Interview de Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes, et de M. Mircea Geoana, ministre des affaires étrangères de Roumanie, à TV5 le 7 avril 2003, sur l'élargissement de l'UE à la Roumanie, les relations entre l'UE et les Etats-Unis et entre l'UE et l'OTAN, la création de l'agence d'armement européenne et le rôle de l'ONU pour la reconstruction de l'Irak.

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Média : Télévision - TV5

Texte intégral

Q - Qu'est-ce que l'Europe a à offrir à la Roumanie ?
R - L'Europe a à offrir le fait de constituer un poids lourd économique et politique qui va compter dans le monde, une diversité culturelle qui va sensiblement être enrichie par la Roumanie, un grand marché bien entendu, mais aussi un point d'arrimage, une grande civilisation, une civilisation fondée sur des valeurs que nous avons toujours partagées et que malheureusement nos amis roumains n'ont pas pu mettre en application pendant quelques décennies sous le régime communiste.
Q - L'Europe a beaucoup souffert ces derniers temps. Elle s'est divisée. Ce qui a provoqué des divisions entre alliés et entre amis, que ce soit au sein de l'OTAN ou de l'Union européenne, c'est bien sûr la guerre en Irak. Les pays de l'ancienne Union soviétique ou de ce que l'on appelait avant, pendant la guerre froide, l'Europe de l'Est, dont la Roumanie, ont soutenu les Etats-Unis, d'où une certaine tension en particulier entre la France et ces pays candidats à l'Union européenne, une tension qui avait connu un paroxysme à la mi-février à Bruxelles.
Alors un mot sur les relations bilatérales entre la France et la Roumanie. Malgré les crises de l'Union européenne et de l'OTAN, ce sont des relations que l'on pourrait qualifier de prioritaires et de privilégiées ?
R - Elles sont privilégiées, elles sont historiques, elles sont culturelles, elles sont linguistiques, puisque comme vient de l'indiquer mon ami Mircea, beaucoup de Roumains parlent couramment le français, il en est l'exemple même ; un quart des 23 millions de Roumains parlent bien ou très bien le français.
Q - Vous parliez justement des relations culturelles, il y a eu le Ministre qui est passé par la France il y a quelques années, puis il y a eu beaucoup d'écrivains.
R - Eugène Ionesco qui est un des auteurs les plus réputés dans le monde, Elvire Popesko, actrice de théâtre, Georges Enesco, grand compositeur de musique. La culture roumaine, c'est vraiment l'Europe.
Q - Et sur le plan politique, la France a toujours soutenu la candidature de la Roumanie à l'Union européenne ?
R - Le président de la République a été, comme cela vient d'être dit à l'instant, un champion de la candidature roumaine, même avant d'être président de la République. Comme maire de Paris, il a soutenu cette réunification de l'Europe, au premier plan de laquelle il plaçait la Roumanie.
Q - Une Europe d'un poids égal aux Etats-Unis, ça vous va, ça va à la France ?
R - Nous voulons que l'Europe soit un facteur d'équilibre dans le monde et que l'Europe ait une relation de partenariat privilégiée avec les Etats-Unis. Et je crois que la crise actuelle, que nous avons regrettée bien entendu, nous Français, peut être l'occasion d'un rebond. En tous les cas, ce qui me frappe c'est qu'il y a une prise de conscience collective dans les opinions publiques, que l'Europe pèse de tout son poids dans les affaires du monde. Jamais les opinions publiques n'ont autant réclamé qu'à l'heure actuelle, cessent les divisions au sein de l'Europe, et cela c'est un mouvement sans précédent, très encourageant. Il faut vraiment que l'on se mette autour d'une table, pour discuter ensemble de notre avenir qui ne peut-être que commun.
Je voudrais faire un bref rappel historique. Les Etats-Unis ont souhaité la création d'une entité qui est devenue l'Union européenne après la guerre. Ils ont souhaité la réconciliation franco-allemande. Pourquoi ? Parce que nous partageons des valeurs démocratiques et parce que l'Europe en tant que puissance politique, c'est un élément de stabilisation du continent européen, et c'est aussi un élément qui peut permettre de prévenir ou de gérer les crises. C'est très important pour la pacification de l'Europe tout entière. On a vu la crise qui est survenue dans les Balkans. Les pays qui vont nous rejoindre ou les pays qui sont déjà membres ne connaîtront pas de telles crises, grâce à l'Europe, et cela c'est très important, et les Américains le comprennent très bien, je crois.
Q - L'Europe va s'occuper seule de la surveillance de la Macédoine, puisqu'il y a 350 soldats européens, dont des soldats roumains.
R - Et demain, 10.000 soldats vont mener des opérations de maintien de la paix également en Bosnie-Herzégovine.
Q - Est- ce que l'Europe a encore besoin de l'OTAN ?
R - La relation transatlantique et l'Alliance atlantique sont, bien entendu, très importantes. Pour nous, il n'est pas question de remettre en cause l'OTAN. D'ailleurs récemment l'OTAN a été le lieu d'un dialogue lors de la venue du secrétaire d'Etat Colin Powell, et nous pensons qu'elle a son rôle à jouer. Cela étant, nous pensons aussi que la politique de défense doit avoir une dimension européenne. D'ailleurs on en a la preuve : des accords ont été passés le 14 mars avec l'Union européenne qui, précisément, permettent aux forces nationales de l'Union européenne d'intervenir sous commandement européen en Macédoine et demain en Bosnie-Herzégovine, avec l'assentiment de l'OTAN et en coopération avec l'Etat concerné et avec l'idée également que, si besoin était, on pourrait renforcer ces forces par des forces de l'OTAN. Donc il faut vraiment que l'idée de la stabilité en Europe soit une idée partagée par, non seulement les Européens, mais aussi par leurs grands alliés transatlantiques. Ceci ne devrait pas poser de problème, nous avons tous le même intérêt : la stabilité en Europe.
Nous sommes très heureux, nous Français, parce que c'était notre idée force, celle du Président de la République et de Dominique de Villepin, que finalement le dernier Conseil européen des chefs d'Etat et de gouvernement à Bruxelles, le 21 mars dernier, ait avalisé l'idée de cette agence d'armement pour programmer ensemble et passer ensemble des commandes d'armements, puisque évidemment il y a des économies d'échelles. Nous le faisons avec les Britanniques puisque nous allons programmer et quasiment construire en coopération deux porte-avions britanniques et un porte-avions français. Ce que nous souhaitons aussi, c'est qu'il y ait une industrie, comme cela vient d'être dit, parce que c'est bien de définir les objectifs de la politique étrangère mais si nous n'avons pas les moyens, c'est-à-dire si nous n'avons pas la capacité militaire qui donne de la crédibilité à nos objectifs en politique étrangère, nous n'aurons pas avancé.
Q - Sur la gestion de l'Irak après-guerre, la France insiste beaucoup sur la place de l'ONU et de l'Union européenne.
R - Vous avez la démonstration ici à l'antenne que l'Europe existe, puisque ce que vient de dire Mircea Geoana correspond exactement à la position des Quinze qui ont été rejoints par les pays candidats dont la Roumanie, c'est à dire le respect de la souveraineté du peuple irakien. Il faut que l'Irak garde son intégrité territoriale et donc respecte cette souveraineté du peuple. Puis le rôle central des Nations unies : il n'est pas question de faire exploser la communauté internationale, le seul cadre juridique qui existe, où il y a une expression politique de la communauté internationale, ce sont les Nations unies. Si les Nations unies étaient marginalisées, ce serait la paix dans le monde qui serait mise en péril presque partout. Enfin, il y a cette question qui n'a pas été évoquée mais sur laquelle se rejoignent totalement les Européens, tous les Européens : c'est l'assistance humanitaire. Le peuple irakien a beaucoup souffert et va beaucoup souffrir. Il faut que l'Europe marque sa vocation en participant, comme elle le fait en ce moment même, à l'assistance humanitaire. Donc sur ces principes, nous sommes tout à fait en phase. Nous avions des positions divergentes mais nous sommes en phase sur l'avenir des responsabilités et sur nos responsabilités dans l'après-guerre.
Q - Quand Richard Perle, ancien conseiller au Pentagone dit :"ceux qui n'ont pas participé, ceux qui n'ont pas adhéré au club n'ont aucune raison de venir dîner au club", c'est une manière un peu brutale de dire que ce sont les Américains qui vont s'occuper de tout, tout seuls.
R - Je pense que cela relève un peu de la provocation, d'ailleurs est-ce que l'on peut parler d'un club ?.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 avril 2003)