Texte intégral
C'est avec un plaisir tout particulier que j'accueille ce soir, en présence de M. Evans, Secrétaire d'Etat au Commerce, les membres du conseil franco-américain des entreprises, qui va tenir demain sa cinquième réunion et ne s'était pas rassemblé depuis juin 2001, à Versailles. Je tiens à saluer, outre les actuels co-présidents M. Maurice Levy et M. Fred Smith, les fondateurs à l'origine du FABC, M. Felix Rohatyn, ancien ambassadeur des Etats-Unis à Paris et M. François Bujon de l'Estang, notre ambassadeur à Washington à l'époque, ce soir ici tous deux dans d'autres fonctions
Je suis heureux de pouvoir vous accueillir dans un lieu qui offre des conditions de confort que les dîners consacrés à la célébration de l'amitié franco-américaine n'ont pas toujours réservé à leurs hôtes. Pensez qu'en 1882, c'est dans la sandale droite de la Statue de la Liberté en construction que le père du projet, Frédéric Auguste Bartholdi, avait organisé un dîner afin de récolter les dons nécessaires pour achever ce qui reste le plus beau symbole de l'amitié entre nos deux peuples !
J'attache, en tant que Premier ministre de la France mais aussi à titre personnel, une importance particulière à cette rencontre, qui intervient à un moment où nous sentons tous qu'il est temps de nous retrouver entre Américains et Français.
Beaucoup ont voulu gloser sur ce qui a pu nous séparer. Je fais partie de ceux qui sont d'abord conscients de ce qui nous rassemble.
J'ai d'abord envie de vous parler ce soir d'amitié, d'histoire et d'avenir avant de vous parler un peu d'économie.
Je voudrais qu'ensemble, nous ayons présents à l'esprit les fondements, forts et anciens, de notre amitié. Permettez-moi de les évoquer brièvement et d'accomplir un devoir de mémoire auquel je sais que la majorité des Français s'associerait volontiers.
L'Amérique est un Ailleurs vers lequel nos élans, du cur ou de l'esprit, nous ont toujours portés.
Très tôt, votre lutte pour l'indépendance et le projet américain ont fait vibrer et s'engager à vos côtés, dans le combat des idées ou des armes, tout ce qu'une génération de Français nourrie par les Lumières comptait de plus brillant, de plus idéaliste et de plus généreux.
C'est la première page de l'histoire que nous avons écrite ensemble, et ce n'est pas la moins belle.
Nous sommes fiers aujourd'hui que le maréchal Rochambeau ait apporté dès 1780, à la tête du corps expéditionnaire français, un soutien décisif aux insurgés américains, armée dérisoire par ses moyens mais si grande par son idéal.
Oui, les Français se réjouissent encore qu'un peu du panache d'un La Fayette - chargeant victorieusement à Yorktown du haut de ses 24 ans, aux côtés de Washington - et avec lui de d'Estaing, Noailles, Montmorency et de tant d'autres, soit associé à cette aventure de l'indépendance américaine, à ce combat pour construire une démocratie, pour donner corps à un idéal.
J'ai demandé qu'on retrouve la lettre de Benjamin Franklin, alors en poste à Paris, adressée au ministre des affaires étrangères français de l'époque, lui annonçant officiellement la victoire de Yorktown et la jonction entre les armées conduites par Washington et La Fayette et celle conduite par Rochambeau. Conjointement avec les organisateurs du FABC, il nous a semblé qu'un fac-similé de ce document constituerait un souvenir particulièrement adapté de notre rencontre de ce soir.
Je sais que les Américains n'oublient pas non plus que la France a été la première à reconnaître les Etats-Unis par le Traité d'amitié et de commerce du 6 février 1778, dont un américain à Paris - le premier d'une longue lignée ! - Benjamin Franklin, a été l'un des artisans. Je veux croire d'ailleurs que le fait que notre première relation juridique ait été un " traité d'amitié " plaçait d'emblée nos relations sous les meilleurs auspices - aussi je ne m'étonne pas ce soir que, 225 ans plus tard, la conjugaison de l'amitié et du commerce continue de nous rassembler.
J'évoquais tout à l'heure la Statue de la Liberté qui célébra en 1886 l'amitié entre les deux pays et le centenaire de l'indépendance américaine. Nous sommes heureux que, pour tant de futurs américains, elle ait constitué bien plus qu'une figure tutélaire de l'amitié franco-américaine : elle fut et elle reste pour nous le visage de l'Amérique, la sentinelle de la liberté et des droits de l'homme.
Une sentinelle qui veille sur une ville qui est, en elle-même, un mythe cher au cur de beaucoup de Français, comme l'émotion très profonde suscitée en France par le 11 septembre 2001 l'a encore rappelé.
Si une fois encore nous avons souffert avec vous, c'est parce qu'existe une fraternité réelle avec ceux que nous avons toujours retrouvés à nos côtés aux heures sombres de notre histoire et lorsque nos valeurs et nos intérêts communs étaient réellement menacés.
Nous n'avons pas oublié le terrible tribut payé par les États-unis à la Grande Guerre, à l'horreur de 14-18. Comme nous avons à l'esprit Omaha Beach, Utah Beach, Juno Beach, Gold Beach, Sword Beach Oui, nous n'avons pas oublié non plus cette douloureuse litanie des plages de la mort, où les jeunes américains par milliers se sont élancés sous la mitraille, sont tombés, ont payé le prix du sang. 2500 morts dès ce Jour J du 6 juin 1944, 22 000 à la fin du même mois. J'ai vu, comme beaucoup de mes compatriotes, ces prés immenses de Normandie, aujourd'hui si paisibles, où s'alignent à perte de vue les petites croix blanches. J'avais la main sur le cur pour entendre l'hymne américain ce 6 juin 2003 aux côtés de votre ambassadeur.
Les Français n'oublieront pas le sang versé.
Le choc ressenti en France devant l'agression dont les Etats-Unis ont été victimes le 11 septembre 2001 n'est pas seulement la réaction d'un peuple outré par la violence d'un terrorisme atroce et aveugle. C'est aussi la réaction épidermique d'un peuple ami, qui a véritablement souffert avec vous.
Je voudrais notamment évoquer la vive émotion qu'ont ressentie les participants à la cérémonie, simple et vraie, organisée dans la cour de l'Elysée au lendemain des attentats - première et seule fois dans l'histoire de France où un hymne étranger, l'hymne américain, a retenti dans l'enceinte de la Présidence de la République Française.
Le soutien de la France n'est pas qu'un soutien amical et symbolique, c'est un soutien concret, sur le terrain militaire comme dans le domaine de la lutte contre le terrorisme - j'en veux pour preuve l'engagement de nos troupes en Afghanistan dans le cadre de l'opération " Enduring Freedom ".
Ce soutien, n'est pas de circonstance mais il n'exclut pas l'affirmation ponctuelle et parfois antagoniste de nos différences de vue.
Sur l'Iraq, nous avons eu un désaccord, c'est vrai et ça n'a pas changé, sur la façon de traiter le problème des armes de destruction massive dont on supposait que ce pays était doté. Nous avions une position claire. Vous connaissez notre attachement au Droit et à l'ONU source du Droit International. Nous sommes fidèles à cette conviction.
Maintenant, la situation exige qu'on se rassemble pour essayer de relever l'Iraq dans le cadre de son intégrité territoriale et du respect de sa population. Cela ne sera pas une oeuvre facile. La paix est une belle cause d'alliance.
Notre amitié surmontera cette divergence d'appréciation car elle a une base solide : elle s'appuie en effet sur un socle de valeurs communes - celles de la liberté, de la démocratie, des droits de l'homme, de l'économie de marché - qui en sont le ciment le plus durable.
Elle obéit à une logique profonde, ancienne : celle de cette solidarité transatlantique entre l'Europe et les Etats-Unis que les mouvements profonds de l'histoire contemporaine ont encore contribué à renforcer et qui est aujourd'hui une réalité économique incontournable.
L'imbrication croissante de nos échanges et l'interdépendance complexe de nos marchés qu'a engendré la mondialisation font que Dollar et Euro, Dow Jones et Euro Stoxx ne peuvent pas plus se tourner le dos ou s'ignorer que nos deux peuples ! Nos intérêts ont désormais tellement partie liée qu'on ne peut résumer nos positions respectives sur l'échiquier économique mondial à une simple position de concurrents.
Le partenariat économique entre la France et les Etats-Unis est devenu considérable : plus de 2000 entreprises françaises sont implantées sur le territoire américain et les 100 plus importantes y emploient 500 000 salariés. La France et les Etats-Unis apparaissent ainsi l'un pour l'autre comme des partenaires de premier plan, qui contribuent d'une manière de plus en plus déterminante à la croissance, à l'emploi et au dynamisme de nos deux nations.
La France est une terre totalement ouverte aux investissements étrangers, le deuxième pays d'accueil en Europe, et vous y êtes les bienvenus. Nous souhaitons bien sûr accueillir les emplois ou les investissements que représentent vos projets d'implantation en Europe. Nous accueillons avec le même plaisir et le même appétit l'énergie, les idées et la créativité qu'apportent avec elles les entreprises américaines.
Comme vous le savez, il y a un peu plus d'un an, les élections présidentielles et législatives ont marqué un tournant majeur dans l'histoire politique récente de la France. Les Français ont massivement choisi une majorité claire et un cap politique limpide. La France a choisi de se réformer.
C'était nécessaire car, je le sais, l'image de la France n'est pas toujours aussi bonne qu'elle le devrait pour les chefs d'entreprises étrangers. Cette image a pâti, ces dernières années, de mesures comme les 35 heures qui étaient un non-sens économique par la manière dogmatique dont elles ont été mises en oeuvre. Conscient de cette faiblesse, j'ai souhaité dès mon arrivée engager les grands chantiers de modernisation dont le pays avait besoin.
Prioritairement, nous avons adressé des messages sans ambiguïté à la communauté des affaires en réformant la loi sur les 35 heures, en baissant les impôts et les charges et en abrogeant les rigidités récemment introduites dans le droit du travail au mépris de la vie des affaires. Nous avons sans attendre adopté une importante loi sur l'initiative économique qui favorise la prise de risque par les créateurs d'entreprises et qui développe leur capacité de financement par des dispositions très favorables aux " business angels ".
Renforcer notre économie est ma priorité. La France est la quatrième économie du monde et elle a un immense potentiel qui ne demande qu'à être libéré par les réformes de structures trop longtemps différées.
La réforme de l'Etat tout d'abord qui implique de simplifier la réglementation, de supprimer la bureaucratie et de renverser résolument la tradition centralisatrice que nous a léguée Napoléon en faisant confiance à nos régions. C'est dans le même esprit que j'entends poursuivre la politique de privatisations malgré les conditions, que vous savez difficiles, des marchés financiers : l'Etat n'est pas toujours un bon actionnaire ; il n'est que rarement un bon manager.
Vous venez en France à un moment où le Gouvernement est engagé dans une réforme majeure : celle des retraites. Cette réforme provoque une certaine agitation sociale mais au fond les français en comprennent la nécessité. Comme l'ensemble des pays développés nous sommes confrontés à un certain vieillissement démographique. En France nous étions en retard pour sauver nos retraites. La réforme va d'ores et déjà régler près de 50 % des besoins financiers nécessaires en 2020. C'est une réforme de grande ampleur. Nous avons choisi de préserver notre système par répartition qui restera le socle de notre système de retraites. Mais nous ouvrons également la voie, pour la première fois en France, à la possibilité de compléter sa retraite par l'épargne. C'est aussi une avancée et une modernisation importantes.
Ces combats, ce sont au fond des combats pour la croissance économique qui est, comme l'histoire du monde occidental le montre, le creuset de nos libertés, des valeurs démocratiques et du bien-être matériel et moral de nos peuples. C'est pourquoi la période de ralentissement de nos économies doit tous nous mobiliser pour qu'elle soit la plus courte possible.
D'abord, sur le plan interne ; c'est le projet que je porte pour mon pays et qui donne du sens, à chaque instant, au combat politique qui est le mien de fonder l'avenir de la France sur la responsabilité individuelle, l'esprit d'initiative, la création d'entreprise et l'innovation. Je souhaite une France ouverte sur le monde, consciente des changements et des défis qu'il lui faut affronter.
Ensuite, sur le plan international ; nous devons jouer davantage ensemble. L'Europe a besoin de la croissance américaine qui a besoin de la croissance européenne. La croissance ne se décrète certes pas mais, ensemble, nous pouvons la favoriser. La France s'y emploiera pour sa part en se modernisant sans relâche.
Laissez-moi conclure en vous disant ma confiance dans une relation qui repose sur les fondations les plus solides qui soient : un passé et des valeurs communes. La fidélité à notre histoire commune est un gage de la qualité de notre relation à venir, comme l'est notre volonté de construire un monde plus démocratique, plus respectueux des droits de l'homme, plus sûr et plus prospère. Comme le disait Franklin D. Roosevelt " il n'existe pas deux nations plus unies par les liens de l'histoire et de l'amitié mutuelle que le peuple de France et celui des Etats-Unis d'Amérique ".
A Evian les Présidents BUSH et CHIRAC ont retissé les fils de notre destin commun.
Je suis persuadé que nous saurons nous réunir durablement autour de chantiers aussi essentiels que la lutte contre le terrorisme, contre la prolifération des armes de destruction massive ou contre le SIDA : autant de causes qui mobilisent déjà largement la France à vos côtés, et qui continueront de donner un sens, un contenu à notre amitié et à notre partenariat demain comme hier.
Il est maintenant grand temps de laisser s'exprimer une convivialité qui est aussi un des ciments de notre relation. Votre compatriote Benjamin Franklin l'avait d'ailleurs très tôt compris, puisque la petite histoire dit qu'il pratiqua abondamment, comme Bartholdi après lui, cette " diplomatie de la table " si française pour préparer le terrain au traité d'amitié et de commerce de 1778.
C'est pourquoi, ce soir, je lève mon verre en l'honneur de l'amitié franco-américaine.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 17 juin 2003)
Je suis heureux de pouvoir vous accueillir dans un lieu qui offre des conditions de confort que les dîners consacrés à la célébration de l'amitié franco-américaine n'ont pas toujours réservé à leurs hôtes. Pensez qu'en 1882, c'est dans la sandale droite de la Statue de la Liberté en construction que le père du projet, Frédéric Auguste Bartholdi, avait organisé un dîner afin de récolter les dons nécessaires pour achever ce qui reste le plus beau symbole de l'amitié entre nos deux peuples !
J'attache, en tant que Premier ministre de la France mais aussi à titre personnel, une importance particulière à cette rencontre, qui intervient à un moment où nous sentons tous qu'il est temps de nous retrouver entre Américains et Français.
Beaucoup ont voulu gloser sur ce qui a pu nous séparer. Je fais partie de ceux qui sont d'abord conscients de ce qui nous rassemble.
J'ai d'abord envie de vous parler ce soir d'amitié, d'histoire et d'avenir avant de vous parler un peu d'économie.
Je voudrais qu'ensemble, nous ayons présents à l'esprit les fondements, forts et anciens, de notre amitié. Permettez-moi de les évoquer brièvement et d'accomplir un devoir de mémoire auquel je sais que la majorité des Français s'associerait volontiers.
L'Amérique est un Ailleurs vers lequel nos élans, du cur ou de l'esprit, nous ont toujours portés.
Très tôt, votre lutte pour l'indépendance et le projet américain ont fait vibrer et s'engager à vos côtés, dans le combat des idées ou des armes, tout ce qu'une génération de Français nourrie par les Lumières comptait de plus brillant, de plus idéaliste et de plus généreux.
C'est la première page de l'histoire que nous avons écrite ensemble, et ce n'est pas la moins belle.
Nous sommes fiers aujourd'hui que le maréchal Rochambeau ait apporté dès 1780, à la tête du corps expéditionnaire français, un soutien décisif aux insurgés américains, armée dérisoire par ses moyens mais si grande par son idéal.
Oui, les Français se réjouissent encore qu'un peu du panache d'un La Fayette - chargeant victorieusement à Yorktown du haut de ses 24 ans, aux côtés de Washington - et avec lui de d'Estaing, Noailles, Montmorency et de tant d'autres, soit associé à cette aventure de l'indépendance américaine, à ce combat pour construire une démocratie, pour donner corps à un idéal.
J'ai demandé qu'on retrouve la lettre de Benjamin Franklin, alors en poste à Paris, adressée au ministre des affaires étrangères français de l'époque, lui annonçant officiellement la victoire de Yorktown et la jonction entre les armées conduites par Washington et La Fayette et celle conduite par Rochambeau. Conjointement avec les organisateurs du FABC, il nous a semblé qu'un fac-similé de ce document constituerait un souvenir particulièrement adapté de notre rencontre de ce soir.
Je sais que les Américains n'oublient pas non plus que la France a été la première à reconnaître les Etats-Unis par le Traité d'amitié et de commerce du 6 février 1778, dont un américain à Paris - le premier d'une longue lignée ! - Benjamin Franklin, a été l'un des artisans. Je veux croire d'ailleurs que le fait que notre première relation juridique ait été un " traité d'amitié " plaçait d'emblée nos relations sous les meilleurs auspices - aussi je ne m'étonne pas ce soir que, 225 ans plus tard, la conjugaison de l'amitié et du commerce continue de nous rassembler.
J'évoquais tout à l'heure la Statue de la Liberté qui célébra en 1886 l'amitié entre les deux pays et le centenaire de l'indépendance américaine. Nous sommes heureux que, pour tant de futurs américains, elle ait constitué bien plus qu'une figure tutélaire de l'amitié franco-américaine : elle fut et elle reste pour nous le visage de l'Amérique, la sentinelle de la liberté et des droits de l'homme.
Une sentinelle qui veille sur une ville qui est, en elle-même, un mythe cher au cur de beaucoup de Français, comme l'émotion très profonde suscitée en France par le 11 septembre 2001 l'a encore rappelé.
Si une fois encore nous avons souffert avec vous, c'est parce qu'existe une fraternité réelle avec ceux que nous avons toujours retrouvés à nos côtés aux heures sombres de notre histoire et lorsque nos valeurs et nos intérêts communs étaient réellement menacés.
Nous n'avons pas oublié le terrible tribut payé par les États-unis à la Grande Guerre, à l'horreur de 14-18. Comme nous avons à l'esprit Omaha Beach, Utah Beach, Juno Beach, Gold Beach, Sword Beach Oui, nous n'avons pas oublié non plus cette douloureuse litanie des plages de la mort, où les jeunes américains par milliers se sont élancés sous la mitraille, sont tombés, ont payé le prix du sang. 2500 morts dès ce Jour J du 6 juin 1944, 22 000 à la fin du même mois. J'ai vu, comme beaucoup de mes compatriotes, ces prés immenses de Normandie, aujourd'hui si paisibles, où s'alignent à perte de vue les petites croix blanches. J'avais la main sur le cur pour entendre l'hymne américain ce 6 juin 2003 aux côtés de votre ambassadeur.
Les Français n'oublieront pas le sang versé.
Le choc ressenti en France devant l'agression dont les Etats-Unis ont été victimes le 11 septembre 2001 n'est pas seulement la réaction d'un peuple outré par la violence d'un terrorisme atroce et aveugle. C'est aussi la réaction épidermique d'un peuple ami, qui a véritablement souffert avec vous.
Je voudrais notamment évoquer la vive émotion qu'ont ressentie les participants à la cérémonie, simple et vraie, organisée dans la cour de l'Elysée au lendemain des attentats - première et seule fois dans l'histoire de France où un hymne étranger, l'hymne américain, a retenti dans l'enceinte de la Présidence de la République Française.
Le soutien de la France n'est pas qu'un soutien amical et symbolique, c'est un soutien concret, sur le terrain militaire comme dans le domaine de la lutte contre le terrorisme - j'en veux pour preuve l'engagement de nos troupes en Afghanistan dans le cadre de l'opération " Enduring Freedom ".
Ce soutien, n'est pas de circonstance mais il n'exclut pas l'affirmation ponctuelle et parfois antagoniste de nos différences de vue.
Sur l'Iraq, nous avons eu un désaccord, c'est vrai et ça n'a pas changé, sur la façon de traiter le problème des armes de destruction massive dont on supposait que ce pays était doté. Nous avions une position claire. Vous connaissez notre attachement au Droit et à l'ONU source du Droit International. Nous sommes fidèles à cette conviction.
Maintenant, la situation exige qu'on se rassemble pour essayer de relever l'Iraq dans le cadre de son intégrité territoriale et du respect de sa population. Cela ne sera pas une oeuvre facile. La paix est une belle cause d'alliance.
Notre amitié surmontera cette divergence d'appréciation car elle a une base solide : elle s'appuie en effet sur un socle de valeurs communes - celles de la liberté, de la démocratie, des droits de l'homme, de l'économie de marché - qui en sont le ciment le plus durable.
Elle obéit à une logique profonde, ancienne : celle de cette solidarité transatlantique entre l'Europe et les Etats-Unis que les mouvements profonds de l'histoire contemporaine ont encore contribué à renforcer et qui est aujourd'hui une réalité économique incontournable.
L'imbrication croissante de nos échanges et l'interdépendance complexe de nos marchés qu'a engendré la mondialisation font que Dollar et Euro, Dow Jones et Euro Stoxx ne peuvent pas plus se tourner le dos ou s'ignorer que nos deux peuples ! Nos intérêts ont désormais tellement partie liée qu'on ne peut résumer nos positions respectives sur l'échiquier économique mondial à une simple position de concurrents.
Le partenariat économique entre la France et les Etats-Unis est devenu considérable : plus de 2000 entreprises françaises sont implantées sur le territoire américain et les 100 plus importantes y emploient 500 000 salariés. La France et les Etats-Unis apparaissent ainsi l'un pour l'autre comme des partenaires de premier plan, qui contribuent d'une manière de plus en plus déterminante à la croissance, à l'emploi et au dynamisme de nos deux nations.
La France est une terre totalement ouverte aux investissements étrangers, le deuxième pays d'accueil en Europe, et vous y êtes les bienvenus. Nous souhaitons bien sûr accueillir les emplois ou les investissements que représentent vos projets d'implantation en Europe. Nous accueillons avec le même plaisir et le même appétit l'énergie, les idées et la créativité qu'apportent avec elles les entreprises américaines.
Comme vous le savez, il y a un peu plus d'un an, les élections présidentielles et législatives ont marqué un tournant majeur dans l'histoire politique récente de la France. Les Français ont massivement choisi une majorité claire et un cap politique limpide. La France a choisi de se réformer.
C'était nécessaire car, je le sais, l'image de la France n'est pas toujours aussi bonne qu'elle le devrait pour les chefs d'entreprises étrangers. Cette image a pâti, ces dernières années, de mesures comme les 35 heures qui étaient un non-sens économique par la manière dogmatique dont elles ont été mises en oeuvre. Conscient de cette faiblesse, j'ai souhaité dès mon arrivée engager les grands chantiers de modernisation dont le pays avait besoin.
Prioritairement, nous avons adressé des messages sans ambiguïté à la communauté des affaires en réformant la loi sur les 35 heures, en baissant les impôts et les charges et en abrogeant les rigidités récemment introduites dans le droit du travail au mépris de la vie des affaires. Nous avons sans attendre adopté une importante loi sur l'initiative économique qui favorise la prise de risque par les créateurs d'entreprises et qui développe leur capacité de financement par des dispositions très favorables aux " business angels ".
Renforcer notre économie est ma priorité. La France est la quatrième économie du monde et elle a un immense potentiel qui ne demande qu'à être libéré par les réformes de structures trop longtemps différées.
La réforme de l'Etat tout d'abord qui implique de simplifier la réglementation, de supprimer la bureaucratie et de renverser résolument la tradition centralisatrice que nous a léguée Napoléon en faisant confiance à nos régions. C'est dans le même esprit que j'entends poursuivre la politique de privatisations malgré les conditions, que vous savez difficiles, des marchés financiers : l'Etat n'est pas toujours un bon actionnaire ; il n'est que rarement un bon manager.
Vous venez en France à un moment où le Gouvernement est engagé dans une réforme majeure : celle des retraites. Cette réforme provoque une certaine agitation sociale mais au fond les français en comprennent la nécessité. Comme l'ensemble des pays développés nous sommes confrontés à un certain vieillissement démographique. En France nous étions en retard pour sauver nos retraites. La réforme va d'ores et déjà régler près de 50 % des besoins financiers nécessaires en 2020. C'est une réforme de grande ampleur. Nous avons choisi de préserver notre système par répartition qui restera le socle de notre système de retraites. Mais nous ouvrons également la voie, pour la première fois en France, à la possibilité de compléter sa retraite par l'épargne. C'est aussi une avancée et une modernisation importantes.
Ces combats, ce sont au fond des combats pour la croissance économique qui est, comme l'histoire du monde occidental le montre, le creuset de nos libertés, des valeurs démocratiques et du bien-être matériel et moral de nos peuples. C'est pourquoi la période de ralentissement de nos économies doit tous nous mobiliser pour qu'elle soit la plus courte possible.
D'abord, sur le plan interne ; c'est le projet que je porte pour mon pays et qui donne du sens, à chaque instant, au combat politique qui est le mien de fonder l'avenir de la France sur la responsabilité individuelle, l'esprit d'initiative, la création d'entreprise et l'innovation. Je souhaite une France ouverte sur le monde, consciente des changements et des défis qu'il lui faut affronter.
Ensuite, sur le plan international ; nous devons jouer davantage ensemble. L'Europe a besoin de la croissance américaine qui a besoin de la croissance européenne. La croissance ne se décrète certes pas mais, ensemble, nous pouvons la favoriser. La France s'y emploiera pour sa part en se modernisant sans relâche.
Laissez-moi conclure en vous disant ma confiance dans une relation qui repose sur les fondations les plus solides qui soient : un passé et des valeurs communes. La fidélité à notre histoire commune est un gage de la qualité de notre relation à venir, comme l'est notre volonté de construire un monde plus démocratique, plus respectueux des droits de l'homme, plus sûr et plus prospère. Comme le disait Franklin D. Roosevelt " il n'existe pas deux nations plus unies par les liens de l'histoire et de l'amitié mutuelle que le peuple de France et celui des Etats-Unis d'Amérique ".
A Evian les Présidents BUSH et CHIRAC ont retissé les fils de notre destin commun.
Je suis persuadé que nous saurons nous réunir durablement autour de chantiers aussi essentiels que la lutte contre le terrorisme, contre la prolifération des armes de destruction massive ou contre le SIDA : autant de causes qui mobilisent déjà largement la France à vos côtés, et qui continueront de donner un sens, un contenu à notre amitié et à notre partenariat demain comme hier.
Il est maintenant grand temps de laisser s'exprimer une convivialité qui est aussi un des ciments de notre relation. Votre compatriote Benjamin Franklin l'avait d'ailleurs très tôt compris, puisque la petite histoire dit qu'il pratiqua abondamment, comme Bartholdi après lui, cette " diplomatie de la table " si française pour préparer le terrain au traité d'amitié et de commerce de 1778.
C'est pourquoi, ce soir, je lève mon verre en l'honneur de l'amitié franco-américaine.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 17 juin 2003)