Texte intégral
Monsieur le Gouverneur,
Monsieur le Président de Rexecode, cher Gérard Worms,
Cher Michel Didier,
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
Vous avez choisi pour thème central de réflexion à vos débats " la croissance durable ". Je vous en félicite. Ce thème est au coeur de la politique économique du Gouvernement. Il constitue une rupture avec la politique précédente. Il est donc important de bien en mesurer la signification afin de pouvoir en apprécier les résultats.
Pour ma part, je comprends les termes de " croissance durable " comme la combinaison de deux objectifs.
Une croissance durable, c'est d'abord une croissance plus soutenue dans le long terme. De ce point de vue, vous avez tous pris la mesure du défi que s'est lancé le gouvernement : gagner durablement un point de croissance par an. C'est à dire passer d'une moyenne annuelle de 2 % à une moyenne annuelle de 3 %.
Le second objectif est de faire en sorte que cette croissance soit moins dépendante des influences de la conjoncture internationale et des cycles économiques. Personnellement, je comprends cela comme le souhait d'une économie plus dynamique du côté de l'offre, et moins dépendante du côté de la demande. Une économie plus dynamique du côté de l'offre, tout le monde le sait, c'est moins de prélèvements obligatoires, donc forcément moins de dépenses publiques.
Combiner ces deux objectifs, c'est s'efforcer de dynamiser les ressorts intrinsèques de notre propre économie afin de la placer sur un " sentier de croissance " plus élevé.
Comment ? Toute la question est là.
Mon sentiment, que je livre à votre sagacité, est que pour atteindre cet objectif, les leviers habituels de politique économique dont dispose l'Etat - politique budgétaire, politique fiscale, notamment - ne peuvent suffire.
Il faut en effet mobiliser de nouveaux leviers, afin d'aller puiser dans les gisements de croissance insuffisamment exploités, libérer les énergies et accroître la productivité.
Ces gisements de croissance, nous les connaissons tous. Ce sont nos ressources humaines, la qualification de notre main d'oeuvre, sa formation initiale et sa formation continue, la capacité de notre économie à attirer des talents étrangers et à ne pas inciter les nôtres au départ.
Ce sont notre potentiel de recherche et de développement, d'innovation et de création d'entreprise, notre capacité aussi à générer de nouvelles technologies.
Ces réserves de croissance, ce sont enfin l'Etat lui-même, son volume, son poids et plus encore sa densité.
La mobilisation de ces gisements de croissance suppose, à mon avis, une action dans trois directions. Il doit s'agir de modifier la hiérarchie des valeurs, de changer la place des acteurs et enfin, d'amender les modes de régulation.
Modifier la hiérarchie des valeurs, c'est, d'une part, réhabiliter la valeur " travail " et, d'autre part, promouvoir les valeurs entrepreuneuriales : l'esprit d'initiative, la responsabilité, l'audace.
De ce point de vue, nous sommes à la croisée des chemins. Ne vous y trompez pas ! Du succès de la réforme des retraites dépend beaucoup plus que l'avenir des retraites. Cette réforme concerne les valeurs et à travers les valeurs, la future organisation du travail dans notre pays, avec en particulier la question de la place des seniors dans une société globalement vieillissante.
Pour la première fois depuis trente ans un gouvernement doit expliquer à nos concitoyens que leur futur n'est pas fait de moins de travail, mais au contraire de plus de travail. C'est une véritable révolution culturelle !
Il est donc impératif que cette réforme réussisse et donc que le gouvernement soit ferme. Ce sont les valeurs de la future société française qui sont en jeu !
Modifier la place des acteurs, en second lieu, c'est donner plus de place à l'initiative privée. Les entreprises privées ont un rôle clef à jouer dans la croissance durable. Il faut que chacun se prenne en main et arrête de tout attendre de l'Etat. C'est le cas, en particulier, dans le domaine de l'innovation et de la recherche. Le problème, notre problème n'est pas d'accroître ou de réduire le budget de la recherche publique. Il fait partie des budgets publics les plus importants au monde. Notre problème est bien l'insuffisance de la recherche privée. Ce qui renvoie à des problèmes de fiscalité sur les hauts revenus, de propriété industrielle et de brevets.
Enfin, il convient de modifier les mécanismes de régulation. Je n'ose dire inventer de " nouvelles régulations économiques ", le terme ayant été quelque peu galvaudé... Mais le problème est bien là. Il est temps de mettre des faits derrière les mots.
De ce point de vue, du point de vue des nouvelles régulations, l'action de Jean-Pierre Raffarin en faveur de la décentralisation, cette même action que nous menons au Sénat depuis de nombreuses années et dont nous avons été l'initiateur, l'inspirateur et l'aiguillon, mérite d'être saluée.
J'estime en effet que la relance de la décentralisation fait partie intégrante de la réforme de l'Etat, même si elle ne saurait à elle seule en tenir lieu, et constitue une rupture dans les modes de gouvernance.
Tout d'abord, parce que l'expérience prouve que les collectivités locales sont capables de mieux gérer, de faire plus et mieux que l'Etat. Et qu'au final, l'Etat ainsi libéré de tâches qu'il a du mal à assumer peut se concentrer sur ses missions régaliennes, sa fonction de stratège et son rôle de garant de l'égalité des chances entre les citoyens, mais aussi entre les territoires.
Ensuite, parce que les collectivités territoriales jouent un rôle déterminant en matière d'investissement. Assumant près de 80% de l'investissement public civil, leurs choix stratégiques peuvent et doivent contribuer à l'obtention de ce point de croissance supplémentaire tant espéré.
C'est pourquoi ma vigilance sera extrême pour veiller à ce que l'acte II de la décentralisation et les transferts de compétences dont il s'accompagne n'aboutissent pas à étouffer les marges d'investissement des collectivités locales.
Je veillerai aussi à ce que la décentralisation ne se résume pas à un transfert de prélèvements obligatoires de l'Etat vers les collectivités territoriales.
En conclusion, j'ai l'espoir que nous sommes enfin entrés dans une ère de réformes, une ère de réformes profondes, menées avec sérénité et détermination par un gouvernement qui dispose de la durée.
J'ai la conviction que la société française a enfin pleinement conscience, malgré quelques soubresauts, de la nécessité de ces réformes, et de leur urgence.
Car pour obtenir un point de croissance supplémentaire, il va falloir frapper fort ! C'est cela qu'attendent les entrepreneurs. Ils en ont en assez des réformes en douceur et des petites lois entre amis. Ils attendent de vraies réformes structurelles pour relancer la machine économique, car ils savent que la consommation ne se maintiendra pas éternellement au niveau actuel et que le chômage progresse.
Pour réformer, pour frapper fort, il n'est pas trop tard. Mais il est grand temps !
Je vous remercie de votre attention et vous souhaite de fructueux débats.
(Source http://www.senat.gouv.fr, le 23 mai 2003)
Monsieur le Président de Rexecode, cher Gérard Worms,
Cher Michel Didier,
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
Vous avez choisi pour thème central de réflexion à vos débats " la croissance durable ". Je vous en félicite. Ce thème est au coeur de la politique économique du Gouvernement. Il constitue une rupture avec la politique précédente. Il est donc important de bien en mesurer la signification afin de pouvoir en apprécier les résultats.
Pour ma part, je comprends les termes de " croissance durable " comme la combinaison de deux objectifs.
Une croissance durable, c'est d'abord une croissance plus soutenue dans le long terme. De ce point de vue, vous avez tous pris la mesure du défi que s'est lancé le gouvernement : gagner durablement un point de croissance par an. C'est à dire passer d'une moyenne annuelle de 2 % à une moyenne annuelle de 3 %.
Le second objectif est de faire en sorte que cette croissance soit moins dépendante des influences de la conjoncture internationale et des cycles économiques. Personnellement, je comprends cela comme le souhait d'une économie plus dynamique du côté de l'offre, et moins dépendante du côté de la demande. Une économie plus dynamique du côté de l'offre, tout le monde le sait, c'est moins de prélèvements obligatoires, donc forcément moins de dépenses publiques.
Combiner ces deux objectifs, c'est s'efforcer de dynamiser les ressorts intrinsèques de notre propre économie afin de la placer sur un " sentier de croissance " plus élevé.
Comment ? Toute la question est là.
Mon sentiment, que je livre à votre sagacité, est que pour atteindre cet objectif, les leviers habituels de politique économique dont dispose l'Etat - politique budgétaire, politique fiscale, notamment - ne peuvent suffire.
Il faut en effet mobiliser de nouveaux leviers, afin d'aller puiser dans les gisements de croissance insuffisamment exploités, libérer les énergies et accroître la productivité.
Ces gisements de croissance, nous les connaissons tous. Ce sont nos ressources humaines, la qualification de notre main d'oeuvre, sa formation initiale et sa formation continue, la capacité de notre économie à attirer des talents étrangers et à ne pas inciter les nôtres au départ.
Ce sont notre potentiel de recherche et de développement, d'innovation et de création d'entreprise, notre capacité aussi à générer de nouvelles technologies.
Ces réserves de croissance, ce sont enfin l'Etat lui-même, son volume, son poids et plus encore sa densité.
La mobilisation de ces gisements de croissance suppose, à mon avis, une action dans trois directions. Il doit s'agir de modifier la hiérarchie des valeurs, de changer la place des acteurs et enfin, d'amender les modes de régulation.
Modifier la hiérarchie des valeurs, c'est, d'une part, réhabiliter la valeur " travail " et, d'autre part, promouvoir les valeurs entrepreuneuriales : l'esprit d'initiative, la responsabilité, l'audace.
De ce point de vue, nous sommes à la croisée des chemins. Ne vous y trompez pas ! Du succès de la réforme des retraites dépend beaucoup plus que l'avenir des retraites. Cette réforme concerne les valeurs et à travers les valeurs, la future organisation du travail dans notre pays, avec en particulier la question de la place des seniors dans une société globalement vieillissante.
Pour la première fois depuis trente ans un gouvernement doit expliquer à nos concitoyens que leur futur n'est pas fait de moins de travail, mais au contraire de plus de travail. C'est une véritable révolution culturelle !
Il est donc impératif que cette réforme réussisse et donc que le gouvernement soit ferme. Ce sont les valeurs de la future société française qui sont en jeu !
Modifier la place des acteurs, en second lieu, c'est donner plus de place à l'initiative privée. Les entreprises privées ont un rôle clef à jouer dans la croissance durable. Il faut que chacun se prenne en main et arrête de tout attendre de l'Etat. C'est le cas, en particulier, dans le domaine de l'innovation et de la recherche. Le problème, notre problème n'est pas d'accroître ou de réduire le budget de la recherche publique. Il fait partie des budgets publics les plus importants au monde. Notre problème est bien l'insuffisance de la recherche privée. Ce qui renvoie à des problèmes de fiscalité sur les hauts revenus, de propriété industrielle et de brevets.
Enfin, il convient de modifier les mécanismes de régulation. Je n'ose dire inventer de " nouvelles régulations économiques ", le terme ayant été quelque peu galvaudé... Mais le problème est bien là. Il est temps de mettre des faits derrière les mots.
De ce point de vue, du point de vue des nouvelles régulations, l'action de Jean-Pierre Raffarin en faveur de la décentralisation, cette même action que nous menons au Sénat depuis de nombreuses années et dont nous avons été l'initiateur, l'inspirateur et l'aiguillon, mérite d'être saluée.
J'estime en effet que la relance de la décentralisation fait partie intégrante de la réforme de l'Etat, même si elle ne saurait à elle seule en tenir lieu, et constitue une rupture dans les modes de gouvernance.
Tout d'abord, parce que l'expérience prouve que les collectivités locales sont capables de mieux gérer, de faire plus et mieux que l'Etat. Et qu'au final, l'Etat ainsi libéré de tâches qu'il a du mal à assumer peut se concentrer sur ses missions régaliennes, sa fonction de stratège et son rôle de garant de l'égalité des chances entre les citoyens, mais aussi entre les territoires.
Ensuite, parce que les collectivités territoriales jouent un rôle déterminant en matière d'investissement. Assumant près de 80% de l'investissement public civil, leurs choix stratégiques peuvent et doivent contribuer à l'obtention de ce point de croissance supplémentaire tant espéré.
C'est pourquoi ma vigilance sera extrême pour veiller à ce que l'acte II de la décentralisation et les transferts de compétences dont il s'accompagne n'aboutissent pas à étouffer les marges d'investissement des collectivités locales.
Je veillerai aussi à ce que la décentralisation ne se résume pas à un transfert de prélèvements obligatoires de l'Etat vers les collectivités territoriales.
En conclusion, j'ai l'espoir que nous sommes enfin entrés dans une ère de réformes, une ère de réformes profondes, menées avec sérénité et détermination par un gouvernement qui dispose de la durée.
J'ai la conviction que la société française a enfin pleinement conscience, malgré quelques soubresauts, de la nécessité de ces réformes, et de leur urgence.
Car pour obtenir un point de croissance supplémentaire, il va falloir frapper fort ! C'est cela qu'attendent les entrepreneurs. Ils en ont en assez des réformes en douceur et des petites lois entre amis. Ils attendent de vraies réformes structurelles pour relancer la machine économique, car ils savent que la consommation ne se maintiendra pas éternellement au niveau actuel et que le chômage progresse.
Pour réformer, pour frapper fort, il n'est pas trop tard. Mais il est grand temps !
Je vous remercie de votre attention et vous souhaite de fructueux débats.
(Source http://www.senat.gouv.fr, le 23 mai 2003)