Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, à "Libération" du 4 avril 2003, sur l'absence de position commune au sein de l'Union européenne face à l'intervention de la coalition anglo-américaine en Irak.

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Pourquoi l'Union est-elle aujourd'hui si divisée ?
L'explosion de l'Europe provoquée par la crise irakienne est gravissime. Elle révèle la manière dont on a laissé s'affaiblir le projet européen. Cette crise impose de poser clairement la question du projet européen, éludé depuis des années. La réflexion a été volontairement étouffée. On a abusé du mot Europe, en étant au fond bien décidés à ne pas la faire. Certains pensent qu'un Etat national peut jouer un rôle à l'échelle de la planète. Ils estiment que la diplomatie nationale est la seule légitime. Je en crois pas à cette Europe intergouvernementale. Défendue et mise en scène avec talent, notre position sur l'Irak a-t-elle pu empêcher le drame de se jouer et la guerre de le conclure ? Evidemment non. Tant que l'Europe ne pèsera pas aussi lourd que les Etats-Unis sur le plan diplomatique et militaire, nous serons condamnés à l'impuissance.
Ce n'est pas nouveau
C'est bien le problème : lorsque nous avons fait appel aux Américains pour régler, sur le sol européen, la question du Kosovo, nous avons éludé nos responsabilités et donné un très mauvais signal. De même, dans le drame irakien, au jeu du " chacun pour soi ", tous les Etats européens ont été impuissants ! Aussi bien la Grande-Bretagne et l'Espagne, qui n'ont pas obtenu un délai supplémentaire pour les inspections, que la France qui n'a pas pu éviter la guerre. Ni les uns ni les autres n'ont réussi à infléchir le cours des choses.
Jacques Chirac a-t-il manqué d'ambition européenne ?
Je pense que le gouvernement actuel, comme le précédent, donne la priorité à la diplomatie nationale.
D'où l'échec de la diplomatie européenne
Nous avons tous violé le traité de Maastricht. Il prévoyait une information réciproque et continue des Etats membres. La France et l'Allemagne, d'abord, les pays signataires de la lettre de soutien à Bush, ensuite, ont violé cet engagement. Le traité stipulait aussi que les pays doivent se soutenir mutuellement. A la place, il y a eu confrontation. Et les deux membres permanents au Conseil de sécurité de l'ONU, la France et la Grande-Bretagne, devaient porter la position commune. On a vu le résultat.
Comment reconstruire l'Europe ?
Ce débat aurait dû avoir lieu avant l'élargissement. La Convention présidée par Valéry Giscard d'Estaing pourra-t-elle y suppléer ? Je ne suis pas optimiste. Il faudra qu'un groupe de pays, ceux de la zone euro, s'entende pour construire une entité fédérale au sein d'une Europe intergouvernementale. Car à 25, nous ferons seulement de l'économie. Alors que, dans une " pointe de diamant " fédérale, nous assumerons en commun nos responsabilités de politique étrangère, de défense et de recherche. La position de la France serait parfois soutenue, et parfois minoritaire. Mais c'est bien cela, l'Europe.

(Source http://www.udf.org, le 7 avril 2003)