes, en souhaitant que les troupes iraquiennes quittent les territoires qu'elles avaient occupées, plus exactement sur lesquelles elles étaient, sur lesquelles elles avaient pénétrées en violation de ces résolutions. Voilà la position de la France sur cette question, et là encore, c'est par la voie de la discussion et du dialogue et dans le cadre du respect de ce qu'ont décidé les Nations unies, que l'on pourra trouver une solution et non pas l'utilisation de la force.

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 août 2002)