Déclaration de M. Hervé Morin, président du groupe parlementaire UDF à l'Assemblée nationale, sur les réserves et les propositions de l'UDF par rapport à la politique gouvernementale, notamment sur le budget, les 35 heures et l'éducation, Semur-en-Auxois le 21 septembre 2003.

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Circonstance : Journées parlementaires de l'UDF à Semur-en-Auxois (Côte d'Or) du 19 au 21 septembre 2003

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux d'être ici en Bourgogne dans cette terre que je ressens un peu comme la mienne tant j'y suis allé souvent, pour y vivre des moments magiques, autour du vin, de la bonne table, de ses églises romanes, et de son histoire.
Cette terre je la ressens aussi mienne car je me vois encore fouler les marchés remplis de charolais avec mon père et mon grand-père, ou visiter des fermes pour y trouver les broutards qui s'épanouiraient en Normandie.
Je suis aussi vraiment très heureux d'être ici chez mon ami François Sauvadet avec qui nous partageons la même histoire politique. Celle des indépendants qui ont toujours refusé de rentrer dans des moules ou de se voir absorber notre famille politique dans un vaste ensemble où nous ne serions plus grand-chose. C'est par ailleurs un homme qui n'a jamais compté son amitié à mon égard, avec qui nous avons partagé les mêmes analyses sur le monde rural ; et je suis convaincu, mon cher François, que tu mèneras un beau et grand combat dont je sais à l'avance que tu en sortiras gagnant car tu es un homme de coeur, de convictions et un homme qui vit dans sa chair l'amour de la Bourgogne.
Et surtout, parce que tu représentes le renouveau et le refus de la politique telle qu'on la fait depuis trop longtemps, je suis certain que les bourguignons te feront confiance
Et enfin, je voudrais vous dire à quel point je suis un Président de groupe heureux. C'est un groupe certes restreint mais avec des hommes de qualité et la qualité des débats d'hier nous a démontré à quel point nous n'avions pas à rougir de notre capacité de réflexion, de notre perception de la France et de notre capacité à incarner un jour une alternative.
Notre groupe, c'est une bande, une bande de copains, qui par sa liberté d'expression, a su répondre au défi qu'on nous lançait au début de la législature : serions-nous capables de nous faire entendre ? Je crois que cette question plus personne aujourd'hui ne nous la pose.
Je voudrais ici aborder deux sujets.
Avons-nous eu raison depuis un an, ou autrement dit, notre groupe a-t-il justifié son existence ? Avons-nous fait preuve de lucidité sur la situation du pays ?
Avons-nous eu raison en quelque sorte de refuser la fusion-absorption en 2002 ?
Avons-nous eu raison, pour la démocratie française, pour le débat démocratique, de vouloir exister ?
Le second sujet que je voudrais aborder ce matin est le suivant. Quel doit être notre rôle dans les prochains mois ?
Ma première question : avons-nous eu raison d'exister ?
Je voudrais aborder cette question sous la forme d'un rappel de quelques uns des sujets sur lesquels nous avons à la fois exprimé nos réserves et aussi, car l'un n'a jamais été sans l'autre, les propositions que nous avons faites.
Je me limiterai à trois exemples.
Le premier est la construction budgétaire. Je me souviens encore de la première question d'actualité que le groupe m'a demandé de poser. Etait-ce raisonnable de construire un budget et donc des dépenses avec une hypothèse de croissance de 2,5 % à laquelle personne ne croyait
Le Premier Ministre m'avait alors répondu que la politique volontariste du gouvernement permettrait d'infléchir toutes les hypothèses de croissance annoncées par les économistes. Malheureusement, les faits sont têtus, et le déficit budgétaire et l'endettement du pays se sont accrus. Nous avions demandé la construction d'un budget avec trois hypothèses de croissance - Charles de Courson l'a réclamé sur tous les tons lors du débat budgétaire - cette sagesse nous aurait évité aujourd'hui de nous retrouver comme le plus mauvais élève de la classe en Europe. Construire un budget sur des hypothèses solides est pourtant une opération de salut public. Comment peut-on en effet demander des efforts aux Français, comment peut-on les rendre responsables, comment peut-on éviter le toujours plus de la dépense publique si on ne leur dit pas qu'on n'a pas un sou ?
Les débats d'hier matin nous ont par ailleurs montré à quel point la pensée unique qui consiste à considérer qu'on peut laisser filer indéfiniment et impunément le déficit n'était pas sans conséquences, ni pour les perspectives de croissance à moyen terme de la France, ni pour les populations les plus défavorisées, ni pour les salariés du bas de l'échelle des salaires, ni pour les pays en voie de développement qui se voient privés d'une épargne dont ils auraient tant besoin pour leurs investissements. J'ai surtout retenu ce chiffre effrayant qu'à plus de 1,9 % de déficit budgétaire la France continuerait à creuser sa dette.
On voit le chemin qu'il reste à parcourir !
C'est bien par la modification profonde du système public, par l'amélioration de son efficience, de son efficacité, par l'engagement de politiques déterminées dans les secteurs d'avenir, créateurs de richesse, comme la recherche, l'innovation et la formation que se trouvent les voies d'avenir qu'il nous appartiendra de tracer
Le second exemple est le drame des 35 heures. Lorsque j'avais déclaré dans une interview que la loi Fillon était un " coup d'épée dans l'eau ", je me souviens encore de vos regards interrogatifs. Et pourtant, nous n'avions pas rencontré un seul électeur durant la campagne électorale nous disant que les 35 heures étaient une bonne chose. Ni les chefs d'entreprise, ni les salariés, ni le personnel médical ne nous disaient " maintenez les 35 heures ". Il y avait, j'en suis convaincu, une vraie fenêtre permettant au gouvernement de réformer les 35 heures en profondeur sans créer une agitation sociale considérable. D'ailleurs, un sondage paru la semaine dernière montrait que 67 % des Français souhaitaient une révision ou une suppression de cette loi qui restera une pierre noire dans l'histoire de la République. Cette loi est une erreur économique. Elle fait qu'aujourd'hui la France est le pays qui travaille le moins de tous les pays occidentaux (moins de 1500 heures par an). C'est une erreur sociale, car un pays qui ne créé pas de richesse, qui ne créé pas de valeur, est un pays qui ne peut dégager les ressources nécessaires à l'amélioration de la situation de tous ou le au lancement d'un certain nombre de politiques dont tout le monde s'accorde à dire qu'elles sont prioritaires, qu'il s'agisse de la santé, des personnes âgées, ou encore de l'environnement. C'est une erreur sociale car elle empêche ceux qui veulent améliorer leur pouvoir d'achat de le faire.
C'est enfin une erreur budgétaire colossale puisqu'on peut estimer que le coût pour la collectivité est d'environ 30 milliards d'euros par an. Enfin, plus grave encore, c'est une erreur de société, une erreur culturelle, celle qui consiste à considérer que le travail est une aliénation, qu'il ne participe pas à la liberté de la personne et à sa libération. Nous n'avions pas seulement critiqué, mais nous avions aussi proposé, et la proposition était simple ; elle était issue du programme de François Bayrou et je vous la rappelle : maintenir la durée légale à 35 heures, donner la bonification aux salariés de 25 % de la 35ème à la 39ème heure, ce qui aurait amélioré le pouvoir d'achat des plus bas salaires, permis à ceux qui avaient envie de travailler d'améliorer leur pouvoir d'achat, faciliter la flexibilité de l'économie, et sa capacité à faire de la croissance ; et en contrepartie, les entreprises bénéficiaient d'une exonération de cotisations sociales à due proportion de l'augmentation des coûts. Cette solution nous l'avons proposé au Parlement, elle nous a été refusée, et pourtant elle permettait de casser la logique infernale des 35 heures sans créer la révolution.
Quand aujourd'hui, on nous dit que le drame de cet été est notamment lié à l'application des 35 heures, les Français ne peuvent nous répondre qu'une chose : qu'avez-vous fait depuis un an pour modifier quelque chose que vous dénoncez alors que votre majorité a tous les pouvoirs ? Ils ne peuvent que nous renvoyer dans nos cordes !
Troisième exemple que je voudrais vous citer : l'éducation. Le 1er septembre 2002, aux universités d'été, bien avant les mouvements de ce printemps, François Bayrou déclarait " l'éducation et la recherche auraient du figurer au nombre des priorités énoncées du gouvernement, pour moi l'éducation ce doit être non pas une priorité, mais la priorité des priorités ; ".
Rebelote sur Europe 1 le 26 septembre 2002 ; dix de derre enfin, le 1er avril 2003, lorsque Pierre Albertini, au nom du groupe, demande un projet et une vision pour l'éducation nationale. Là encore, je suis désolé de le dire, nous avions raison, et je voudrais même ajouter une remarque : quel gâchis, car le monde de l'éducation s'était éloigné des socialistes et avait été profondément déçu des 5 ans du gouvernement Jospin. Il y avait là une opportunité pour qu'un gouvernement de droite, généralement considéré comme hostile au monde de l'éducation puisse engager un dialogue fructueux avec celles et ceux qui attendaient un projet sur lequel nous pouvions trouver des points d'accord : acquisition des connaissances élémentaires, respect des règles et de l'autorité, apprentissage de l'écriture, de la lecture pour tous.
La fracture est à nouveau immense entre le gouvernement et le monde de l'éducation et je vous fiche mon billet qu'il sera désormais bien difficile jusqu'en 2007 d'engager des réformes que les Français attendent et dont le pays a besoin.
Dernier exemple enfin que je voudrais vous citer, il me semble plus important encore que les autres.
Il fallait profiter de l'électrochoc des élections présidentielles pour engager les réformes de fond immédiatement, sans tarder. On m'a souvent reproché mes déclarations selon lesquelles le gouvernement mangeait son pain blanc, et qu'il y aurait bientôt le pain noir, que l'on faisait le plus facile plutôt que de commencer par le plus difficile, que certes il était nécessaire d'améliorer les moyens de la justice, de la police, de la défense, d'inscrire tout cela dans des lois de programmation, mais il nous semblait qu'il fallait avant tout profiter de l'état de grâce pour engager les grandes mesures que les Français attendaient et attendent encore. Quand on regarde l'histoire de ces trente dernières années, le meilleur exemple étant probablement 1981 où les socialistes ont - malheureusement - effectué toutes leurs réformes majeures en faisant siéger quasiment sans discontinuer le parlement pendant cinq mois. Ce fut d'ailleurs l'inspiration du gouvernement Chirac en 1986 quand il décida dans les premiers mois les privatisations, la fin des contrôles des changes, la fin du contrôle des prix ou encore la disparition programmée de la loi de 1948 sur le logement.
Je vous le dis, si un jour nous accédons aux responsabilités, nous devrons nous en souvenir car ce sont dans les premiers mois que tout se joue.
Nous n'avons certainement pas eu raison sur tout, mais je pourrais continuer encore au risque de manquer de modestie.
Mais ces exemples démontrent à quel point un parti unique disposant de tous les pouvoirs ne suffit pas pour avoir raison sur tout et ne suffit pas pour changer le pays. Et je m'inscris en faux lorsqu'on rapetisse ou l'on caricature notre attitude à celle seulement de vouloir exister et d'être simplement le poil à gratter du gouvernement. Tous ceux qui ont été élus en 2002 l'ont été avec l'idée qu'ils participeraient pleinement à l'action réformatrice du gouvernement. On ne l'a pas entendu ainsi et c'est mon regret le plus brûlant car j'avais le sentiment que par notre sensibilité et notre perception des choses nous pouvions apporter quelque chose à la majorité.
Je voudrais aborder rapidement la deuxième question : quel doit être notre chemin et quelle doit être notre attitude pour les mois à venir ?
Pour moi la question ne se résume pas à celle de la réalisation ou non de l'union aux élections régionales.
Nous avons beaucoup de choses à faire ensemble dans les mois à venir avant tout cela. Et je voudrais vous donner trois pistes.
La première, lutter contre la pensée unique qui depuis des années et des années fait des ravages dans notre pays.
Le deuxième chemin est de conserver notre attitude, conserver notre posture, conserver notre liberté de parole et notre capacité de propositions. Les perspectives électorales ne doivent pas nous changer. Bien au contraire.
Le troisième axe est de nous engager dans des voies nouvelles, où les Français attendent rarement les partis de droite et du centre.
Tout d'abord, lutter contre la pensée unique.
On l'a bien vu dans les débats hier tant sur la mondialisation, sur l'approche budgétaire que sur l'évolution de notre système de santé. L'expression majoritaire du pays est toujours la même : la pensée unique. Elle repose toujours sur les mêmes schémas avec toujours les mêmes a priori et avec toujours les mêmes solutions, les mêmes réflexes.
Nous avons largement évoqué cela sur le déficit et l'endettement. Nous avons aussi perçu que la mondialisation n'était ni l'horreur absolue ni une mondialisation heureuse et qu'il fallait trouver de nouveaux modes de régulations, une nouvelle approche. Nous voyons bien aussi que la libéralisation comme seul dogme n'est pas forcément la solution. En quoi par exemple la libéralisation du gaz en 2007 apportera un mieux, un service rendu plus efficace un coût moins élevé à nos compatriotes. L'exemple que donnait aussi Gilbert Gantier sur la fusion interdite par Bruxelles au nom du droit de la concurrence entre Péchiney, un opérateur suisse et Alcan avait amené à déplacer le centre de décision du leader mondial de l'aluminium de l'Europe de la France au Canada.
Je crois mes chers collègues que sur bien des éléments, il nous faut avant tout réfléchir avec bon sens, avec pragmatisme, sans nous enfoncer dans des réflexes ou des principes qui nous conduisent parfois à nous tromper.
Le deuxième chemin que je vous propose de poursuivre : conserver notre liberté de parole. C'est notre raison d'être, c'est notre raison même d'exister.
Pour le budget, mon cher Charles-Amédé, j'attends beaucoup que nous fassions des propositions audacieuses, qui n'aillent pas forcément dans le sens du poil. François Bayrou vous esquissera tout à l'heure des propositions sur le budget. Nous pourrions aussi engager une réflexion sur la fiscalité du patrimoine dont tout le monde s'accorde à reconnaître qu'elle est extrêmement pénalisante pour l'économie française et l'investissement. Nous pourrions aussi faire preuve de courage, en proposant des améliorations de la sphère publique qui permettent de sortir du cercle infernal de dépenses nouvelles toujours plus importantes pour une efficacité décroissante.
Je voudrais vous faire méditer un seul exemple. En 2003 il y a plus de fonctionnaires à Bercy qu'en 1986 alors qu'il y a eu la fin du contrôle des prix, la fin du contrôle des changes, le passage à l'euro et un vaste mouvement de privatisation. Si on y ajoute les gains considérables de productivité et d'efficacité liées aux nouvelles technologies il y a de quoi s'interroger sur la gestion du système public.
J'aimerais aussi que l'UDF reprenne à son compte le principe d'égalité, la gauche et la droite l'ont définitivement abandonné au profit de l'équité qui n'est qu'un sous produit du principe d'égalité. Mettre en avant l'équité c'est accepter la conservation des situations acquises. Je ne veux pas vous parler de l'égalité qui met tout le monde sous la même toise ou tout le monde en pyjama gris, mais de l'égalité qui permette à tous les français qu'ils vivent en banlieue ou au fin fond du Gers d'avoir le sentiment d'avoir une chance de participer au progrès de notre pays. Remettre le principe de l'égalité au coeur de l'action politique, c'est se fixer une grande ambition, c'est considérer qu'il n'y a pas une partie de nos compatriotes qui n'a pas sa place dans la société. C'est tirer les gens vers le haut.
Restaurer le principe d'égalité, c'est aussi s'interroger sur le sujet toujours dérangeant des discriminations positives qui, pourtant, pour une partie de nos compatriotes est le seul moyen de leur donner un nouvel espoir, de les réintroduire dans notre projet collectif.
Quel beau programme cela pourrait être pour l'éducation, pour la santé par exemple.
Mais je suis convaincu d'une chose, c'est que le principe d'égalité reste quelque chose d'éminemment moderne, car l'inégalité n'est acceptable que si elle est une phase transitoire permettant de tirer les gens vers le haut.
Lutter contre la pensée unique, conserver notre liberté d'expression et enfin nous engager sur des voies nouvelles où sont trop absents les partis de la droite et du centre. Et je prendrais trois exemples.
Nous devons tout d'abord nous engager sur des sujets de société sur lesquels notamment la jeunesse nous attend, je pense aux questions environnementales et notamment à un nouveau modèle de développement qui nous permette de concilier croissance et lutte contre le réchauffement climatique. La canicule était l'occasion rêvée pour le faire. Elle a été manquée.
Je pense aussi à la révision de la loi de 70 sur l'usage et la consommation des stupéfiants. Cette loi est stupide car elle est ni appliquée ni applicable. Il ne s'agit pas pour nous d'aller vers la dépénalisation des drogues douces comme certains voudraient nous y entraîner et pour faire dans la démagogie mais il faut répondre de façon adaptée à une situation où plus de 70 % des jeunes aujourd'hui consomment du cannabis. Je souhaite que nous déposions une proposition de loi avant la fin de l'année sur ce sujet.
J'attends beaucoup enfin de la proposition de Christian Blanc sur le service minimum garanti. Avec Gilles de Robien, nous démontrerons ainsi que nous pouvons aborder des sujets sur lesquels jusqu'alors tous les gouvernements ont calés par manque de courage alors que tous nos compatriotes attendent une réponse. Dans cette proposition de loi il faudra concilier deux principes à valeur constitutionnelle d'égale importance : la continuité du service public et l'exercice du droit de grève.
En conclusion je voudrais qu'on se mette bien dans la tête que l'UDF n'a pas vocation à être un parti supplétif, que l'UDF n'a pas vocation à être un parti décoratif et que l'UDF n'a pas vocation à être un parti ramasse-miettes. Nous avons vocation à incarner un projet alternatif pour la France et les Français.
(source http://www.udf.org, le 22 septembre 2003)