Interviews de M. Henri Emmanuelli, membre du conseil national du PS, dans "Libération" et dans "L'Indépendant de l'Aude" le 10 avril 2003, sur les raisons de la création du courant "Le nouveau monde" au sein du PS et sur le débat au sein du parti avant le congrès de Dijon.

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Média : Emission Forum RMC Libération - L'indépendant de l'Aude - Libération

Texte intégral

Au lendemain de l'échec du parti socialiste aux élections présidentielle et législatives, vous avez fondé le mouvement "Le nouveau monde". Pour quelles raisons ?
Henri Emmanuelli : Nous avons considéré que le 21 avril 2002 n'était pas un simple accident électoral, mais qu'il y avait un vrai problème politique. Certes, le bilan était bon. Mais certaines mesures - comme la baisse de la fiscalité sur les stocks-options et de la tranche supérieure de l'impôt sur le revenu, l'ouverture du capital de France Télécom et les menaces exprimées sur celui d'EDF, les "fonds de pension " à la française, les privatisations, etc - ont troublé des pans entiers de notre électorat. Seulement 13 % des ouvriers et 13 % des employés ont voté pour notre candidat le 21avril. Et 40 % des sympathisants socialistes ne voyaient pas de différence entre le projet de la gauche et celui de la droite à la veille du scrutin. Nous pensons donc qu'il y a une véritable nécessité de clarification politique et de réorientation de la politique de notre parti pour remonter la pente.
Le Nouveau monde revendique un ancrage plus à gauche du parti socialiste. Que signifie pour vous être "plus à gauche" ? Quelles sont les principales propositions formulées aujourd'hui par votre mouvement ?
Etre plus à gauche, c'est défendre réellement l'action publique, le service public, l'intérêt et la sécurité collective, qu'il s'agisse des retraites ou de la sécurité sociale qui sont aujourd'hui menacées. C'est dénoncer les méfaits de la mondialisation libérale et vouloir une Europe fédérale capable de défendre notre modèle social, et dont l'élargissement soit soumis à l'approbation des peuples. C'est défendre l'idée que la redistribution reste au coeur du projet socialiste alors que certains socialistes, au mois de mars dernier, nous expliquaient que tout ceci était dépassé. C'est opposer la laïcité au communautarisme. C'est vouloir la démocratie sociale, l'aménagement du territoire, le plafonnement des primes agricoles aux céréaliers, etc. Bref, c'est notre motion, conforme à ce que nous disions lorsque nous étions au gouvernement.
Depuis la création du Nouveau Monde, vous êtes régulièrement sur le terrain à la rencontre des militants. Quels échos rencontrez-vous auprès d'eux ? Quelles sont leurs déceptions? Leurs attentes ?
Je rencontre beaucoup de désarroi, d'inquiétude, de scepticisme. C'est pourquoi à nos yeux ce congrès ne doit avoir qu'un seul objectif: redonner au peuple de gauche des raisons d'espérer. Le problème n'est pas de maintenir une direction. Le problème, c'est d'être capable de redessiner un avenir collectif crédible fondé sur les valeurs de gauche, de justice sociale, d'émancipation et de dignité pour le plus grand nombre.
L'Aude a réélu trois députés socialistes lors des dernières législatives, malgré un contexte national défavorable. Estimez-vous pour autant que vous arrivez ce soir dans ce département en "terrain conquis" ?
L'Aude, comme les Landes, ont réélu tous leurs parlementaires socialistes. Mais il n'y a pas de terrain conquis. La confiance n'est jamais définitivement acquise et il faut se battre tous les jours pour la conserver. Et nous allons avoir fort à faire face à un gouvernement qui s'apprête à brader les principales conquêtes sociales.
Mais vous savez aussi que la fédération de l'Aude est majoritairement fidèle à l'actuelle direction du PS. Quelle "différence" souhaitez-vous faire entendre ce soir à Villegailhenc ?
Il ne s'agit pas, comme on essaye de le faire croire, d'être fidèle ou infidèle à tel ou tel. Il s'agit de choisir une orientation politique, pour regagner la confiance perdue au sein des catégories populaires. Pour le reste, nous sommes tous socialistes, et tous responsables. Pour ma part, je l'ai déjà prouvé. Alors qu'on ne nous refasse pas le coup de l'inversion du calendrier, en expliquant qu'il faut élire un premier secrétaire et choisir des gens avant de dire ce que l'on attend d'eux.
Est-ce que ce qui vous oppose à cette direction est plus fort, aujourd'hui, que ce qui pourrait vous rassembler demain ?
Nous sommes tous socialistes. Un débat politique n'est pas une bataille. Au Congrès de Metz, nous avions discuté âprement de la ligne politique. Deux ans après, François Mitterrand, qui souhaitait un "débat fracassant", gagnait la présidentielle. Aujourd'hui, au nom d'une unité qui n'est pas menacée, on voudrait confisquer le débat. C'est une erreur. La base du PS ressemble beaucoup plus au peuple de gauche que les dirigeants qui prétendent limiter son expression.
Le PS a souffert par le passé de profondes divisions entre ses différentes composantes. Souhaitez-vous une synthèse au congrès de Dijon et si oui, que comptez-vous faire pour y parvenir ?
A part le congrès de Rennes, qui était une bataille de prétendants à la succession de François Mitterrand, le PS n'a jamais souffert de ses divisions. Au contraire, chaque fois que le débat a été vif et sincère, il a progressé. Il y a toujours eu une majorité et une minorité. Au dernier congrès, nous voulions la synthèse. Et la majorité nous a refusé les deux seules choses que nous demandions: une augmentation des bas salaires et le soutien aux syndicats majoritaires face au Medef dans l'affaire de l'Unedic. On aurait mieux fait de nous écouter !
A Dijon, nous rechercherons la synthèse avec toutes celles et tous ceux qui pensent qu'il faut clarifier nos positions sur des bases de gauche, sans exclusive. Nous avons trois ans pour construire un projet alternatif qui doit impliquer toute la gauche.
Le gouvernement Raffarin semble entrer dans une phase de turbulences sociales, avec notamment la question des retraites et les conséquences "redoutées" de la nouvelle vague de décentralisation. Quelle est votre position sur ces différents dossiers ?
Le gouvernement Raffarin commet une grave erreur: il croit qu'après le 21avril 2002 et les législatives qui ont suivi dans des conditions très particulières, le peuple français lui a donné mandat pour libéraliser l'économie française et brader les conquêtes sociales. Il se trompe lourdement.
Qu'il s'agisse des retraites ou de la sécurité sociale, de l'emploi, de l'école, il y a des spécificités françaises auxquelles le pays reste très attaché. La dégradation brutale de la situation économique, les effets à venir de la guerre, plus les mauvaises intentions du gouvernement, cela risque de faire beaucoup. Confondre la décentralisation et le démembrement de l'Etat ne va pas arranger le tableau. Bref, ils devraient faire preuve d'un peu plus de lucidité. Je suis inquiet pour les mois à venir: il va falloir se battre durement.
(source http://www.nouveau-monde.info, le 10 avril 2003)